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Full text of "Idées sur la philosophie de l'histoire de l'humanité"

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IDEES 

SUR  LA  PHILOSOPHIE 


DE 


Ji'HISTOIRE  DE  L'HUIIANITB. 


STRASBOURG,  de  rimprimerie  de  F.  G.  Leyraûlt. 


miËM^ 


SUR  LA  PHILOSOPHIE 


DE 


L'HISTOIRE  DE  L'HUMANITÉ. 


PAR  HERDER. 


OUVRAGS    T&ADtrr   DB    L'ALLEMAND    SI   PRSCfi0É  d'UNE  IMTRODUCTfON 


PAR  EDGAR  QUINET. 


Quem  te  deus  esse 

Jussit,  et  hfunana  qua  parte  locatus  es  in  r» 
Disce.  .  .  .  ^  T^ERS, 


TOME  PREMIER. 


PARIS, 

Chez  F.  G.  Levraultj  rue  de  la  Harpe^  n.*  81, 
et  rue  des  Juifs ^  n.''  33 y  à  Strasbourg. 

1834. 


lu.  ' , 

UNiVERSlTY 


A  MONSIEUR 

FRÉDÉRIC  GREUZER, 

AUTEUR 

DE  LA  SYMBOLIQUE  ET  DE  LA  MYTHOLOGIE 

DES  PEUPLES  ANCIENS, 


HOMMAOB  DnDIfB  PBOFOIIDB  BBOORRAISSANGB. 


INTRODUCTION. 

Une  grande  gloire  pour  les  peuples  modernes 
est  d'avoir  conçu  l'histoire  universelle.  Ce  point 
de  vue  transcendental  est  resté  entièrement  in- 
connu des  anciens^  ils  se  confiaient  trop  ferme- 
ment dans  l'état  présent  des  choses,  ils  avaient 
vu  trop  peu  de  ruines,  pour  penser  jamais  que 
les  annales  du  monde  eussent  à  révéler  d'autre 
rente  que  le  maintien  de  la  loi  contemporaine. 
Au  commencement,  quand  les  nations,  avec  une 
énergie  naissante,  s'établirent  sur  un  sol  jeune 
comme  elles ,  à  peine  si  elles  croyaient  devoir 
mourir  un  }our  ^  et  chacune  d'elles ,  se  faisant  le 
centre  et  le  but  de  l'univers ,  se  proposait  elle- 
même  à  rado|*ation  du  genre  humain.   Mais» 
quand  chacune  de  ces  idoles  eut  péri  à  son  tour, 
le  monde  qui  leur  avait  donné  sa  foi  commença 
à  s'inquiéter  et  à  chercher  au-delà  le  prix  du 
sang  versé  et  des  travaux  des  générations  qui  les 
avaient  précédées  :  alors ,  pour  tout  achever ,  ap-; 
parut  une  croyance  nouvelle,  qui  transporta  les 
esprits  par-delà  les  limites  de  Fespace  et  du  temps, 
ea  sorte  qu'en  contemplant  l'immuable  et  l'ab- 


8  INTRODUCTION. 

solu ,  on  se  mit  à  s'effrayer  de  tout  ce  qui  n'est 
pas  éternel.  De  ce  jour,  on  fut  moins  avare  des 
siècles  :  on  comprit  qu'ils  pouvaieat  être  prodi- 
gués sans  danger,  et  les  empires,  qui  jusque-là 
semblaient  si  permanens,  remplirent  les  âmes 
d'épouvante  par  la  brièveté  de  leur  existence  et 
la  rapidité  de  leur  chute.  La  pensée  ne  se  reposa 
plus  sur  chacun  d'eux  isolément.  Pour  combler 
le  vide,  on  les  ajouta  les  uns  aux  autres;  on  les 
embrassa  tous  d'un  même  regard.  Ce  ne  fiirent 
plus  des  individus  qui  se  succédèrent  les  uns  aux 
autres,  mais  des  êtres  collectifs  qu'on  resserra 
dans  d'étroites  sphères.  Puis,  voyant  que  cela 
encore  ne  servait  qu'a  manifester  le  néant ,  on 
s'appliqua  à  chercher  s'il  n'y  aurait  pas  du  moins, 
au  sein  de  cette  instabilité,  une  idée  permanente, 
un  principe  fixe  autour  duquel  les  accidens  des 
civilisations  se  succéderaient  dans  un  ordre  éter- 
nel. Comme  on  avait  ramené  la  vie  individuelle, 
ou  la  carrière  d'un  peuple,  à  une  pensée  domi- 
nante, dont  il  était  le  développement,  on  s'étu- 
dia à  coordonner  la  succession  des  empires  à  une 
seule  et  même  loi.  ' 

Et  parce  que  le  fait  qui  venait  de  donner  cette 
haute  direction  à  l'histoire ,  près  de  tomber  par 
l'influence  du  despotisme  sous  la  forme  iniîom- 
plète  et  dégradée  de  la  biographie ,  était  d'une 
nature  prodigieuse ,  l'univers  resta  promptement 


INTRODUCTION.  9 

tonraincu  qae  c^était  là  le  but  qu'il  (Perchait  et 
la  ^nde  pensée  qu'il  avait  à  accomplir.  On  crut 
s'apercevoir  qu'une  main  mvisible  poussait  de 
toutes  parts  les  hommes  et  les  empires  à  servir 
les  progrès  de  la  loi  du  Christ;  et  qu'au-dessus 
des  circonstances  locales  et  des  développemens 
individi^ls ,  une-  destinée  commune  ramenait 
tous  les  phénomènes  du  knonde  civil  à  ce  grand 
œuvre  de  la  Providence.  Cette  idée  est  la  pre- 
mière qui  ait  marqué  l'histoire  d'un  caractère 
philosophique,  en  donnant  aux  actions  humai- 
nes une  carrière ,  un  enchaînement  et  un  élément 
de  fixité.  On  en  découvre  les  traces  dans  les  Médi- 
tations de  S.  Augustin.  Déjà  elle  est  clairement 
développée  par  EusèJ>e  et  par  Sulpice- Sévère  : 
rien  n'est  plus  fecile  que  d'en  suivre  les  grossières^ 
applications  dans  toute  la  suite  du  moyen  âge, 
jusqu'à  ce  qu'elle  vint  tomber  aux  pieds  de  Bos- 
suet.  Comment  il  l'a  recueillie,  on  le  sait,  tt  par 
quel  art  l'histoire  du  genre  humaine  devint  ime 
épopée  qui  a  son  commencement ,  ses  péripéties , 
son  unité ,  son  merveilleux ,  et  dont  la  manifes- 
tation du  dieu-homme  est  le  dénouement  uéces- 
saire. 

Ainsi ,  la  même  puissance  qui  avait  agrandi  la 
sphère  de  l'histoire,  se  posa  elle-même  comme 
centre  de  toutes  les  activités  humaines;  elle. pro- 
posa le  problème  de  la  nouvelle  science ,  et  la 


10  INTRODUCTIOK. 

solution  qu'elle  en  donna ,  fut  le  &it  meioie  de 
son  existence.  Tant  que  la  conscience  admit  ce 
fait  comme  une  conyictioù  primitiye,  essentielle, 
inhérente  à  sa  nature^  cette  solution  fut  admira* 
ble.  Car  quelle  autre  destinée  se  peut  imaginer 
digne  de  Tiuiivers,  si  ce  n'est  de  voir  Tétre  éter- 
nel, infini ,  s'associer  à  lui  par  quelques  points, 
influer  stor  ses  formes  et  marcher  avec  lui  ?  Au- 
jourd'hui même  que  le  génie  de  l'analyse  et  le 
scepticisme  semblent  avoir  août  changé,  nous 
n'avons  pas  dautre  croyance  historique.  Seule- 
Hient  ce  qui  était  particulier  est  devenu  général  ; 
ce  qui  avait  été  touché  au  doigt  est  devenu  im- 
palpable; ce  qui  avait  paru  dans  tel  lieu,  dans 
tel  siècle,  est  devenu  Toeuvre  de  tous  les  lieux  et 
ide  tous  les  siècles.  Mais ,  nous  aussi ,  nous  croyons 
que  les  tribus  de  Jacob ,  que  les  anci^is  peuples 
des  bords  de  l'Euphrate,  que  les  Ammonites  et  les 
Moabites  sont  tous  entraînés^  par  une  loi  unique, 
à  la  révélation  de  Dieu,  c'est^-dire  à  la  raison, 
à  la  justice  et  à  1^  liberté,  exprimées  par  des 
formes.  De  plus,  nous  savons  bien  que  la  cou- 
ronne d'épines ,  que  l'hyssope  et  le  fiel  ne  seront 
point  épargnés  3  cela  fait-il  qu'aucun  de  nous  se 
repose  dans  le  sein  de  l'absolu,  avec  moins  de 
confiance  que  le  disciple  bien-aimé  sur  l'épaule 
de  celui  qui  allait  être  immolé? 

De  tous  les  êtres  soumis  aux  pouvoirs  organi- 


ÏNTRODUCTIOW.  11 

ques,  l'homme  seul  a  la  conscienoe  des  temps  qui 
ont  précédé  son  individualité  ;  avec  lui  vivent 
sur  la  terre  des  millions  de  créatures  pbur  qui  Ie9 
amiales  de  l'univers  remontent  à  un  )Our,  à  une 
heure  d'antiquité.  L'homme  seul  ne  mesure  pas 
le  développement  des  choses  sur,  la  suecesMon 
fugitive  des  impression»  qui  se  sont  multipliées 
pour  lui.  En  vain ,  dans  le  cerde  étroit  de  sa  pen-- 
sée,  d'immortelles  douleurs,  d'infinis  dàirs,  ont 
laissé  dans  son  souvenir  de  longues ,  de  brûlantes 
empreintes;  il  classe,  tout  cela,  selon  ce  que  cela 
vaut)  dans  réohelle  immense  des  âges  et  des  de»- 
tinées.  Dans  sa  nature  complexe ,  il  sesit  en  lui , 
il  reconnaît  en  lui  l'œuvre  combinée  des  siècles. 
Seul,  il  sait  quWant  qu'il  soit  né,  des  êtres  sem^ 
blables  à  lui  ont  préparé,  à  leur  insçu,  la  place 
qu'il  occupé  aujourd'hui  dans  le  temps.  Seul,  il 
sait  qu'il  meurt,  et  que  tout  lui  survit,  et  l'uni^ 
vers  qui  le  repousse,  et  l'humanité  dont  il  &jit 
partie.  Quelles  seront  les  formes  et  les  individua 
qui  se  reproduiront  après  lui?  il  l'ignore.  Mais^ 
il  sait  qu'au-^dessuis  des  formes  qui  passent  s'élève 
la  puissance  de  la  raison,  de  la  justice  et  de  la 
liberté^  qui  vont  se  grossissant  de  chaque  année, 
qui  s'écoule ,  de  chaque  vertu  qui  s'exerce  ^m 
silence.  Produit  des  âges,  l'humamté ,  être  iitipal*- 
pable,  toujours  mouvant,  toujours  changeant, 
supporte  tout  ^^  les  existemces  en  les  absorbant 


^   f 


12  INTRODUCTION. 

toutes 3  et  Fempire  qui  s'écroule,  et  le  cœur  qui 
se  brise ,  Tont  Tun  et  l'autre  se  perdre  ^^ns  son 
sein,  et  le  modifier  de  leur  substance.  Ainsi  la 
mort  n'est  plus  qu'une  transformation  ascendante , 
et  la  vie  des  peuples  qu'un  rapide  moment  dans 
la  vie  universelle,  une  feuille  d'un  arbre,  une 
page  d'un  livre,  où  nous  ndus  efforçons  de  dé- 
chiffrer l'instant  présent  à  travers  les  révélations 
du  passé.  , 

Avec  cela  c'était  peu  que  d'avoir  conçu  l'his- 
toire de  l'humanité.  Comme  tout  système  qui  n'est 
pas   renfermé,  dans  un  fait  primitif,  l'histoire 
considérée  scientifi()uement,  ne  peut  se  servir  à 
elle-même  de  point  de  départ.  Tant  qu'elle  se 
présente  isolée,  sans  connexion  établie  avec  un 
point  fixe,  une  vérité  éternelle,  dont  elle  est  le 
dévdoppément  externe,  elle  n'est  qu'une  collec- 
tion de  formes;  pittoresque,  éloquente,  je  le  crois  j 
mais  la  plus  frêle,  la  plus  variable,  la  plus  pré- 
caire de  toutes~i  elle  ne  vit  que  de  contradiction 
et  d'incertitudes ,  toujours  prête  à  se  récuser,  si 
ses  témoignages  éphémères  viennent,  à  lui  man- 
quer, et  à  s'égarer,  quoi  qu'il  arrive.  Dans  les 
autres  classes  de  faits ,  quelque  contingens  qu'ils 
puissent  être,  on  aperçoit  du  moins,  dans  quel- 
que lieu  de  l'espace  et  du  monde  réel ,  des  mani- 
,  '    festations  présentes ,  qui  ont  avec  eux  des  rapports 
nécessaires.  Mais,  ici,  où  est  le  lieu  des  corps,  où 


INTRODUCTION.  13 

est  l'objet  qu'on  puisse  toucher?  Uhomme  a  con- 
servé de  ses  anciennes  années  des  souvenirs  qu'il 
raconte  avec  complaisance.  Combien,  peut-être, 
de  fsLUX  leurres  d'espérances  fugitives  ne  prend-il 
pas,  a  son  insçu,  pour  des  événemens  réels!  Ce 
qui  n'a  jamais  eu  vie  sur  la  terre,  que  sais- je, 
un  Êintôme  éphémère,  une  image  décevante,  qui 
on  jour  est  apparue  à  la  pensée,  cela  est  égal  à  la 
réalité,  qui  a  le  plus  opprimé  le  monde  de  son 
poids  ^  et  rien  dans  l'histoire  ne  distingue  l'être 
du  non-être ,  et  ils  suivent  dans  l'immensité  des 
temps  des  espaces  égaux;  ils  se  rapprochent,  se 
mêlent,  se  confondent;  tant  nos  passions  les  plus 
brûlantes  laissent  de  £siibles  empreintes  sur  les 
objets ,  et  si  promptement  les  traces  de  l'homme 
sont  efiacées  par  le  souffle  des  âges  !  C  est  un 
monde  qui  ne  m'instruit  de  sa  présence  que 
par  le  bruit  de  sa  chute  ;  sa  loi  est  de  changer, 
son  essence  et  de  n'en  avoir  pas.  Si  ce  reten- 
tissement de  ruines  venait  à  s'arrêter ,  je  ne  sau- 
çais plus  rien  de  lui;  bien  plus,  il  aurait  cessé 
d'être  :  sous  peine  de  disparaître  il  faut  qu'il 
ne  conserve  pas  même  une  apparence  de  durée; 
et,  chose  étrange,  ce  qui  fait  qu'il  est,  est  ce 
qui  en  £siit  éclater  l'illusion  et  le  néant. 

n  restait  donc  à  fonder  la  science  en  intro- 
duisant dans  l'histoire  des  élémens  de  fixité,  et 
en  donnant  uff  caractère  de  consistance  aux 


14  INTHOBUCTIO». 

phénonumès  jusqtieJà  éphémères  et  presque  iA*- 
saisissables , doBLt elie  se  composait  Or,  ce  n'était 
point  du  séinide  l'instabilité,  ni  dti  chaos  des 
âges,  que  pouvaient  sortir  rimmnable  et  Tëter- 
nel.  Le  désordre  né  pouvait  pas  lui-même  enjeei- 
gner  Tordre  universel.  11  £iUait  sortir  du  cercle 
des  vicissitudes,  quitter  les  formes  précaires  des 
empires  et  des  Êiits  traditionnels  ^  remonter  par-- 
delà les  traces  de  la  civilisation  ,^  et  devancer 
Texpérience  de  l'humanité ,  jusqu'à  ce  que  l'on 
vint  à  rencontrer  un  être,  un  fait  irrécusable  qui 
eût  avec  elle,  même  avant  qu'elle  ne  fût,  les 
rapports  que  la  loi  conserve  étemelk^ment  avec 
le  phénomène,  non  encore  existant,  qui  doit 
,  servir  un  jour  à  la  manifesta:*.  Ju$qué4à ,  flot- 
tante au  hasard,  au  milieu  de  la  confusion  des 
scènes  historiques,  et  des  vaines  images  de  la 
tradition ,  à  peine  la  pensée  est-elle  arrivée  jus- 
ques  à  l'essence  des  formes  et  des  mouvemens 
des  peuples,  qu'dile  s'y  arrête  avec  joie.  Il  Ue 
s'agit  point  ici  de  quelques  règles  passagères  que 
l'humanité  peut  rejeter,  quand  le  mouvement 
prc^ressif  a  détruit  l'harmonie  qui  existait  entre 
elles  et  la  raison  générale.  Conséquences  néces^^ 
saires  d'un  fait  comme  elles  inaltérable ,  sans  ja- 
mais ni  diminuer,  ni  grandir,  elles  étaient  ayant 
que  ne  fussent  les  empires ,  ni  les  langues  ;  par 
dUes ,  les  temps  ont  un  lien  j  les  générations  une 


INTRODUCTION. 


15 


carrière,  et  l'énigme  du  genre  humain  s'explique 
à  mesure  que  ces  phénomènes,  naguère  si  frêles , 
empruntent  de  leur  concordance  avec  elles  une 
coimstance  et  une  valeur  réelle.  La  loi  qu'ils  ex^ 
priment  dans  l'univers  visible,  les  marque.de  ses 
caractères j  revêtue  de  leurs  formes,  elle  péo 
nètre  au  loin  daps  tout  le  système  des  actions 
humaines,  pour  leur  donner  véritablement  l'être. 
Ce  ne  sont  plus  de  purs  symboles  que  les  siècles 
se  renvoient  en  passant.  Brisez-<lès,  et  vous  trou-- 
Verez  la  loi 3  la  loi  qui  les  conserve  intacts,  et 
qui  répand  en  eux  la  force,  la  sagesse,  l'ordre  et 
l'harmonie. 

Je  ne  sais  rien  au  monde  des  choses  qui  m'ont 
précédé  dans  le  temps.'  Jamais  ma  pensée  n'a  re^ 
monté  plus  loin  que  les  souvenirs  de  mon  én- 
once. Ce  que  fiu^ent  mes  pères ,  je  l'ignore  com-^ 
plétement.  Jamais  les  noms  de  Rome ,  d'Athènes  ^ 
de  Jérusalem,  n'ont  frappé  mes   oreilles  :  ja- 
mais mon  cœur  ne  s'est  ému  pour  Sydney ,  Jeanne 
Gray ,  Thémistocle,  Philopœmen.  J'ai  rencontré  ' 
sur  mon  chemin  des  ruines,  sans  m'inquiètent 
de  dmnander  à  personne  pourquoi  elles  sont  là, 
et  qui  les  y  a  laissées.  Sans  doute  j'aurais  perdu 
ainsi  beaucoup  de  consolations   dans  mes  mi- 
sères, et  d'imposantes  leçons  dans  mes  égare* 
mens  ;  mais  enfin,  si,  au  sein  de  cette  ignorance, 
je  connais  la  loi  suprême  des  nations,  le  type 


46  INTRODUCTION. 

idéal  de  leurs  diverses  périodes ,  si  je  suis  arrive 
jusques  à  Tesseajce  même  des  mouvemeas  et  des 
formes  ;  si,  en  supposant  que  des  empires  m'aient 
précédé  dans  la  durée,  je  puis  dire  quelle  est 
la  pensée,  l'élément  rationnel  qu'ils  ont  ngLani- 
festé,  cette  connaissance,  la  seule  que  j'aie,  mais 
étemelle,'  immuable,  qui  m'est  coexistante,  et 
qui  sera  encore  quand  je  ne  serai  plus,  est- 
elle,  au  fond,  moins  parfaite  que  la  vôtre,  vous 
qui  avez  prêté  votre  pensée  à  toutes  les  vicis- 
situdes des  âges,  à  tous  les  contours  des  images 
les  plus  fugitives  ,^qui  avez  composé  votre  science 
de  contingences  éphémères ,  d'individualités  tou- 
jours défaillantes  que  ni  vous  ni  moi  ne  pou- 
vons ni  rappeler,  ni  prolonger  un  seul  instant. 
Ainsi  tombée  dans  les  bornes  du  monde ,  la 
science  nouvelle  dut  en  subir  les  lois.  Jusque-là 
errante,  indécise,  plus  ou   moins   mêlée    aux 
questions  du  jour  et  du  lendemain,  il  fallut  que 
l'esprit  humain  la  revêtît  de  ses  formes,  et  que, 
fidèle  à  ses  deux  méthodes ,  il  la  marquât  d'une 
double  empreinte.  L'éternel  débat  de  l'académie 
et  du  lycée ,  du  spiritualisme  et  de  la  sensation, 
tétendit  son  cercle  jusques  à  elle,  et  enferma 
dans  sa  querelle  un  nouveau  concours  d'objets. 
Deux  hommes  parurent  alors,  Vico  et  Herder,  - 
qui  représentent  chacun  à  sa  manière  les  deux 
écoles  qui  venaiait  de  tiaitre,  et  qu'ib  avaienJt 


INTRODUCTION.  il 

créées.  Tous  deux  pleins  de  génie,  zélés  nova* 
teurS)  puissans  par  Famé  et  les  convictions'  :  l'un 
enthousiaste  avec  méthode,  recueilli  dans  sa 
force,  concis,  nerveux  jusqu'à  la  rudesse;  l'autre, 
tout  éclatant  de  poésie ,  tout  brillant  de  jeunesse 
et  d'illusions,  paré  comme  la  nature  qui  le 
séduit  par  les  £6rmes,  riche,  abondant,  sans 
obscurités,  sans  mystères,  mais  non  pas  sans 
profondeur,  il  était  permis  de  penser  que  leur 

cortège  serait  nombreux  et  leur  influence  im« 

» 

médiate.  Mais,  soit  qu'ils  eussent  devancé  le 
monde  de  quelques  pas,  soit  que  l'aiicienne  lutte, 
venant  alors  à  se  réveiller ,  ait  tout  entraîné  dans 
sa  sphère ,  il  est  certain  qu'il  ne  leur  resta  qu'un 
petit  nond>re  de  disciples,  et  qu'aujé^d'hui 
même  leur  gloire  est  loin  d'être  égale  à'  leur 
génie. 

Qu'a-t^il  donc  fait  le  Napolitain  Oiambatista 
Vico  ?  Le  premier ,  il  a  posé  les  lois  universelles 
de  l'humanité.  De  la  représentation  il  s'est  élevé 
jiisqua  l'idée,  des  phénomènes  jusqu'à  Tessènce* 
Frappe  du  principe  de  la  nature  identique  de 
toutes  les  nations,  il  a  rassemblé  en  un  seul  tout 
les  phénomènes  qUi  sont  communs  à  chacune 
d'elles ,  dans  les  diverses  périodes  de  leur  durée  ; 
et,  leur  ôtant  leur  couleur  et  leur,  individualité, 
il  a  composé  de  leur  ensemble  une  histoire  abs- 
traite, une  forme  idéale,  qui  tient  à  tous  les 
I.  2 


18  INTRODUCTION- 

temps,  qui  se  reproduit  chez  tous  les  peuples 
sans  en  rappeler  spécialement  aucun.  Ce  qui 
nous  apparaît  de  la  succession  ^des  nations  y  de 
leur  naissance ,  de  leurs  dévelop^emens ,  de  leur 
grandeur  et  de  leur  chute,  n'est  que  rexpression  du 
rapport  du  monde  avec  cette  indestructible  cité. 
Elle  s  abaisse  vers  lui  et  le  marque  de  son  ena- 
preint^  ;  de  là ,  une  suite  indéfinie  de  ruines ,  d'em- 
pires naissans,  de  trônes  brisés,  de  changemens  et 
de  débris  qui  tous  ont  leurs  représentations  dans 
l'absolu.  Les  peuples ,  à  mesure  qu'ils  se  succèdent 
dans  l'ordre  des  âges ,  entrent  en  rapport  avec  elle , 
et  s'établissent  dans  son  enceinte  ;  ils  la  parent  de 
leurs  couleurs,  et,  pendant  qu'ils  existent  par 
elle  et  en  elle ,  ils  lui  commimiquent  en  retour 
un  mouvement  apparent;  ils  la  revêtent  de  tous 
les  emblèmes  que  les  temps  leur  ont  apportés  ; 
ils  promènent  quelque  temps  leur  gloire  ou  leur 
misère ,  dans  ses  immuables  détours  ;  ils  font  en- 
tendre en  passant  leurs  voix  sous  ses  voûtes  si- 
lencieuses; et  quand  ils  périssent,  elle  ne  pérît 
point  :  elle  se  dégage  de  leurs  ruines,  et  reparait 
toute  radieuse  dans  la  région  des  idées. 

Cependant,  où  trouver  ces  annales  impéris- 
sables qu'aucune  main  n'a  écrites,  qu'aucune 
tradition  n'a  portées  jusqu'à  vous?  — Dans  le 
fait  de  la  Providence,  manifesté  sur  la  terre  par 
les  lois  de  la  pensée  humaine.  C'est  dans  ce  sys- 


INTRODUCTION,  .        19 

téme  intelligent ,  partout  identique  à  lui-  même 
dans  son  essence,  que  reposent  les  règles  qui 
domient  aux  nations  leurs  formas  et  leur  mode 
d'existence.  Livrés  tout  au  présent ,  que  les  peuples 
et  les  civilisations  s'agitent,  se  heurtent,  se  pré- 
cipitent dans  le  temps  ;  pour  elles ,  elles  restent 
immuables  dans  un  inaltérable  i^pos.  Quand 
tout  disparaîtrait  sur  la  terre ,  les  empires ,  les 
monumens ,  quelques  noms  épars ,  quelques  traces 
de  sang,  elles  n'en  existeraient  pas  moins;  et 
cette  bistoire  qui  les  renferme  toutes  ne  serait 
pas  pour  cela,  ou  moins  remplie,  ou  plus  im- 
possible à  tracer;  car  si  les  faits  et  l'expérience 
sj  introduisent,  ce  n'est  que  comme  de  purs 
symboles,  qui  la  confirment  sans  lui  servir  de 
fondement.* 

Imaginez  quelque  méthode  contraire  en  tout 
à  celle  qui  à  été  suivie  par  Vico,  ce  sera  celle  de 
Herder.  Si  le  premier  donne  pour  point  d'appui 
à  la  série  des  actions  humaines ,  la  pensée  dans 
sa  plus  sublime  essence,  le  second  s'élève  de  la . 
manifestation  la  plus  grossière  de  l'être  matériel} 
il  enchaîne  da*ns  une  seule  idée,  partout  présente 
et  partout  modifiée,  l'espace  qui  renferme  les 
forces  de  la  création,  et  le  temps  qui  les  per- 


I    ■       »■       ■■!■ 


1.  Vico.  Scienza  nuova  intorno  alla  comfnune  natwa  dfilh 
naûoniy  1735, 


20  INTRODUCTION. 

'  fecfionne  en  les  développant.  Depuis  la  plante 
qui  végète ,  depuis  l'oiseau  qui  fait  son  nid ,  jus- 
qu'au phénomène  le  plus  élevé  du  corps  social , 
il  vit  tout  procéder  à  l'épanouissement  de  la 
fieur  de  V humanité ^  les  mondes  se  débrouiller  du 
chaos,  et  l'être  organique  préparer,  par  des  mo- 
difications successives,  la  substance  dont  les  siècles 
s'emparent  pour  l'élaborer  à  leur  tour.  Par  quel 
efichainement  merveilleux  toutes  les  formes  se 
préparent  l'une  l'autre!  Dans  cette  série  im- 
mense, tous  les  intervalles  sont  remplis,  et  des 
êtres  mixtes  servent  de  transition  entre  des  na- 
tures entièrement  dissemblables.  Chacun  y  rem- 

•  plit  sa  mission  en  développant  ses  germes,  en 
produisant  ce  qu'il  peut  produire.  D'ailleurs ,  ce 
mouvement  des  choses  n'est  pas  un  vain  conflit 
de  forces,  qui  se  limitent  et  s'altèrent  sans  que 
de  là  ne  ressorte  une  idée  dominante,  que  cha- 
que être  accomplit  dans  sa  sphère.  Si  aucune 
activité  n'est  en  repos ,  aucune  n'est  rétrograde. 
Par  une  identité  admirable  elles  s'avancent  toutes 
d'une  forme  inférieure  à  une  forme  supérieure , 
de  la  pierre  à  la  plante ,  de  la  plaflte  à  l'animal. 
En  suivant  ainsi  la  marche  des^hoses ,  il  recueille 
en  passant  toutes  les  analogies  que  lui  présentent 
les  divers  degrés  de  la  création  ;  et  quand ,  enfin , 
il  arrive  sans  se(^ousse ,  par  une  voie  uniforme , 
jusqu'à  l'homme ,  il  n'a  point  à  s'étouner  de  ses 


INTRODUCTION.  21 

liiénreilles  :  il  reconnait  en  lui  Têtre  que  prépa- 
rait et  qu'annonçait  le  concours  des  formes  et 
des  instincts  qui  se  sont  succédé  devant  lui. 

A  peine  s'est-on  élevé  jusqu'au  premier  élé- 
ment de  l'humanité,  que  le  système  prend  un 
caractère  singulièrement  neuf  et  hardi.  La  créa- 
tion se  divise  dès -lors  en  deux  mondes.  Im- 
mobile comme  l'espace  où  il  déploie  ses  pou- 
voirs ,  Fiui  a  beau  changer  ses  saisons ,  ses  climats  > 
ses  fléaux  et  ses  bienfaits  ;  identique  à  lui-même, 
ce  mouvem^ent  apparent  n'est  rien  autre  qu'un 
éternel  repos.  L'autre ,  qui  se  meut  dans  le  temps,, 
n'est  pas  moins  changeant  que  lui.  Il  fuit  sur 
son  âjJe,  il  s'égare,  il  se  brise,  il  se  recompose,  iF 
grandit,  il  diminue.  Variable  à  l'infini»  le  sui- 
vez-vous dans  "sa  course,  il  vous  épuise  en  vains, 
détours,  sans  que  vous  sembliez  approcher  d'au- 
cmi  but  ;  détournez-vous,  les  yeux,  bientôt  vous 
avez  peine  à  le  reconnaître,  tant  ses  forcer  pro<r 
gres^ves.  ont  reçu  de  développement.  Herder  £iit 
naître  ces  deux  mondeSuFiui  de  l'autre,  ou  plutôt 
il  n'en  fait  qu'un  seul  et  même  être.  Si  les  Lois? 
phy^ques  ont  construit  l'univers,  les  lois   de^ 
Ihumanité  ont  construit  le  monde  de  l'histoire. 
Ch-;  oomme  l'homme  m'est  dans  sa- nature  mul^ 
tîple  que  l'abrégé  le  plus  complet,  et,  pour  ainsi 
dire^,  le  point  central  de  toutes  les  forces  orga^ 
niques,  les.  lois-  de  son  espèce  ne  sont  autres  que^ 


22  INTRODUCTION- 

celles  de  la  création  inerte,  qui  vont  de  toutes 
parts  se  réunir  en.  lui,  pour  se  manifester  sous 
des  formes  correspondantes.  Si  la  nature  s'efforce 
à  travers  mille  modifications,  d'éleyer  son  ou- 
vrage jusqu'à  la  puissance  de  la  pensée,  celle- 
ci  poursuit  la  voie  du  perfectionnement  à  travers 
les  vicissitudes  des  siècles  et  des  civilisations; 
et  il  y  a  dans  cette  chaîne  non  interrompue, 
à  la  fois  coirespondance  dans  les  phénomènes 
et  unité  dans  la  loi. 

De  là  il  ti'arrive  point  brusquement  au  mi- 
lieu des  mouvemens  de  l'histoire.  Il  commence 
par  étudier  la  scène  avant  qu'elle  soit  remplie, 
et  que  le  tumulte  des  événemens  l'empêche  de 
marquer  avec  précision  les  accidens  du  sol.  La 
demeure  de  l'homme  détermine*  déjà ,  par  les 
circonstances  du  voisinage,  des  habitudes  qui 
deviennent  des  lois.  Avant  qu'aucune  action 
humaine  eût  paru  dans  le  monde,  les  chaînes 
des  montagnes ,  les  replis  de  terrain ,  les^  sinuo- 
sités des  rivières  et  des  fleuves ,  marquaient 
déjà  en  traits. ineffaçables  la  physionomie  future 
de  rhistoii::e.  Cest  avec  ua  art  prodigieux  qu'il 
suit  le  contour  des  rochei?  et  des  fleuves,  qu'il 
s'égare  dans  les  déserts,  qu'il  pénètre  d'un  re- 
gard tout  l'intérieur  d'iine  contrée,  poiir  re- 
trouver dans  la  nature  externe  le  premier  mo- 
bile   des  pcQchans   et  des  déterminations  des 


INTRODUCTION.  23 

peuples.  Au  milieu  de  cette  nature  toute  nou- 
telle,  où   aucun  sentier  ne^t  encore  tracé  ^  sa 
marclœ  est  si  bien  assurée,  ses  couleurs  sont  si 
vives ,  si  pénétrantes ,  que  cela  rappelle  les  pre- 
miers jours  du  monde  naissant ,  quand  TEternel 
montrait  à  Thomme  sa  demeure,  et  lui  appre^ 
nait  les  noms  des  animaux  qui  l'entouraient  et 
des  fleurs  qu'aucun  souffle  n'avait  encore  flétries. 
Un  de  nos  plus  illustres  voyageurs^  cite  ses  des-, 
criptions   des  zones  comme  des   chefs-d'œuvre 
inimitables  de  vérité  et  d'éloquence  pittoresque. 
On  comprend ,  en  effet ,  qu'il  doit  y  avoir  plus 
Jmi  rapport  entre  le  génie  qui  pénètre  la  phy- 
sionomie morale  des  peuples  qui  ne  sont  plus, 
et  celui  qui  pressent  les  convenances  naturelles 
et  l'aspect  d'une  contrée  qu'il  n'a  point  visitée. 
Mais  où  est-il ,  le  personnage  qui  doit  remplir 
ce  théâtre  ?  La  terre  est  encore  nue  et  désolée  : 
il  &ut  qu'il  sorte  du  $ein  de$  forces  qu'elle  ren-* 
£9rme^  et  cela  sans  que  nous  perdions  de  vue  un 
seul  instant  la  chaîne  qui  le  précède  et  qui  nous 
sert  d'appui.  Sans  doute,  il  a  en  lui  des  principes 
spéciaux,  des  lois  propres  qui  expliquent  ^- 
vance  le  long  drame  qu'il  est  appelé  à  représen- 
ter. Je  ne  puis  dire  quel  intérêt  le  tableau  phy- 
siologique des  capacités  hupiaines  emprunte  d'un 


1.  M.  de  Humboldt. 


24  INTRODUCTION. 

pareil  point  de  vue  :  les  puissances  de  l'huma- 
nité sont  encore  oisives ,  il  est  vrai  ;  mais  déjà 
on  aperçoit  de  loin  le  mouvement  confus  et  la 
scène  agitée  qu'elles  présagent  3  l'anatomie  s'élève 
par  là  à  la  plus  haute  philosophie  et  aux  phis 
grands  effets  d'éloquence.  Cest  avec  une  atten- 
tion extrême  que  l'on  écoute  les  hattemens  du 
cœur,  que  l'on  suit  la .  direction  des  fibres  et 
tous  les  détails  de  ^organisme^,  quand  la  corres- 
pondance a  été  marquée  ehtre  ces  faits ,  en  appa- 
rence si  restreints ,  et  les  lois  suprêmes  qui  ont 
présidé  aux  révolutions  des  âges.  Souvent,  avant 
Herder,  on  avait  fait  la  description  générale  des 
facultés  natives  de  l'Homme.  L'œuvre  de  génie, 
la  pensée  à  jamais  originale  qui  survivra  à  toutes 
les  variations  des  sciences ,  a  été  de  l'unir  inti- 
mement aux  développemens  de  l'histoire  pour 
leur  servir  de  base.  C'est  de  là  qu'il  part  pour 
déterminer  les  limites  de  l'humanité  et  la  sphère 
de  ses  actions;  il  l'environne  de  caractères  fixes, 
îl  la  protège  de  lois  générales  qui  doivent  ré- 
pondre à  tous  les  cas  ;  il  lui  trace  l'itinéraire  de 
sc^long  voyage,  puis  il  la  suit  des  yeux  sur 
un  sol  ferme  dont  il  connaît  d'avance  les  acci^ 
dens  et  les  détours. 

Quelle  que  soit  la  hardiesse  de  ces  méthodes, 
comme  déjà  elles  sont  vaguement  répandues  dans 
les  esprits ,  et  que  le  siècle  est  près  de  les  pro-* 


INTRODUCTION.  25 

ckmer ,  nous  nous  étonnons  moins  aujourd'hui 
de  leur  résultat  que  du  peu  de  gloire  qu*ont' 
acquis  parmi  nous  les  génies  qui  les  ont  aper- 
çues. Car  telle  est  la  marche  des  choses ,  quand 
le  temps  est  yenu  ponr  une  grande  idée  :  il  se 
trouve  en  avant  des  siècles  comme  égaré  dans 
sa  rêverie,  un  homme  qui  la  recueille  dans  sa 
pensée ,  qui  lui  marque  ses  limites ,  qui  lui  élève 
un  monument  dans  le  désert  ;  après  quoi,  il  faut 
qu  il  meure.  Mais  après  lui ,  au-dessous  de  lui , 
arrive  le  monde,  qui  poursuit  sa  carrière  avec 
sérénité  îusqu'à  ce  que  ^  venant  à  rencontrer  des 
emipreintes  inconnues  là  où  il  ne  croyait  laisser 
que  Jes  siennes ,  il  commence  à  s'étonner  et  à 
se  demander  comment  de  telles  puissances  ont  pu. 
passer  au  milieu  de  lui  sans  qu'aucun  bruit  l'ait 
averti  ;  et  là-dessus  il  se  livre  à  diverses  conjec- 
tures, semblàbleauvoyageur  qui, perdudans  une 
ile  déserte,  se  met  à  tressaillir  s'il  aperçoit  siu* 
le  sable  d'autres  traces  que  les  traces  de  ses  pas. 
Si  le  point  de  départ  de  Vico  est  plus  solide  que 
celui  de  Herder,  c'est  une  question  qui  rentre 
dans  le  domaine  de  l'ontologie.  Qu'il  nous  suffise 
ici  de  montrer  que  le  philosophe  allemand  n'a 
pu,  dans  son  système,  résoudre;  pleinement  le 
problème  de  l'histoire,  et  que  ce  génie  conscien- 
cieux a  été  obligé  de  dévier,  à  son  insçu,  de  ses 
propres  principes.  * 


26  INTRODUCTION. 

Quand ,  sorti  des  préparations  successives  de  là 
]iatui*e  créatrice,  le  genre  humain,  semblable 
à  la  statue  de  Pygmalion ,  commença  à  s  animer 
et  à  respirer ,  au  sein  des  pouvoirs  organicpies , 
il  n'eut  d abord,  comme  elle,  ^'un  sentiment 
confus  de  son  être,  qu'il  confondit  avec  tous  les 
objets  environnanSy  se  soumettant  à  leurs  lois 
comme  à  sa  loi ,  prenant  leur  destinée  pour  sa 
destinée,  leur  essence  pdur  son  essence,  sans  que 
son  regard  encore  troublé  pût  déterminer  les 
limites  de  sa  nature.  Ne  s'étant  point   encore 
distingué  du  reste  des  êtres ,  il  n'avait  pas  d'his- 
toire^ ou  plutôt  elle  faisait  partie  de  celle  du 
monde  physique  ;  tout  se  réduisait  à  une  des- 
cription de  l'individu,  dans  laqudle  n'entraient 
pour  rien  ^  ni  la  différence  des  temps ,  ni  la  suc- 
cession des  générations,  ni  divers  accidens  de 
la  vie  primitive,  des  arts  que  le  hasard ,  faisait 
découvrir,  et  que  le  hasard  faisait  naître,  des 
luttes  sanglantes,  des  associations  fortuites.  Or, 
pour  sortir  de  ces  bornes,  quelle  est. la  loi  que 
Herder  a  établie?  U  humanité  n^est  et  ne  fut 
partout,  conformément  aux  circonstances  du 
temps  et  du  lieu,  qu^  ce  quelle  pouiwt  être , 
et  rien  que  ce  quelle  pouvait  être.  Avec  cette 
loi ,  réduite  à  elle  seule ,  le  mouvement  semble 
impossible. 

On  conçoit,  en  effet,  qu'à  peine  la  destinée 


INTRODUCTION.  21 

de  rhomme  eut  été  séparée  de  celle  de  runivers, 
par  un  acte,  une  pensée,  non-seulement  il  se 
trouYa  sorti  d'une  sphère  où  il  ne  devait  plus 
rentrer ,  mais  jusqu'à  un  certain  point  il  ren- 
ferma en  lui  la  succession  entière  des  tribus  et 
des  empires.  Arrivée  sur  ses  traces,  la  ^nératipn 
qui  le  suivit,  empressée  de  recueillir  son  oeuvre  y 
sigoala  un  système  différent  de  ceux  qui  l'avaient 
précédée  ;  il  y  avait  entre  elle  et  ce  qui  n'était 
pas  elle  une  relation  que  ses  prédécesseurs  n'ayant 
point  co^nue  n'avaient  pu  exprimer.  Ce  rapport 
suffisait  pour  qu'elle  fut  nécessairement  autre  que 
ce  qui  avait  été  avant  elle.  Du  mélange  de  ses 
ibroes  propres  avec  la  tradition ,  sortit  un  résul- 
tat nouveau,  qu'elle  légua  à  ses  descendans;  ceul^ 
ci  modifièrent  à  leur  toiu*  la  combinaison  qui 
s'était  présentée  à  eux,  et  la  trace  qu'ils  laissèrent 
ne  fiit  ni  la  tradition  primitive,  ni  l'héritage  de 
leurs  pères,  mais  un  troisième  résultat,  qui  se 
composa  des  deux  précédens. 

Au  contraire,  avant  que  ce  premier  pas  eût 
été  £ût>,  quand  l'humanité,  sous  la  forme  la 
plus  abjecte ,  n'existait  pas  encore,  et  que ,  captive 
et  enchaînée  sous,  le  règne  des  sens ,  elle  n'avait 
fcit  aucun  effort  pour  sortir  de  cette  sujétion, 
lliomme,  sans  langage,  sans  religion,  sans  société, 
avait  pour  toute  tradition  l'éternelle  loi  de  la 
création  inerte,  qu'il  reproduisait  incessamment. 


28  INTRODUCTION. 

sans  avancer  d'tin  seul  degré.  Produit  nécessaire 
du  monde  matériel,,  son  action  se  bornait  ii 
en  réfléchir  l'image  :  comme  lui ,  immobile  au 
sein  d'un  changement  apparent,  elle  croissait 
ou  déax)issait,  s'animait  ou  languissait  avec  lui. 
Sans  lui  rien  ajouter,  sans  lui  rien  retrancher, 
elle  était  lui  sous  une  autre  forme.  Qu'elle  appa- 
rut ou  non ,  il  n'y  avait  pas  un  seul  système  de; 
plus  ou  de  moins  dans  le  système  général  des 
choses.  En  la  rencontrant,  les  générations  sui- 
vantes rencontraient  le  monde;  ainsi,  roulant 
dans  la  même  sphère,  réduites  à  se  multiplier 
incessamment  sans  que  la  valeur  augmentât  ja- 
mais ,  leurs  obscures  annales  ne  faisaient  qu'ex- 
primer un  rapport  toujours  identique- 
Cette  première  impulsion  |ie  vint  pas  de  la 
nature  extérieure,  elle  ne  vint  pas  de  l'homme 
qui  lui  était  asservi  y  force  est  donc  qu'elle  sortit 
d'une  puissance  étrangère  à  l'un  et  à  l'autre.  Telle 
est,  en  effet ,  la  conséquence  où  Herder  a  été  con- 
duit. Dans  l'impossibilité  de  donner-  le  mouve- 
ment à  cet  être  qu'il  a  si  profondément  lié  à 
l'organisme,  partout  où  il  aperçoit  un  élément 
de  progrès,  la  parole  encore  grossière,  des  rites 
religieux,  un  premier  degré,  de  civilisation,  il 
prononce  que  la  tradition  a  fait  ces  prodiges;  non 
pas  une  tradition  locale  que  chaque  peuple  voit- 
naître  et  se  développer  dans  son  s«n,  qui  lui 


INTRODUCTION.  29 

«|)partient  en  propre  et  n'appartient  qu'à  luî; 
mais  une  révélation  première,  fondamentale,  qui , 
donnée   dans  tel  lieu,  dans  tel  temps,  s'est  ré* 
pandue  de  là ,  sous  mille  formes  différentes ,  chez 
toutes  les  jaations  cultiTe^.  Les  peuples  même  les 
plus  grossiers  en  ont  quelque  connaissance,  dès 
qu'ils  sont*  parvenus  à  une  loi  morale,  à  une 
sorte  de  langage  et  de  culture  :  jusque-là  leurs 
capacités ,  quelque  grandes  •  qu'elles  puissent  être, 
ne  sont  point. éveillées,  et  l'image  de  la  pensée 
divine,  vaguement  répandue  dans   leur  être, 
s'efforcerait .  en  vain  de  se  dégager  et  de  se  mani- 
fester au  dehors  par  une  série  d'actes  perfectihles. 
Ainsi  y  il  faut  qu'il  y  ait  eu  un  point  dans  l'es- 
pace, un  moment  dans  le  temps,  où  Dieu  se 
soit  commupiqué  à  l'homme ,  pour  apprendre  à 
cet  enfant  égaré  le  chemin  qu'il  devait  suivre: 
le  trouvant  confondu  avec  le  reste  des  choses» 
il  l'a  ramené  dans  ses  voies,  il  l'a  muni  d'un  lan- 
gage, d'une  forme  de  religion  j  il  l'a  élevé  au  pre- 
mier degré  de  perfectionnement,  laissant  aux  fa- 
cultés dont  il  l'avait  anciennement  doué,  le  soin 
de  &ire  le  reste. 

Or ,  voyez  l'enchaînement  des  choses  !  Si  cette 
première  tradition  est  insuffisante,  faudra -t- il 
que  la  toute -puissance  revienne  incessamment 
répandre  un  nouvel  esprit  de  vie  sur  sa  créature 
toujours  prête  à  languir,  et  l'humanité,  rejetée 


80  INTRODUCTION, 

de  nouyean  dans  la  lice,  perdra-t**elle  ckafqûe 
fois  le  souyenîr  de  son  contact  arec  Fêtre  su- 
prême, sans  qu'elle  ait  pour  excuse,  comme 
dans  les  temps  primitif,  l'imbécillité  de  l'en- 
fance ?  dans  tous  les  cas ,  que  devient  le  système 
des  pouvoirs  progressifs,  qui  s'élevaient,  sans 
concours  étrangers ,  de  la  forme  la  plus  grossière 
à  la  manifestation  la  plus  haute  ?  1}  n'est,  disiez- 
vous,  qu'une  loi,  qu'une  pensée,  qu'un  être  qui 
va,  en  se  perfectionnant,  par  des  voies  succes- 
sives; pourtant  vient  le  moment  où  il  faut  dé- 
clarer que  le  monde  ne  se  suffit  pas.  Après  une 
série  de  transformations  qui  aboutissent  à  de 
sublimes  capacités,  son  impuissance  est  mise 
au  Jour  ;  il  s'arrête  et  réclame  un  pouvoir  qui , 
ne  venant  pas  de  son  sein,  qui  n'y  retournant 
pa3,  le  tire  de  l'inertie  et  supplée  à  -ses  forces 
-épuisées  ;  et  quel  pouvoir  \  sans  bornes ,  sans 
vicissitude,  sans  défaillance,  qui  n'a  pas  d'ex- 
pression dans  nos  langues,  qui  confond  et  épou- 
vante notre  intelligence.  Voilà  ce  qui  s'est  inter- 
posé entre  l'imivers  organique  et  les  premières 
appariticms  de  l'humanité  !  et  ce  milieu  ne  suf- 
firait pas  à  faire  de  la  création  inerte  et  de  la 
création  progressive  deux  mondes  distincts  I 
Comment  naîtraient- ils  l'un  de  l'autre?  il  y  a 
l'infini  entre  eux. 

Au  contraire,  qu'embrassant  l'ordre  entier 


INTRODUCTION.  SI 

des  laits ,  sans  exclusion ,  on  se  confie  dans  cette 
métapliysique  qui  est  écrite  sur  les  tombeaux 
des  peuples ,  et  qu'on  écoute  jusqu'à  la  fin  de  la 
lente  argumentation  des  siècles,  tout  s'explique 
sans  mystères.  Ce  premier  afFranchissement  qui 
semble  si  inexplicable,  reparait  sous  mille  faces 
diverses  dans  toute  la  succession  des  âges.  Loin 
d'être  une  merveille  dans  l'humanité ,  c'est  parce 
qu'il  n'a  pas  cessé,  parce  qu'il  se  répétait  hier, 
parce  qu'il  se  répète  aujourd'hui,  que  nous  avons 
des  monumens,  des  traditions,  des  annales,  qui 
ont  une  suite  et  un  sens.  A  cette  heure,  par  quel 
«ichantement  ne  vivons-nous  pas  sous  la  loi  du 
mojen  âge,  ou  sous  celle  du  grand  roi  de  Ma- 
cédoine? si  ce  n'est  parce  qu'à  différentes  pé- 
riodes ,  le  genre  humain  a  déclaré  que  les  éta- 
blissemens  qui  Coffraient  à  lui,  il  voulait  ou  les 
modifier,  ou  les  renverser,  et  se  faire  à  son  gré, 
à  ses  risques  et  périls ,  une-  destinée  nouvelle. 
Toujours  conforme  à  lui*méme ,  ce  n'est  pas  au-^ 
trement  qu'il  a  consommé  la  première .  révolu*» 
tien ,  alors  qu'il  avait  à  lutter  contre  l'univers  ex- 
téri^or  qui  l'opprimaijt  tout  entier  de  son  poids. 
Il  brisa  le  joug  de  la  nature  sensible  comme  il 
a  bri^  depuis  celui  des  Nemrod,  des  Antiochus, 
des  Hippias,  des  Denys ,  des  Césars ,  de  tous  ceux 
dont  j'oublie  le  nom.  Quand ,  pour  se  soustraire 
à  un  monde  qui  n^ét^it  pas  le  sien ,  Caton  déchi« 


$2,  INTRODUCTION* 

rait  ses  entrailles  j-  quand  Thomas  Morus/  lordl 
Russel  et  tous  les  autres  montaient  sur  Téchafaud 
pour  une  cause  qu'ils  croyaient  bonne  et  du  prix 
de  leur  sang ,  il  y  avait  sans  doute  plus  d'hé-^ 
roïsme  dans  ces  actions  que  dans  celle  du  premier 
homme ,  qui ,  par  sa  yolonté,  affronta ,  hors  du 
mouvement  aveugle  de  la  création  externe,  un  ave^ 
nir  qui  n'appartint  qu'à  lui.  Mais  sous  des  formes 
diverses ,  ces  deux  ordres  de  faits  dérivaient  d'un 
principe  commun.  L'un  et  l'autre  ils  révèlent 
une  activité  qui  ne  relève  que  de  soi  ;  et  cette 
activité  y  nous  la  conAaissons,  nous  la  sentons , 
nous  savons  comment  on  la  nomi^e,  et  si  c'est 
un  prodige  que  le  ciel  fait  un  Jour  et  ne  renou- 
.velle  plus. 

En  un  mot,  l'histoire,  dans  son  commen- 
cement comme  daîijs  sa  fîn,  est  le  speetacle  de 
la  liberté ,  la  protestation  du  genre  humain 
contre  le  monde  qui  l'enchaîne ,  le  triomphe  de 
l'infini  spr  le  fini ,  rafTranchissement  de^  l'esprit, 
le  règne  de  l'ame  :  le  jour  où  la  liberté  man-- 
queràit  au  monde  serstit  celui  oii  l'histoire  s'ar- 
rêterait. Poissé  par  une  main  invisible,  non^ 
seulement  le  genre  humain  a  brisé  le  sceau  de 
l'univers  et  tenté  une  carrière  inconnue  jusquer 
là,  mais  il  triomphe,  de  lui-m.éme,  .se  dérobe  a 
ses  propres  voies,  et  changeant  incessamment 
de  formes  et  d'idoles,  chaque  effort  atteste  que 


INTROPUCTION.  3S 

l'univers  lembarrassè  et  le  gêne.  En  vain  ÏOne^t, 
qui  s'endort  sur  la  foi  de  ses  symboles,  croit-il 
lavoir    enchaîné  de  tant   de  mystérieuses  en- 
traves; sur  le  rivage  opposé  s'élève  un  peuple 
eoÊint  qui  se  fera  un  jouet  de  ses  énigmes  et 
letpufiera  à  son  réveil.  En  vain  la  personnalité 
romaine  a-t-ellé  tout  absorbé  pour  tout  dévorer; 
au  milieu  du  silence  de  Tempire,  est-ce  unç 
illusion  décevante,  im  leurre  poéticpe,  que  ce 
bruit  sorti  des  forêts  du  Nord,  et  qui  n'est  ni 
le, frémissement  des  feuilles,  ni  le  cri  deFaigle^ 
ni  le  mug^sement  des .  bêtes  sauvages  ?  Ainsi , 
captif  dans  les  bornes  du  mo^de ,  l'infini  s'agite 
pour  en  sortir;  et  l'humanité  qui  l'a  recueilli, 
saisie  comme  d'un  vertige ,  s'en  va ,  en  présence 
de  l'univers  niuet,   cheminant   de    ruines  en 
raines ,  sans  trouver  ou  s'arrêter.  C'est  un  voya- 
geur pressé ,  plein  d'ennui ,  loin  de  ses  foyers  : 
parti  de  l'Inde  avant  le  jour,  à  peine  s'est- il 
reposé  dans  l'enceinte  de  Babylone ,  qu'il  brise 
Babylone,  et,  restant  sans  abri ,  il  s'enfuit  chez  les 
Perses ,  chez  les  Mèdes ,  dans  la  terre  d'Egypte.  Un 
siècle ,  une  heure^  et  il  brise  Palmyre ,  Ecbatane 
et  Menoiphis ,  et  toujours  renversant  l'enceinte  qui 
l'a  recueilli ,  il  quitte  les  Lydiens  pour  les  Hellènes , 
les  Hellènes  :  pour  les  Etrusques ,  les  Etrusques 
pour  les  Romains,  les  Romains  pour  les  Gètes, 

les  Gètes Mais  que  sais -je  ce  qui  va  suivre  ? 

I.  5 


H  INTRODUCTION. 

quelle  aTeugteprécipitatioa!  qui  le  {tt^essè?  corn-* 
ment  ne  craint-il  pas  de  dé&iillir  avant  l'arrivée  ? 
Ah  !  si  dans  l'antique  Épopée  nous  suivons  de 
mers  en  mers  les  destinées  errantes  d'Ulysse  jus« 
qu'à  son  île  c^hérie ,  qui  nous  dira  quand  fini- 
iront  les  aventures  de  cet  étrange  voyageur ,  et 
quand  il  verra  de  loin  fumer  les  toits  de  son 
Ithaque? 

Ainsi,  nous  fouchons  aux  premières  limites 
de  rhistoire  ;  nous  quittons  les  phénomènes  phy- 
^siques  pour  entrer  dans  lé  dédale  des  révolutions 
qui  marquent  la  vie  de  Thun^atiité.  Adieu  ces 
douces  et  paisibles  retraites ,  ce  repos  immuable, 
cette  fraîcheur  et  cette  innocence  dans  les  ta* 
bleaux;  l'air  que  nous  allons  respirer  est  dé* 
vorant,  le  terrain  que  nous  foulons  aux  pieds 
est  souillé  de  sang  ;  les  objets  y  vacillent  dans 
une  étemelle  instabilité  :  où  reposer  mes  yeux? 
Le  moindre  grain  de  sable  battu  des  vents  a  en 
lui  plus  d^élémens  de  durée,  que  la  fortune  de 
Rome  ou  de  Sparte.  Dans  tel  réduit  solitaire  je 
connais  tel  petit  ruisseau,  dont  le  doux  murmure, 
le  cours  sinueux  et  les  vivantes  harmonies  sur- 
passent en  antiquité  les  souvenirs  de  Nestor  et  les 
annales  de  Babylone.  Aujourd'hui,  comme  aux 
Jours  de  Pline  et  de  Columelle,  la  jacinthe  se 
plaît  dans  les  Gaules,  la  pervenche  en-Illyrie,  la 
marguerite  sur  les  ruines  de  Numance ,  et  pen* 


INTRODUCTION.  85 

àmt  qu'autour  d'elles  les  Tilles  ont  chan^  de 
maîtres  et  de  nom»  que  plusieurs  sont  rentrées 

^  dans  le  néant,  que  les  civilisations  se  sont  cho- 
quées et  brisées ,  leurs  paisibles  générations  ont 

'  traverse  les  âges ,  et  se  sont  succédé  Tune  à  Tautro 
jusqu'à  nous,  fraîches  et  riantes  comme  aux 
jours  des  batailles. 

Cette   permanence  du   monde   matériel,  ne 
doit-elle  donc  ici  qu'exciter  de  vains  regrets, 
et  cette  masse  imposante  n'est- elle  là  que  pour 
mieux  £aiire  sentir  ce  qu'il  j  a  d'éphémère  et  de 
tumultueux  dans  la  succession  des  civilisations  ? 
Jl  Dieu  ne  plaise!  tout  au  contraire,  elle  se  re- 
ûécbit  dans  le  système  entier  des  actions  hu- 
maines, et  les  marques  d'un  profond  caractère 
de  paix  et  de  sérénité.  Quand  il  a  été  établi  que 
les  vicissitudes  de  l'histoire  ne  naissent  pas  d'un 
vain  caprice  des   volontés,  mais  qu'elles    ont 
leurs  fondemens  dans  les  entrailles  mêmes  de 
l'univers ,  qu'elles  en  sont  le  résultat  le  plus  élevé , 
et  que  c'était  une  condition  du  monde  que  nous 
voyons,  de  faire  naître  à  telle  époque,  telle 
forme  de  civilisation ,  tel  mouvement  de  pro- 
gression; que   ces   divers  phénomènes  entrent 
en  rapport  avec  le  domaiiie  entier  de  la  nature 
et  participent  de  son  caractère,  ainsi  que  toute 
autre  espèce  de  production  terrestre;  les  actions 
hunaines  se  présentent  alot^  comme  uin  niou- 


S6  INTRODUCTION. 

veau  règne /qui  a  ses  harmonies,  ses  contraste»" 
et  sa  sphère  déterminée.  Le  mouvement  j  est  si 
heureusement  ménagé ,  les  phénomènes  sont  si 
fortement  liés  entre  eux,^  qu'en  passant  de  la 
science  des  choses  à  la  science  des  volontés  y 
vous  ne  faites  que  revoir  sous  des  formes  ana- 
logues et  plus  épurées  le  même  ordre,  la  même 
stabilité  qui  s'étaient 'offerts  à  vous  dans  la  con- 
templation  du  monde  physique.   De  plus,  il 
faut  dire  que  les  souvenirs  de  la  nature,  trans- 
portés au  milieu  du  trouble  des  âges;  ces  ac- 
cidens  de  la  vie  des  fleurs  qui  servent  à  ex- 
pliquer   des  phénomènes   correspondans   dans 
l'existence  des  corps  politiques;  tant  de  paisibles 
objets,  de  suaves  images,  en  portant  le  repos  des 
champs  au  milieu  des  scènes  de  l'histoire,  lui 
donnent  uae  physionomie  entièrement  originale 
et  un  charme  indicible.  Ils  pénètrent  toute  la 
série  des  âges  ^  répandant  sur  les  vieux  siècles 
la  fraîcheur  de  la  rosée,  faisant  circuler  autour 
des  groupes  historiques  l'air  matinal  des  monta- 
gnes. Cest  le  bouclier  de  l'impitoyable  Achille, 
sur  lequel  on  voyait  gravé  le  tableau  des  moissons 
et  les  joyeux  apprêts  des  vendanges. 

Vous  rencontrez  ça  et  là  ces  peuples ,  ces  ré- 
volutions ,  ces  accidens  des  âges  dont  on  a  depuis 
si  long-temps  bercé  votre  souvenir  ;  mais  tous, 
par  la  puissance  des  rapports,  ils  ont  grandi, 


INTRODUCTION.  37 

ik  sont  renouydés  pour  la  science.  Arrêtés  on 
détruits  dans  leur  marche  par  une  force  supé- 
rieure ,  quelques-uns  d'eux  n'ont  point  accompli 
le  cours  entier  de  \&w  destinée.  Gomme  il  y  a 
,dans  la  nature  organique  des  mouches  éphér 
mères  qui  ne  voient  qu'un  soleil,  il  y  a  aussi 
des  peuples  qui  ne  vivent  qu'un  jour;  assez  pour 
laisser  des  urnes  fiinéraires  ^t  des  lampes  où  l'on 
recueiUe  des  larmes  !  D'autres  ont  rempli  le  cercle 
entier  de  leur  mission  :  avec  quelle  gloire  !  on 
le  sait;  avec  quel  profit  pour  les  âges^  suivansi 
voila  la  question.  Tout  est  bien ,  quand  tout  est 
conforme  à  sa  loi^  ce  qui  peut  être,  est;  ce  qui 
doit  périr,  périt.  Les  royaumes  se  brisent,  mais  la 
justice  et  la  raison  s'enrichissent  de  leurs  débris  et 
dominent  leurs  formes  passagères.  Quand  l'histoire 
semblait  être  la  propriété  absolue  de  l'homme., 
le  seul  système  de  choses  qui  lui  appartint  en 
propre  et  n'appartînt  qu'à  lui,  c'est  une  concep- 
tioin  hardie  de  l'en  avoir  dépossédé ,  et  de  l'avoir 
fait  descendre'  ainsi  du  premier  rang  qu'il  s'était 
.arrqgé ,  pour,  mettre  à  sa  place  la  pensée  uni  ver* 
selle,  dont,  il  n'est  plus  que  l'expression  docile. 
Une  fois,  que  c'est  entre  les  idées,  et  non  plus 
.entne  1^  personnalités,  des  peuples  que  la  lutte 
jcst  «ogiagée ,  il  se  fait  autour  de  vous  un  grand 
calme  ;.  ni  l'amour  ni  la  haine  n'ont  plus  aucune 
prise  ;  à  peine  si  à  cette  hautç^  yous  e^teadez 


38  INTRODUCTION. 

le  fracas  de»  empires,  ef  si  le  iHrmt  de.  la  ^ire 
indiridiielle  arrive  jusqu'à  vous. 

Lorsque  nous- suivions»  avec  le  géuie  sévère 
de  Machiavel^  les  ^puissances  occultes,  les  voix 
cachiées,  les  éclats  de  la  foudre,  et  les  oiseaux 
de  nuit ,  qui  annoncent ,  avant  le  tem|>s,  la  chute 
des  vilks  et  des  institutions,  nous  étions  loin  de 
sourire  de  sa  méprise ,  et  nous  nous  effrayions 
à,  bon  droit  de  la  destinée  qui  ijTOuble  une  rai* 
son  si  austère,  et  qui  échappe  à  tous  ses  efforts 
pour  y  porter  la  lumière.  Mais  ici  il  y  a  de 
quoi  se  rassurer,  tant  la  part  £ii«e  à  la  fortune 
et  aux  agens  mystérieux  est  diminuée.  L'homme 
a  pour  compagnon,  dans  sa  carrière , l'univers 
entier  ;  et  quand  je  vois  se  dérouler  à  mes  yeux , 
t^omme  une  déduction  non  interrompue,  toutes 
les  vicis^tudes  de  son  histoire  passée,  non-seu- 
lement je  m'^are  avec  ravissement  dans  la  con- 
teniplaticm  des  lois  qui  ont  été  celles  de  tous 
mes  frères ,  non-seulement  je  m'enchante  à  mon 
gré  de  la  sévère  harmonie  des  siècles;  mais  je 
me  confie  moi^oiéme  dans  Tcnrdre  majestueux 
des  temps;  et  je  me  herce  de  cet  espoir,  que 
la  puissance  qui  a  su  peser  et  balancer  les  siècles 
et  les  empires,  qui  a  compté  les  jours  de  la 
vieille  Ghaldée,  de  l'Egypte,  delà  Phénicie,  de 


t.  ÏÀY.  I,  diap.  56. 


INTRODUCTION.  39 

Thèbes  aux  cent  portes,  de  l'héroïque  Sagonte, 
derimplacable  Rome,  saura  bieu  aussi  coordour 
oer  ce  peu  d'iostaus  qxii  m'ont  été  résenrés,  et 
ces  mouremens  épkémèref  qui  en  remplissmt  la 
dm^. 

Mais  peut-être  que  cette  manière  d'envisager 
le  passé  lui  ôte  le  mouTcment,  la  vie»  et  n'eii 
fait  plus  qi^une  froide  abstraction.  Il  est  renuuv 
qqable  que  l'homme  qui  a  fondé  si  sévèrement 
les  lois  or^niques  de  l'humanité,  spit  aussi  uu 
des  premiers  qui  aient  commencé  la  réforme 
danjs  rhistoire,  en  rendant  aux  siècles  qui  ne 
sont  plus,  leiu*  couleur  naturelle ,  leur  allure  et 
leur  individualité.  Sans  doute  dans  im  ouvrage 
consacré  au  développement  eatiet  d'un^  périodip 
historiques ,  comme  le  chef-d'geuvre  de  son  ad- 
mirateur Mullar,  quand  l'auteur  a  un,  champ 
vaste  pour  rassem,bler  et  coordonna:  les  détails, 
quand  la  description  d  une  nature  encore  frér 
sente  fixe  la  scène,  quand  il  peut  s'aurâter  dans 
la  grotte  de  Rutlî  poiH*  écouter  le  serment  h^ 
roique  des  berga»,  dans  les  métairies  de  Senipach 
pour  dépeindre  l'innocence ,  la  loi  du  peuple  »  p90r 
£mde  conunis  s^  lacs,  quand  le  scm  de  la  clor 
chette  des  troupeaux  retentit  dans  les  n^ntagncfl^ 
et  que  toute  la  rudesse  du  moyea  âge  s'unit  auie 
images  les  phis  douces,  les.  {dus  attendrissantes 
qax  maat  évam les «ntra^es  igïksmmoi  il fioii: 


40  INTRODUCTION. 

bien  qu*il  y  ait  là  une  étonnante  force  de  vérité , 
une  illusion,'  une  Sjrmpatliie  toute  vivante.  Aiz 
lieu  de  cela,  quand  les  peuples  se  pressent  en 
foule,'  qu'ils  se  hâtent  vers  leur  déclin,  et  que 
l'on  n'a  qu'un  instant  pour  saisir  d'un  regard  le 
caractère  de  chacun  d'eux,  quel  heurqux  génie 
qrue  celui  à  qui  ce  court,  intervalle  suffit  pour  les 
feire  revivre  avec  tous  leurs  traits,,  de  telle  sorte 
qu'ils  sont  réellement;  ^résens,  et  que  chaque  point 
dé  la  durée  vous  laisse  l'impi^ession  animée  et 
palpable  d'une  couleur,  d'une  forme,  dun  en- 
semble de  tons  harmonieux  que  vous  n'avez  vu , 
que  vbus  n'avez  senti  que  là  !  Herder  est,  en  sui- 
vant le  coiffs  des  siècles  historiques,  ce  que  nous 
sommes  avec  les  souvenirs  de  notre  propre  vie; 
^lus  il  est  séparé  d'eux  par  un  long  intervalle, 
plus  ils  sont  empreints  dans  sa  pensée  de  couleurs 
vives,  et  marqués  par  des  imagés  distinctes;  il 
nous  intéi^esse  à  leurs  destins  comme  à  une  affec- 
tion itldividuelle,  et  quand  ils  disparaissent  de 
l'histoire,  vous  sentez  en  vous  un  profond  ennui , 
sacl^int  bien  que  dans  ce 'drame  nul  personnage 
ne*  revîçnt  une  seconde  fois ,  et  qiz'il  s'agit  ici  d'un 
-éternel  adieu.  Or,  cette  puissance  qui  évoque 
-devant  vmis  les  images  du  passé ,  est  une  langue 
qui  ^nprunte  sa  marche,  ses  eflets,  sa  physio- 
xiomie  au  lieu ,  au  temps  pour  les  faire  revivre 
avec  tous  leurs^  a^ibuis/  Soit  qu'il  revête  le 


INTRODUCTION.  41 

coloris  Tâ^e ,  les  symboles  chàngeans  des  re- 
ligions de  llnde,  soit  qu'il  marche  avec  pesan- 
teur et  circoiispectioii  au  milieu  des  obélisques  et 
des  énigmes  de  l'Egypte ,  soit  qu'il  rotile,  avec  leà 
sables  de  la  Messénie  \  un  or  pur ,  heureux  reflet 
de  l'astre  de  Platon ,  jusqu'à  ce  que  ses  formes 
«reltes,  hardies,  se  Voilent  peu  à  peu  de  tristesse 
et  de  mélancolie  ;  quand  il  faut  remuer  le  fond 
des  urnes  et  déchiffrer  les  inscriptions  tumui- 
laires  de  FEtrurie;  partout  sa  nature  flexible  s'w- 
nit  intimement  à  l'objet  qu'elle  contemple  ebïcime 
la  drapecie  légève  qai  entoure  la  Vénus-Uranie, 
et  qui  palpite  ayee  son  sein  harmonieux  de  toute 
lliarmonie  dkes  Iftondes.  ' 

Une  des.parâéS' lea  j^m  remarquables  de  l'ou^ 
Trage  est  incontestablement  cdle  où  lauteur,  près 
de  quitter  Içs  civilisations  antiques  poar  enirer 
dansie  labyrinthe  du  ibojen  âgè{  s'arrête  au  mi-^ 
lieu  des  ruines  qui  renl;<âireat  pour' xecuêillir  ce 
^pe  les  siècles  ont  développé  d'idées  générales  efc 
de  principes  étemels.  Ces^  intérêts  gigantesques 
des  empires^  qui- s'écroïdent,  des  corps  politiques 
qui  se  brisent  comme  l'argile,  consumant  {uromp- 
tement  les  puissances  dje  notre  imagination^  faite 
pour  des  malheurs  moins  ^ahds  et  des -tristesses 
plus  circonscrites.  Après  ce  mouvemàent  prodi- 
gieux ,  cette  scène  si  remplie ,  c'est  véritablement 
une  impression  de  bonheur,  qiie'^  de  rentrer 


42  INTRODUCTION- 

ddns  Timmuable.  De  tant  de  cites  qui  ont  brillé 
sur  la  terre,  de  tant  de  nobles  pensées  qui  ont 
ébi'anlé  les  peuples»  de  tant  d'agitation-  et  de  bruit, 
voilà  qu'il  reste  cpelques  vérités  abstraites  que 
les  empires  ont  révélées  dans  la  rapide  succès* 
sion  de  leur  existence  ;  mais ,  sans  rapport  visible 
avec  les  événen^ns  qui  les  recelaient^  elles  Sur- 
vivent sans  rappeler  ni  la  couleur,  ni  le  lieu» 
ni  le  temps,  ni  rien  de  ce  qui  touche  au  ntoade. 
réel.  Cest  la  voix  des  âges,  sans  aucun  des  attri- 
buts de  la  vie, .sans  accent,  sans  passion,  et  poin>- 
tant  l'éloquence  ne  lui  manque  pas^  parce  que 
sons  ces  formules  scientifiques  -  en  sait  que  se 
cachent ,  tous  les  intérêts  qui  oq|:  eÉiii  FuniverSy 
Id' gloire  que  Ion  a  cou^ise  et  1&  sang  que  Ton 
adverse. 

-.  Cest  tme  noble  pensée  que  d'avbir  raffîsrgu 
nos  crojances  j^ilosophiques  an  moment  même 
«iv  le  trouble  apparent  du  moyen  âge  eut  pn 
facilement  les  ânrankr.  Époque  véritablentent 
tuoricpe,  que  celle  qui  ràuiissaii  tous  les  dé&uls 
et-  tous  les  charmes  de  ruMopérienee  avec  q«el^ 
qfies-QtiS  des  tristes  avantages  d'une  société  vieil^ 
lie;  époque  étrange,  où  il  y  axMt  de  la  naSveté 
dans  les- esprits  et  de  la  profondeur  dans  les  affeo- 
tions,  de  la  giÀce  dans  les  pensées,  et  ;e  ne  sais 
quoi  de  contre&it  dans  ks  formes  ;  à  la  fois  igno- 
rante et  pédantesqoe^  pleine  de  rudesse  et  d'émo- 


INTRODUCTION/  4S 

iioB ,  quand  les  caractères  étaient  inébranlables; 
les  cœurs  soumis  et  le  dévouement  &cile.  La  plu-* 
part  des  idées  qui  ont  illustré  les  siècles  suiyans , 
erraient  déjà  vaguement  dans  les  esprits  ;  maia 
dles  n'apportaient  alors ,  au  lieu  du  repos  et  de 
l'espérance 9  que  de  l'inquiétude  et  dé  l'effroi; 
Comme  toutes  les  inspirations  qui.  se  réveillent 
en  nous  sans  trouver  d'expressions.  Il  y  avait  un 
fond  de  tristesse  qui  se  répandait  sur  toutes  les 
relations  de  la  vie;  jetait  sur  les  coutumes,  sur 
les  traditions,  sur  les  monumens,  sur  la  physiono* 
mie  des  bommes,  la  marque  d'une  inextinguible 
douleur.  On  accueillait  de  toutes  parts  les  paroles 
de  mort,  les  présages  fiinestes;  l'ordre  social,  ton- 
jonrs  dé£eiillant,  inspirait  tant >  de  défiance  et 
d'alarme,  qu'au  retour  de  chaque  année  l'univers 
semblait  arrivé  à  son  terme  et  près  de  retomber 
dans  le  chaos. 

Au  mili^  de  la  foule  de  mobiles  qui  semblent 
Inriser  l'unité  historique  de  ces  siècles,  l'influence 
du  christianisme  est^  le  fait  que  Herder  s'est  sur* 
tout  attache  à  reproduire  sous  son  véritable  joiu*; 
Avant  lui  ^  Lessing  avait  traité  le  même  sujet  dans 
un  petit  éorit  étincelant  de  verve  et  plein  d'ori* 
ginalité;  malg^  quelque  ressemblance  avec  la 
théolc^ie  mystique  du  deuximne  siècle,  la  révé« 
,  laticm  n'est  plus  eonsidà^  dans  cet  essai  comme 
le  dernier  terme  d^  la  progression  univetiselle. 


44  INTRODUCTION. 

Lessing^  rae  la  range  point  non^  plus  dans  le  pur 
domaine  de  l'histoire;  mais  il  cherche  un  milieu 
qui  satisfasse  «gaiement  au  besoin  de  croii^  et 
aux  exigences  de  la  nouvelle  science.  Selon  lui, 
la  révélation  est  Tinstrument  mobile  dont  Dieu 
se  sert  et  se  servira  à  jamais  pour  développer 
réducation  de  l'humanité;  compie  la  colonne 
de  feu  des  Israélites,  elle  précède  la  marche  des 
fiations  :i  à  de  longs  intervalles,  quand  l'esprit 
général  sfest  élevé  jusqu'à  elle  ^  elle  subit  une  mé^ 
tamorphose  et  brille  sur  le  genre  humain  d'im^ 
Imnière  toute  nouvelle.  Dans  l'origine  des  chosies, 
f  £^)eraei  choisit ,  entre  toi^s ,  un  peuple  pour  ser* 
vdr  de  type- aux  autres;  les  croyances  et  le»  véri- 
tés qu'il  lui  révéla,  étaient  enveloppées  de  formes 
grossière^,  telles  que  l'en&nce  de  Thumanité  pou- 
▼ait  les  percevoir  et  les  retenir^  Mais  sous  ces 
symboles  était  caché  le  christianisme,  qui  se  dé- 
gagiea  de  ses  liens,  et  apparut  au  nAide  quand 
le.  temps  en  fut  venu.  L'univers  le  recueillit, 
et  seleva  avec  lui  à  de  plus  hautes  destinées; 
dans  l'adolescence  du  genre  humain  toutes  les  pas*- 
sioiis  devaient  aUer  se  briser  avec  une  foi  aveu-^ 
g^e  devant  l'autorité  du  maître; il  allait  que  le 
jeune  houuxue  s'accoutumât  à  regardée  ^n  livre 
élémentaire  conu»é  la  limite  des  cfHwaissanoes 


l>l        I         »'        I        ■■>  II'       •    I        !■■■■         ■!    I       ■«■■Xl^— ^—-«^^l 


1.  !)•  Fédmcalion  du  §^enrjBf  huniaîa. 


INTRODUCTION.  45 

possibles.  Mais  enfin  y  quand  la  jeunesse  aui?a  per^ 
du  sa  première  candeur  et  que  l'âge  mur  récla* 
mera  son  indépendance,  ce  livre  élémentaire  su£- 
fira-t-il  à  ses  nouveaux  besoins  ?  Non,  répond  Les- 
sing.  De  même  que  la  loi  de  Moïse  renfermait 
implicitement  la  loi  du  Cnrist,  celle-ci  à  son  tour 
renferme  de  bautés  vérités  pbilosôpbiques,  qui 
resteront  des  mystères  pour  nous  jusqu'à  ce  que 
la  raison  vienne  à  les  déduire  de  celles  qui  sont 
déjà  en  notre  pouvoir.  L'évangile  que  nous  con- 
naissons cache  dans  ses  profondeurs  un  nouvel 
évangile,  où  les  dogmes  seront  changés  en  véri- 
lés  rationnelles  :  ces  dogmes  n'étaient  point,  à 
l'apparition  de  la  loi,  ce  qu'ils  seront  un  jour; 
ils  n'ont  été  révélés  que  pour  se  transformer. 

Herder  est  plus  àévcre,  son  génie  répugne  étran- 
gement k  toute  espèce  d'exception;  la  connais* 
sance  précise  des  faits  et  des  mœurs  lui  suffit 
pour  porter  une  immense  lumiè):e  sur  les  pro- 
grès et  l'influence  de  la  révélation.  Si  le  vicaire 
savoyard  eut  pensé  jamais  à  écrii^  l'histoire  du 
christianisme,  c'est  ainsi  qu'il  l'aurait  conçue, 
et  le  ministre  protestant  a  avec  lui  plus  d'un  rap- 
port par  l'élévation  constante  de  son  ame,  le  ton 
d'inspiration;  le  charme,  la  douce  magie  de  soa 
langage,  qui,  tour  à  tour  véhément,  réfléchi,  plein 
d'onction  et  de  tendresse,  parle  à  tous  nos  souve- 
nirs et  nous  transporte  d'aise  en  réveillant  jus- 


46  ^  INTRODUCTION.     . 

qu'aux  sympathies  qui  nous  semblaient  s'être 
éteintes  pour  jamais. 

Cherchez  quelque  part  un  liire  qui  parcom^e 
une  plus  grande  carrière  dans  la  sphère  de  l'ex- 
périence, vous  n'en  trouverez  aucun;  aucun  qui 
soit  marqué  d  un  caractère  plus  frappant  de  gran- 
deur ,  de  majesté  et  d'universalité.  Où  est  celui 
qui  a  établi  l'harmonie  dans  le  corps  gigantesque 
de  l'histoire?  qui  a  manifesté  l'ordre  et  la  sagesse 
au  sein  du  chaos  apparent  des  âges?  Le  monde 
progressif  ne  déroulant  que  successivement  ses 
plans  et  «.  aspecu  diye«,  la  plupart  de.  hoaun« 
s'arrêtaient  avant  lui  à  quelques  accidèns  parti* 
culiers  sans  en  saisir  l'ensemble ,  et  ainsi  ils  lui 
contestaient  cette  sage  ordonnance,  cette  unité 
de  destination  et  ces  voies  providentielles  qui 
les  frappaient  dans  le  spectacle  de  l'univers  phy- 
sique, dont  les  massés  toujours  présentes  s'of- 
fraient instantanément  à  leur  admiration. 

Sans  doute ,  il  ne  faut  chercher  ici  ni  Timpas- 
sibilité  de  Machiavel,  ni  la  netteté  de  Montes- 
quieu  ;  quand  l'esprit  seul  fait  d'immenses  pro- 
grès, et  que  l'ame  reste  jeune  avec  toute  sa  fraî- 
cheur et  quelques-unes  de  ses  illusions,  on  a  beau 
choisir  un  sujet,  un  système  qui  semble  n'appar- 
tenir qu'aux' combinaisons  positives  de  l'intelli- 
gence ;  vos  sentimens ,  vos  souvenirs  affluent  mal- 
gré vous  y  et  ils  vous  importunent  au  milieu  de 


INTRODUCTION;  41 

caabstraciioxis,  presque  autant  qu'au  milieu  de 
la  froide  contrainte  du  monde.  Pourtant  il  faut 
ieur  donner  place  sous  des  formes  plus  ou  moins 
générales,  et  cela  ne  se  fait  qu'aux  dépens  de  la 
légularité  du  plan  et  de  la  parfaite  harmonie 
des  tons.  Cest  un  spectacle  singulièrement  inat- 
tendu que  celui  d'un  homme  qui  pénètre  au  loin 
dans  les  lois  de  l'organisme,  pour  y  découvrir 
les  plus  étonnantes  merveilles  de  l'être  moral ,-  sa 
conscience  et  son  immortalité,  joignant  ainsi  à 
la  verre  austère  dé  Lucrèce  les  saintes  inspira- 
tions de  Platon.  Il  faut  voir  le  soin  qu'il  met  à 
éviter  tout  rapprochement  avec  la  métaphysique, 
comme  une  mésalliance  qu'aucune  concession  à 
fonivers  visible  ne  pourrait  racheter.  Vous  diriez 
qu'il  n'y  a  que  le  présent  et  le  palpable  pour 
un  esprit  si  lent  à  s'émouToir ,  si  rebelle  à  lacon-^ 
viction;  et  Toilà  que  l'instant  d'après  ce  génie 
tout  positif  TOUS  entraine  au-delà  des  mondes  et 
des  formes  connus,  dans  des  sphères  de  beauté, 
de  justice  et  de  per&ction,  auxquelles  nous  tous 
aussi  nous  nous  sommes  élevés  un  jour ,  quand 
une  émotion  sincèi»  exaltait  nos  coeurs,  et  les 
éclairait  peuuétra  Ainsi  c'est  un  de  ses  cai^actères 
principaux  que,  reposant  sur  le  sensualisme  le 
plus  rigoureux ,  le  premier  développement  de  ses 

Taoïsme  dlIelTétîus,  non  k  la  raillerie  si  fine 


4g  INTRODUCTION. 

6t  si  désespërahtè  de  Voltaire,  pas  même  au  prin^ 
dpe  d'utilité  dUatcheson  ;  mais  à  cette  noble 
théorie  du  devoir,  plus  absolue  encore  que  celle 
dû.  philosophe  de  Kœnigsberg.  Placé  entre  le  scep- 
ticisi^e  du  dix-huitième  siècle,  dont  il  adopt£^it 
en  partie  la  métaphysique  et  dont  il  repoi&sait 
la  morale,  et  l'école  deKant,  dont  il  aimait  la 
tendance  et  dont  il  réfutait  le  principe,  Herder, 
avec  la  solennité  de  ses  paroles  pleines  d'onction, 
semble  avoir  reçu  d'en  haut  la  mission  d'adoucir 
des  discordes  qu'une  entière  réconciliation  ne 
peut  pas  terminer. 

On  a  dû  voir  que  sa  doctrine  est  Tidéalisme 
dans  la  sensation,  une  sorte  de  panthéisme  dé- 
guisé. En  général,  cette  philosophie  ji  pour  carac- 
tère de  substituer  des  présomptions  à  la  science, 
et  de  faire  succéder  par  degrés  à  la  certitude  l'es^ 
pérance,,  et  enfin  le  doute  absolu.  Elle  explique 
d'une  manière  satisfaisante  un  certain  nombre 
de  faits  d'un  ordre  inférieur  5  et  comme  elle  s'eur- 
vironne  d'un  grand  appareil  d'évidence,  comme 
elle  ne  quitte  pas  l'être  matériel ,  qu'elle  embrasse 
de  toutes  parts,  et  que  de  plus  elle  a  grand  soin 
d'avertir  qu'elle  est  ennemie  de  toute  abstraction 
métaphysique,  elle  a  pour  elle  un  ail-  de  circon- 
spection qui  gagne  promptement  les  esprits.  Eu 
même  temps,  parce  qu'en  se  jouant  elle  £iit  al- 
liance avec  la  poésie,  comme  elle  prête  des  cou-' 


INTRODUCTION.  4ff 

leurs  aminées  aux  formes  .les  {dus  insaisissables, 
comme  l'imagination  la  devance  dans  le  champ 
illimité  des  inductions  ;  elle  séduit  par  son  aban* 
don  autant  que  par  sa. méthode.  Pourtant^  à  me^ 
sure  que  l'ordre  des  phénomènes  s'élève,  die  a 
plus  de  peine  à  les  saisir  ;  son  point  d'appui  va- 
cille, et  sou  langage  devient  de  plus  en  plus  in- 
décis, si  .bien  que,  lorsqu'il  s'agit  de  fonder  les 
grandes  lois  de  la  destinée,  ces  étonnans  problèmes 
qui  épouvantent  et  glaîcent  le  coeur  d'eiFroi ,  s'il 
est  encore  a  en  chercher  la  solution ,  elle  aban- 
donne rhomme  qui  s'était  reposé  sur  elle.  La 
poésie,  qui  n'était  d'abord  qu'un  luxe,  devient 
le  fondement  auquel  il  faut  se  confier.  Des  allé- 
gories, des  analogies,  des  pressentimens'^ secrets, 
des  prodiges  de  divination,  voilà  ce  qui  nous 
reste.  Mais  cet  éclat  éphémère,  ces  fêtes  de  Tima- 
gination ,  ne  sont  plus  qu'un  leurre  décevant  et 
sans  empire ,  quand  l'abîme  de  Pascal  est  devant 
nous ,  et  que  nous  en  sommes  avertis. 

Or,  que  l'on  m'explique  comment  il  se  fait  que 
dans  Herder  cette  philosophie  n'a  point  ce  carac- 
tère effrayant  d'instabilité?  Pourquoi,  au  con- 
traire, on  s'jr  arrête  sans  trouble,  comtne  sur  la 
science  éternelle  ?  Eh  quoi  !  dans  cet  ensemble 
de  choses  et  d'idées,  je  reconnais  des  formes  indé- 
cises, des  parties  qui  se  refusent,  qui  àe  retirent 
dans  l'ombre;  d'autres  qui  se  limitent  ou  ^ex« 


50  INTRODUCTION. 

cluent  ;  et  pourtant  ma  pensée  se  repose  ici  avec 
sérénité  !  Sans  être  troublée  par  ce  concours  d'ob- 
jets toujours  flottanSy  elle  trouye  où  s'arrêter  et 
se  r^connaitre  !  C'est  qu'il  y  a  véritablement  sous 
ce  terrain  mobile  un  point  fixe ,  un  refuge  invio- 
lable. La  conscience  de  l'être  ^  le  sentiment  reli- 
gieùx,  pur^  universel  comme  la  conviction  spon- 
tanée du  génie,  sont  ici  tellement  inbérens^à  toute 
connaissance,  ils  ont  pénétré  si  avant,  si  intime- 
ûient  dans  la  profondeur  et  la  substance  du  sujet, 
ils  se  présentent  avec  des-caractères  si  irrécusables, 
qu'ils  suppléent  partout  au  point  de  départ  du 
7720£  philosophique  qui  sq  proclame  par  eux. 
C'est  là  l'élément^cientifique  qui  soutient  tous  les 
autres.  Partout  il  est  présent  pour  rassiu^er  sur  la 
solidité  de  Tédifice,  et,  si  ce  derni^  s'écroule, 
pour  nous  recueillir  avant  l'abime. 

U  est  une  chose  que  je  ne  peux  pas  oublier. 
Quand  Herder  moment,  ses  amis  trouvèrent,  en 
approchant  de  son  lit,  sa  main  froide  arrêtée  sur 
quelques  lignes  qu'il  venait  de  tracer.  On  lut  ce 
qui  suit  : 

c<  .  .  .  :  .  .Trançporté  dans  de  nouvelles  ré- 
ccgions,  je  jette  autour  de  moi  un  regard  ins- 
f(  pire.  Je  vois  le  monde  réfléchissant  l'éclat  de 
ce  l'être  sublime  qui  l'a  créé  \  le  ciel  formant 
«  comme  le  tabernacle  de  rétemel  :.....  ma 
«  &ible  intelligence,  courbée  vers  la  poussière» 


INTRODUCTION*  61 

«ne  peut  -soutenir  le  spectacle  de  ces  augustes 
t  merveilles;  elle  s'arrête  dans  le  silence ^ 

Cetait  un  hymne  à  Dieu  par  lequel  cet  excel- 
lent génie  achevait  sa  carrière.  Le  sentiment  qui 
avait  vivifié  ses  écrits,  et  répandu  sur  chacun 
d'eux  un  air  de  fête  et  de  solennité,  devait  être 
le  dernier  à  s^éteindre  dans  son  àme. 

Et  cet  homme  est  presque  inconnu  parmi 
nous!  et  son  nom  n'y  réveille  ni  souvenirs,  ni 
Sympathie! 

Pour  moi ,  je  puis  dire  que  depuis  l'âge  où  l'on 
/  tomiAeiice  à  être  ému  par  le  génie,  et  à  souffrir 
par  son  cœur  et  par  celui  des  autres,  ce  livre 
a  été  pour  moi  une  source  intarissable  de  con- 
solations et  de  joie.  Il  a  supplée  pour  moi  aux 
affections  réelles ,  qui  sont  si  semées  d'amai;ume 
cuisante  et  ^i  remi^nt  si  tôt  cette  inguérissable 
plaie  que  vous  app(U*tez  avec  vous  en  naissant. 
Dans  les  maladies,  dans  la  détresse  de  l'absence, 
plus  cruelle  que  les  maladies^  dans  les  lents  dé^ 
ehiremens  de  l'ame,  et  Tisolement  qui  les  suit ^ 
il  a  soutenu  mes  forces.  Jamais,  non  jamais,  il 
ne  m'est  arrivé  de  le  quitter  sans  avoir  une  idée 
plus  élevée  de  la  mission  de  l'homme  sur  la  terre; 
.  jamais  sans  croire  plus  profondément  au  règne 
de  la  justice  et  de  la  raison;  jamais  sans  me  sentir 
plus  dévoué  à  la  liberté,  à  mon  pays,  et  en  tout 
plus  capable  d'tme  bonne  action.  Que  de  fois  nç 


62  INTRODUCTION. 

me  suis-je  pas  écrié,  en  déposant  ce  liyre,  le  cœur 
tout  ému  de  joie  :  voilà  l'homme  que  je  voudrais 
pour  mon  ami!  Mais  il  nest  pas  si  £icile  de 
rencontrer  dès* sa  jeunesse  celui  à  qui  on  a  voué 
d'avance  une  secrète  admiration.  Il  faut  se  con- 
tenter de  ses  paroles  glacées,  à  travers  la  tombe. 
Surtout,  il  &ut  attendre  le  jour  qui  doit  réunir 
toutes  les  intelligences  grandes  et  petites  ;  car  je 
ne  puis,  croire  qu'il  en  soit  alors  de  même  que 
de  nos  temps,  où  l'amour  et  l'admiration,  qui  ne 
sont  pas  mutuels ,  restent  sans  récompense ,  quel- 
quefois dédaignés,  plus  souvent  ignorés  de  celui 
qui  les  a  fait  naître. 

Priions  donc  garde  de  perdre  la  chaîne  qui 
nous  lie  aux  siècles  passés  ;  de  peur  que  par  ce 
moyen  tioûs  ne  nous  trouvions»  entièrement  égarés 
sur  la  terre.  C'est  un  assez  grand  mv^stère  que  la 
vie  en  elle-même^  malheur  à  qui  le  sonde!  Ne 
laissons  pas  dans  une  égale  obscurité  ce  concours 
d'êtres  traditionnels  qui  la  modifient;  ne  sachant 
pas  ce  que  nous  sommes,  sachons  du  moins  ce 
qu'ils  sont,  d'où  ils  viennent,  et  par  quelle  suc- 
cession de  phénomènes  ils  sont  arrivés  jusqu'à 
notre  obscur  réduit.  Sur  cette  idée,  il  reàte  ici 
à  indiquer  ça  et  là  quelques  rapports  entre  l'his- 
toire du  genre  humain  et  la  philosophie  morale  : 
comment  les  souvenirs  de  l'espèce  se  reflètent-ils 
dans  l'individu?  comment  se  coordonnent-ils  avec 


INTRODUCTION.  53 

ses  iiapresslons  propres?  quelle  loi  imposent»ils 
a  son  activité  personnelle?  en  un  mot,  quelles 
rmtes  sont  contenues  pour  lui  dans  les  harmo- 
nies du  spectacle  de  la  durée?  Grandes  questions, 
qall  faudrait  de  longs  livres  pour  résoudre^  ici 
tous  les  tncnuméns  restent  impuissans  et  muets , 
si  Ton  ne  consent  à  descendre  en  soi ,  pleinement , 
franchement.  Ce  n'est  plus  l'histoire  telle  que  cha-> 
cou  peut  la  lire  dans  les  ouvrages  des  hommes, 
ou  sur  les  pierres ,  ou  sin*  le  sol  ;  mais  telle  qu'elle 
est  réfléchie  et  écrite  dans  le  fond  de  nos  âmes, 
en  sorte  que  celui  qui  se  rendrait  véritablement 
attentif  à  ses  mouvemens  intérieurs ,  retrouverait 
h  série  entière  des  siècles  comme  ensevelie  dans 
sa  pensée.  Si  véritablement  il  voulait  donner  une 
base  à  sa  science  historique;  il  partirait  de  l'en- 
ceinte étroite  de  son  moi  individuel,  pour  re* 
monter  de  là,  par  des  conséquences  nécessaires, 
à  travers  la  suite  des  empires  et  des  peuples, 
jusqu'à  la  chaumière  d'Evandre,  jusqu'à  la  tente 
de  Jacob,  jusqu'au  palmier  de  Zoroastre. 

En  effet,  plus  je  m'interroge,  plus  je  m'assure 
que  rien  n'a  égalé  pour  moi  le  jour  où,  las  de 
recueillir  quelques,  images  éparses  qui  me  sem- 
blaient flotter  dans  la  durée ,  mais  sans  suite  et 
sans  ordre  apparent,  venant  enfin  à  reconnaître 
le  lien  qui  les  rassemble,  j'aperçus,  pour  la  pre- 
mière fois,  comme  d'un  lieu  élevé,  le  nombre 


64  INTRODUCTION. 

presque  infini  d'êtres  semblables  à  moi ,  qiii  m'a- 
vaient précédé. 

A  la  vue  de  cet  immense  assemblage  de  siècles 
et  de  peaples  divers ,  je  sentis  arec  joie  que  je 
n'étais  pas  seul  dans  le  .temps.  Une  merveilleuse 
sympathie  m'attirait  vers  chacun  de  mes  ftères , 
qui,  distribués  dans  toute  l'étendue  des  âges,  ont 
reçu  la  même  vie,  ont  joui  avant  moi  de  ce  même 
soleil,  de  cette  même  terre;  se  sont  assis  aux 
bords  de  ces  mêmes  ileuveis;  et,  £aiits; comme  moi 
pour  le  jour  et  pour  le  lendemain,  ont  connu  les 
mêmes  vicissitudes  de  joie  et  de  douleur,  d'amour 
et.de  baine.  Je^ne  pouvais  dire  quels  ont  été 
leurs  figures  et  leurs  traits,  ni  les  appeler  par 
leuR  nom;  mais  je  savaiss  qu'ils  ont  été,  et  que 
lorsqu'ils  s'inquiétaient  de  la  postérité,  indireo* 
tement  compris  dans  leur  pensée ,  je  vivais  en 
eux  comme  ils  vivent  en  moi.  En  même  temps 
je  découvrais  que,  si  telle  forme  de  l'humanité 
eut  manqué  au  monde,  mon  être,  quelque  frêle 
et  circonscrit  qu'il  soit ,  n'eut  point  été  ce  qu'il 
est.  De  tous  les  points  de  la  durée,  chaque  em- 
pire avait  envoyé  jusqu'à  moi  la  loi,  l'idée,  IW 
sence  des  phénomènes  dont  s'est  composé  sa  des^ 
tinée..  A  mon  insçu,  la  vieille  Chaldée,  la  Phé- 
nicie,  Babylone,  Memphis,  la  Judée,  l'Egypte, 
l'Etrurie,  s'étaient  résumées  dans  l'éducation  de 
ma  pensée  et  se  mouvaient  en  moi.  Ce  m'était  un 


INTRODUCTION.  55 

spectacle  étrange  d'y  retrouver  leurs  ruines  vi* 
vantes,  et  de  sentir  s  agiter  dans  mon  sein,  au 
lieu  d'un  souffle  errant,  éphémère,  que  chaque 
soupir  consume,  l'ame  de  l'humanité  ^  que  mon 
être  a  recueilli  comme  un  son  lointain  apporté 
d'échos  en  échos  jusqu'à  lui. 

A  mesure  que  se  développait  cette  longue  suite 
d'aventures,  je  recueillais  épars  les  élémens  dont 
se  compose  mon  individualité;  pour  comprendre 
le  secret  de  mon  être,  il  me  fallait  aller  interroger 
les  débris  de  l'Orient,  les  oracles  muets  de  la 
Grèce,  les  bruyères  des  Gaules,  les  forets  silen- 
cieuses de  la  Grermanie.  Ainsi ,  je  m'arrêtais  pour 
écouter  au  fond  de  mon  ame  le  sourd  retentis- 
sèment  des  siècles  passés.  Je  vivais,  non  plus  en 
moi ,  mais  dans  cette  masse  confuse  de  nations  et 
d'existences  diverses  qui  m'ont  précédé;  et  je  me 
livrais  si  bien  à  elles,  que  je  crus  quelque  temps 
que  ma  personnalité  allait  être  absorbée  dans  la 
conscience  universelle  du  genre  hiunain. 

Mais  voici  un  autre  phénomène  qui  m'atten** 
dait  Ni  tant  de  ruines  amoncelées ,  ni  tant  d'em- 
pires croulans,  de  noms  épars,  de  sang,  de  gloire^ 
de  siècles  réunis,  n^avaient  rempli  le  vide  de  mon 
ame  :  une  immense  place  y  testait  pour  d'éphé- 
mères images ,  de  longs  combats  qu'aucune  mé- 
moire ne  recueille.  En  vain  mon  cœur  s'était-il 
gonflé  des  larmes  que  le  .genre  humain  a  lente- 


m  INTRODUCTION. 

ment  versées;  souvent  j'avais  à  m'etonner  que, 
fait  pour  renfermer  les  souvenirs  de  tant  de  siè- 
cles j  il  ne  pût  contenir- un  souvenir  né  d'hier, 
qui  le  brisait  sans  retour.  Moi  ^  qui ,  pour  am.user 
la  rapide  succession  de  mes  jours,  avais  à  con- 
ter la  chute  de  tant  de  Babylones,  la  captivité 
de  tant  de  Judas  ^  je  m'en  allais  çà  et  là ,  prêtant 
Toreille  à, de  vains  récits  que  répètent  les  femmes 
*  et  les  enfans,  et  je  cherchais  encore  autour  de 
moi  je  ne  sais  quels  jouets ,  quand  mes  yeux  étaient 
\  attachés  au  spectacle  immense  de  la  durée.  Les 

^  noms  de  tant  de  héros  inconnus  que  j'avais  sur- 

pris dans  l'intérieur  d'une  vie  vulgaire,  habitaient 
et  fraternisaient  dans  ma  pensée,  avec  les  noms 
glorieux  des  Possidonius ,  des  d'Assas ,  des  Vincent 
^  de  Paule  ;  et  elle  pesait  plus  sur  ma  poitrine  que 

les  obélisques  de  l'Egypte,  que  les  tombeau!  de 
^  ritalié,  que  les  lu^nes  des  Étrusques ,  que  les  mon- 

ceaux de  pierre  des  Gallois  et  des  Calédoniens, 
la  pierre ,  la  pierre  étroite  qui  couvre  les  restes 
<ie  celui  dont  moi  seul,  sur  tert-e,  je  sais  l'histoire. 
Tout  ce  qui  est  soumis  à  des  pouvoirs  humains, 
subit  les  grandes  lois  du  changement,  et  notre 
être  isolé ,  sans  appui  et  sans  liens  avec  le  monde, 
y  obéit  plus  que  tout  le  reste.  Ne  nous  étonnons 
plus  de  l'inconstance  de  nos  voeux  et,  de  l'insta- 
bilité de  nos  impressions ,  depuis  que  les  empires 
se  &nent  comme  des  flçurs ,  et  que  les  institutions 


\ 


INTRODUCTION.  67 

les  plus  solides  sont  si  promptemént  renversées. 
Au  milieu  de  cette  tempête  qui  précipité  les  uns 
sur  les  autres  ces  immenses  corps  politiques,  il 
nous  a  été  donné  un  jour  pour  aimer,  pour  ou- 
blier et  pour  suivre  en  tout^  par  la  fragilité  de 
notre  être,  leurs  lois  suprêmes.  La  même  puis^ 
sance  qui  renvai^e  TAsie  sur  l'Egypte,  l'Egypte 
sur  la  Grèce,  la  Grèce  sur  Fltalie,  étend  ses  ra- 
vages jus^'au  fond  de  notre  ame ,  en  brisant  une 
espérance  par  une  autre  espérance ,  un  désir  par 
un  autre  désir,  une  douleur  par  une  autre  dou- 
leur. 

Et  toutefok  il  faut  croire  que  dans  la  lente  ex- 
périence de  cette  fotde  d'êtres  qui  nous  ont  pré- 
cédés,  avec  des  afiections  et  des  passions  en  tout 
semblables  aux  nôtres ,  il  est  des  trésors  de  force 
où  l'homme  n'a  point  encore  suffisamment  puisé* 
La  destinée  individuelle,  si  obscure  quand  on  la 
renferme  dans  mx  cercle  d'objets  limités,  se  révèle 
à  nous  par  l'enchaînement  successif  des  corps 
poUtiques  ;  et  ce  .peu  de  jours  que  nous  avons  à 
passer  stu*  la  terre,  quelque  arides  qu'ils  nous 
paraissent,  ne  sortent  pas  tellement  de  l'harmo- 
nie universelle  des  siècles,  qu'ils;  ne  s'expliquent 
par  elle,  et  ne  lui  dérobent  quelque  charme.  Ou 
l'histoire  raconte  la  vie  d'un  individu,  ou  cejle 
d'un  peuple,  ou  celle  de  l'humanité,!  dans  la- 
qjaelle  les  peuples  et  les  individus  vont  se  perdre  : 


58  INTRODUCTION. 

or,  ces  trois  modes  d'être,  quelque  difierens  de 
grandeur  qu'ils  soient ,  ont  entre  eux  la  même  si- 
militude que  le  tout  et  la  partie  qui  le  repré- 
sente; ils  comprennent  un  espace  plus  ou  moins 
étendu  dans  l'uniTersalité  des  choses  ;  mais  dans 
chacun  des  cercles  qu'ils  parcourent  »  sont  des 
identit^  et  des  points  correspondans  ^  ce^  que  l'on 
affirme  de  l'un,  on  peut  l'affirmer  de  Fautre;  ils 
se  reproduisent  mutuellement^  et,  soumis  aux 
mêmes  lois,  ils  presaitent  dans  leur  développet- 
ment  des  phénomènes  tout  semblables.  C'est  de 
cette  unité  que  naît  la  beauté  harmonique  de 
rhistoire,  ds^ïs  ses  plus  yastes  propirtions. Ainsi, 
la  même  série  progressive  qui  se  manifesté  dans 
la  marche  des  corps  politiques,  se  reproduit  dans 
la  succession  de  nos  pouvoirs  individuels,  et  c'est 
et^  y  obéissant  que  nous  nous  rendons  conformes 
à  l'humanité.  Nous  n'avons,  pour •  atteindre  le 
bien,  ni  la  longévité  des  nations,  ni  leurs  tra- 
ditions antiques  !  nous  avons  quelques  souvenirs 
nés  d'hier;  mais  cda  suffit  pour  remplir  la  des- 
tinée, et  l'homme  qui,  dans  son  étroite  sphère, 
poursuit  avec  constance  l'être  idéal  qu'il  enferme 
en  lui ,  est  égal  devant  l'Éternel  à  l'empire  qui 
'    dans  sa  longue  drn^ée  manifeste  les  lois  saintes 
de  la  raison  et  de  la  liberté.  A  peine  a-t-on  fait 
de  la  loi  de  l'humanité  la  loi  de  son  être,  que 
Ton  cqnunence  à  vivre  de  la  vie  universelle,  et  à 


INTRODUCTION.  50 

ynùr  de  toute  la  plénitude  du  moi.  Le  cœur  qui 
ne  savait  où  se  reposer ,  partout  repoussé  par  lt$ 
choses ,  a  son  rôle  et  son  importance  dans  l'ordre 
des  temps;  et  pendant  cpi'il  le  remplit,  il  jouit 
d'une  sympathie  toujours  renaissante  et  qui  ja-^ 
mais  n'est  déçue  de  son  objet.  Si  l'heure  présente 
et  ce  peu  d'objets  qui  se  sont  offerts  à  lui ,  l'ont 
kissé  vide  et  chancelant,  il  trouve  dans  la  pen-^ 
sée  des  siècle^  avec  lesquels  il  est  en  rapport ,  de 
quoi  se  nourrir  et  sfe  fortifier.  Ne  croyess  pas  qu'ar- 
rivé à  ce  point,  l'être  individuel  soit  séparé  par 
aucun  intervalle  de  l'humanité  dont  il  s'est  ap- 
proprié la  loi  ;  elle  s'est  concentrée  en  lui ,  elle  se 
prolonge  en  lui  avec  toute  la  série  de  ses  destinées 
futures  :  le  voilà  conforme  à  elle,  identique  à  elle; 
il  la  porte  en  lui ,  il  la  continue,  et  tant  que  dure 
cette  union,  il  est  fort ,  U  est  puissant,  invincible 
au  monde;  41  a  le  repos  et  le  bien  suprême. 

Et  de  là  dérive  une  belle  conséquence  :  chaque 
être  poursuit  sa  carrière  de  perfectionnement 
avec  une  rapidité  proportionnée  à  là  brièveté 
de  sa  vie.  Le  ^enre  humain  compte  par  siècles 
les  diverses  périodes  de  son  éducation  ;  pour  npus^ 
nous  avons  des  jours  et  des  heures  pour  exprimer 
un  intervalle  correspondant  dàus  le  développe- 
ment de  nos  pouvoirs  particuliers.  Au  bout  de 
quelques  années,  nous  arrivons  au  degré  où  l'hu- 
manité n'est  parvenue  qu'après  sa  longue  et'  pé^ 


60  INTRODUCTION. 

nible  carrière  3  alors  ^  il  faut  que  nous  mourio&s  r 
quant  à  elle,  elle  poursuit  son  chemin  et  s'avance 
vers  des  contrées  que  nous  n  avons  pu  atteindre 
dans  le  com^  passager  de  notre  existence.  Or, 
dès  ce  momeht,  la  chaîne  qui  nous  liait  à  elle, 
est-elle  brisée?  Funité,  le  rapport  commun  de  des- 
tination ont-ils  disparu?  n'était-ce  qu'une  vaine 
contingence  que  cette  représentation  du  tout  dans 
la  partie,  que  cette  identité  dans  la  loi,  que  cette 
marche  harmonique  de  deux  êtres  vers  na  centre 
commun?  l'un  a-t-il  été  brisé  dans  sa  course» 
pendant  que  l'autre  est  ainsi  condamné  à  "une 
étemelle  solitude  ?  Non ,  Dieu  infini  !  je  né  jpuis 
le*  croire.  J'en  conclus  qWr  pendant  que  le  genre 
humain  poursuit  sur  cette  terre  sa  carrière  de, 
perfectionnement ,  l'être  individuel  continue  sa 
marche  parallèle,  dans  quelque  séjour  et  sous  quel-^ 
que  forme  que  la  Providence  lui  a  préparés  de 
sa  main. 

Si  de  la  loi  de  l'humanité  nous  passons  à  l'hu- 
manité elle-même,  et  si ,  après  l'avoir  suivie  dans 
toiutes  ses  vicissitudes,  on  demande  à  la  fin  quel 
s^itiment  doit  inspirer  un  être  ballotté  ainsi  au 
gré  de  tant  de  hasards;  je  reponds  :  un  respect 
profond  et  pour  ainsi  dire  religieux.  De  toutes  Ifô 
volontés  intelligentes  l'Être  des  êtres  lui  seul  n'a 
point  d'histoire.  Un  seul  âge ,  une  seule  langue , 
un  seul  monument.  Que  l'humanité  soit  un  jour 


) 


j 


INTRODUCTION.  6i 

iamuable»  elle  n'est  plus,  ou  plul^t  elle  est  tout, 
perdue  eit  confondue  dans  la. pensée  divine.  L'or- 
dre des  choses  la  condamnait  au  changement} 
mais  ces  changemens  sont  des  progrès,  et  le 
même  signe  exprime  sa  Êûblesse  et  sa  force.  Que 
dès  l'origine  elle  eût  possédé  l'empire  quelle  ac^ 
quiert  par  degrés  sur  le  monde,  aveugle  et  sans 
expérience,  qui  peut  dire  ce  qu'elle  eût  fait  de  sa 
puissance,  et  jusqu'à  quel  point  elle  l'eût  tournée 
contre  elle-même?  En  voyant  brusquement  par 
combien  de  larmes  il  fallait  Tacheter,  qui  sait  si 
elle  n'eût  pas  refusé  d'entrer  dans  la  voie  où  elle 
est  aiiiourd'hui  et  dont  nul  ne  pressent  l'issue. 

Au.  contraire,  par  quelle  lente  éducation  la 
nature  a  voulu  qu'elle  s'accoutumât  à .  la  force 
créatrice  qui  lui  a  été  départie!  Il  est  telle  parole 
de  l'homme  qui  ei^ibrasse  l'histoire  entière  des 
empires.  Quand,  tout  ce  qui  l'entourç,  l'astre  qui 
réclaire,  le  flot  qui  le  porte  au  rivage,  connaît 
dès  l'origine  son  œuvre  de  chaque  jour ,  sa  car* 
rière  et  son  but,  lui  seul  il  ne  sait  pas  ce  qu'il 
sera  demain;  il  marche  à  l'aventure,  et  chaque 
siècle  lui  révèle  de  .nouveaux  secrets  de  son  être. 
Or,  cette  sublime  ignorance  où  il  est  de  lui- 
mme,  et  que  quelques-uns  ont  apportée  en  té- 
moignage de  son  néant,,  est  ce  qui  atteste  à  Fu«* 
nivers  sa  gloire  et  son  impérissable  puissance; 
de  nos  temps  même  il  faut  croire  par  tout  ce  qu'il 


62  INTRODUCTION. 

y  a  d'obscur  et  d^iadéterminë  dan»  le  fond  de 
nos  âmes ,  que  le  développement  de  l'homme  mop 
rai  est  loin  d'être  achevé.  Un  jour  viendra ,  peut- 
être,  où  ces  mystères  qui  nous  troublent  à  oetise 
heure,  et  que  nous  pressentons  sans  pouvoir  les 
circonscrire  par  la  parole,  deviendront  une  source 
générale  de  vertus  et  de  beautés  morales,  dont 
nous  ne  pouvons  avoir  aucune  idée^  pas  plus  que 
Sapho  n'avait  l'idée  de  l'ètmour  dllélôïse,  pas 
plus  que  Ziénon  ou  ses  disciples  n'avai^ent  l'idée 
de  la  philosophie  de  Saint*Y  incent  de  Paule.  Mais , 
quelles  quelles  puissent  être,  elles  amrpnt  leùrd 
fondemens  dans  les  temps  qui  auront  piji^dé  • 
et  sans  qu'il  nous  soit  donné  de  déterminer  leurs 
formes,  ce  joiir  que  nous  voyons,  ces  moeurs,  ces 
lois  qui  sont  les  nôtres,  y  entreront  pour  quel- 
que chosaÉtre  véritablement  étrange!  Quand  un 
seul  de  sa  race  survivrait  à  une  destruction  gé- 
nérale, il  porterait  l'empreinte  des  âges  passés, 
et  rappellerait  le  motide  qui  ne  serait  plus;  car 
la  nature  a  fait  de  chacun  des  membres  de  l'hu- 
manité à  la  fois  le  produit  et  l'image  du  tout 

Enfin,  près  de  sortir  du  conflit  des  choses  ter- 
restres, persuadé  que  les  mêmes  vérités,  que  Vùn 
a  déduites  du  spectacle  et  des  lois  du  monde  phy- 
sique ,  se  reproduisent  dans  les  consonnances  et 
les  harmonies  de  l'histoire,  quand  je  cherchais 
dans  le  chaos  apparent  des  âges  la  pensée  divine, 


INTRODUCTION,  63 

je  trouvais  avec  ravissement  que  celui  qui  a  re- 
Tetu  d'or  les  genêts  des  prairies  et  parsemé  dV 
zm*  l'aîle  du  colibri,  n'a  point  trop  négligé  la 
gloire  de  Babylone,  et  qu^l  a  paré  d'assez  riches 
babits  l'antique  Persépolis.,  Tbèbes  aux  cent  por- 
tes,  Tyr,  Mempbis  et  Sidoti  :  elles  ne  fatiguent 
pas  plus  sa  main  que  le  nid  du  rouge-gorge  et 
qu'une  palme  de  fougère,  les  cités  des  Cbaldéens, 
des  Assyriens,  des  Mèdes  et  des  Hébreux,  et  il 
a  pris  soin  de  leurs  destinées  comme  il  veillait 
sur  la  famille  de  l'oiseau  et  qu^il  déployait  sous 
le  chêne  les  rameaux  de  l'arbuste.  S'il  a  penché 
selon  de. justes  lois  l'urne  des  fleuves,  s'il  a  dis- 
tribué avec  ordre  les  rochers  et  les  vallées,  les 
déserts  et  les  lieux  fertiles;  s'il  a  varié  jusqu'à 
l'infini  les  attitudes  des  plantes,  la  voix  des  ani- 
maux et  les  harmonies  qui  en  résultent,  il  a  de 
même  répandu  avec  sagesse,  dans  le  temps,  les 
générations  et  les  familles ,  les  nations  et  les  lan- 
gues; chaque  cité  apparaît  quand  son  jour  est 
venu,  sous  la  forme  que  le  monde  réclame,  A 
toutes  il  a  donné  une  forme  particulieFe,  ulie 
physionomie  propre;  et  certes,  si  l'on  a  pu  dire, 
sans  paraître  insensé,  que  la  vaùte  des  cieux, 
que  Vé^o  des  montagnes ,  que  ce  bassin  des  mets^ 
que  ce  mélange  de  couleurs ,  de  bruits,  de  par- 
fums ïpn  vivifient  l'espace  et  amusent  nos.  sens 
d'une  vaine  et  inconstante  joie,  sont  les  expresf 


J 


ETUDE 


SUR 


LE  CiRACTERE  ET  LES  OUVRAGES 


Comme  étude  morale,  les  premiers  ouvrages  de 
Herder  mériteraient  seuls  une  haute  attention 
par  leur  étonnant  constraste  arec  ceux  qui  les 
ont  suivis  et  avec  l'âge  oii  ils  ont  été  écrite.  Am 
lieu  de  cette  ame  expansive,  qm  plus  tard  ne 
ingéra  qu'à  se  prodiguer,  un  cœur  aigri ,  fiarmé, 
mécontent  de  lui-même  et  des  autres;  au  lieu 
de  ce  calme  antique  quil  répandra  pUis  tard 
sur  tous  les  objets ,  une  ardente  polémique  qui 
cherche  à  se  produire»  mais  pleine  de  force  et 
d énergie;  peu  domemens,  peu  de  poésie.  Je 
m^ris  du  succès ,  des  formes  âpres  qui  rap- 
pellent l'humeur  souffrante  de  Rousseau  fugitif 
et  vieilli.  CW  que  la  jeunesse  dans  ses  plus  bril- 
lantes années  n'est  pas  toujours  l'âge  où  l'aïaieii 
le  plus  de  fraîcheur  et  d'éclat;  ou  elle  succombe 
sous  ses  propres  richesses,  ou  ses  immenses  désirs 
l'oppressent  jusqu'à  l'étoufTer,  quand  dans  le 


ETUDE 


SUR 


LE  CiRACTERE  ET  LES  OtJVIUGES 


Comme  étude  morale,  les  premiers  ouvrages  de 
Herder  méiiteraîent  seuls  une  haute  attention 
par  leur  étonnant  constraste  arec  ceux  qui  les 
ont  suiyis  et  avec  l'âge  où  ils  ont  été  écril».  Am 
lieu  de  cette  ame  expansive,  qm  plus  tard  ne 
songera  qu'à  se  prodiguer,  un  cœur  aigri ,  fiarnié, 
mécontei^t  de  lui-même  et  des  autres;  au  licïu 
de  ce  calme  antique  quil  répandra  pUis  tard 
sur  tous  les  objets,  une  ardente  polémique  qui 
cherche  à  se  produire,  mais  pleine  de  force  et 
d énergie;  peu  domemens,  peu  de  poésie,  ie 
mépris  du  succès,  des  formes  âpres  qui  rap- 
pellent l'humeur  soufirante  de  Rouleau  fugitif 
et  vieilli.  C'est^  que  la  jeunesse  dans  ses  plus  bril- 
lantes années  n'est  pas  toujours  l'âge  où  l'ame  ji 
le  plus  de  fraîcheur  et  d'éclat;  ou  elle  succombe 
sous  ses  propres  richesses,  ou  ses  immenses  désirs 
l'oppressent  jusqu'à  l'étoufTer,  quand  dans  le 


€8  ÉTUDE 

monde  entier  elle .  ne  possède  qu'une  couronne 
de  fleurs;  ou  elle  s  épuise  à  embrasser  runivers, 
ou  elle  languit  et  se  fane  d  elle-même.  Si  à  cela 
^'ajoute  la  ^détresse ^  une  vie  errante^  un  pain 
anier  et  mouillé  de  larïnes,  plus  elle  se  sent  ornée 
de  mille  cliarmes,  plus  son  abandon  la  navre. 
Dans  cette  première  lutte,  où  le  faible  succombe, 
où  le  fort  reçoit  une  force  nouvelle,  le  génie 
adolescent  cacbe  autant  qu'il  peut  son  coeur 
saignant  sous  la  guirlande  d'immortelles.  Mais, 
quoi  qu'il  fasse,  son  accent  le  ti'abit  et  prouve 
qu'il  est  blessé  jusqu'à  l'amé. 

Sous  cette  expression  imparfaite  et  roilée  se 
découvre  pourtant  le  germe  des  grandes  pensées 
qu'il  développa  plus  ta^d.  Spectateur  passionné 
d'uiie  littérature  naissante',  il  cherche  comment 
ces  premiers  essais  ont  été  modifiés  par  l'imita- 
tion de  l'Orient ,  de  la  Grèce ,  de  Rome ,  des 
tenips  modernes,  et  rassemblant  tout  dans  cette 
première,  vue,,  poésie,  beaux-^àrts,  philosophie, 
il  presse  le  génie  national  de  se  livrer  avec  in- 
dépendance à  ses  propres  voies.  S'il  assiste  à  une 
époque  de  renaissance  ou  de  déclin,  il  ne  le  sait; 
et  de  là  un  mélange  unique  de  plaintes  amèr'es 
et  d'espérances  exaltées.  Ne  rencontrant  nulle 


1  Fragmens  sur  }alitUratttreaUeiaaiid«|  1767.  Feuilles  cri- 
-H^nefi  1769. 


SUR  HERDER.  6d 

prt  ni  monmaenà  consacrés  par  un  respect  hér 
rédilaire,  ni  aucune  des  entraves  du  passé,  sa 
critique  peut  ê^  à  son  gré  large,  6è«,  in- 
domptée,  comme  les  pensées  de  son  âge.  I)éjà 
même  le  grand  arûste  se  trahit  tout  entier  dans 
son  Examen  du  génie  de  k  langue  allemande^ 
Le  sentiment  inné  du  beau  dans  la  parole,  et 
qui  se  découvre  pour  là  prem:ière  fois ,  ses  juge- 
mens  inspirés,  le  ton  du  discours  plus  élevé, 
lame  qui  enfin  s'émeut  et  s'attendrit,  tout  an- 
nonce lui  homme  qui  vient  de  reconnaître  sa 
mission.  En  comparant  avec  orgueil  sa  langue 
à  d'autres  langues,  il  leur  cherclie  à  toutes  une 
rç^e  commune,  et  l'instinct  de  l'écrivain  devient 
en  lui  le  premier  guide  du  philosophe. 

Une  fois  sur  cette  voie,  il  ne  l'abandonne  plus; 
et  puisque  l'humanité  vit  tout  entière  une  et  in- 
divisible dans  chacune  de  ses  oeuvres ,  il  la  ren- 
contre avec  toutes  ses  lois  fondamentales  là  où 
il  ne  croyait  trouver  que  la  théorie  d'un  fait 
isolé.  A  cette  époque  appartient  son  premier 
discours  sur  l'origine  de  la  parole.  Monument 
simple  et  sévère,  dont  les  principes  et  l'ame  de 
l'histoire  font  la  seule  beauté;  là  se  trouvent 
entourés  d'une  éclatante  lumière,  chaque  fait 
primitif  du  monde  civil,  la  puissance  créatrice 
de  l'activité^  libre  opposée  à  l'œuvre  morte  de 
la  sensation 9  l'unité ,  la  progression,  le ^rappcot 


70  ETUDE 

avec  l'espace  et  la  durée;  tout  cela,  îl  est  vrai, 
circonscrit  à  la  sphère  de  la  parole,  n'est  point 
encore  dégagé  de  son  lien  et  formellement  élevé 
k  l'idée  d'essence  génératrice  des  choses  humaines. 
Mais  le  moment  n'est  pas  loin  où  cette  séparation 
se  fera  d'une  manière  éclatante  K  Comme  un 
peintre,  avant  d'entreprendre  le  chef-d'œuvre 
auquel  il  consacre  sa  vie,  dépose  sa  première 
inspiration  dans  une  esquisse,  qui  elle-ijiêmè  est 
une  œuvre  immortelle,  de  même  il  fera  bientôt 
l'essai  de  ces  aperceptions  synthétiques  sur  toute 
rétendue  des  siècles.  Accord  vivant  de  lumière 
et  d'ombre  ^  de  silence  et  de  bruit ,  d'action  et 
de  repos,  l'aspect  pittoresque"  de  l'unité  histor 
rique  voilera  tous  les  autres  de  son  éclat  dans 
cette  soudaine  intuition.  Dé  chaque  point  de  la 
durée  s'élève  un  mélange  de  cris  de  guerre , 
d'hymnes,  de  chants;  un  sourd  retentissement 
de  ruines,  triste,  confus,  inégal  pour  ceux  qui 
y  sont  ensevelis;  mais  plus  harmonieux  pour 
celui  qui  le  domine,  que  le  chant  matinal  de 
l'alouette,  que  le  frémissement  de  l'onde,  que  le 
soufBe  du  vent  dans  la  profondeur  des  forets. 
H  se  représentera  à  lui-même  ce  spectacle  du 
tout  oi^anique  du  ntonde  civil  ;  il  en  tracera  à 
grands  traits  les  contours^  et  les  oppositions;  il 

1  Encore  niié  philosophie  de  Thistoire  de  rhamanité. 


SUR  HERDER.  Ti 

le  divisera  e&  j^oupes,  ou  plutôt  il  fera  le  4é-« 
nofubrem^U  épique  dés  peuples;  et  si,  à  ce  dé*. 
but 9  la  Yue  est  eucora  mal  assurée;  si  une  ardeur 
pasaonuée^  qpi  mâle  et  coufoud  tous  les  tous, 
troubte  la  sérère  ordouBBuce  des  sociétés  hu* 
maines  ;  si  l'eutbousiasise  tumultueux:  de  ja  jeur 
œsse  brise  et  j^r^ipite  la  miarcbe  sole^ïieUe  des 
siècles;  malgré  cela,  heuoreux  géuie,  jouis  en 
pahc  dç  ta  j^mîère  contemplation  ;  q[u'eUe  op- 
presse leoilement  ton  ame  et  s'y  imprime  à  ja* 
mai^;  ^^He  la  &itigue  et  Tépuise.  C'est  le  prit 
de  ta  détinsse  passée  et  le  ffisgs  de  ta  gloire  k 
'venir. 

£n  eâfet,  depuis  ce  jfMt^  quoique  le  tissu  en* 
tier  de  ses  idées  laisse  voir  encore  des  nuances 
Tariées,  il  ne  &it  plus  qu'un  tout  indivisible, 
une  pensée,  une  œuvre.  Un  livre  explique  l'autre, 
et  ce  qui  a  été  pressenti  dans  l'adolescence  est 
cmifirmé  par  l'âge  mur.  Non -seulement  cela, 
mais  la  loi  même  de  son  esprit  se  confond  avec 
la  progression  bistorique  de  rbiunanité  qu'il 
vient  de  reconnaître.  On  s'étonne  de  la  puis^ 
satme  avec  laquelle  cette  ame  se  laisse  subjuguer 
et  absorber  par  le  génie  des  temps  passés,  au 
point  d'oublier  avee  eux  ses  professions  de  foi 
les  plus  cbèites ,  et  de^  passer  à  leur  gré  du  sen*^ 
sualisme  an  ^iritualisme ,  de  la  croyance  au 
doute  et  du  doute  à  la  foi ,  saïUT  commotion  f 


72  ÉTUDE 

safts  révolte ,  sans  presque  auqwe.  impression 
de  changement.  Tout  au  présent  j  toujours  çkan- 
jgeant,  toujours  imprévoyant,  Jes  uns  l'appellent 
épicurien,  les  autres  platonicien;  la  vérités  est 
qu'il  cède  au  cours  des  âges.  A  l'extrémité 'des 
temps,  il- reprend  seul  patiemment  et  lentement 
la  carrière  entière  du  genre  humain,  et  dans  sa 
marche  séculaire  ^  changeant  de  contrées ,  de 
patrie,  d'images  et  de  cultes,  à  mesure  que  lui- 
nxême  il  change  d'âge,  l'ordre  qui  nous  est  im- 
posé dans  l'examen  de  ses  œuvres ,  est  le  même 
dont  la  nature  a  marqué  dans  l'univers  la  suc- 
cession des  temps.  Au  sein  de  ceâ  forpies  colos- 
sales, oubliant  le  jour  et  les  saisons ,  ne  réglant 
^lus  sa  vie  que  sur  les  périodes  de  la  vie  uni- 
verselle ,  sa  rêverie  ée  prolonge ,  se  berce ,  se  ire- 
nouvelle  au  bruit  monotone .  et  pçrmanei(t  du 
pendule  des  siècles;  Aussi,  reteiiu  imprudan- 
ment  en  Orient,  était-il  trop  tard  lorsqu'il  ar- 
riva chez  les  peuples  modernes.  Il  fallut  se  hâter 
vers  le  term|,  et  laisser  son  œuvre  inaccomplie. 
-  En  rentrant  dans  la  philosophie  de  l'histoire, 
la  première  question  qui  se  pr^nte  à  nous,  est 
celle  des  origines  humaines  ;  et  si  nous  avons 
essayé  autre  part  ^  de  montrer  combien  la  solu- 
tion de  uQtre  auteur  était  ailleurs  incomplète, 

nous  le  retrouvons  ici  laborieusement  occupé  à 

—       -  -  •  — — 

i  '   ■  ■ .     .   .      ... 

1  Yoyes  rintro4ttctiob ,  p.  a6. 


SUR^HERDER.  7S 

cùmhier  cet  abtme.  Noa  une  fois,  non  èent  fois» 
en  portant  nos  regards.. yers .ces  premiers  âges, 
alor»  que  la  vie  enfantait  de  toutes  parts  de 
nouveaux  prodiges ,  si  nous  demandions  où  était 
alors  le  roi  de  la  création,  il  nous  semblait  mer** 
veilleux  qu'on  nous  le  montrât  retiré  dans  les 
ténèbres  au  fondée  quelque  antre  inaccessible, 
dans  toute  l'abjection  de  la  misère,  sans  nul 
pressentiment  de  'sa  destinée  future.  Plus  nous 
considérions,  sur,  son  lit  de  roseau.,  ce  roi  tel 
qu'ils  l'ont  fiiit^sans  voix,  sans  ame,  sans  mé- 
moire ,  ni  désir ,  moins  nous  concevions^  .com- 
muât, sans  cbanger  ni  de  forme,  ni  d'être,  sans 
nul  intervalle  appréciable  /lont  il  ait  conservé 
le  souvenir,  nous  le  trouvions,  l'instant  diaprés, 
plongé  dans  cq  ravissement  de  l'infini  qui  éclate 
dans  tout  l'Orient,  aussi  loin,  aussi  tôt  que  la 
vue  peut  y  atteindre.  Lui  que  je,  viens  de  laisser 
dans  le  sommeil  de  l'imbécillité ,  qui  lui  a  donné 
ces  vastes  dieux  qu'il  trace  sur  le  sable ,  et  dont 
ma  pensée,  après  tant  de  milliers  d'annéedj  a 
peiije  à  mesurer  l'immensité  ?  Quelle  visioîi  l'a 
sorti  de:  son  sommeil  et  l'a  jeté  dans  ce  délire? 
Ajoutez  à  cela  que  l'bistoire,  dans  son  .ensemble 
ainsi  que  d^ns  ses  parties^  nous  apparaissait  tout 
.entière  comme  ime. vaste  et  éternelle  déduction 
.du  général  au  particulier;  c'est  le  travail  du  moi 
qui  8e.£stit  jour:  peu  à  peu,  se  dégage  par  degrés 


U  ÉTUDE 

de  ceqm  lut  est  étranger^  et  ai^pire  à  se  prodtiîirt 
:som  sa  forme  k  plus  libre.  Semblable  au  sta^ 
tuaire  qui  dépouîMe  sou  bloc  de  marbre  jusqu'à 
ce  qu'il  reeonuaisse  à  la  lumière  les  traits  qu'il 
contemple  eu  lui-même,  la  persoiinalitf  de 
l'bomme  au  seia  de  l'univers  tend  à  se  circons^ 
crire  pcmr  se  fortifier ,  brisant  avec  les  siècles 
un  assemblage  qui  renaît  avec  eux,  toujours  di- 
Tisé  et  toujours ,  indestructible.  D'abord  plongé 
au  sein  du  monde  cosmique ,  il  étend  son  être 
sur  l'espace  et  la  durée  sans  bornes.  De  son 
souffle  de  vie  il  anime  les  cieui^  errans,  les  vasles 
mers.  Cest  Empedocle  qui  agite  des  mouvetaieiis 
prédpitsés  dé  son  sein  la  eime  des  monts ,  les 
Toutes  des  fiarets,  ie  oomv  des  fleuves.  Daas  ce 
premiel*  culte,  embrassant  tout,  adorant  tout, 
n'oubliant  que  lui-même,  il  a  une  cosmog<mie, 
une  théogcmie,  et  point  d'bistoite..  Cest  l'Inde 
et  rOrient,  sitôt  qull  apparaît.  De  l'univers  il 
descend  aux  empièes,  auxquels  son  être  est  si 
hi&i  atfacbé  qu'il  n'est  rien  que  par  eux  ;  sans 
Ibrce,  sans  valeur,  presque  sans  nom^  soit  que 
de  vastes  générations  se  confondent  sous  vue 
seule  p^-sonne,  soit  que  hii-méme  il  ne  puisse 
se  distinguer  dans  ses  prièvfs  aux  dieoai.  C'est 
la  Médie,  la  Perse,  l'Egypte  et  FAssyrie.  Des 
empires  H  retombe  par  degrés  sur  lui -même, 
quoique  son  moi ,  eneoK  à  à&B^i  ooofoad»  9lv9c 


SUR  HÈRDER.  75 

h  cité,  n'emprunte  encore  que  d'elle  sa  valeur 
et  son  indépendance.  La  icité  se  brise  avec  la 
Grèce,  avec  Rome,  et  son  moi  restant  seul,  dé* 
pouillé  du  signe  qui  en  cachait  la  grandeur  ab- 
solue, découvre  ^i4ui-même  un  infini  plus  vaste 
que  le  premier  qu'il  vient  de  parcourir.  C'est 
l'univers  chrétien.  Cet  infini ,  il  le  divise  encore, 
aspirant  après  des  siècles  à  ne  relever  que  de 
soi.  Cest  la  réforme,  c'est  le  cartésianisiae  et  ce 
qui  en  est  la  suite,  o'est  l'héritage  de  la  féodalité 
et  l'avenir  que  j'ignore. 

Ne  pouvant  donc  concilier  dans  l'humanité 
cette  marche  synthétique  dont  l'histoire  fait  foi , 
avec  cette  ^étroite  et  presque  imperceptible  ori- 
gine qifils  assignent  gratuitement  à  son  cours, 
ne  trouvant  entre  ces  choses  aucun  rapport  lo- 
gique, également  incapable  de  les  accorder  et 
de  les  nieri  je  flottais  dans  une  amère  perplexité  J 
et  si  l'homme  me  troublait  parce  qu'il  meurt, 
il  ne  me  troublait  pas  moins  parce,  qu'il  naît, 
ne  me  laissant  de  lui  par-delà  le  berceau  et 
par-delà  la  tombe  qu'une  ombre  fugitive  dont 
je  ne  puis  même  assurer  qu'elle  est,  ni  où  elle  est 

Tel  était  mon  état  d'ignorance,  lorsque  je  lus 
tmin-  1a  nrAmiÀm  fois  Fun  des  écrits  ^  de  Hèrder 


1  Archives  primitives  de  respèce  humjdne  (Aclieste  Urkundc 
des  MenschengeschleGhts  }  y  1 7  7  S . 


76  ÉTUDE 

ks  plus  importans  à  toits  égards,  et  peiit-étré 
Êiut-il  s'y  replacer  pour  apprécier  dignement  la 
liardiesse  et  la  grandeur  de  cet  essai.  Du  centre 
de  l'Orient,  il  étend  son  regard  sur  toute  cette 
terre  de  prodige  et  cherche  à  travers  les^  débris 
des  traditions  nationales  les  vestiges  du  premier 
^it  psychologique  de  rhumanité  naissante.  Des 
doctrines  du  sabéisme,  du  mbsaïsme,  des  reli* 
gions  de  la  Perse  et-  de  l'Egypte,  des  traditions 
i^rsés  de  la  Phénicie,  de  la  Thrace,  et  des  sôù- 
venîrs  des  écoles  d'Ionie,  il  reconlpose  le  premier 
moi  du  ^enre  humain.  Impression  de  poésie  et 
de  génie,'  enthousiasme  du  premier  né,. puissance 
sublime  dans  son  apparent  délire,  et  que  ne  peut 
inetracer  que  celui  qui  de  nos  temps  est  encore 
sous  son  joug.  Tout  dort  dans  les  ténèbres  prir 
mitives.  Au  bord  du  chaos,  sur  l'arbre  qui  vieat 
de  naître ,  Foiseau  repose  encore  la  tête  pliée 
^oiis  son  aile,  pendant  que  le  monde  civil  de- 
meure enseveli  au  fond  de  l'abîme  éternel.  Enfin 
il  paraît ,  l'esprit  de  vie ,  et  nous  assistons  à  la 
première  leçon  que  Dieu  fait  entendre  à  Thomme 
par  le  langage  de  l'univers.  Sa  voix  retentit  par 
Forgàne  de  la  nature  entière,  et  le  premier  rayoïi 
de  lumière  est  la  première  révélation.  De.  même 
que  dans  les  déserts  d'Egypte  la  statue  de  Mem- 
non  résonne  aux  premières  heures  du  jour,  ainsi 
la  pensée  de  l'homme,  atteinte  et  ébranlée  par 


SDR  HBRDER.  77 

l'apparition  de  YnnivevB  visible,  y  répond  par  une 
soudaine  harmonie  de  syjnboles  et  d'idçes,  de 
cultes  et  d'images ,  fidèle  écho  du  Dieu  cosmique 
Or;  nul  écrivain  n'a  représenté  plus  au  vif  cette 
intuition  de  l'homme  sur  le  monde  naissant  Je 
ne  sais  quel  nom  donner  à  cette  psychologie  qui 
découvre  Funivers  entier ,  l'espace  et  la  durée 
sans  bornes  cachés  et  renfermés  sous  chacune 
des  aperceptions  primitives  du  genre  humain^. 
Cette  unité  sans  limites ,  qui  s'appeUe  Infini ,  ap- 
paraît successivement  à  Thomine  sous  des  faces 
diverses; mais  toujours  entière,  toujours  indivis 
sible,  c'est  d'dle  que  naît  toute  foi,  toute  science. 
Uabord  elle  est  son  Dieu,  d'où  sortiront  ave;G 
les  âges  tous  les  dieux  qu'il  connaît.  Bientôt  il 
réfléchit  dans  ses  actes  l'œuvre  de  la  création , 
qui;  devient  le  premier  type  d'institution  çivila 
Puis  il  veut  la  peindre  aux. yeux,  et  ce  symbole 
devient  son  premier  sijgne;  il  veut  la  faire  re- 
tentir à  ^n  oreille,  et  voilà  le  pi^mier  accent 
de  sa  parole ,  l'origine  de  toute  langue,  die  toute 
écriture,  de  tout  monument.  J'ai. même  tort.de 
distinguer  ainsi  dans  cette  rapide  contemplatioa 
ce  qui  fut  en  soi-même  indivisible  comme,  le 
tout  qui  lui  servit  d'objçt  ;  car  telle  fut  cette 
première  intuition  qui  précède  et  contient  toutes 
les  autres.  De  l'Orient  à  l'Occident,  celles  qui 
l'ont  suivie  n'en. sont  que  des  jpr^ginens  épars^ 


78  ÉTDDE 

desniioes  mutilées.  Et  nous,  qui  Toybnft  dans 
son  enfstnce  le  genre  bumain  se  peindre  sou3 
mille  formes,  Tunivers  <^i  rentonre,  s'en  &ire 
djes  emblèmes ,  de  puériles^  images  qu'il  susp^id 
à  son  cou,  qu'il  ^ave  mxr.soa  tombeau,  quand 
même  nous  ne  saurions  rien  de  ce  qui  a  suivi, 
nous  nous  informons  de  aa  destinée;  nous  de^ 
mandons  comment  ont  fini  de  tels  jeux,,  et  ce 
qu'est  devenu  l'élève  du  Centaure  f 

A  cette  question  répond  le  livre  de  h^  poésie 
hébraïque  9  puisqu'il  comprend  dans  son  en- 
semble tout  le  développement  du  génie  oriental» 
Avant  Herder,  quand  le  sage  Lowtk  veut  pé« 
nétrer  dans  la  p^sée  du  peuple  de  Moïse,  il 
(X)mmen€e  par  V^^tourer  d^uaie  bibliothèque  de 
Irrares  grecs ,  puis  a  rechercher  dans  quelle  ca- 
tégorie d'Aristote  il  placera  les  lameoit^tions  de 
Jéremie,  où  sont  les  trois  unités  du  drame  de 
Job^  si  les  psaumes  sont  des  idylles  pu  des  di- 
thyrambes. Voilà  l'érudit,  voyons  le  poète. 

Deux  jeunes  amis  se  Kuilissent  avant  le  lev^r 
du  soleil  sur  le  sommet  d^une  montagne.  L'obs- 
curité qui  les  enveloppe  encore  à  demi ,  mais 
qui  fuit  par  degrés,  ce  souffle  fnais,  pénétrant 
des  heures  qui  précèdent  le  jour,  cette  renais^ 
sance  graduée  de  toUs  les  objets,  éveille  malgré 
eux  dans  leurs  âmes  la  pensée  des  premia*s  jours 
du  mondes  Eux-mêmes^  en  sentant  dans  leurs 


SUR  HERDER.  VS 

Goeiir»  ce  dour  réveil  de  toutes  choses,  croient 
retrouTcr  ayec  faube  les  premières  impressiong^ 
de  Hitunanité  à  son  berceau.  Lorsqu'enfin  la 
dernière  étoile  a  disparu,  et  que  la  chaleur, 
comme  le  souffle  de  yie,  commence  à  pénétrer 
k  trayers  les  feuilles  humides  de^  bois,  il  s'élère 
du  fond  de  leurs  âmes  un  cantique  de  grâces  à 
l'Auteur  des  choses.  Au  milieu  du  ravbsement 
où  les  plongent  ces  premières  heures  d'innocence 
et  d'inspiration,  ils  commençait  à  s'entretenir 
de  la  poéisie  hébraïque.  Mais  alors ,  intimement 
unie  au  spectacle  du  lever  du  jour,  elle  en  est 
le  dernier  acte.  C'est  l'hymne  de  l'humanité 
naissante  qui  célèbre  à  son  tour  l'Auteur  de  la 
création,  après  que,  pour  l'adorer,  les  arbres 
ont  incliné  leurs  cimes  et  que  la  fleur  des  champs 
s'est  penchée  sur  sa  tige.  Ainsi  l'écrivain  tire  la 
critique  littéraire  de  la  poussière  des  livres  et 
des  académies,  pour  l'étendre  sur  les  herbes 
odorantes  des  vallées,  sur  le  rideau  des  forets^ 
sur  l'azur  des  lac^,  sur  les  eaux,  sur  la  terre, 
dans  le  ciel.  Il  appelle  tout  l'univers,  potu*  com<^ 
menter  quelques  paroles  échappées  au  cœur  des 
hommes,  et  nous,  qui  pensions  lire  la  disserta* 
tion  d'un  rhéteur,  n6us  ne  rc^ncontrons  le  plu$ 
souvent  qu'un  chant  de  Milton,  qu'un  dialogue 
de  nos  premiers  pères  soûs  les  berceaux  d'Eden. 
L'ouvrage  comm^euce  par  des  observations  swt, 


82  ÉTUDE 

harpes  éoliennes  suspendues  dans  une  foret  ne 
répètent  pas  plus  fidèlement  les  soiis  que  le  vent 
leur  apporte.  Sans  presque  aucun  concours  actif 
de  leurs  âmes,  ils  réÛéchissent,  non  pas  seule- 
ment les  scènes  imposant^  de  la  création ,  mais 
tout  ce 'qui  arrive  jusqu'à  eux,  le  bruit  dune 
eau  lointaine,  les  derniers  rayons  d'une  étoile, 
la  fleur  qui  s'entr'ouyre  au  matin,  la  rosée  que 
leurs  pas  ont  foulée;  et  tout  cela  devient  aussi- 
tôt ,  sans  effort ,  sans  artifice ,  sans  réflexion , 
comme  par  l'essénjce  seule  de  la  pensée  humaine, 
autant  de  symboles  ou  ^'î^^^g^^  ^^  sîentiment 
religieux.  Cette  poétique  d'une  fotme  nouvelle- 
imite  ainsi  le  mouvement  de  la  rêverie.  Le  vent 
qui  soufile  dans  les  arbres,,  la  pluie  qui  tombe 
au  fond  de  la  vallée,  le  tonnerre  qui  roule  au 
loin,  retentissent  dans  la  pensée  des  deux  con- 
templateurs, traversent  avec  elle  toute  retendue 
des  âges,  et  vont  expirer  par  degrés  sou^  les 
tentes  de  la  Mésopotamie  et  sur  les  tombeaux 
des  patriarches.  L'objet  qui  frappe  le  sens ,  le 
retour  personnel  sur  une  affection  privée.  Té- 
branlement  qui  se  communique  au  fond  de. 
l'ame  et  y  réveille  l'homme  primitif,  et  avec  lui 
les  anciens  jours,  lés  anciens  peuples^  le  premier 
jcultç,  le  premier  hy mine,  se  confondent  dans 
une  seule  et  même  impression  prolongée  a  Fin- 
fi]3ti..  Il  en  résulte  que  les  antiques  traditiolis 


SUR  HERDER.  «S 

d*Âbra1iam ,  de  Moïse ,  de  David ,  dTsale  sem- 
blent jaillir  pour  la  première  fois  du  cœur  de 
l'homme  avec  toute  la  fratcheur  d  une  création 
soudaine.  Incroyable  puissance  de  l'ame,  qui 
n'a  besoin  que  de  se  recueillir  en  elle-même 
pour  retrouver  dans  ses  profondeurs,  par-delà 
ces  vagues  chimères  et  ce  secret  ennui  qui  en 
effleurent  la  surface,  les  trésors  et  les  ruines. des 
anci^s  âges;  je  ne  connais  que  ce  livre  qui 
l'ait,  non  pas  observée  ou  mesurée,  mais  aperçue 
de  loin  et  par  instinct 

Dans  toute  la  poésie  orientale ,  le  paradis  est 
l'idéal  du  bonheur  de  l'homme.  Premier  rêve 
de  la  jeunesse ,  terre  des  fables ,  où  les  peuples 
de  l'ancien  monde  ont  placé  leurs  chimères  et 
l'accomplissement  de  leurs  désirs ,  là  sont  leurs 
puit^  d'espérance  illimitée  et  leurs  premiers  re- 
grets. Mais  tout  ce  charme ,  n'est-ce  qu'un  songe, 
et  l'histoire  entière  de  l'humanité  n'est-elle  pas 
cachée  sous  ces  mythes?  Outre  cette  terre  d'il- 
lusion, il  en  était  une  autre  plus  particulière- 
ment propre  au  génie  hébraïque,  et  dont  les 
peuples  de  l'Europe  ne  semblent  avoir  eu  au- 
cune idée.  Règne  sans  forme,  sans  lumière  et 
sans  vie ,  ce  n'est  pas  le  néant ,,  ce  n'est  pas  en- 
core l'Etre.  Région  des  ténèbres,  que  les  créa- 
tures habitent  avant  de  naître,  les  âmes  des  en- 
fans  y  flottent  endormies  jusqu'à  ce  que  le  soui&é    ' 


84  ÉTUDE 

de  Dieu  ^es  appelle  sur  terre.  Là  repose  Féter- 
nelle  nuit  en  attendant  le  matin,  et  les  jours  se 
réjouissent  quand  ils  sont  évoqués  pour  faire 
partie  du  cercle  de  l'année.  Cet  empire  a  son 
roi ,  et  dans  ses  insaisissables  limites  il  ne  pré- 
sente pas  à  rimagination  m;oins  de  merveilles 
que  les  nuages  des  Scandinaves  „  ou  que  les  mys- 
tiques visions  du  m.oyen  âge  ;  c'est^-dire  que  le 
monde  poétique  àes  Hébreux  s'étiend  par-delà 
la  naissance /comme  celui  des  autres  peuples 
par-delà  la  mort,'  dans  l'idée  de  la  survivance 
de  Tame.  D'ailleurs  un  chapitre  entier  de  ce 
livre  est  destiné  à  démontrer  qu'il  n'est  pas  vrai 
que  cette  tribu  du  genre  bùihâin  ait  méconnu 
la  croyance  de  l'immortalité..  Cachée  sous  les 
îdiotismes  de  l'Orient,  elle  est  seulement  plus 
circofascrite.  L'essence  de  Fhomme  vient  de  FÉ- 
tjemel  et  y  retoiu-ne.  Le  souffle  de 'Dieu -qui  Fa- 
nime  est  le  Fils  de  Dieu ,  mais  un  fils  déchu , 
fait  pour  souffrir  et  défaillir  sans  cesse.  Victime 
du  monde,  il  ne  revient  pas  sur  tçrr^;  il  vit 
dai^s  le  tombeau,  sans  voix  et  sans  figure.  Quel- 
ques favoris  du  eiel,  Hénoch,  Elie,  Abraham, 
vont  seuls  dans  Fhabitation  de  leur  ami  céleste, 
chercher  Un  meilleur  pays  de  Canaan. 

Enfin ,  de  la  même  manière  que  nous  avons 
vu  Fidée  de  Jéhovah  personnifiée  dans  toutes 
lès  scènes  de  la  nature  visible,  il  fendrait  re;: 


SUR  HERDEll.  85 

dierohér  comment  cette  même  ccojance,  réflé- 
chie dans  le  champ  des  actions  humaines,  a  £8iit 
de  chaque  événement  de  l'histoire,  de  chaque 
détermination  individuelle,  un  mythe  de  la 
Providence,  un  symbole  de  l'Étemel,  non  moins 
frappant ,  non  moins  vivant  que  Tarc-en-ciel 
dans  le  déluge,  que  le  buisson  ardent  de  Moïse, 
ou  que  les  cimes  déchirées  du  mont  Thabc»*. 
L'histoire  d'Abel,  cette  humble  fleur  teinte  de 
sang,  est  la  manifestation  de  sa  justice;  la  ruine 
de  Babel,  le  symbole  de  sa  puissance;  le  sacri^ 
lice  d'Abraham ,  le  type  de  toute  l'alliance ,  le 
gage  d'une  amitié  pesante;  la  lutte  mystérieuse 
de  Jacob ,  le  signe  de  la  domination  de  sa  race 
qui  n'aura  rien  à  redouta:  d'Esaû ,  puisque  sou 
chef  a  vaincu  Élohim  par  son  bras,  Jéhovah 
par  ses  prières. 

Mais,  moi-même,  je  me  lasse  d'analyser  ce  qui 
ne  peut  pas  l'être.  Quand  j'aurais  suivi  les  mille 
détours  de  cette  marche  inégale  et  cent  fois  in- 
terrompue, quand  j'aurais  recueilli  le  souvenir 
de. tous  les  objets,  de  tous  les  faits,  de  leurs 
formes,  de  leurs  couleurs;  quand  je  n'aurais  pas 
oublié  une  seule  de  cette  foule  d'observations 
sur  les  institutions  publiques  et  privées  ^u 
peuple ,  sur  le  caractère  de  ses  che& ,  sur  la  vie 
et  la  mission  de  ses  prophètes,  une  seule  des 
explications  de  ses  mythes,  que  serait-ce  que 


86  ÉTUDE 

tout  cela ,  qiiWe  œurr^  .&iiS6e ,  une  œurre 
morte  ?  Ce  qu'il  faudrait  moatrer ,  c'est  un 
homme  de  l'Occident,  dont  la  pensée  ne  se  dé- 
veloppe en  liberté  que  sous  le  ciel  de  FOriçnt. 
Échappé  à  ces  tristes  régions  où  il  ne  respira 
jamais  à  Taise ,  il  s'en  va  de  FÉgypte  à  la  Judée 
sans  bu,t  bien  apparent,  s'arrêtant  où  il  lui  plait, 
jouissant  avec  extase  de  respirer  après  une  longue 
absence  le  souffle  de  sa  teire  natale.  Il  va  dé- 
l*ouler  sa  bible  sur  le  mont  Oreb,  ou  prè*  d'une 
citerne  de  l'Idumée,  ou  sur  les  fleuves  dé  Baby* 
lone;  il  va  dans  le  désert  chercher  les  cendres 
de  Job.  Avec  cela,  il  est  remarquable  que  ce 
n'est  point  une  ame  solitaire.  Il  ne  s'enfuit  pas 
à  l'écart  pour  mieux  jouir  de  son  culte  :  et  nous 
qui  sommes,  mal  préparés  à  de  tels  flots  de  lu- 
mière, nqus  trouverons  toujoxws  qu'il  ne  con- 
nais point  assez  des  secrets  de  l'homme  intérieur. 
Mais  en  y  mieux  pensant,  voilà  pourquoi  il  pa- 
raît parmi  nous  comme  un  envoyé  de  l'antique 
Orient ,  apportant ,  avec  le  j^arfum  des  temps 
passes,  l'encens  de  la  Perse,  l'or  de  lln.dus  et 
la  myrrhe  de  l'Arabie.  Une  marche  irrégulière, 
quoique  majestueuse  et  grave,  une  éternelle  jeu- 
nesse, un  pedt  nombre  d'idées  simples,  siir  les- 
quelles il  revient  incessamment  avec  un  éclat 
toujoiu*$  nouveau,  rendent  ce  rapport  plus  frap- 
pant  Quand  nos  écrivains  orientalistes,  à  la 


SDR  HERDER.  87 

tête  desquels  est  Bossùçt,  sont  le  mieux  inspira, 
ils  ne  peuvent,  quoi  qu'ils  fassent ^  se  dépouiller 
des  sombres  pensées  des  temps  modernes,  et  sous 
la  tente  des  patriarches  ils  portent  tous  les  sou- 
cis des  sociétés  vieillies:  Au  contraire,  s'il  est  un 
spectacle  à  la  fois  doux  et  ravissant,  c'est  un 
homme  qui  a  cent  fois  recueilli  dans  son  ame 
Je  souvenir  dés  siècles  passés ,  sans  qu'ils  aient 
seulement  effleuré  de  leurs  triâtes  atteintes  le 
premier  rêve  de  sa  jeunesse.  Cent  fois  les  ruines 
des  empires ,  les  harpes  des  peuples  exiléç  se  sont 
i^échies  dans  Fazur  de  ce  fleuve  limpide  où 
ne  paraissent  plus  que  le  ciel  solitaire  d'Abra- 
ham, le  palmier  de  la  .Mésopotamie  et  la  cruche 
•de  Rebecca. 

Ajoutons  néanmoins  une  considération  qui 
nous  a  toujours  frappé.  Herder  excelle  à  peindre 
les  peuples  dans  leurs  rapports  extérieurs.  Nul 
ne  décrira  mieux  Finflueiice  sur  eux  de  la  na-* 
ture  visible^  il  n'y  aura  pas  dans  le  lieu  une 
circonstance,  une  image,  dàn$  le  temps  une  tra- 
dition, un  souvenir  qui  nesoient  hem*eusement 
placés  pour  éclairer  le  passé  de  sa  lumière  vé- 
ritable. Est-ce  là  tout?  il  y  a  peu  d'espoir  qu'il 
soit  jamais  surpassé  dans  telles  parties  qu'il  nous 
serait  facile  d'indiquer.  Mais  cette  méthode,  la 
seule  convenable  pour  l'univers  des  Pline  et  des 
BufTon,   sç   trouve  singulièrement  incomplète 


88  ÉTUt)E 

quand  îl  s'agît  de  riiumamté.  Outre  ce  ciel  qtri 
s'étend  autour  d'elle,  outre  ce  chaos  d'événediens 
étrangers  qui  s'en  détachent  avec  les  âges,  il  est 
un  autre  objet  qu'elle  contemple  incessamment, 
qui  réagit  sur  elle  d'une  manière  plus  continue, 
plus  immédiate;  car  cet  objet,  c'est  elle-même. 
Or,  ce  rapport  réfléchi,  cette  attitude  des  peuples 
qui  se  prennent  eux-mêmes  pour  objet  dé  leui-s 
pensées,  à  la  fois  acteurs  et  spectateurs^  dans  ce 
long  monologue  où  l'^inivers  reste  muet,  sont 
autant  d  aspects  auxquels  il  ne  s'est  point  attaché. 
A  travers  ces  formçs  éclatantes ,  sous  lesquelles 
il  fait  revivre  les  nations ,  rarement  arrive-t-il 
jusqu'au  moi  intimé  et  permanent  du  genre  hu- 
main.  Même  lorsqu'il  exapiine  ce  qui  semble 
appartenir  de  plus  près  à  son  essence,  ses  insti- 
tutions, son  génie  et  ses  diverses  créations,  c'est 
encore  comme  autant  *  d'influenxîes  étrangères, 
déjà  tombées  dans  lé  domaine  de  la  nature,  et 
seulement,  pour  parler  avec  l'école,  sous  le  point 
de  vue  objectif.  Ainsi,  pour  mieux  préciser  notre- 
îdée ,  nous  demanderons  si ,  pour  le  peuple  hé- 
breux, il  était,  il  pouvait  être  un  spectacle  plus 
poétique  que  lé  peuple  hébreux  lui-m^ême?  L'hu- 
manité n'a  présenté  qu'une  fois  l'image  étrange 
de  ce  rêve  prolongé  de  tout  un  peuple ,  qui ,  les 
yeux  ouverts,  et  que  l'on  croirait  dans  la  veille, 
mais  au  reste  sans  rien  voir,  sans  rien  entendre, 


SUR  HEKDER.  89 

sans  que  les  pierre»  aiguës  qui  ensaiiglanteutses 
pieds  puissent  le  tirer  de  son  profond  sommeil  v 
est  entraîné  à  chaque  pas  dans  un  abime  et  croit 
monter  les^  degrés  d'un  trône.  Pendant  que  là 
Perse  triomphe,  que  la  Grèce  ivre  de  joie  court 
à  ses  olympiques,  et  que  Rome  naissante  laboure 
en  paix  les  champs  du  Latium ,  où  va-t-il ,  ce 
favori  du  ciel,  qui  lui-même  s'appelle  le  roi  des 
peuples?  Les  mains  liées,  comme  xin  vil  crimi- 
nel ,  il  traverse  le  désert  sous  la  garde  de  quel- 
ques archers  dii  Taurus^  Or,  ce  long  rêve  avait 
ses  intervalles;  quand ^  s'arrétant  près  des  ci* 
ternes,  ou  sur  les  fleuves  de  Babylone,  le  peuple 
élu  apercevait  son  image  qui  se  lamentait  au 
fond  de  l'eau;  au  lieu  de  la  mitre  et  du  sceptre, 
sa  tête  courbée  sous  le  poids  du  jour,  ses  mem- 
bres meurtris  par  la  verge  et  les  fersi  Alors, 
jusqu^à  fie  que  le  charme  revint  j  s'élevait  un  cri 
de  détresse,  tel  que  jamais  l'Orient  ni  l'antiquité 
tout  entière  n'en  firent  entendre  de  semblable. 
De  là  jdans  cette  poésie  deux  caractères  frappans, 
doùt  le  monde  extérieur  ne  peut  ejtpliquer  qu'un 
seul.  Les  illusions,  la  foi  du  premier  âge,  ses 
innocentes  fables,  sa  douce  paix,  ses  naï&  récita; 
et  avec  cela  une  connaissance  précoce  du  mal- 
heur,  une  proîondem*  de  regi'Cts,  qu'ont  à  peine 
réproduites  au  milieu  ^^s  sociétés  modernesr  le 
Dante,  Shakespeare  et  Bossuet.  Ce  sont  les  traits 


*      / 


90  .       ÉTUDE 

de  l'adolesoenoe  et  presque  de  TenÊmce;  mais 
OÙ  est  r^tée  l'empreinte  d'une  douleur  trop  poi- 
gnante pour  cet  âge  ?  Encore  si  Jeune ,  la  poésie 
hébraïque  eu  a  été  mortellement  atteinte;  et 
quoiqu'elle  ait  lès.  mêmes  goûts  que  ses  sœurs 
d'Orient ,  quoiqu'elle/  fasse  partie  d'un  toême 
ehœur ,  passionnée  comme  'elles  pour  les  fables, 
les  contes,  \eé  chants  et  les  danses,  il  reste  dans 
son  accent  et  sa  démarche  une  ineffaçable  marque 
de  souf&ance  et  de  deuiL 

Le  génie  de  l'Orient  ainsi  étudié  dans  ses  tra- 
ditions et  sa  poésie,  vient  le  moment  de  l'exa- 
miner dans  les  ruines  de  ses  édifices  ^  et  rarchéo- 
logie  de  Herder  pourrait  nous  arrêter  long- 
temps K  Sans  se  laisser  préoccuper  d'aucune  idée 
particulière,  ayec  toute  l'imprévoyance  du  poète, 
il  va  s  asseoir  sur  les  débris  d'un  monument  et 
le  laisse  agir  sur' son  intelligence  et  s'expliquer 
lui-même.  Comme  si  son  moi  était  réellement 
confondu  avec  celui  du  genre  humain ,  ce  spec- 
tacle n'éveille  en  lui  que  des  idées,  des  formes 
pi^opres  a  tel  lieu ,  à  tel  ^emps  ;  et  pendant  que 
l'histoire  des  Acheménides ,  des  Parthes ,  des  Sas- 
sanidés,  de  leurs  cultes,  de  leurs  symboles,  jaillit 
de  sa  pensée,  vous  diriez  le  récit  d'un  vieillard 
qui  revoit  les  lieux  où  il  est  né.  Non-seulement 


1  Lettres  sur  Persepôlis. 


L/ 


SUR  HERBER.  H 

ce'fîit  lui  qui  le  premier  en  Allemagne  appela 
lattention  des  arcbéologues  sur  les  ruines  de 
Persëpolis,  mais  il  en  donna  une  explication 
historique  que  la  science  semble  avoir  adoptée. 
Appuyé  sur  le  prophète  Daniel  et  l'Homère  per^ 
San,  Ferdousiy  il  pénètre  à  travers  ces  colonnes  » 
rend  la  vie  à  ces  bas-reliefs,  aux  animaux  fabu- 
leux leur  sens  moral,  aux  personnages  leur  ca-» 
ractère  traditionnel,  et  découvre  sur  ces  totn- 
beaux,  le  symbole  des  institutions  primitives  de 
la  Perse,  et  1  apothéose  de  son  roi  idéal,  Dschem-* 
schid.  Peu  d'écrivains  ont  dévoilé,  avec  plus  de 
hardiesse  les  rapports  des  mythes  de  la  Judée 
et  de  la  Perse;  en  retrouvant  dans  les  visions 
des  prophètes,  confuses  et  mutilées,  ces  mames 
figures  qui  sont  gravées  ça  et  là  sur  le  marbre, 
on  croit  entendre  un  interprète  expliquer  les 
images  incohérentes  d'un  songe  par  le^  appari- 
tions ^  la  veille.  A  mesure  que  le  passé  se  ré- 
vèle à  lui  sous  de  nouveaux  aspects,  il  donne 
1  éveil  à  la  science,  il  lui  trace  sa  taphe  de  chaque 
jour,  il  trouble  la  paix  des  érudits  par  une  fpule 
de  problèmes  où  l'Orient  et  l'Occident  sont  ren- 
fermés. Depuis  ce  temps,  histoire,  mythologie, 
beaux- arts,  pas  un  livre  remarqiMible  sur  ces 
sujets  ne  l'a  suivi  et  dépassé  où  l'on  ne  sente 
plus  ou  moins   immédiatement   son   influence 
créatrice.  JPour  parler  sa  langue,  il  ressemble  à 


«2  ÉTUDE 

ce  lotus  sacré  des  védàs  qui ,  balance  çà  et  b 
sur  les  eaux  primitives,  porte  au  loin  dans  son 
fipèle  calice  tout  un  univers  naissant. 

Outré  ses  nombreuses  imitations  de  l'antho- 
logie orientale  et  classique  dans  lesquelles  édâte 
au  plus  haut  degré  le  Sentiment  de  ce  qu'il  y  a 
de  plus  délicat  et  de  plus  insaisissable  dans  l'exis- 
tence poétique  des  peuples ,  ses  études  'sur  la 
Grèce  embrassent  tout  le  cercle  de  l'antiquité. 
Sans  suite,  répandues  çà  et  là  au  gré  de  chaque 
besoin,  dans  chacun  de  ses  livres,  elles  en  font 
néanmoins  le  lien.  Tandis  que  les  fot^mes  de 
l'histoire  se  succèdent  et  varient,  le  choeur  grec, 
toujours  présent  ,^  souvent  interrompu  sur  ^  la 
scène  du  genre  humain ,  tôt  ou  •  tard  reprend 
ses  droits,  «t,  expliquant  son  génie  et  ses  oeuvres, 
'fournit  à  chacpie  période  des  temps  un  type  im- 
muable de  comparaison.  Ou  c'est  le  monde  d'Ho-^ 
mère  mis  en  opposition  avec  le  lùonde  d|§^ssian, 
ou  celui  de  Phidias  et  de  Xeuxis  avec  celui  de 
Michel-Ange  et  de  Raphaël ,  ou  le  Laocoon  de 
Lessing,  commenté  par  le  Philoctète  de  Sophocle. 
En  transportant  ainsi  ce  même' type  à  des  épo- 
ques éloignées  Tune  de  l'autre ,  il  observe  sa 
convenance  ou  sa  disconvenance  avec  chaque 
point  de  la  durée.  Lorsqu'eùsuite  il  recueille 
ces  résultats  dans  une  suite  de  discours  siu*  la 
théorie  des  arts,  le  sentiment  du  beau,  Tinfluence 


SUR  HERDER.  93 

de  la. poésie,  aucune  critique  n'est  plus  large  et 
plus,  féconde. 

De  l'antiquité  «au  moyen  âge,  lé  passage  est 
marqué  par  une  suite  nombreuse  d'ouvrages  sur  * 
les  sources  et  l'esprit  du  mosaïsme  et  du  chris' 
tianisme,  dans  lesquels  les  mythes  de  l'Orient 
se  laissent  peu  à  peu  pénétrer  par  le  sens  réfléchi 
du  monde  moderne.  Les  .premières  idées  de  l'au- 
teur sur  ce  sujet  furent  développées  dans  son 
Prédicateur.  C'est  alors  un  jeune  ministre  dans 
la  première  ferveur  du  zèle  évangélique ,  et  que 
la  majesté  de  sa  mission  ti^ouble  encore  d'une 
émotion  confuse.  Il  faut  qu'il  retrace  au  monde 
la  dignité  du  sacerdoce  dont  son  ame  est  rem- 
plie. Lui  qui  vient  d'éjkre  indissolublement  uni 
aux  patriarches,  aux  prophètes,  aux  premiers 
l^slateurs,  aux  premiers  poètes  de  l'antiquité, 
quels  projets  de  djoctrine  ne  fait- il  pas,  quçl 
idéal  de  vertu ,  quels  rêves  d'éloquence  !  Sans 
doute  c'est  la  chimère  de  sa  jeunesse  sur  laquelle 
il  veut  régler^sa  vie.  Pourtant  il  est  encore  dans 
la  lutte,  flottant  entre  la  tradition  et  la  nature, 
sans  pouvoir  s'expliquer  ni  sa  foi  ni  ses  doutes*. 
Il  cherche  et  ne  peut  découvrir  la  \o\  qui  doit 
concilier  sa  croyance  et  sa  philosophie.  Où  elle  lui 
manque,  il  s'abandonne  à  la  tradition  révélée;  il 
se  couvre  de  son  ombre,  et  attend  des  jours  meil- 
leurs sans  inquiétude,  compae  Sjans  empressement. 


94  ÉTUDE 

Déjà  la  scène  a  bien  changé  dans  les  Lettres 
sur  Vétude  de  la  théologie.  Le  jeune  J>rédîca- 
teur  est  alors  un  homme  dans  toute  la  maturité 
*  de  rage,  qui  aide  de  ses  conseils  paternels  Finex- 
périence  d'un  néophyte.  Déjà  il  est  terminé,  ce 
combat  si  paisible,  qui  agitait  son  ame  sans  la 
troidiler.  La  seieùce  et  la  croyance ,  récriture 
et  la  nature  se  balancent  et  s'interprètent  l'une 
l'autre;  la  Science  de  Fange  est  devenue  la  science 
de  l'homme. 

Toute  Ja  disrcussion  repose  sur  ces,  mots  de 
nature,  de  raison  y  de  grâce,  ai  écritures ,  de 
réi^élatioh.  S'ils  sont  des  présens  du  même  Dieu, 
probablement  ils  sont  loin  de  s'excliu*e  et  se 
contiennent  l'un  l'autre.  A  la  natui'e  semble 
s'opposer  la  lettré  écrite  ;  mais  la  nature  est  elle- 
même  un  livre  assez  vaste,  qui  existait  qtiand 
rien  n'avait  encore  été  gravé  ni  stu»  la  pierre, 
ni  sur  le  htonze;  et  la  tradition  peut-elle  être 
autre  chose  que  le  commentaire  de  ces  premières 
archives  ?  Reste  donc  à  considérer  la  révélation , 
sous  un  point  de  vue  plus  large,  comme  Fins- 
titutriçe  de  la  raison  humaine.  Pour  cela.,  est-ce 
à  dire  que  nous  n'aurons  ici  que  l'éternelle  lo- 
gomachie de  ceux  qui  s'en  vent  renverser  la 
raison  pour  fonder  sur  la  raison  je  ne  sais  quel 
arbre  mystique  sans  racine  et  sans  sève!  Loin 
de  là ,  la  première  loi  de  la  révélation  sera  de 


SUR  HERDER.  S5 

se  plier,  ainsi  que  le  langage  d'un^  mère,  à  Tin- 
telligence  de  son  enfant.  Elle  n'émanera  d'en 
haut,  elle  ne  sera  juste,  elle  ne  sera  vraie  qu'au- 
tant qu'elle  sera  prpmptement  et  complètement 
comprise,  non  par  le  ciel,  mais  par  la  terre, 
par  rhomme  tel  qu'il  est,  ou  tel  qu'il  fut  avant 
ce  jour.  Si  ses  &cultés  se  développent  ou  varient, 
elle  en  suivra  les  changeniens^  grandira  et  dé« 
ÊiiUera  avec  elles.  Tout  ce  que  l'humanité  peut 
Toir  à  chaque  époque  de  sa  vie^  elle  le  verra 
comme  elle,  sans  aller  au-delà.  Puissance  véri- 
tablejment  incarnée  dès  l'origine,  et  qui  se  meut 
dam  toute  l'étendue  des  siècles,  avec  toutes  les 
formes  de  l'ei^istence  humaine,  parlant,  voyant, 
eatendant  par  la  bouche ,  les  yeux  et  les  oreillesi 
des  peuples,  sans  jamais  rien  produire  qui  ne 
naisse  nécessairement  de  la  direction  des  forces 
contemporaines ,  c'est;  ce  rapport  exact  qui  cons* 
tituera  sa  beauté,  sa  vérité^  son  divin  caractère. 
Ces  deux  termes  changeront,  quoique  sans  jamais 
se  désunir  l'un  l'autre;  plus  leur  conformité  sara 
manifeste,  plus  ils  seront  remplis  d'une  céleste 
Tertu.  V    > 

Telle  est  en  soi-^méme  la  nature  des  choses.  Mais 
pour  nous,  qdï  voulons  la  connaître  et  n'occu- 
pons qu'un  point  au:  sein  de  cet  éternel  chan- 
gement, par  lequel  de  ces  deux  térm:es  commen- 
cer notre  étude? 'Par  la  révélation  dans  son  type 


98  ÉTUDE 

absolu,  ou  par  l'inteUigenjoe  dans  son  moui^aiaent 
progre^if ,  par  la  doctrine  ou  par  l'hisloire  ?  Il 
s'agit  pour  nous  de  l'univers  entier  dans  cette 
classification.  Heureusement  elle  est  déterminée 
par  les  réflexions  qui  précèdent  Admettre  que, 
s'il  y  a  eu  une  révélation,  elle  a  été  faite  pour 
la  raison  humaine ,  c'est  p»Qnoncer  en  d'autres 
termes  que  pour  savoir  ce  qu'elle  fut,  il  fsiut 
savoir  ce  qu'dle  dut  être,  ou  ce  que  l'homme  a 
pu  comprendre.  Nous  ne  connaîtrons  les  limites 
de  la  parole  qu'en  connaissant  les  limites  de 
l'intelligence;  et  si  nous  suivions  une  marche 
inverse,  débutant  par  la  tradition  et  finissant 
par  la  nature,  nous  courrions  risque  de  nier  ou 
d'affirmer  de  la  première ,  dès  choses  sur  les- 
quelles la  seconde  a  porté  avant  nous  des  juge- 
mens  contraires^.  Avec  cela,  nous  n'aurons  rien 
fait  encore,  si  nous  nous  arrêtons  à  l'examen 
dé  l'état  actuel  de  la  pensée.  Comme  le  psycho- 
logue, en  vain  aurions^-nous  à  grand'peine  cons- 
taté, comparé,  classé  les  faits  dont  l'homme  in^ 
térieur  compose  aujourd'hui  sa  science,   nous 
n'aurions  encore  le  droit  que  de  juger  d'au- 
jourd'hui. Il  faut  que  nous  répétions  incessam- 
ment ce  même  examen,  sous  des  formes  diverses, 
depuis  Moïse  jusqu'aux  tribus  conduites  à  Baby- 
lone,  jusqu'au  prophète  du  Jourdain,  jusquau 
Dieu-Homme,  sans  oublier  les  temps  qui  ont 


SUR  HERPER.  M 

suivi  jusqa'à  cette  heure.  Plus  nous  serons  près 
du  simple ,  c'est-à-dirç  de  la  nature  des  choses, 
plus  nous  serons  près  de  Dieu.  Nous  ne  le  tou- 
cherons Traiment  que  si,  remontant ,  descen- 
dant, trayersant  en  tous  sens  la  suite  entièt^  des 
siècles,  et  nous  asseyant  au  foyer  de  chaque 
peuple,  notre  ame  est  assez  grande  pour  vivre, 
souffiîr,  aimer',  croire,  espérer  avec  chacun 
d'eux,  dans  toutes  les  contrées  et  tous  les  âgesi* 
D'où  il  suit  que  toute  question  de  théologie  s6 
résoudra  dans  une  question  d'histoire.  Notre  po- 
lémique sera  de  l'archéologie,  et  nous  ne  saurons 
sur  les  dogmes'que  ce  que  nou^  en  apprendra 
rétnde  comparée  des  langues  et  des  traditions 
populaires. 

Quoil  tant  d'efforts  n'aboutiront  qu'à  retrou- 
ver sur  les  croyances  hébraïques  la  science  du 
jeone  Tobie  ou  dés  moissonneurs  de  Booz?  En 
effet,  ncNis  n'avons  rien  en  France  qui  donne 
l'idée  de  cette  critique  calme  et  ferme,  appli- 
quée sans  amour  et  sans  haine  aux  livres  sur 
lesquels  repose  la  croyance  nationale  j  ceux  qui 
lont  sérieusement  tenté  ont  subi  Famer  suppliée 
de  Pascal,  et,  sentant  leur  chimère  s'échapper, 
ils  n'ont  pu  achever.  Tous  les  peuples  modernes 
pouvaient  concourir  à  la  philosophie;  je  ne  con- 
nais que  l'Allemagne  oii  put  naître  la  véritable 
Exégèse.  Là  seulement  le  sentiment  religieux  s'est 

I»  7 


98  ETUDE 

trouvé  assez  fort,  âsset  oonfifint  en  Im-méme 
pour  consentir  à  s'examiner,  au  grand  }ow,  non 
ps^r  le  besoin  de  s'éprouyer^.  mais  par  cdboi  de 
se  ç(mVLsâitref  de  savoir  d'où  il  vient,  où;^  il  va^ 
ce  qu'il  fut,,  ce  qu'il  doit  être^  Là  seulement  il 
a  été  asse2  riche  pour  consentir,'  saiKS  crainte  de 
s'appauvrir,  à  perdre  ce  que  ne  conlîrmerait  pas 
la  science.  Qr^  en  s'éelairant,  il  est  arrivé  qu'il 
n'a  fait  qu^.  se  retremper.  Moins  il  doute  de  lui^ 
•m^me,  moins  il  craint  de  se  mésallier;  plus  il 
s'étend ,  plus  son  univers  devient  libre  et  spa-^ 
(Cieux.  Véritablement,  quand  on  a  lu  ces  lettres, 
il  semble  qu'on  connaissait  niai  auparavant  sa 
puissance  ciéatrice.  A  peine  l'histoire  et  la  phi^ 
losophie  ont-elles  comblé  un  de  ses  abiines,  qu'il 
s'en  creuse  un  second  et  invoque  Une  autre  so- 
lution. Â  mesure  que  la  lumière  augmente,  la 
pensée  se  replie,  se  cnée  une  chimère  noùveHe; 
et  ces  vains  efforts  de  la  science  pour  atteindre 
le  cœur  de  f homme,  et  du  cœur  de  l'homme 
pour  s'en  laisser  pénétrer,  ces  deux  puiissancâs 
qui  se  cherchent  et  s'enfuient  à  l'infini ,  sans 
pouvoir  jamais  se  confondre,  ni  s'absorber  l'une 
l'autre,  sont  le  plus  vivant  témoignage  d'une 
vérité  éternellement  impalpable,  éternetieinent 
insondable,  éternellement  la  source  et  la  fin  de 
toutes  les  autres.    . 

De  tous  les  ouvrages  de  H^er  les  moins 


SUR  HERDER.  $0 

brillant  et  les  plus  tôuchâiis,  ceux  qui  ont  le 
plus  de  charmes,  et  le  charme  le  plus  vrai,  le 
plus  pénétrant,  ceux  que  l'on  Toudraît  relire  le 
plus  souvent,  sont  ses  écrits  chrétiens.  L'élan 
poéûque  y  est  presque  nul  ;  adieu  les  larges  di<* 
gressions,  le  mouvement  épique,  rahandôn  de 
rimprovisation  ;  il  procède  avec  une  sorte  d'exac* 
titude  qui  tiendrait  plutôt  de  la  sécheresse  de 
la  chronique;  et  cependant  rien  ne  vous  ravive» 
rien  ne  rafraîchit  votre  sang  comme  ce  simple 
commentaire.  Pourquoi  cela?  uniqii^ement  parce 
que  vous  avez  vécu  quelques  heures  sous  le  ciel 
de  la  Judée,  aux  bords  des  lacs  de  la  Oalilée» 
à  Tombre  des  figuiers  de  Béthanie,  de  la  vie  de 
ces  pécheurs  qui  quittaient  leurs  filets  pour 
suivre  le  Messie»  Vous  sentez  comme  eux  la  cu- 
riosité qui  vous  attire,  un  secret  ascendant  qui 
TOUS  retient,  l'admiration  qui  naît,  puis  l'amitié, 
lamour,  la  charité  fraternelle  qui  vous  enivrent 
de  leurs  charmes;  enfin,  la  conviction,  l'ardente 
conviction  qui  a  soif  de  se  répandre  et  cherche 
à  s'immoler.  Aujourd'hui  que  nos  coeurs,  glacés" 
et  notre  imagination  tarifante  ne  conçoivent 
plus,  ne  produisent  plus  que  de  tièdes  amitiés; 
des  transport»  raisonnes ,  mais  plus  de  vrai  en- 
thousiasme, plus  de  fraternité,  plus  de  liberté^ 
plus  de  convictions,  parce  que  nous  ignorons 
la  forM  du  it^essort  moral ,  nous  appelons  miracle  ' 


/ 


100  ETUDE 

toui  ce  qui  *  échappe  à  nos  chélives  et  languis* 
santés  .éla:*einte$.  Pour  lui;  il  interroge  chacun, 
des  sentimeiis  naturels,  afin  de  savoir  quels  pro- 
diges ils  peuyeiit  cnfant^er,  et  il  trouve  que  le 
cœur  de  rhomme  est  encore  assez  grand  pour 
expliquer  toutes  les  inerreilles  du  christianisme. 
Considérée  sous  cet  aspect ,  )e  ne  sais  si  Ul  puis- 
sance visible  de  l'Auteur  des.  choses  ne  parait 
plus  assez}  ce  que  je  sais,  c'est  que  nulle  part 
la  puissance  de  l'ame  n'éclate  à  un  si  haut  degré. 
Si, la  divinité  se  manifeste  avec  moins  de  pompe 
an  milieu  d^  élémens  et  de  la  nature  extérieure^ 
elle  se  ^tire  et  jette  plus  d'éclat  dans  la  cons- 
cience de  l'hoiume.  Moins  il  se  fait  de  miracles 
S1U*  les  bords  de  la,  Tibériade ,  plus  il  y  a  de 
miracles  d^amitié,  d'amour,  d'admiration,  d'hé- 
roïsme. U  j  a  moins  de  tempêtes  apaisées  sur  les 
lacs  de  la  Galilée,  mais  au  fond*  des  âmes  plus 
de  douleurs  consolées;  un  éclat  moins  merveil- 
leux sur  le  sonunet  de  la  montagne,  mais  dans 
les  coeurs  {dus  d'espàrance,  plus  d'ayenir,  un 
culte  plus  profond,  un  rayon  plus  céleste. 

Lé  commentaire  sur  S.  Jean  app^e  surtout 
notre  attention.  Peu  avant  sa  mort,  un  vieillard 
rassemble  dans  l'exil  les  souvenirs  de  sa  jeunesse. 
Il  les  embellit  de  ses  r^rets,  et  fidèle  à  l'ami 
dont  il  a  reçu  le  demi»  souffle,  il  oublie  ce 
qu'il  j  avait  en  lui  de  terrestre^  il  u'eo^  Voit 


SUR  HERDER.  iOl 

plus  que  rimmortel  et  le  divin.  Né  dans  l'Egypte 
des  Ptolémëes,  place  entre  le  cuite  de  la^  Perse 
et  la  Grèce  platonicienne,  il  les  unit  dans  sa 
pensée  et  fsiit  le  lien  du  christianisme  naissant 
avee  ces  antiques  doctrines  du  genre  humain. 
Cest  à  la  fois  une  profonde  étude  morale,  et 
un  spectacle  étrange  dé  Toir  ainsi  s^e  réfléchir 
et  s'ordonner  peu  à  peu  les  souvenirs  individuels 
du  disciple  hien-aimé,  sous  les  formes  inspirées 
des  mythes  de  Zoroastre  et  de  Platon.  Il  recueille 
dans  son  ame  ces  traditions  jphilosophiques,  déjà 
près  de  s'évanouir,  pour  les  ranimer  du  souf&e 
saint  de  iamitié,  de  Fespérance,  de  Tétemelle 
jeunesse;  et  son  Evangile  devient  ainsi  un  vaste 
symbolisme,  où  se  concentrent  de  toutes  parts 
les  vagues  pressentimèns  de  l'univers.  Ttop  éloi* 
gné  du  temps  dont  il  raconte  l'histoire,  pour  en 
suivre  servilement  le  fil ,  il  le  brise  et  le  recom«- 
pose  à  son  gré.  D'ailleurs ,  ces  scènes  qui  se  suc- 
cèdent dans  son  livre  divin  sont  des  faits  allé- 
goriques, des  formes  anitnées,  sous  lesquels  il 
enferme  la  doctrine  de  son  maître*  Inséparables 
l'une  de  l'autre,  toutes  elles  se  tiennent,  elles 
s'enchatnent ,  elles  se  préparent,  elles  se  Con- 
firment mutuellement;  chaque  mirâ^cle  est  un 
mythe  qui  a  en  lui  son  sens  et  sa  vertu  inté* 
rieure.  Le  {««odige  explique  le  précepte  ;  le  pré- 
cepte explique  le  prodige;  et  il  n'est  pas  dans' 


102  ÉTUQE 

ce  tabSeau  un  ^oupe,  une  'figure,  un  person^ 
niag^,  qui  ne  soit  un  type,  une  ixnajge  agissante 
de  l'ëtern^Ue  et  impalpable  véritë.  La  colombe 
qui  descend  4u  ciel  n  est-elle  pas  d&  l'origine 
de$  sjièc^es  l'embl^e  dé  Tesprit  dé .  douceur  et 
de  paix  ?  Jje  prodige  de .  Teau  cbangëe  en  vin , 
i|'est-r€0  pas  la  pensée  renouvelée,  la  force  ou 
étaiitljët  faiblesse,  la  sainteté  ou  était  I4  çbrrup- 
tioi^?  La'  multiplication  dès  pains,  n  est-ce  pa>- 
la  parole 'qui  se  répand  sans  s'épuiser,  l'esprit 
du  'genre  bumain  dont  le  moi  du  Cbrist  fait 
l'alimei^t  éternels  Vous  demandez  9'il  est  le  Fils 
de  t)ieu?  Et  comment  la  vérité  n,e  serait-elle 
pas  Fille  de  Dieu,,  comment  la  parole  de  vie 
né, sortirait-elle  pas  de  l'Auteur  de  toute  vie. 
Oui,  il. a  fait  des  signes,  il  a  paru  éclatant  de 
lumière  sur  le  mont  Tbabor,  puisque  l'Evangile 
tout  entier  est  une  sublime  transfiguration  de 
sa  vie  $  et,  en  vérité,  il  a  mieux,  fait  encore  que 
de  ressusciter  le  Lazare;  il  a  tiré  du  sépulcre 
l'hiunanité ,  déjà  à  demi  corrompue  depuis  plus 
de  brois  jours;  il  l'a  délivrée  de  ses  bandelettes; 
il  à  décbiré  son  linceuil;  il  Fa  éveillée  à  une 
vie  qui  ne  doit  plus  finir» 

Une  pehsée  vous  vient  en  lisant  ces  écrits.  Soit 
misèice,  soit^andeur,  l'bumàn^ité  s'ignore  si  bien 
qu'outre  son  culte  l^itime ,  elle  est  toujours  près 
<le  s'adorer  comme  un  être  au^-dessus  d'elle  et 


SUR  HB&DER.  103 

dé  ^mdinèr  demnt  aim  ombre,  filais'  le  Dieu 
qu'elle  sert  nest  pas  moîna' généreux  qu'elle}  él 
tôt  ou  tard  il  rend  à  Thomme  ce  qui  appartient 
à  rhommè.  Le  finisse  oimteînple  au  seiû  dés 
temps  comme  rinfiai'  au  sein  de  l'éternité;  mais» 
loin,  de  s'apercevoir  comme  lui  d'un  seul  et 
mémei  regavi,  parce  qu'il  ne  Vient  à  se  connattro 
qiie  par  parties,  à  mesure  qu'il  commence  à  dé^ 
comrrir  en  soi  de  nouveaux  abîmes,  il  y  fait 
descendre  un  Dieu  pour  les  combler.  Pendant 
de  longa  siècles  il  y  plonge  des  coupes  d'or,  de> 
trépieds  d'airain ,  et  l'écho;  lui  répond  en  se 
rapprodiant  chaque  fois.  Lorsqu'enfîn  la  lu^ 
mière  éclate  ^  il  aperçoit  avec  orgueil  que  ces 
vagues  espaces  tout  rratiplis  de  ses  temples  rui*» 
nés,  de  ses  symboles,  de  ses  idoles,  de  ses  fau-^ 
ailles  sacrées,  de  .ses  guirlandes  de  verveine  et 
de  gui,  font  partie  de  lui«-inéme  et  se  meuvent 
avoc  lui. 

Lémbyen  âge  a  fourni  à  Herder  une  série 
de  poèmes  sous  le  nom  de  légendes,  dans  les- 
quds  il  fkit  quelquefois  effort  pour  descendre 
à  la  naivené  des > traditions  des  monastères;  mais 
en^ce  qui^  txmdie  à  ces  temps,  son  oeuvre  véri- 
table a  éli 'd'associer  au  génie  de  l'histoii'e,  doi 
TOonumens  qui  en  étaient  jusque-là  exclus  cbez 
les  modçn^  Frêles  archives,  et  cepei^d&nt  i^n- 
mortelleSy  que  le  vent  emporte  au  loin  avec  les 


104  .  ÉTUDE  ^ 

feuilles  des  bois,  nous  ne  poUTons  iei  qufen  in:^ 
digiier  rapidement  le  caractère.  ^ 
.  Comine  autant  de  moissonneuses  qui  ckexu 
ctent  à  alléger  le  poids  du  jour,  les  nations 
lialetantes,  et  courbées  sous  la  main  qui  les 
presse,  s  en  vont  en  cbantant  dans  leur  longue 
cax^ière.  Gbaque  période  nouyelle  dm  croissance 
ou  de  dédin  £siit  naitre  un  cbant  nottveau j' et, 
frivoles  ^t  Itères,  elles, oublient  plus  prompte- 
ment  que  ces  monumens  si.  frêles,  en  appaMuce, 
rémption  des  révolutions  et  le  nom  de.  leurs  a^ 
presseurs.  Il  ne  Êiut  pas  long-t^nps  pour  que  le 
bruit  des  batailles  s'ét^gne.  et  que  les  margue- 
rites des  cbamps  couvrent  les  tombes  des  che- 
valiers^ mais  après  de  longs  siècles,  les  jeunes 
filles  viennent  encore  sous  les  voûtes  de  l'Ai- 
bambra  répéter  les  roinanc^  d'Abénamar,  du 
roi  Juan  et  des  guerres  civiles  de  Grenade  j  le 
montagnard  d'Ecosse  prolonge  ses  soirées^  en.en- 
tonnant  les  ballades  d'Edouard,  de  Robin  Hood, 
des  querelles  des  Percy  et  des  Douglas;  les  en£ains 
du  nord  de  l'Allemagne  grossissay;  leujn»  toix 
pour  redire  les  acçens  rudes  et  sùrannéa  des 
Meistersangers  du  moyen  âge*;  et  tous  ceux  qui 
paissent  près  de  là^  sentant  la  puissance  des  vieux 


I  Voix  des  peuples  dans  les  chanu.  I^  Cid ,  d*aprês  l#f 
vomances  espàgmoles. 


,       SDR  HERDER.  105 

nèdet,  duent  en  .^m-mémes  :  «  £û  Tenté,  jamaî» 
cr  je  n'entendis  ces  chant»  san»  être  plus  ému 
c  igae  par  ie  bruit  du  cjairon;  et  pomiant  ceux 
«  qni  les  psahuodient  sont  des  enfiuis  et  des 
«  mendians  ayeu^es.  * 

Le  rare  mérite  de  Herder  est  d'aToir  reproduit 
dans  le  rhy thme'  original  ^  les  plus  remarquables 
de  ces  poèmes,  convaincu  que  le  ion,  la  cadenœ, 
Paccent  smncal  en  font  yéritablement  Tesselioe, 
et  que,  détachés  de  ce  fond  nécessaire,  il  eioi 
nste  à  peine  l'ombre.  Ainsi  récmis,  ils  forment 
une  sorte  d'histoire  uniTarsdle,  où  le  retentif-t 
sèment  des  empires , -réduit  à  une  impression 
fiigitiye,  à  un  soupir  de  l'ame,  se  prolonge  sous 
mie  forme  irréfléchie  de  générati<ms  en  géaépa* 
tiens,  dans  la  conscience  des  peuples.  Non-^eu* 
lement  Thistorien  y  retrouve  les  grands  rapports 
dei  raoes,  les  haines  et  les  afiections  nationales; 
mata  ils  répandent  sur  les  tuasses  inférieures  Fin- 
téret  des  longs  sonretiirs.  Du  fond  des  vallées  eft 
des  forets,  du  bord  des  haies  et  des  ruisseaux, 
de  naïfs  rhapsodes  font  aatendve  des  stances 
^qoes,  qui  à  chaque  point  de  la  durée  forment' 
le  lien  du  peuple  avec  le  passé,  attachent  au 


I  La  tradttcciouqiit  Heid#r  m  faite  du  Rottanoi«r  du  Cid 
iPâoigiit  beaucoup  trop  encore  du  texte  original.  Cett  -une 
critique  qm  t'applique  aussi  k  son  recueil  intitulé  :  Foix  du 


loa  .;  ETUDE.   : 

pays  où  Ton  esl  ^né»  et  associefit'  à»  FlumiieiBr: des 
tsmps  antiques  ceux  qui  en  ônfe  supporté  tout  le 
&rdean.  Poursuis  ta  cottiplaiuie  daus  Ics'brujè? 
ses,  heureux  enfant,  et  que  i^etté  guirlande  de 
Yeireine'te  soit  une  auréole  de  ^eire.  Ton  an- 
cétne^Ait  un  des  Bardes  de  Fiugal^*  et:  c'est  sur 
le  tomjieau  du.rpi  de  Morsmn.^pie  opmmença 
ce  jlriste  dbant  d  adieu  qu'il  t'a  iégué.  B^qpose^toi 
^urton  siUQa,,3ri6iUard  rempli  jd^annees;  que  tes 
gerbes , soient  dorëes^  que  lès  ftrcKipeéux  soient 
abondans:  il  portait  le  même <  nom  que:  toi  et 
nourat<pvès  de  ton  cbamp^  oelui  qui  saura  dans 
AJicocer  la  bannière  dû  Gidet  atteignit  de  sa 
dague- le  cbef  des  méeréaUs.,  Bénie  ^t  cette  tour 
à  demi  ruinée  ; .  que  le  lilas  et  lé.  chèn'^'&uiUe 
l'ombrag^ent  de  toutes  pmts  ;  ^que  l'oiseau  It  fkxs 
aimé  du  Cid  y  &sse  chaque  année  son  md* 
Cerceau  d'une  Iliade  noureUei  dans  ce  manoir 
vécurent,  plus  renommés  qioie  4es.  Hàndides  des 
Cvrecs»  les  quatre  fils  Ajnond;  leur  histoire, 
née  des  chants  et  i!épétée  sois  lé  chaume,  éMoad 
l'horizon. dta  bei^iger de  la  Talleé  par-delà  lacoui> 
tndesque  de  Chakiemagne,  jusqu'au  tombeaa>dii 
prophète  de  l'Arabie  et  aux  palais  des  Péris  de 
llran. 

r 

Dans  l'impos^bilité  d'analyser  isolémenl;  la 
foule  des  fragmens  de  notre  auteur  ^ur  là  civî- 
lisation  féodale  et  chrétienne,  si  nous  .cheroh^s^ 


SUR  HERDER.  iOt 

à  les  comprendre  sous  une  seule  pensée  et  à  les 
résomer  dans  une  vue;  psychologique  de  l'uni- 
vers civil  et  de  l'individu  qui  s'en  fit  l'image^ 
nous  trouvons  que  tant  'que  l'activité  spontanée 
domine  dans  le  genre  humain,  il  est  son  hist(V 
rien  fidèle.  I«a  haute  antiquité  tout  entière^  étant 
comme  lui-même  poésie,  il  en  occupe  le  ceiitre* 
A  peine  la  réflexion  philosophique  commence 
à  se  développer,  l'alliance  est  moins  parfaite;  et 
déjà  Rome  lui  est  moins  familière  que  la  Grèce, 
la  Grèce  moins  que  l'Orient.  L'élément  raticwndif 
dont  il  a  pu  négliger  dans  la  Judée  le  fa^bli^ 
germe,  continuant  à   gtandir  dans  l'histoire, 
son  horizon  de  poète  se  «ârcônscrit  chaque  jour. 
De  là,  au  m^oyen  âge,  il  poursuit  un  à  un  les^ 
derniers  rayons  de  lumière  primitive,  qui ,  émà* 
nés  de  l'astre  naissant  de: l'humanité,  après  avoir 
effleuré  sans  se  refléter  le»  cendres  du  passé,  se 
révèlent  encore,  quoique  pâles  et  peu  nombreux, 
non  plus  dans  les  institutions  et  les  cultes,  mais 
dans  de  rares  stances  lyriques  et  dans  quelques 
fragment  d'épopée.  A  mesure  que,  la  poésie  cé^' 
dant  à  la  science,  la  religion  à  la^  philosophie, 
l'existence  des  sociétés  s'approfondit  davantai^e,. 
porté  par  une  dir^tion  constante  vers  leura 
sommités  idéales,  il  se  trouve,  presque  soustrait 
à  leur  sphère,  planer  sur  elles  de  la  région  Ofi. 
se  forment  les  mythes  et  l'histoire  dea  symboles. 


108  ÉTUDE 

Enfin,  dé  ces  hauteurs  que,  sôus  les  théories  du 
Phèdre  et  de  la  républicpie  platonicienne,  on  se 
représente  tantôt  nettes  et  précises,  tantôt  con- 
fuses comme  la  vision  d'un  prophète,  les  scènes 
du  monde  moderne ,  que  la  narration  soit  fré- 
quemment et  brusquement  coupée  par  le  dithy* 
rambe  ;  et  que  de  chaque  point  de  l'histoire  les 
peuples  soient  appelés  à  juger  dans  les  dernières 
générations  le  produit  de  toutes  les  autres ,  on 
aura  conçu  le  plan  qu'il  appliqua  presque  à  son 
insçu  à  l'étude  des  tenips  les  plus  voisins  de  nous, 
et  qu'il  réalisa  dans  TAdrastée. 

Cet  ouvrage  est  en  effet  le  ^lectade  de  la  lutte 
de  deux  principes  distincts,  le  génie  de  FEiU'ope 
moderne  qui  comprend  son  siècle  et  qui  Fad- 
mire ,  et  une  âme  sortie  de  l'Orient  qui  souffre 
et*  se  trouve  à  Fétroit  au  milieu  des  formes  ciip- 
conscrites  du  monde  de  Louis  XIY^  De  là  ces 
dialogues  fréquens^qui  interrompent  le  récit  et 
où  l'Occident  et' l'Orient  sont  aux  prises.  Vous 
diriez  vca  Brame  transporté  dans  les  jardins  de 
Versailles,  à  la  cour  de  la  reine  Anne,  dans  les 
chantiers  de  Pierre  le  Grand,  parmi  les  armées 
de  "Charles  XII ,  dans  les  sociétés  polies  des  poètes 
et  des  philosophes.  Il  les  juge  avec  un  merveil- 
leux bon  sens;  quoique  souvent,  fatigué  d'un 
monde  qui  n'est  pas  le  sien,  il  ait  besoin  de  se 
recueillir  à  l'écart,  et  de  reveiair  k  ses  contem* 


SUR  HERDER.  iO» 

plations  habituelles  9L  aux  souTenîrs  de  llnde 
et  de  la  Perse.  Cest  aimi  qu'eu  prëseutaut  des 
Tues  très^teudues  sur  l'iufluence  murale  des  dé^ 
couvertes  des  Leibuitz,  des  Keppler,  des  Newton ^ 
il  s'interrompt  au  milieu  d^une  nuit  deté  pour 
rêver,  à  la  clarté  des  étoiles,  sur  l'éternelle  mér 
temps jcose  et  le  rapport  de  1^  lumière  à  la  pen^^ 
séé.  On  entend  des  voix  invisibles  chanter  des. 
hymnes,  des  choeurs  antiques.  D'autres  Ibis,  aprèi 
avoir  exposé  quelques  idées  propres  à  la  philor 
Sophie  du  dix-huitiètae  siècle,  lorsqu'il  sembla 
le  mieux  appliqué  à  les  réfuter,  une  harpe  éo* 
Uenne  retentit  tout  à  coup,  et  avec  elle  un.  des 
chants  enivrans  du  Midi.  A  peine  a-t-il  cessé , 
qu'une  jeune  Néri  arrive  d'Orient,  et  sous  la 
îàble  qu'elle  raconte,  il  y  a  à  la  fois  taut  do 
sagesse,  de  vérité,  de  grandeur,  qu'en  dépit  du 
sophisme  de  Mandeville,  il  se  répand  sur  tout 
cet  âge  un  céleste  parfupi  de  poésie  et  de  vertu* 
L'histoire  des  missions  étrangères  le  ramène  au 
bord  du  Gange,  dans  l'Archipel  indien,  et  u>ut 
le  génie  de  l'Orient;  est  dai^  le  peu  de  paroles 
qu'il  place  dans  la  bouche  des  indigènes  pour, 
défendre  les  traditions  de  leurs  pères.  Lui-même 
ne  s'intéresserait  à  rétablissement  du.  christia- 
nisme dans  ces  lieux  que.s'U  pouvait.y  descendre 
conmie  la  rosée,  sans  changer,  la  figure  des  ob- 
jets. Les  form^  nationales  sont  ppur  lui  des 


r' 


110  ÉTUDE 

vases  sacrçs  sortis  de  1.»  maia  de'Diea  avec 
runivers  qui  les  maintient;  le  speGta,<ie  varié 
qu'elles  présentent,  lui  semble  le  seul  culte  ex- 
térieur digne  de  l'Auteur  des  choses.  On  conçoit 
ce  qu'il  doit  y  avoir  de  fécond  dans  cette  oppo- 
fition  constante  des  deux  ^xtrémif?es  apposées  de 
rhumanité.  Ramenée  pour  quelque  temps  aux 
lieux  où  elle  est  née,  elle  raconte  avec  orgueil 
après  ce  long  voyage  quelles  ont  été  sesi  œuvres 
et  quels  fruits  elle  rapporte.  Mais  la  sagesse  an^ 
tique  qui  avait  mis  plus  haut  ses  destinées,  la 
réprimande  avec  autorité,  ôiî  elle  s^bandonae 
à  ses  prophétiques  rétéries,  et  décrit  pbitr  l'ave- 
nir une  nouvdle  Atlantide.  C'est  l'histoire  qui 
se  compare  à  sa  loi  primitive ,  et  qui ,  malgré 
Ses  changemens,  s'y  trouve  encore  coajforme. 

Ayant  aiiqusi  parcouru  à  grands  pas  toute  l'é- 
tmdiie  des  temps  et  des  lieux,  il  veut  revoir  les 
liiémes  objets,  mais  d'une  manière  plus  fami- 
lière, plus  intime.  Au  lieu  d'une  marche  épique, 
^e  Ue  sera  plud  qu'un  pèlerinage,  Plus  de  longs 
traités,  plus  de  monumens,  plus  de  livres;  de 
simples, lettres  familières  S  et  encore  à  quelques 
amis,  auxquels  il  pourra  décrire  sob  impression 
la  pitis  secrète  et  faire  librement  sa  profession 
de  foi  sur  chaque  culte,  sur  chaque  illusion  du 


•i^ 


ft  Lettees  survies  progrès 'd^  Phuimiik^,  3  vol.,  1795.. 


SUR  HERDER.  Ili 

genre  humain  ;  éloquetite  chronique  de  Thuma- 
mtéy  ce  liyre  réunit  aibsi  le  charme  de  l'intimité 
et  des  sentimehs  individuels  à  la  puissance  ded 
vastes  sièieles.  Quelques  é<»*iyains,  dans  leurs 
mémoires  privés ,  ont  répandu  'uft  charme  étoii^ 
nant  sur  certains  lieux  où  ils  ont  long-tempS 
vécu.  Ces  lettiies  causent  une  impression  sem^ 
Blahle ,  avec  cette  différence  qu'au  lieu  d'une 
retraite  au  pied  des  Alpes ,  qu'au  lieu  de  l'om-^ 
brage  d'une  foret,  dé  kr  fraîcheur  d'un  lac,  c'est 
telle  forme ,  tel  âge  de  l'humanité  où  Fécrivaiit 
aurait  voulu  se  circonscrire.  Plus  souvent,  sa 
marche  errante  est  celle  d'un  homme  qui  s$ 
décide  à  hriser'  le  fil  chronologique  sur  lequel 
il  s'est  dirigé  jusque -là ,  et ,  sans  autre  guidé 
qu'une  synthèse  inspirée,  s'eh  va  à  l'aventure 
tenter  des  voies  nouvelles.  'Cette  entière  liberté 
donne  une  incroyable  activité  à  sa  pensée.  Il 
suit  tous  ses  pressentimens^,  accourt  à  tous  lei 
bruits^  quitte  Homère  pour  Frankliui ,  Franklin 
pour  Luther^  Luther  pour  Fi^édericj  il  va,  il 
revient ,  il  s'égare  ;  tailtôt  il  arrive  à  de  vagues 
bruyères ,  tantèl  à  des  lieux  inconnus  où  il  â 
devancé  la  science.  A  l'appm  de  tout  «cela,  quelle 
preuve  que  le' cinquième  livre^!  L'atiteur  est  à 
Rome,  enfermé  daûs  les  salles  du  Vatican.  Libre» 
sans  témoin,  d'abord  il  se  livre  à  l'impressioa 
ppétique  dm  objets ,  et  Winkelmann  seul  égalé 


112  ÉTUDE 

ce  premier  et  soudain  enthousiasme  de  rartiste. 
Peu  à  peu  naît  une  rapide  refleûon,  qui  enfin 
se  fixe  et  se  développe.  De  la  contemplation  de 
ces  groupes  épars,  il  s'élève  arec  une  admirable 
puissance  à  la  pensée  religieuse  et  .sociale  de 
l'antiqfuité.  Il  erre  au  milieu  de  ces  mariires 
conune  parmi  des  êtres  animés;  il  leur  parle,  il 
les  interroge,  il  les  fait  descendre  jusqu'à  lui,  il 
apprend  de  chacun  dieux  d'où  ils  viennent,  quelle 
pensée  les  a  fait  natti^e:  Cest  le  monologue  pas- 
sionné de  Pygmalion;  il.  sent  peu  à  peii  s'animer 
et  ]|:^pirer  sous  le. marbre  le  génie  de  la  Grèce 
primitive  lorsqu'elle  inventa  s^  dieux.  La:  my- 
thologie étant  pour  lui  un  symbole  de  l'humar 
nité  idéale,  il  part  d'un  point  supérieur  à  l'homme 
pour  tetrouver  et  expliquer  Vhomme.  Difficile 
ment  croiraitnon  tout  ce  que  cette  méthode,  qui 
lui  est  étrangère,  lui  inspû^e  ici  de  >grand,  de. 
hardi,  d'éternellement  vrai.  Ces  innombrables 
mythes,  ppur  lesquels  toiit  l'univers  cosmique 
Sénpihle  à  peiofe  (issez  vaste,  réfléchis  dans  le 
cœur  de  l'homme,  y  portent  une  étonnante  lu- 
mière; ils  en  font  apercevoir' la  grandeur  infinie. 
Cette  voie  oii  Herder  s'était  engagé  par  hasard, 
menait  à  mille  jsecrets.  Conduit  par  les  statues, 
par  les  groupes  des  dieux,  par  les  pierres  funé- 
raires, pourquoi  s'est'-il  arrêté  sur  le  seuil  de 
ces  abîmes  intérieurs?  A  présent,  je  saujnais 


SDR  HERt)ER.  ilS 

peut-éfre  6e  que  j'ignote  et  que  je  cherche ,  et 
que  nul  né  peut  me  dire,  s'il  n'est  entré  dans 
œ  chemin. 

Sous  un  autre  aspect,  ces  lettres  se  distinguent 
par  Vexpression  vire  et  pure  de  l'amoiir  du  pays. 
Phis  il  a  yécu  loin  de  lui ,  plus  il  revient  avec 
joie  s'associer  à  la  gloire  naissante  de  ses  amis, 
de  ses  maîtres,  de  ses  firères  d'armes.  Il  y  a  quel- 
que chose  d'antique  dans  les  conseils  qu'il  donni^ 
à  son  pays  au  retour  de  ses  voyages  à  travers  les 
siècles.  Il:  semble  que  tant  de  travaux  n'ont  été 
entrepris  que  pour  lui  léguer  ce  tribut  de  l'ex- 
périence  d'un  de  ses  fils.  Pendant  que  l'Alle- 
magne, encore  incertaine,  doute  de  son  génie, 
comme  il  relève  avec  orgueil  ses  lojigues  espé- 
rances! Jui  qui  ^  vient  de  parcourir  toutes  les 
phases  de.  l'humatiité,  sa  voix  a  bien  quelque 
autorité  9  quand  il  assure  que  nulle  part  il  n'a 
trouvé  une  seule  fonne  stable  où  la  pensée  puisse 
remonter  .et  se  circonscrire.  Au  milieu  de  cette 
société  d'hommes,  tous  nouveaux,  presque  du 
même  âge,  Herder  exauce  un  véritable  sacrer-: 
doce;  il  va  incessamment  bénir  leurs  travaux,  il 
les  encourage,  il  les  ranime;  il  leur  distribue 
des  couronnes,  des  étendards;  il  élève  des  pierres 
funéraires  à  ceux  qui  succombent  avant  l'âge* 
Cest  vn  ami  qui  met  sa  gloire  dans  son  a^i, 
nn  frère  dans  90&  frère  9  un  disçiplje/  dans  son 
j.  8 


114  ÉTUDE 

maître.  Tous  ont  leur  juste  place,  la  t^lianson 
populaire  de  Oleim,  l'iiymne  de  Klopstock,  le 
génie  mâle  et  ferme  de  Lessing,  lés  oracles  de 
Hamann,  la  verve  mesurée  dU^  et  de  Kleist^  et 
fhumeur  indomptée,  les  imaginations  colossales 
de  Jean-Paul ,  les.  controverses  de  Jacobi  et  les 
drames  de  Schiller  et  dé  Goethe  :  nous  choisis- 
sons, pour  les  citer,  quelques  ti*aits  du  portrait 
suivant. 

ce  J'ai  eu  le  bonheur  de  connaître  un  philo-r 
ce  sophe  dont  )'ai  été  l'élève.  Dans  ses  plus  bril- 
c(  lantës  années,  il  avait  la  franche  gaieté  d'un 
c(  jeune  homme,  et  elle  l'accompagna  jusque  dans 
ce  sa  dernière  vieillesse;  Sur  son  front  ouvert  et 

^  c(  fait  pour  la  méditation  brillait  une  sérénité, 
<t  une  joie  inaltérable;  la  grâce,  ime  él^ance 
ce  naturelle  ne  Fabandonnait  jamais,  et  rien 
ce  n'attachait  comme  ses   savantes   leçons.    Lie 

/  cr  même  génie  ^i  soumettait  à  son  eicamen 
ce  Leibnitz,  Wôlf,  Baumgarten,  Grusius,  Humej 
ce  qui  développait  les  lois  naturelles  de  Keppler, 
ce  de  Newton  et  de  la  physique  générale,  re- 
ce  cueillait  avidement  les  ouvrages  alors  nou^ 
ce  veaux  de  Rousseau,  son  Emile,  sa  Julie,  toutes 
et  les  découvertes  des  sciences  naturelles,  sans 
ce  jamais  perdre  de  vue  les  lois  de  l'homme  mo- 
te  rai.  Histoires  dès  peuples,  de  là  ûature,  sciences 
(c  positivées,  mathématiques,  expérièttce,  il  ré^ 


SUR  HER0ER.  Hè 

c(  pandait  dans  son  ens^gnement  toutes  ces  sour-' 
(I  ces  de  vie.  Rien  île  hii  était  indifférent.  Point 
a  de  cabale,  point  de  sectes ,  point  de  préjugés* 
«  Jamais  l'ambition  d'un  nomr  n'eut  pour  lui  la 
«  moindre  valeur,  mis  en  balance  avec  les  inté^ 
a  rets  de  la  vérité.  Les  joies  de  la  pensée  étaient 
<c  tout  le  fruit  de  s^  travaux,  et  rien  ne  dje- 
a  meura  plus  étranger  que  le  despotisme  à  son 
a  esprit  tolérant.  Cet  homme  ^  que  je  nomme 
(c  ici  avec  la  plus  profonde  reconitaissance  et 
„  le  plus  haut  respect,  est  Emmanuel  Kant  Son 
c(  image  restera  précieusement  dans  mon  cœur. 
rc  Je  ne  graverai  pas  sur  sa  tombe  l'inscription 
tt  barbare  que  lui  a  consacrée  autrefois  un  phi^ 
a  losophe  très-peu  digne  de  ce  nom;  il  m'est 
R  plus  doux  de  l'appeler  un  Socrate  et  d'espérer 
«  avec  lui  ^  qu'après  que  les  épines  des  sophistes 
«  auront  été  arrachées,  sa  philosophie  accélérera 
«  de  nouveau  le  progrès  de  la  raison,  de  l'in^'' 
fc  telligence,  de  la  loi  morale*  dans  son  auguste 
fc  pureté  'y  non  point  par  roppression  d'une  doc^ 
K  trine  absolue ,  mais  par  le  principe  de  la  liberté 
k  intérieure.  » 


Après  le  drame  du  genre  humain  vient  son 
épilogue'.  Comme  si  l'écrivain  était  étonné  de 


116  ETUDE 

sentir  les  formes  des  peuples  lui  échapper  si 
vite,  il  en  poursuit  encore  quelque  temps  Timage 
dans  l'Elysée.  Cette  paisible  histoire  des  omhres, 
qui  s'éteint  par.  degrés  ;  ces  vagues  murmures 
qui  se  prolongent,  sans  se  confondre,  soiis  le 
tertio  des  Celtes,  sous  le  marbre  des  Grecs ^  sous 
le  dattier  du  Sauvage,  achèvent  l'histoire  poli- 
tique; et  il  y  a  \m  ipélange  inexprimable  de 
philosophie^  de  repos  et  d'abandon,  lorsque  de 
l'immense  mausolée,  où  sont  ensevelis  l'Orient 
et  l'Occident,  s'élève  le  chant  d'adieu  d'une 
jeune  indi^enne,  à  ses  ilem^s,  à  son  ruisseau  qui 
fuit,  à  sa  cabane  d^  roseau.  A  ces  traditions  na- 
tionales il  mêle  çà  et  là  ses  méditations  à  lui 
sur  la  survivance  de  l'ame  et  la  palingénésie  des 
formes.   Mais  cette  séréni^  dans  1^  dptite,  cet 
éclat  de  fête  là  où  vous  vous  attende?  à  trourer 
le  deuil ,  vous  étonne  sans  vous  imposer.  Ce  chant 
de  Sirène  ne  peut  endormir  l'ame.  En  vain,  pour 
apaiser  sa  soif  de  l'infini,  il  lui  jette  comme  un 
leurre  l'immortalité  historique,  dont  le  genre 
humain  est  le  principe  et  la  fin  :  on  ne  peut 
s'arrêter  dans  ces  jardins  d'Armide;  lui-même 
il  faudra  bientôt  qu'il  cherche  ailleurs  un  meil- 
leur refuge.  * 

En  effet,  si  l'univers  visible  privé  de  Dieu, 
semble  s'égarer  à  l'aventure,  si  dans  ce  dénue- 
ment il  se  fait  dans  les  cieux,  sur  les  eaua^^  sur 


SUR  HERDER.  117 

la  terre  un  silence  de  mort ,  de  loin  à  loin  un 
cri  de  détresse ,  mais  au  reste  plus'  d'harmonie, 
plus  d'echo,  plus  de  sympathie,  plus  d'être;  un 
songe,  une  fable,  une  insaisissable  chimère, 
qu'est-ce  a  dire,  et  dans  le  spectacle  de  la  durée^ 
nous  laissons-nous  imposer  par  le  bruit  des  ruines  ? 
Qu'nne  pierre  se  détache  .de  l'édifice  des  généra- 
tions humaines  et  tombe  avec  fracas,  est-ce  le 
Néant  ou  l'Être  ?  Encore  dans  le  monde  naturel 
j'aperçois  une  sorte  de  permanence  6ù  ma  pensée 
peut  s'arrêter  un  jour.  Pour  être  éphémères ,  ces 
vastes  cieux,  ces  astres  immobiles,  ces  rochers, 
ces  lacs,  ces  grottes,  ne  périssent  pas  d'une  seule 
fois  et  sans  retour.  Le  vent  qui  gronde  au  loin 
ne  comblera  pas  la  vallée  du  soir  au  matin; 
cette  pluie,  qui  refroidit  mon  cœur,  nç  changera 
pas  le  cours  du  fleuve.  Tels  que  mes  pères  les 
ont  Vus,"^ tels  je  les  verrai  demain,  après-demain, 
toute  nota  vie;  et  mon  égarement  se  conçoit,  si, 
trompé  par  cette  immutabilité  feinte,  je  m'y 
confie  sans  m'effrayer,  et  sans  rien  chercher 
au-delà. 

Sur  ce  fondement,  loin  que  cet  étemel  chan- 
gement de  peuples ,  de  langues ,  de  destinées  soit 
pour  moi  un  vain  amusement  à  ma  curiosité, 
il  ferait  l'efiroi  de  ma  vie,  s'il  n'en  faisait  la 
force.  Mais  de  ce  concours  de  choses  incertaines 
et  flottantes,  je  tire  avec  une  irrésistible  foi  l'idée 


118  .'     ÉTUDE 

d'une  cause  jpremière,  immuable  autant  que  su- 
périeure à  la  durée.  Quand  9  flétrie  par  l'habi- 
tude,  ou  resserrée  par  les  ennuis,  mon  ame  se 
fermerait  au  langage  de  là  tiature,  je  ne  pourrais 
du  moins  me  soustraire  pleinement  aux  souvenirs 
que  m'a  laissés  le  genre  humain.  Je  ne  pourrais 
tout-à-fait  effacer  de  ma  pensée  les  noms  de  ces 
peuples  qui  remplissent  toutes  les  bouches^  et 
ma  démonstration  de  Dieu  la  plus  frappante, 
la  phis  imminente,  se  tirerait  encore  de  ce  spec- 
tacle du  passé,  où  tout  vacille  et  semble  se  con- 
fondre. Je  me  dirais  :  où  tout  pérît  ne  chCTchons 
pas  letre;  ne  nous  faisons  pas  notre  idole  de 
BaJbylone,  de  Kinive,  de  Memphis,  ni  de  Rome. 
Mais  l'ombre  suppose  l'objet  ^  Taccident  suppose 
la  substance ,  et  je  ne  vois  rien ,  je  n'entends 
rien  à  ces  empires  épars,  à  ces  colosses,  à  ces 
tombeaux,  si  je  n'aperçois  au-dessus  d'eux,  dif- 
férente d'eux,  une  cause  suprême  et  permanente 
qui  les  renferme  dans  son  sein  pour  en  faire  un 
seul  tout. 

Si  donc  l'histoire  est  la  plus  haute  puissance 
de  la  nature,  elle  n'est  pourtant,  comme  elle, 
que  la  seience  des  modifications^  Dans  le  même 
torrent,  dont  elles  ne  peuvent  ni  comprendre^ 
ni  suspendre  la  fuite,  également  ignorantes,  ëga^ 
iement  imprévoyantes,  l'une  laisse  tomber  ses 
générations  de  peuples  et  d^idéeè,  l'autre  ses 


9 


SUR  HERDER.  Ht 

globes  d'or  et  ses. feuilles  de  aaul^.  Maïs  leur  pu* 
reoté  vient  de.plos  loin,  ettoutea  deux  ne  se 
ressei^ble^t  tant  que  parce  qu'elles  sont  la  figure 
changeante  dune  indivisible  unité.  Soit  qu'elles 
entrelacent  dans  le  même  univari  leurs  attributs 
mutuiek,  l'espace  et  la  durée,  le  corps  et  la  pen- 
sée, soit  qu'dles  mêlent  les  pleurs  des  hommes 
et  Ja  rosée  des  |Q.eurs ,  la  vieillesse  des  empires 
et  la  jeunesse,  des  forets,  elles  forment  de  leur 
concours  la  ceinture  de  l'éternelle  beauté  9  qui 
du  sein  de  l'infini  parcourt,  vivifie  et  soutient 
toutes  choses. 

Comment  cette  unité  substantielle  est-«elle  ap^ 
parue  à  notre  auteur?  il  est  facile  de  le  pres- 
sentir; et  sa  métaphysique  est  tussi  bi^i  que  sa 
poésie  d'origine  orientale.  Pendant  que  l'être 
gigantesque  de  Spinosa,  violemment  altéré  dans 
son  cou^,  dépouillé  par  Berkeley  et  Leibnitz 
de  la  réalité  de  ses  représentations  extérieures, 
par  Hume  du  fondemeiit  absolu  de  ses  connais^ 
^ncQs,  puis  brusqueiae|it  enlevé  à  l'univers  et 
lédint  par  FLçhte  à  l'étroite  enceinte  de  la 
pensée  de  l'homme ,  y  perdait  jusqu'à  la  vérité 
de  son  moi  intellectuel ,  et ,  privé  de  sens  et 
de  peufisée,  expirait  aux  derniers  confins  du 
néant ,  Herder ,  sans  s'inquiéter  de  ces  chaur 
gemens,  conuue  un  artiste  tout  à  l'objet  de  sa 
contemplation,  s'en  irisait  une  image  perma* 


/ 

i 

120  ÉTUDE 

ziente',  qu'il  ornait  à  son  gré  de  tont  f  édat  dtt 
monde  organique.  A  la  pl^tce*  de  ce  Dieu  absr 
trait,  solitaire,  insaisissaÙe  aux  sens ^ il  substitue 
l'éblouissante  image  de  la  nature  vivante.  Il  em- 
bellit des  couleurs  de  l'arc-en-ciel,  des  perles  du 
matin,  les  cercles  et  les  lignes  géométriques  du 
maître;  perdu  sm*  un  vague  Océan,  qui,  roulant 
sur  luirméme  et  prolongé  à  l'infini ,  n'atteint  au- 
cun rivage,  il  se  laisse  encore  enchanter  de  je 
ne  sais  quelles  naïades  et  d'une  illusoii^  beauté 
qui  naît  au  loin  de  l'écume  des  flots.  Plus  son 
art  est  merveillevix ,  plus  on  cherche  à  y  échap 
per ,  car  l'ame  est  moins  attristée  de  l'eifroyable 
profondeur  et  de  la  vérité  nue  des  théorèmes 
4u  géomètre,  que  des  fêtes  du  poète  dans  le  dé- 
sert. Dan3  Spinosa ,  Fadmirable  puissance  de 
cette  intelligence  vous  étonne,  vous  subjugue. 
Loin  du  spectacle  des  choses  sensibles,  il  vous 
entraîne  aux  entrailles  de  l'univers  pour  vous 
^  révéler  le  secret;  là,  tandis  que  tout  le  monde 
extérieur  pèse  sur  vous ,  autour  de  vous ,  la  peu- 
]$ee  abstraite,  dépouillée  de  symbole  et  de  corps, 
^oue  un  si  grand  rôle ,  il  y  a  tant  de  stoïcisme 
dans  les  formes,  partout,  au.  loin  un  si  grand 
silence  de  l'univers  visible,  que  vous  touchez  à 
la  fois  aux  deux  limites  du  matérialisme  et  du 


JUk 


1  Dialogue -sur  Dica  et  rame,  1799- 


SUR  HERDER.  121 

^irituâlismè.  Ce  caractère  disparaît  dans  le  pan- 
théisme de  Herder.  Au  reste,  que  ce ^  système 
brise  ou  confonde  nos  âmes,  la  question  n'est 
pas  là  ;  et  la  yérité  est  qu'il  était  indispensable 
au  premier  développement  de  la  philosophie  de 
l'histoire.  Long-temps  confondue  avec  les  tradi- 
tions religieuses  et  populaires ,  lorsqu'elle  Toulut 
s^  dégager^  elle  se  trouva  si  bien  enlacée  du 
lien  arbitraire  des  causes  finales ,  qu'elle  ne  put 
y  échapper  que  par  un  violent  effort.  G>mme 
le  principe  de  liberté  providentielle  était  allé 
se  perdre  dans  une  succession  flottante  de  ca- 
prices éphémères ,  l'idée  de  loi  fut  poussée  jus- 
qu'au fatalisme;;  et  la  science  de  l'humanité, 
menacée  d'être  étouffée  en  naissant ,  dut  natu- 
rellement se  réfugier  et  grandir  sous  l'armure 
long-temps  impénétrable  de  &ptnosa. 

De'ce  qui  précède,  il  résulte  que  l'œuvre  in- 
tellectuelle de  Herder  fot  une  opposition  cons- 
tante et  quelquefois  irréfléchie  au  spiritualisme 
de  l'Allemagne  moderne.  Par  une  conséquence 
nécessaire,  restait  tôt  ou  tard  à  l'attaquer  corps 
à  corps  dans  tout  Fappareil  de  sa  puissance.  Lé 
règne  absolu  de  Kant  et  l'oppression  qui  en  fut 
la  suite,  décidèrent  cette  réaction.  Entre  la  crir 
tîque  de  la  raison  pure  et  sa  violente  réfutationv% 

■  ■         ■ ■  ' ■   I  .— ^M^i— ^— ^^1^— ^ ■    ■■ 

I  Méucritiipiey  i  toI.,  1800.  . 


122  ÉTUDE 

si  le  choix  n'est  pas  douteux ,  ce  fut  néanmoins 
1  acte  d'une  noble  ifidépendance-  et  d'un  philo* 
sophe  pratique,  que  cette  insurrection  cçatre  la 
tyrannie,  laveugle  vandalisi^e  des  faux  disciples. 
L'expérience  était  proscrite;  il  osa  la  rappeler 
et  la  célébrer.  La  nature,  Toilée  sous  les  intui- 

\ 

lions  du  moi,  sanblait  se  décolorer  et  s'évanouir; 
menacé  dans  son  culte,  il  en  releva  fidèlement 
la  magnificence.  Un  appareil  exagéré  de  logique 
tendait  au  dénigrement  des  beaux -arts;  il  les 
rétablit  ^  exi  triomphe  dans  leurs  droits.  L'infini 
solitaire  et  muçt  du  moQde  intérieur  lui  resta , 
pe  nou&  semble,  toujours  plus  ou  moins  étranger; 
\\l  lui  opposa ,  du  moins ,  non  pas  le  frêle  édifice 
de  la  saisation,  mais  u|i  autre  infini  aussi  vaste 
que  le  premier.  Si  l'ardeur  de  la  controverse  nç 
l'eut  pas  aveuglé,  sans  doute  il  aurait  le  pr^smier 
reconnu  que  cette  philosophie,  dans  ses  vastes 
et  obscurs  développemens ,  est  l'expression  his^ 
torique  d'une  condition  de  la  conscience  du 
genxie  humain,  et  que  c'est  à  lui  qui  l'a  créée 
qu'il  faut  en  rapporter  ou  l'honneur  ou  le  blâme. 
Comme  dans  l'Orient  l'homme  naissant  lui  avait 
apparu  caché  sous  les  liens  de  l'univers^  l'univers 
à  l'extrémité  des  temps  lui  aurait  apparu  voilé 
çt  presque  enseveli  sous  l'oeuvre  et  la  pensée  de 

1  Calllgone,  i  toL,  iSoo.  .. 


SUR  HERDER.  123 

llioiiime.  En  effet,  le  jour  où  la  personnalité 
libre  eat  tout  envahi  et  tout  dompté,  né  cher** 
chant  que  soi  et  ne  trouvant  que  soi  ;  dans  ce 
silence  de  toutes  chose»  n'entendant  plus  que 
f  harmonie  de  ses  invisibles  sphères ,  elle  se  prit 
à  s  adorer.  Ces  généalogies  de  dieux  créateurs, 
dont  elle  avait  autrefois  à  son  berceau  peuplé 
les  abimes  de  l'espace,  il  lui  sembla  les  recon- 
naître en  elle  sous  des  noms  différens  ;  et  la 
chaîne  symbolique  des  êtres  qu'elle  avait  jadis 
suspendue  aux  mains  de  son  Jupiter,  eUe  se 
crut  alors  la  force  d'en  dépouiller  son  idole,  et 
de  la  soutenir  seule  par  sa  propre  puissance.  Si 
ce  fiit  là  une  tentative  ou  vaine  ou  glorieuse  de 
Id  philosophie,  elle  ne  fît  d'ailleurs  que  mettre 
en  lumière  et  pousser  à  ses  extrêmes  conséquences 
le  principe  qu'exprimait  à  son  insçu  toutç  l'hu-i 
manité  moderne  dans  ses  actes ,  ses  arts ,  ses 
cultes ,  et  le  système  entier  de  sa  régénération 
civile.  Mfiis  alors  ainsi  réduite  à  son  essence, 
les  peuples  ne  reconnurent  plus  leur  œuvre,  et 
passèrent  sans  pouvoir  lire  l'inscription  du  tem-* 
pie  qu'ils  venaient  d'élever. 

Arrivés  au .  tarme  de  l'étude  que  nous  nous 
sommes  proposée,  nous  n'avons  parlé  ni  des 
samons  du  ministre  évangélique,  où  brille  tout 
l'éclat  qui  manque  à  son  culte,  ni  de  ses  poésies 
qui ,  nées  çà  et  là  de  chaque  impression  pré* 


124  ÉTUDE 

sente,  composent  la  paisible  Mstoire  de  sa  vie 
intérieure.  Partout .  nous  y  retrouverions  pour 
trait  dominant  cette  sérénité  native,  caractère 
suprême  et  distinctif  de  sa  pensée,  de  laquelle  il 
ne  s'est  départi  qu'une  fois,  et  dont  nous  n'avons 
point  jusqu'ici  à  notre  gré  assez  relevé  le  beau 
moral.  Dans  la  premià:e  jeuniesse,  dans  ces  jours 
si  tristes  où  nos  facultés  naissantes  comme  sor- 
tant  du  cbaos,  nous  troublent  sans  nous  éclairer, 
nous  comprenons  mal  ces  livres  où  tout  sert  à 
rbarmônie,  et  parce  qu'ils  répondent  mal  à  l'a- 
gitation de  nos  âmes ,  ils  nous  semblent  manquer 
dé  .profpndeur  ou  d  émotion.  De  inéme  qu'on 
appelle  alors  des  dangers  qu'on  ignore,  on  cherche 
'avec  anxiété  cette  éloquence  qui  nous  peint  le 
désordre  dans  le  ciel  et  dans  le  sein  de  l'homme. 
Enfin,  quand  ce  qu'on  voulait  est  arrivé,  et  que 
notre  vie,  quoique  courte,  nous  a  déjà  lassés, 
il  est  un  mot  ^ue  la  bouche  répète,  et  dont  le 
sens,  mal  compris  jusque-là,  est  lui  seul  un 
bienfait  :  le  repos ,  le  doux  repos ,  en  nous  et 
hors  de  nous ,  la  paisible  harmonie  du  soir.  Àh  ! 
s'il  est  quelque  part  une  poésie,  une  langue,  une 
science  qui  rétablisse  en  nous  cet  accord  uni- 
versel, qu'elle  soit  un  baume  sur  nos  coeurs  ha- 
letans.  Danis  ces  temps  arides ,  dépouillés  de  ver- 
tus et  de  gloire,  certes,  nous  n'avons  que  trop 
biçn  répondu  aux  cris  de  jdétresse  que  1^  poètes 


SUR  RERDER.  12& 

ont  partout  fait  échapper,  et  Tennui  a  saisi  no^ 
âmes  jusqu'à  les  énerver.  Mais,  Dieu  soit  loué» 
au  milieu  des  acc^is  troublés  des  peuples  mo- 
dernes, quelques  rares  génies  ont  su  se  conserver 
calmes  et  confians.  Pendant  que,  Courbée  sous 
le  faix  des  âges,  Thumanité  se  nourrit  de  regrets, 
la  longueur  du  chemin  ne  les  a  point  encore 
lasses.  Angéliques  séraphins,  doués  dune  éter- 
nelle adolescence,  jamais  le  souffle  des  âges  n'a 
laissé  sur  leurs  traits  son  empreinte  empoisonnée^ 
Aujourd'hui  brillans  d'espérance,  comme  ils  au- 
raient  pu  l'être  aux  jours  d'Evandre  et  d'Homère, 
vons  ne  savez  où  ib  puisent  cette  joie  intérieure 
qu'iis  répandent  tout  autour  d'eux  \  plus  le  cœur 
de  l'homme,  lentement  éprouvé  et  rongé  par  les 
siècles,  se  consume,  se  replie,  se  dévore  lui- 
même,  plus  leur  paix  semble  douce,  pareik  à 
ces  hirondelles  de  bonne  augure  qui  s^en  vont 
chaque  année  remplir  de  leurs  chants  d'alégresse 
l'enoeiïite  croulante  de  Palmyre  et  les  temples 
ensablés  des  Pharaons. 

Avec  cela,  malgré  cette  étonnante  sérénité 
dans  un  U^nps  dont  Faust  est  resté  le  ehef^ 
d'oeuvre  et  le  type ,  malgré  cette  opposition  na- 
turelle à  des  théories  que  l'Allemagne  ne  pour- 
rait entièrement  abdiquer  sans  cesser  d'être,  l'in- 
fluence de  Herder  ne  se  sépare  pas  de  celle  de 
son  siècle.  Le  génie  germanique ,  qui  avait  été 


r      • 


126  ETUDE 

judqué-là  comprimé  ou  détourné  de  ses  roîes, 
produisit  alors  y  dans  ua  même  momeut,  sa  poésie 
et  sa  philosophie.  '  Dans  cette  époque  d  une  fé* 
conde  jeunesse ,  où  les  ardentes  intuitipns  de  la 
pensée  deyancèrent  les  lents  progrès  de  la  science» 
Herder  fut  l'Hérodote  de  la  philosophie  de  Thisr 
toire.  Comme  dans  le  cercle  de  ses  contempla- 
tions, je  rencontre,  il  est  vrai,  dans  tout  cet  âge 
des  plans  immenses  qui  enveloppent  Tunivers 
entier,  de'  vastes  sentiers  qui  me  guident  dans 
le  désert  où  s  agite  ma  vie ,  des  voix  amies  plus 
touchantes,  plus  pénétrantes  que  celles  de  mes 
proches  ;  mais  un  monument  achevé  où  je  puisse 
ïaé  recueillir  et  y  mourif  en  paix,  je  n'en  dé^ 
couvre  aucun.  Sciencéi impuissante  et  vaine,  si 
elle  s'arrête  là.  En  suivant  ses  txaces  pour  la 
première  fois ,  mon  étonnement  fut  grand  de 
parvenir,  à  une  profonde  solitude,  la  où  j'ima-* 
ginais  trouver  la  nation  tout  entière.  Cest  qu'un 
autre  âge  était  venu;  à  la  place  de  ces  vidjes 
prodigieux   que   l'homme  a  découverts  en  lui 
sans  pouvoir  les  mesurer  ni  les  combler,  déjà 
est  arrivé  le  temps  où  les  faits  sont-  appelés  à 
jeter  leur,lumière.  Pendant  que  le  reste  de  l'unie 
vers  moral  remonte  par  degrés  de  Texpérience 
à  la  spéculation  ^ ,  l'Allemagne  incline  de  la  spé* 

1   Voyez  cette  obsenration  déyeloppée  dans  une  brochure  y 
intitttUe  :  De  P^Uemagne  et  de  Im  réyolutiortf  Janvier,  ië3at 


SUR  HERDER-  42* 

culation  à  l'expérience.  Plus  d'extase ,  plus  d'élo- 
quence, plus  dç  sublitnes  contemplations.  Pour 
quelque  temps  toutes  les  fêtes  de  llmagination 
soDLt  suspendues ,  tant  est  pressant  le  l>esoin  de 
connaitre  le  monde  réel.  Le  même  génie ,  qui 
s'était  nourri  auparayant  de  poésie,  se  nourrit 
à  cette  heure  de  faits  et  de  science.  Il  promène 
ses  regards  sur  la  terre  où  il  avait  peu  vécu, 
^'arrêtant  à  chaque  objet ,  voulant  tout  voir , 
tout  décrire,  tout  analyser,  se  promettant  sur- 
tout que  cette  adoration  de  tout  ce  qui  est  fini 
ne  s'éteindra  jatnais  ;  mais  cette  carrière  de  l'u- 
nivers réel  sera  tôt  épuisée  pour  lui  ;  et  avant 
cela ,  elle  ne  lui  suffira  plus.  Car  si ,  poUr  nous , 
qui  ne  vivons  qu'un  jour,  elle  est  amère,  l'heure 
cil  le  monde  que  nous  nous  étions  créé,  échappe 
à  nos  atteintes,  il  n'en  est  point  ainsi  des  idoles 
que  se  forment  les  peuples.  Leurs  chimères,  qui 
leur  survivent,  ont  plus  d'être  qu'eux-mêmes; 
et  tandis  que  nous  poursuivons  en  défaillant 
notre  rêve,  à  nous^  ils  n'ont  sous  mille  formes 
qu'un  même  hut;  pour  eux,  le  réel  confirme 
l'idéal,  l'idéal  explique  le  réel.  Ballottés  entre 
l'un  et  l'autre,  toute  leur  destinée  est  de  les 
unir,  l'Un  et  l'autre,  dans  un  droit,  un  culte  et 
un  art  national. 

» 

Adieu ,  terre  hospitalière ,  terre  paisible  !  que 
puis-je  te  rendre  pour  tout  ce  que  j'ai  reçu  de 


12S 


ETUDE  SUR  HERDEH. 


ni  la  lihiNlé  plus  douce  de  l'Angleterre ,.  ni 
^tes  agrestes  de  TEcosse,  ni  les  ruines  antiq 


toi?  Tu  n'as  ni  k  doux  climat  de  la  France. 

les 
antiques 

de  lltalie,  ni  l'air  embaumé  des  myrthes  de  la 
Provence.  Mais  au  fond  de  tes  silencieuses  val- 
lées jaillit  encore,  sous  les  chênes  d'Arminius^ 
la  source  pure  du  beau  moral,  où  tôt  ou  tard 
viendront  se  désaltéi^  les  peiq)les  qui  t'entou- 
rent. Ils  sont  morts  ou  vieillisseiit,  les^hommiés 
qui  ont  £iit  ta  gloire,  et  tu  t'appuies  sur  leur» 
tombeaux,  déjà  fatiguée  de  l'agitation  du  génies 
Le  délire  de  son.  inspiration  est  passé;  comme 
le  rameau  chargé  de  fruits,  tu  t'inclines  vers  le 
sol,  et  pourtant  tu  es  encore^  le  pays  de.l'ame 
et.de  l'espérance* 
,   Heidelberg,  Mui  18^7. 

QuiNET- 


»s 


FRÈFAGE  DS  L'AUTEIJB. 


UuAND  je  publiai ,  il  y  a  dix  ans ,  le  petit  traite 
intitulé  :  Encore  une  philosophie  de  Vhistpire 
pour  ^éducation  du  genre  humain,  ce  titre  n'é- 
tait point  destiné  à  remplacer  pour  moi  le  anch' 
io  sonpittore,  et  moi  aussi  je  suis  peintre.  C'était 
plutôt  un  supplément  à  plusieurs  supplémens  de 
ce  siècle,  et  l'épigraphe  qui  l'accompagnait  né- 
tait  qu'une  expression  d'humilité,  indiqixant  que 
l'auteur,  loin  de  le  présenter  comme  une  philo- 
sophie complète  de  l'histoire  de  notre  espèce, 
luarcpiait  seulement,  près  des  grandes  routes  bat- 
tues que  les  hommes  foulent  incessamment ,  un 
petit  sentier  qui  a  été  né^igé,  et  qui  pourtant 
paraissait  digne  d'être  exploré.  Les  ouvrages  cités 
çà  et  là  suffisaient  à  montrer  les  passages  bien 
connus  dont  l'auteur  cherchait  à  éloigner  ses  pas, 
et  ainsi  cet  essai  n'était  considéré  que  comme 
une  feuille  dépareillée,  un  supplément  à  des  sup- 

1.  * 


ij  PRÉFACE 

»  4 

plémens,  comme  sa  forme  elle-même  le  prouvait. 
Toute  l'édition  fut  bientôt  épuisée,  et  Ton 
m'encpurageait  à  en  publier  une  nouTellej  mais 
il  était  impossible  que  ce  traité  parut  dans  son 
premier  état.  JTavais  remarqué  que  quelques- 
unes  des  idées  qu'il  renferme,  avaient  été  insérées 
dans  d'autres  ouvrages,  sans  que  mon  nom  même 
y  parût,  et  appliquées  dans  un  senst  auquel  je 
n'avais  jamais  songé.  Cet  e^sai ,  qui' fournit  à  quel- 
ques emprunts,  finit  par  être  oublié;  pourtant 
il  faut  dire  qu'en  employant  qudques  expressions 
figurées,  telles  que  V enfance,  la  jeunesse j  ïdgs 
mûr  et  la  vieUksse  Aq  notre  espèce,  et  en  ap- 
pliquant ces  termes  se«sjbeme|it  à,  quelques  nations 
auxquelles  ils  sont  réellement  applicables ,  il  n'é- 
tait jamais  entré  dans  mon  esprit  de  vouloir  tra- 
cas une  métbode  générale  pom-  apprécier,  saiis 
crainte  d^erreur,  rbistoirè  de  la  c^lture,  et  moins 
encore  la  pbilosop^ie  de  l'histoire  entière  de  l'hu- 
manité. Y  a-t-il  un  peuple  sur  la  terre  sans  aut- 
cune  culture?  et  combien  le  plan  de  la  Provi- 
dence ne  serait^il  pas  rétréci  si  chaque  individu 
de  Tespèee  humaine  devait  être  formé  pour  ce 
que  nous  appelons  civilisation ,  quand  une  élé- 
gante fsdbiesse  serait  souvent  un  tenue  beaucoup 


D£  l'auteur.  iij 

plus  convenable!  Rien  ne  peut  être  plus  vague 
que  le  terme  lui-même,  rien  de  plus  propre  à 
nous  égarer  que  son  application  à  l'ensemble  des 
nations  et  des  âges.  Dans  un  peujJe  civilisé,  quel 
est  le  nombre  de  ceux  qui  ont  part  à  la  culture? 
en  quoi  consiste  leur  prééminence?  et  comment 
contribue-t-elle  a  leur  bonbeur?  Je  parle  du  bon- 
heur des  individus j  car,  que  l'être  abstrait,  que 
l'Etat  puisse  être  heureux ,  quand  tous  les  mem- 
bres  qui  le  composent,  souffrent,  c'est  une  con- 
tradiction, ou  jdutôt  un  jeu  de  paroles,  qui  s'a- 
perçoit à  la  première  vue. 

Ainsi ,  poiu*  que  l'ouvrage  réponde  en  quelque 
sorte  à  son  titre,  il  faut  qu'il  parte  de  plus  loin, 

*  *  * 

et  qu'il  embrasse  une  beaucoup  plus  vaste  éten^ 
due  d'idées.  Qu'est-ce  que  le  bonbeur  de  l'homme? 
jusqu'où  va-t-il  dans  ce  monde  ?  et  à  considérer 
l'extrême  diversité  des  êtres  sur  la  terre ,  et  parti- 
culièrement de  l'homme,  jusqu'à  quel  point  peut- 
on  le  trouver  dans  chaque  forme  de  gouverne- 
ment, dans  chaque  climat,  dans  chaque  variété 
de  circonstances ,  d'âges  et  de  temps  ?  est-il  quel-- 
que  type  de  ces  états  divers  ?  et  là  Providence  a^  . 
t^Ue  calculé  le  bien-être  de  ses  créatures,  dans 
toutes  ces  situations,  comme  son  dernier  et  grand 


ir  PRÉFACE 

objet?  n  fau(  que  toutes  ce^  questions  soient  son* 
^ées  et  débrouillées  à  travers  le  tourbillon  im- 
çiense  des  âges,  avant  que  l'on  puisse  arriver  à 
un  résultat  général  pour  Thumanité  eu  mas$e. 
J'ai  lu  presque  tout  ce  qui  a  été  écrit  sur  ce  su- 
jet^ et,  depuis  ma  jeunesse ^  il  n'est  pas  de  livre 
nouveau  sur  l'histoire  de  l'homme ,  dans  lequel 
je  pouvais  espérer  trouver  des  matériaux  pour 
mon  grand  ouvrage,  qui  n'ait  été  pour  moi  un 
véritable  trésor.  Je  me  suis  félicité  que  cette  phi- 
losophie ait  obtenu  plus  de  vogue  dans  ces  devr 
nières  années ,  et  je  n'ai  négligé  aucun. des  secours 
que  la  fortune  a  placés  sur  mon  chemin.   . 

L'auteur  qui  publie  un  ouvrage ,  bon  ou  mau- 
vais, dévoile  jusqu'à  un  certain  point  son  propre 
cœur  au  monde,  pourvu  que  ce  livre  contienne 
des  vérités  qui ,  s'il  ne  les  a  pas  trouvées  (et  de 
nos  jours  il  reste  peu  de  découvertes  à  faire) ,  ont 
été  dû  moins  établies  par  lui  ;  que  d'ailleurs  il 
s'est  rendues  propres,  et  dont  il  a  joui  pendant 
des  années  comme  de  la  propriété  de  son  cœur 
et  de  son  ame.  Non-Seulement  il  révèle  les  sujets 
qui  ont  occupé  sa  pensée  à  certaines  époques, 
les  doutes  qui  ^e  sont  disputé  son  être  dans  son 
voyage  de  la  vie,  et  les  solutions  par  lesquelles  il 


9     •'- 

DE  L  AUTEUR. 


enâ  triomphé;  mais  encore  il  compte  sm*  quel- 
ques âmes  à  Tunisson  de  la  sienne,  bien  qu'elles 
soient  rares ,  pour  lesquelles  de  telles  idées  auront 
de  l'importance  au  milieu  du  labyrinthe  de  la 
vie. Car,  quelle  autre  espérance  pourrait  Fexciter 
à  devenir  auteur  et  à  dévoiler  aux  yeux  d'une 
grossière  multitude  ce  qui  se  passe  dans  son  cœur? 
D  converse  avec  ces  nobles  intelligences  sans  en 
être  vu,  et  il  leur  communique  ses  sentîmens; 
attendant  ^i  retour  leurs  observations  les  plus 
remarquables,  quand  elles  auront  été  plus  loin 
que  lui.  Ce  commerce  invisible  des  coeurs  et  des 
âmes  est  le  plus  grand  bienfait  de  Timprimerie, 
qui  sans  cela  apporterait  autant  de  maux  que 

.  "  ' 

d'avantages  à  une  nation  littéraire.  L'auteur  de 
cet  ouvrage  s'est  considéré  lui-même  comme  fai- 
sant partie  du  cercle  de  ceux  qui  se  sentent  réel- 
lement intéressés  aii  sujet  dont  il  s'occupe,  et 

»  * 

sur  lequel  il  désire  provoquer  leurâ  meilleures 
pensées,  afin  d'en  profiter.  Voilà  la  plus  douce 
récompense  de  l'écrivain ,  et  un  bomine  distingué 
par  l'ame  sentira  toujours  beaucoup  moins  de 
plaisir  de  ce  qu'il  dit  que  de  ce  qu'il  inspire.  Celuli 
qui  se  rappelle  combien  tel  ou  tel  livre,  ou  sim- 
plement tel  ou  tel  passage  d'un  livre»  â  eu  quel- 


TJ  PRÉFACE . 

^efois  d'influence  sur  le  reste  de  sa  vie  ;  quelle 
douceur  il  a  sentie,  en  apercevant,  distante  de  la 
sienne,  une  ame  qui  en  est  proche  par  la  pensée, 
et  qui  suit  sa  propre  trace,  ou  une  meilleure;  et 
combien  tel  passage  Ta  souvent  occupé  pendant 
des  années,  et  a  servi  à  ses  progrès;  celui-  là  con- 
sidérera un  auteur  qui  converse  avec  lui  et  lui 
communique  ses  pensées  les  plus  secrètes,  non 
pas  comme  quelqu'un  qui  travaille  pour  son  sa- 
laire ,  mais  comme  un  ami  qui  lui  dévoile  en 
confidence  sesjdées  impar£siites,  afin  que  le  lec- 
teur plus  expérimenté  puisse  méditer  de  concert 
avec  lui ,  et  porter  ses  essais  plus  près  de  la  perfec- 
tion. , 

Dans  un  suyet  comme  le  mien,  \ histoire  de 
ÏHumanitéy  la  philosophie  de  scfn  histoire^  il 
me  semble  surtout  qu'une  telle  disposition  est 
un  devoir  indispensable  autant  que  doux  à  rem- 
plir. Celui  qui  la  écrit  est  un  homme,  et  toi  qui 
le  lis,  tu  es  un  hompie  aussi;  il  était  accessible 
a  l'erreur,  et  probablement  il  a  erré;  tu  as  acquis 
d(ss  connaissa9ces  qu'il  n'avait  pas  et  qu'il  ne 
2)OUTait  avpir  :  uses -en  donc,  selon  ce  que  tu 
peux;  reçois  sa  bonne  volonté,  ne  le  repousse  pas 
♦vec  des  ^reprpçh^;  mais. perfectionne  sou  oeuvre: 


DE  X  AUTEUR.  VI j 

n  a  posé  d'tiae  faible  main  quelques  pierres  de  / 
fondation  d^un  édifice,  qu'il  &udra  des  sièdes 
pour  achever:  heureux  si,  quand  ces  pierres  se^ 
ront  couvertes V de  terre,  et  que  celui  qui  les  a 
placées  sera  oublié,  le  plus  sublime  des  édifices 
s'élève  appuyé  sur  elles  ou  sur  quelque  autre  fon-^ 
dément 

Mais,  sans  m'en  apercevoir,  je  me  suis  beau^ 
coup  trop  éloigné  du  dessein  que  j'avais  en  com-r 
mençant ,  de  donner  une  idée  de  la  manière  dont 
j'ai  rencontré  ce  sujet,  y  revenant  incessamment 
au  milieu  d'autres  occupations  et  de  devoirs 
d'une  nature  très-différente.  Dans  un  premier 
âge,  quand  l'aurore  de  la  Science  apparut  à  ma 
vue  dans  toute  cette  beauté  qui  diminue  beau-  ^ 
coup  vers  le  soir  de  la  vie,  la  pensée  me  vint 
fréquemment  que,  comme  chaque  chose  dans  le 
monde  a  sa  philosophie  et  sa  science,  il  doit  exis- 
ter aussi  une  philosophie  et  une  science  de  ce 
qui  nous  concerne  plus  particulièrement,  de  l'his-^ 
toire  de  l'humanité  en  général.  Toutes  choses  me 
confirmèrent  dans  cette  idée,  la  métaphysique 
et  la  morale;  la  physique  et  l'histoire  naturelle,- 
et  enfin  la  religion  par-dessus  tout  le  reste.  Cdui 
qcu  a  tout  ordonné  dans  la  nature,  me  disais*je 


Viij  PREFACE 

à  moi-même,  par  nombre,  poids  et  mesure,  qiiî' 
a  réglé  l'essence  des  choses,  leurs  formes  et  leur 
enchaînement,  lear  cours  et  leur  conservation^ 
afin  qu'une  seule  sagesse,  une  seule  bonté ^  un 
seul  pouvoir ,  prévalent  depuis  lé  palais  de  Tuni* 
vers  jusqu'au  grain  de  sable,  depuis  la  puissanicé 
qui  soutient  les  mondes  et  les  soleils,  jusqu'au 
tissu  de  la  toile  de  l'araignée  ;  celui  qui  a  distri- 
bué avec  un  art  si  merveilleux  et  si  divin  les  or- 
ganes de  nos  corps  et  les  facultés  de  nos  amesj 
qu'en  essayant  de  réfléchir  sur  le  seul  sage  dans 
de»  espaces  si  vastes,  nous  nous  perdons  dans 
Fabime  de  ses  desseins  \  ce  Dieu  s'écarterait-il  dé 
sa  sagesse  et  de  sa  bonté,  dans  la  destinée  géné- 
rale et  dans  la  disposition  de  notre  espèce,  et 
serait-ce  là  qu'il  procéderait  sans  plan?  ou  plutôt 
nous  aurait-il  portés  à  l'ignorer,  pendant  qu'il 
nous  a  dévoilé  une  si  grande  partie  de  ses  de^ 
seins  étemels  dans  les  êtres  inférieurs  dé  la  créa-^ 

tion ,  qui  nous  importent  à  de»  degrés  si  différens  ? 

» 

Que  sont  les  races  humaines  dans  le  tout,  si  ce 
n'est  un  troupeau  san^  berger?  Dans  les  parole» 
de  deuil  du  prophète,  né  àont-eUés  pas  laissa* 
à  leurs  propres^  voies ,  comme  les  poissons  de  la 
m!er,  comme  les  reptiles,  qui  n'ont  point  dç  che& 


DE  l'auteur.  ix 


au-dessus  d'eiix?  ou  leur  est-il  inutile  de  connaître  ^ 
ce  plan?  c'est  ce  que  j'incline  à  penser.  Car  où 
est  l'homme  qui  distingue  seulement  le  petit  des- 

» 

sein  de  sa  propre  vie,  quoiqu'il  voie  aussi  loin 
qu'il  ait  à  Toir,  et  qu'il  connaisse  tout  ce  qu'il  lui 
£iut  connaître  pour  diriger  ses  propres  pas? 

En  même  temps,  cette  même  igiaorance  ne 
sert-eUe  pas  de  prétexte  à  de  grands  abus?  Com- 
bien en  est-il  qui ,  parce  qu'ils  n'aperçoivent  pas 
de  plan,  nient  péremptoirement  qu'il  y  en  ait 
nn,  ou  qui,  toujours  tremblans  de  frayeur ,  res- 
tent flottans  entre  la  foi  et  le  doute  !  Us  se  refu- 
sent de  toutes  leurs  forces  à  considérer  la  race 
humaine  comme  un  nid  de  fourmis,  où  le  pied 
d'un  étranger,  qui  n'est  lui-même  qu'une  fourmi 
gigantesque  9  en  écrase  des  milliers  au  milieu  de 
leurs  superbes  entreprises,  pendant  que  les  deux 
grand  tyrans  de  la  ter^e,  le  temps  et  le  hasard, 
dispersent  au  loin  le  nid  entier  ^  effaçant  jusqu'à 
la  moindre  trace  de  son  existence,  et  laissant  la 
place  ride  pour  quelque  autre  communauté  in- 
dustrieuse, qui  sera  détruite  à  son  tour,  li'homme , 
dans. sa  fierté,  se  refuse  à  considérer  son  espèce 
comme  de  tels  insectes  de  terre,  comme  une  proie 
de  la  corruption  dévorante  :  pourtant  l'histoire 


] 


^  PRÉFACE 

et  rexperience  nlmpriment- elles  pas  de  force 
cette  image  dai^  son  ame?  quel  tout  est  complet 
sur  lai  terre?  qu'est-ce  qui  est  uu  tout  sur  ellç? 
le  teipps  n  est-il  pas  ordonné  aussi  bien  qUe  Fes» 
pace?  ne  sont-ils  pas  les  rejetons  coexistans  d'un 
pouvoir  régulateur?  LW  est  plein  de  sagesse; 
Tautre ,  d'un  désordre  appareht  :  mais  l'homnie 
est  évidemment  formé  pour  poursuivre  Tordre, 
pour  regarder  au-delà  d'un  point  du  temps,  et 
pour  bâtir  sur  le  passé;  car  c'est  pour  cette  fin 
que  lui  ont  été  données  la  mémoire  et  la  ré- 
flexion; et  cet  édifices  d'un  âge  élevé  sur  celui 
d'un  -autre  âge,  ne  fait-il  pas  de  l'ensemble  de 
notre  espèce  une  massé  informe  et  gigantesque, 
où  l'un  renverse  ce  que  l'autre  a  élevé ,  où  ce  qui 
n'aui*ait  jamais  dû  s'élever  est  conservé  intact,  et 
où,  dans  le  cours  du  temps ,  tout  devient  un  mon* 
ceaù de  ruines,  sous  lequel  les  timides  morteb  de-» 
meurent  avec  une  confiance  égale  à  sa  fragilité  7^ 
Je  ne  Suivrai  pas  plus  loin  cette  chaîne  de 
doutes ,  ni  la  contradiction  de  Thomme  avec  lui- 
même,  avec  ses  semblables  et  avec  tout  le  reste 
de  la  création  ;  qu'il  sùfiise  que  j'aie  cbercbé  d^ns 
une  philosophie  de  Thistoire  tout  ce  que  je  pou- 
vais y  chercher. 


DE  l'auteur. 


Si  je  Fai  trouvé,  c'est  à  cet  ouvrage  à  en  décir 
der^  mais  non  pas  à  son  premier  volume,  qui 
nen  renferme  que  la  base^  en  partie  dans  un 
examen  général  du  lieu  de  notre  demeure ,  en  par^ 
tie  dans  des  considérations  sur  les  difierens  genres 
d  êtres  organisés  qui  jouissent  avec  nous  de  la  lu- 
mière de  notre  soleil.  Personne,  je  l'espère,  ne  re- 
gardera cette  carrière  comme  trop  longue,  ou 
commençant  à  une  distance  trop  éloignée;  car, 
puisqu'il  ne  peut  y  avoir  d'autre  méthode  pour 
lire  le  destin  de  l'homme  dans  le  livre  de"  la  créa* 
tion,  on  ne  peut  l'envisager  avec  trpp  de  soin  ou 
trop  d'étendue.  Celui  qui  demande  des  spécula- 
tions purement  .métaphysiques,  peut  les  obtenir 
d'une  manière  plus  expéditive;  mais  détachées  de 
Texpérience  et'  de  l'analogie  de  la  nature,  elles  ne 
me  semblent  que  des  leurres  aériens ,  qui  rare-- 
ment  conduisent  à  quelque  résultat  Les  voies  de 
Dieu  dans  la  nature,  les  intentions  que  l'Etemel 
a  actuellement  déployées  pour   nous  dans  la 
chaîne  de  ses  ouvrages ,  forment  le  livre  sacré 
dont  je  me  suis  efforcé  d'épeler  les  lettres;  et» 
c'est  ce  que  je  continuerai  de  Êiire,  avec  une  ha-^ 
bileté  inférieure  à  celle  d'un  enfant,  il  est  vrai, 
mais  au  moins  avec  zèle  et  sincérité.  Puissé-je 


> 


Xij  PRÉPAGE 

r 

être  assez  heureux  pour  coînmunîquer  à  un  seul 
de  mes  lecteurs  quelque  chose  de  cette  douce 
impression  de  la  sagesse  éternelle  et  de  la  bouté 
du  Créateur  dans  ses  opérations,  telle  que  je  Fai 
sentie  dans  mon  cœur  avec  une  confiance  pour 
laquelle  je  né  connais  pas  de  nom!  Ce  sentiment 
de  repos  serait  un  61  avec  lequel  nous  pour- 
rions ,  dans  ia  partie  suivante  de  l'ouvrage,  nous 
aventurer  dans  le  dédale  de  l'histoire  humaine. 
Partout  les  grandes  analogies  de  la  nature  m'ont 
conduit  à  des  vérités  religieuses,  que  je  dois  sup- 
primer, bien  qu'il  m'en  coûte,  puisque  je  né 
voudrais  pas  anticiper  sur  ce  qui  doit  suivre, 
mais  obéir  pas  à  pas  à  cette  lumière  qui  partout 
rayonne  sur  moi  par  la  présence  cachée  du  créa- 
teur dans  ses  .ouvrages.  Ce  serait  aussi ,  pour  mon 
lecteur  et  pour  moi,  la  plus  douce  satisfaction, 
si,  à  mesure  que  nous  avançons  dans  notre  che- 
min, cette  lumière,  qui  d'abord  commence  à 
poindre  obscurément,  s'élevait  enfin  sur  nous 

■s 

avec  là  splendeur  d'un  soleil  sans  nuages. 
•    Que  l'on  ne  se  méprenne  donc  pas,  si  j'emploie 
çà  et  là  le  terme  de  nature,  en  la  personnifiant; 

.  « 

La  nature  n'est  pas  un  être  réel  ;  Dieu  seul  est 
tout  dans  ses  ouvrages  :  et  pourtant  ce  nom  sacré. 


qu'aucune  créature,  dont  nos  sens  nous  donnent 
connaissance,  ne  devrait  prononcer  sans  le  plus 
profond  respect,  je  désirais  au  moins  ne  pas  en 
abuser  en  l'employant  trop  fréquemment,  puis- 
que je  ne  pouvais  pas  l'introduire  avec  une  solen- 
nité suffisante  dans  toutes  les  occasions.  Que  celui 
qui,  dans  son  esprit,  trouve  que  le  terme  nature 
a  été  usé  et  dégradé  par  plusieurs  écrivains  de  nos 
jours,  conçoive  à  sa  place  le  pouvoir  suprême, 
la  bonté  et  la  sagesse,  et  nomme  dans  sa  pensée 
cet  être  invisible,  pour  lequel  aucune  langue  sur 
la  ten'e  ne  peut  trouver  d'expression. 

Il  en  est  de  même  quand  je  parlé  des  pouvoirs 
organiques  de  la  création  :  je  n'imagine  pas  qu'on 
veuille  les  considérer  comme  des  qualités  oo^ 
cultes,  puisque  leurs  opérations  sont  apparentes 
pour  nous ,  et  je  ne  sais  quel  nom  leur  donner 
plus  précis  et  plus  déterminé.  Je  pense  à  quelque 
époque  future  entrer  plus  avant  dans  ces  sujets 
et  d'autres  semblables,  sur  lesquels  je  ne  dois  jeter 
ici  qu'un  coup  d'œil  rapide. 

En  même  temps  je  me  réjouis  que  cet  essai 
d'enfant  ait  été  fait  dans  un  âge  où  les  mains 
des  maîtres  ont  rassemblé  tant  de  matériaux,  et 
travaillé  à  tant  de  sciences  particulières  et  de 


XlV  PREFACE 

branches  de  connaissances  auxquelles  je  devais 
nécessairement  avoir  recours.  Us  ne  dédaigneront 
point,  j'en  suis  sûr,  les  ébauclies  impar&ites  de 
quelqu'un  'qui  n'est  pas  initié  à  leur  art;  mais 
ils  les  perfectionneront  :  car  j'ai  constamment 
observé  que,  plus  les  fondemens  d'une  science 
sont  réels  et  solides,  plus  les  controverses  sont 
rares  entre  ceux  qiii  l'aiment  et  qui  la  cultivent 
On  laisse  les  disputes  de  mots  à  ceux  qui  ne  sont 
instruits  que  des  mots.  Im  plus  grande  partie  de 
mon  livre  montre  qu'une  philosophie  de  l'his- 
toire de  l'homme  ne  pouvait  être  écrite  avant 
notre  époque,  et  qu'elle  le  sera  probablement, 
sinon  dans  ce  siècle-ci,  du  moins  avant  la  fin: 
de  .ce  millénaire. 

Ainsi,  grand  Être,  suprême  et  invisible  dis- 
pensateur de  nos  destinées,  je  dépose  à  tes  pieds 
l'ouirage  le  plus  imparfait  qu'un  mort€|l  ait  ja- 
mais écrit,  bien  qu'il  ait  osé  marquer  et  suivre 
la  trace  de  tes  pas.  Ses  parole  peuvent  s'évanouir , 
et  ses  lignes  s'effacer  j  de  même,  les  formes  dans 
lesquelles  je  me  suis  efforcé  de  discerner  tes  traces 
afin  de  les  montrejr  à  mes  frères,  peuvent  tomber 
en  poussière  :  mais  tes  desseins  resteront ,  et  peu 
à  peu  tu  les  dévoileras  à  tes  créatures^  et  tu  les 


Î)E  L  AUTEUR. 


XV 


montreras  sons  les  manifestations  les  plus  nobles. 
Heureux  si  alors  ces  feuilles  sont  jetées  dans  lé 
fleure  d'ottbli ,  et  si  à  leur  place  des  idées  plus 
lucides  s^élèvent  dans  la  pensée  de  rhomioie. 
Weimar,  le  2  5  Avril  1784. 


HERDER, 


«    ? 


IDEES 

SUR  LA  PHILOSOPHIE 


DE 


UHÏSTOIRE  DE  L'HUMANITÉ. 


LIVRE  PREMIER. 


CHAPITRE  PREMIER. 
î^otre  terre  est  un  astre  parmi  des  astres* 

ui  notre  philosophie  de  l'histoire  de  l'homme 
veut  en  quelque  manière  mériter  ce  ~nom,  il  Ëiut 
qu'elle  commence  par  le  cieL   Ckv ,  comme  cette 
place  que  nous  occupons  dans  l'espace ,   comme 
cette  terre  n'est  rien  par  eUe-mèâie,  mais  doit  aux 
pouvoirs  célestes,  c[ui  s'étendent  à  tout  l'univers, 
3a  figure,  sa  constitution  et  la  faculté  qu'elle  a  de 
former  des  êtres  organisés  et  de  les  conserver  quand 
ils  ont  été  formés^  nous  devons  la.  considérer^  non 
pas  seulement  en  elle-même, mais  comme  une  partie 
de  ce  système  de  mondes  dans  lequel  elle  est  or- 
donnée. EUe  est  unie  par  des  liens  invisibles  à  son 
centre,-  le  soleil,  qui  lui  communique  la  lumière^ 
la  chaleur,  la  vie  et  la  durée;  sans  ce  soleil,  nous 
I.  -  1 


2  Livre  i. 

ne  pouvons  pas  plus  cànceyoir  le  système  plané- 
taire qu'un  cercle  sans  un  centre.  Avec  lui,  et  le 
jpiduvoir  bienfaisant  de  l'attraction  dont  l'être  éternel 
fa  doué,  ainsi  que  toute  la  matière,  nous  voyons 
les  planètes  formées  dans  son  domaine  d'après  une 
loi  simple  et  toute -puissante,  tourner  incessam- 
ment et  avec  magnificence  sur  leurs  axes ,  et  autour 
d'un  centre  commun,  dans  des  espaces  propor- 
tionnés à  leur  grandeur  et  à  leur  densité;  et  en 
vertu  des  mêmes  lois,  des  satellites  sont  instruits 
à  tourner  autour  d'elles.  Rien  n'exalte  plus  la  pensée 
que  cette  contemplation  de  l'immense  structure  de 
l'univers  ;  et  jamais  peut-être  l'intelligence  humaine 
n'atteignit  un  but  avec  tant  de  hardiesse  et  en  partie 
a\et  tant  dt  bonheur  que  lorsqu'un  Copernic ,  un 
iS^epler ,  un  Neyrioii ,  un  Huygfaens  et  un  Kant  ^ 
conçurent  et  déâiontrèrent  la  loi  simple  et  éter- 
nelle de  la  formation  et  du  niouveinent  dçs  planètes. 
C'est  flemsierhais,  si  je  me  le  rappelle  bien,  qui 
se  plaint  qu«  ce  système  sublime  n'ait  point  exercé, 
sur  le  cercle  de  nos  idées ,  l'influence  qu'il  eût 
répandue  sur  rkiielligence  humaifie  eo  géiAéral,  s'il 


•*^ 


I.  Histoire  naturelle  cle  TuDivers  et  lliéorie  des  cieux.  SL«e- 
nigftbier^et  'Leif>sîg;  17  55  :  oiiYTAge  beaucoup  «toins  r^pan^ 
qu^il  ne  mérite.  Lambert,  sans  le  connature,  a  exprimé  quel" 
ques  idées  semblables  dans  ses  LeUres  cosmôlogiquesj  et  Bode, 
dans  sa  Connaissance  des  cienx,  cite  avec  honneur  les  con- 
jectureft  de  Kant. 


CHAPITRE  I.  S 

eÀt  été  établi  avec  toute  l'exactitude  mathématique 
dès  le  temps  des  Grecs.  Pour  l'ordinaire  i  nous  nous 
contentons  de  considérer  la  terre  telle  qu'un  grain 
de  sable  qui  se  meut  dans  cet  abîme  immense ,  ou 
elle  accomplit  son  cours  autour  du  solal«  ce  soleU 
avec  des  milliers  d'autre  autour  de  letir  ceotri 
commun,  et  probablement  plusieurs  autres  systèmes 
pareils  de  soleils  dans  des  espaces  définis  des  cieux» 
jusqu'à  œ  qu'à  la  fin  Tintelligffi^  et  l'imaginaôoo 
se  perdent  à  la  fois  dans  cette  mer  d'ixfimensité  et 
d'éternelle  grandeur ,  sans  trouver  ni  fin  ni  issue. 

Mais  il  ne  iàut  pas  s'arrêter  à  cet  étojtinement 
stérile,  comme  si  c'était  ià  le  but  de  la  contem- 
plation de  l'univers  :  poiir  la, nature,  qui  se  suffit^ 
en  entier  à  elle-même ,  le  grain  de  sable  n'est  pas 
de  moindre  valeur  qu'uxii  tout  incommensurable; 
elle  détermine  les  points  de  l'espace  et  de  l'exis- 
tence où  des  mondes  seront  formés,  et  dans  chacun 
de  ces  points  elle  est  comme  un  tout  dans  la  pléni- 
tude indivisiUe  de  ses  pouvoirs,  de  sa  sagesse  et 
de  sa  bonté,  comme  s'il  n'existait  pas  un  autre  point 
de  la  création,  pas  un  autre. atome  terrestre.  Quand 
j ouvre  le  grand  livre  de  l'univers,  et  que  je  vois 
devant  moi  ce  palais  immense  que  la  divinité  seule 
peut  remplir  de  toutes  parts,  je  réfléchis  aussi  pro- 
foadéoient  que  je  le  puis  sur  les  rapports  du  tout 
aux  parties  et  des  parties  au  tout    Ce  fut  une 
aeule  et  même  puissance  qui  créa  le  soleil  resplen- 


4  LIVRE  I. 

dissant,  et  qui  maintient  dans  son  orbite  le  grain 
de  sable  ;  la  même  puissance  qui  contraignit  des 
millions  de  soleils  à  tourner,  conime  il  est  vraisem- 
blable, autour  de  l'étoile  de  Sirius,  et  qui  étend  à 
cette  boule  de  terre  les  lois  de  la  gravitation.  Quand 
je  considère  que  la  place  occupée  par  notre  terre 
dans  ce  temple  de  soleUs,  que  la  ligne  décrite  par 
elle  dans  sa  cour^  que  sa  grandeur,  sa  masse  et 
toutes  les  choses  qm  en  dépendent,  sont  déterminées 
par  des  lois  qui  agissent  k  travers  Tinfini,  je  dois 
non  -  seulement  être  content  de  la  place  qui  m'a 
été  destinée,  et  me  réjouir  d'être  si  bien  formé 
pour  accomplir  mon  rôle  dans  le  chœur  harmo- 
nieux des  êtres,  à  moins  toutefois  que  je  ne  veuille 
me  révolter  follement  contre  la  Toute-puissance; 
mais  encore  ma  plus  noble  occupation,  sera  de 
rechercher  ce  que  je  dois  être  dans  la  place  qui 
m'a  été  réservée,  et  ce  que^  selon  toutes  les  pro- 
babilités, je  ne  peux  être  que  là  seulement. 

Si  dans  ce  qui  me  parait  avoir  le  plus  de  borner 
et  le  moins  de  consistance,  je  découvre  iion -seu- 
lement des  traces  dun  grand  pouvoir  créateur, 
mais  encore  une  connexion  évidente  entre  les  plus 
petites  choses  et  le  plan  du  créateur  dans  l'immen- 
sité, la  meilleure  fonction  de  ma  raison  sera,  en 
s'efforçant  de  prendre  Dieu  poui^  modèle,  de  suivre 
ce  plan  et  de  se  conformer  elle-même  à  la  pensée 
divine.  Je  ne  chercherai  donc  pas.  sur  Ja  terre  ua 


CHAPITRE  I.  5 

t 

ange  da  mel,  une  créature  que  moU  œil  n'a  jamais 
vue;  mais  fj  trouverai  des  habitans  de  la  terre, 
des  êtres  humains,  et  j'accepterai  avec  un  plaisir 
suprême  tout  ce  que  notre  mère  commune  produit , 
conserve,  nourrit,  souffre  et  reçoit  à  la  fin  dans  son 
sein  bienveillant  D'autres  terres,  ses  sœurs,*  se 
vantent  et  jouissent  probablement  de  créatures  sur 
péiîeures  :  il  siuffit  ^ue  tout  ce  qui  peut  vivre  pat 
elles ,  vive  réellement.  Mon  œil  est  fiiit  pour  soute- 
nir les  rayons  du  soleil  à  cette  distance,  et  non  pas 
aune  autre;  mon. oreille,  pour  pette  atmosphère; 
mon  corps ,  pour  la  densité  de  ce  globe  ;  tous  mes 
sensi,  auxquels  sont  pareillement  appropriées  les 
actions  de  mes  facultés  morales,  dérivent  de  l'or- 
ganisation de  cette  terre,  et  sont  combinés  pour 
elle.  Ainsi  ^  toute  l'étoidue  et  toute  la  spHère  d'ao^ 
don  de  moii  espèce  sont  déterminées  et  prescrites 
avec  autant  de  précision  que  la  masse  et  le  cours 
de  la  terre  sûr  laquelle  doit  s'étendre  ma  vie;  et 
parla  aussi  Thonmie,  ds^ns  plusieurs  idiomep^^,  tient 
son  nom  de  sa  terre  maternelle. 

Plus  grande  est  la  sphère  d'harmonie,  de  bonté 
et  de  sagesse  à  laquelle  appartient  notre  globe;  plus 
sublimes  et  plus  fixes  sont  les  lois  desquelles  dé- 
pendent son  être  et  celui  de  tous  les  autres  mondes  ; 
plus  j'aperçois  que  tout  en  eux  procède  d'un  seul, 
et  qu^un  seul  conserve  tout,  et  plus  aussi  je  me 
persuade  que  mon  destin  est  enchaîné,  non  pas  à  la 


6  UTRE  I.  - 

poumère  de  cette  tetre,  mais  aux  lois  ibYisiUés  par 
lesquelles  cette  terre  est  gouvernée.  La  puissance 
qui  pense  et  agit  en  moi,  est,  de  sa  nature,  aussi 
étemelle  t]ue  celle  qui  unit  ensemble  le-  soleil  et 
les  étoiles  :  ses  organes  peuvent  s'épuiser,  la  spbère 
de  son  action  peut  changer,  comme  la.  terre  qui 
subit  des  modifications,  et  les  étoiles  qui  changent 
de  place.  Mais  les  lois  par  lesquelles  ce  qui  est,  est 
où  il  est,  puis  revêtira  d'autres  formes,  ne  s'altéreront 
jamais  :  leur  nature  est  aussi  étemelle  quela'peiisée 
de  Dieu;  et  les  fQndemens  de  mon  être  (non  pas 
de  mon  organisme  matériel)  ^soiit  aussi  immuables 
que  ceux  de  l'univers.  Car  tout  être  est,  comme 
une  idée  indivisible,  fondé  sur  la  même  loi,  aussi 
bien  dans  le  plus  grand  que  dans  le  plus  petit. 
Ainsi ,  la  structure  de  l'univers  confirme  l'éternité 
du  principe  de  mon  être,  de  ma  vie  interne.  Par- 
tout où  je  pi»sse  être,  et  quel  que^e  puisse  être, 
je  serai,  comme  je  le  suis  maintenaiit,  un  pouvoir 
dans  le  systèmeimiyersei  des  pouvoirs  ^  un  être  dans 
la  divine  harmonie  des  mondes. 

CHAPITRE  IL 
Notre  terre  est  une  des  planètes  moyennes. 

La  terre  ^  au«<iessous  d'elle  daix  planètes.  Mer- 
cure et  Vénus;  au-dessus  d'elle  sont  Mars,  qui  peut- 
jftlre  en  cache  une  à  ûos  yeux  derrière  son  disque. 


CHA.9ITRC  II.  7 

Ji^tei*,  Saturne  et  Uranus;  et  les  autres,  quelles 
qu'elles  puissent  être ,  seperclent  au*delà  de  là  sphère 
régulière  d'action  du  soleil,  et  Torbite  excentiîque 
de  la  denéère  approche  dé  l'ellipse  immense  des 
comètes.  Comme  elle  est  dans  la  place  qu'elle  occupe 
nn  être  d'un  genre  moyeu,  elle  Test  aussi  dans  sa 
grandeur,  et  dans  la  proportion  et  la  durée  de  ses 
réyolutions  sur  son  axe  et  autour  du  soleil;  eh  tout, 
elle  repose  entre  deux  extrêmes,  entre  le  plus  grand 
et  le  plus  petit,  le  plus  rapide  et  le  plus  lent.  Bien 
que  la  situation  de  notre  terre  soit  plus  favorable 
que  celle  des  antres  planètes,  au  pdnt  de  vue  astro^ 
nomique  de  tout  Fensemble  > ,  il  n'en  serak  pas  moins 
avantageux  de  posséder  un  examen  plus  précis 
de  quelques-uns  des  membres  de  cette  magnifique 
&iml}e  d'étoiles.'  Un  voyage  dans  les  planètes  de 
Jupiter  et  de  Vénus,  ou  s^ilement  dbns  nou*e  propre 
lune,  nous  éclairerait  sur  le  principe  de  la  forma- 
tion de  notre  terre,  %ur  ses  lois  qui  sont  les  leurs, 
sur  les  rapports  qu'ont  entre  eux  les  peuples  qui 
fbabitent  et  les  dtres  organisés  des  autres  mondes, 
et  peutr*j6tire 'aussi  sur  notre  destinée  future;  de  telle 
sorte  que,  de  la  constructioa  de  deux  ou  trois  an- 
neaux, nous  pourrions  déduire  plus  sûrement  la 
pogression  de  vame  la  ^baioe. 


1.  £logederastroiiomiepar  Kaefttner)  dsmsle  Hamb,  Magai.^ 
^ol.  I,  p9g.  ao6.   '     .       " 


8  LITRE  I. 

^  Mais  la  nature^  qui  a  fité  les  linaites  que  nous 
ne  devons  pas  dépassar,  nous  a  r^usé  nne  inspec- 
tion si  rapprochée  Nous  voyons  la  lune,  nous 
contemplons  ses  vastes  moiftagnes  et  ses  cavernes; 
nous  considérons  Jupiter,  ses  révolutions  exoen^ 
tricpes y  et  ses  ceintutes;  nous  observons  lanneau 
^e  Saturne,  la  lumière  rougeatre  de  Mars,  les  rayons 
plus  doux  de  .Vénus,  et  de  là  nous  conjecturons 
hardiment  ce  qu'à  tort  ou  avec  raison  nous  croyons 
apercevoir.  Nous  établissons  un  rapport  entre  les 
distances  des  planètes;  et  nous  avons  déduit  sur 
la  densité  de  leurs  masses  des  conséquences  pro- 
bables avec  lesquelles  nous  avons  cherché  à  fiûre 
accorder  leurs  mouveméas  et  leurs  révolutions. 
Tout  cela,  au  demeurant,  nous  l'avons  £it  par 
las  mathématiques  pures ,  non  point  par  la  philo- 
sophie naturelle;  car  nous  n'avons  aucun  moyen 
terme  de  comparaison  aitre  notre  terre  et  eux.  Les 
lapports  de  leurs  volumes^dejeur  rotation,  de  leurs 
orbites,  etc.,  à  leur  distance  du  soleil,  n'ont  pas 
conduit  à  une  formule  qui  put  .expliquer  leurs 
natures  par  une  seule  et  m^e  loi  de  cosmogonie 
Encore  moins  connaissons-nous  à  quel  degré  de 
formation  est  arrivée  chaque  planète  ;  et  moins  que 
cela  encore,  pouvons-nous  dire  quelles  sont  les 
organisations  et  les  circonstances  de  ses  habitans. 
Jjés  rêves  de  Kirdber  et  de  Swedenborg,  les  plai- 
santeries de  Fontenelle,  les  conjectures  de  HuyghoiS) 


'   • 


CHAPITRE  II.  9 

de  Lambert  et  de  Kant,  prouvent  de  êiflérçn\eB 
maillera  que  nous  ne  pouvpns  rien  connaître  de 
ces  choses,  que  nous  ne  devons  rien  en  cennaitre.^ 
Soit  que  nous  fassions  notre  échelle  ascendante  ou 
descendante,  soit  que  nous  placions  le  plus  près 
du  soleil  les  êtres  les  plus  parfaits,  ou  que > nous 
les  en  éloignions  :  tout  çda  n'est  qu'un  rêve,  que 
notre  inaptitude  à  entrer  dans  les  variétés  des  pla- 
nètes détruira  pas  à  pas ,  et  qui  nous  amènera 
enfin  à  cette  conséquence  :  que  partout ,.  comme 
ici,  prévalent  la  simplicité  et  la  variété  ;  mais  que 
les  limites  de  notre  intelligence  et  cpie  notre  point 
de  vue  ne  nous  fournissent  pas  de  mesures  pouV 
i^précier  leurs  mouvemens  progressifs  ou  tétro^ 
grades.  Nous  ne  sommes  pas  atu  centre,  mais  dans 
la  foule;  nous  suivons  le  flot,  comme  d'autres 
mondes,  sans  avoir  de  types  de  comparaison. 

Si,  cependant,  nous  nous  hasardions  à  former 
une  échdle  ascendante  et  descendante  depuis  le 
lieu  de  notre  séjour  jusques  au  soleil,  notre  terre 
obtiendrait  le  lot  incertain  de  l^TmédiocrUé  doré^i 
que. pournocre consolation  nous  pouvons  au  moins 
considérer  comme  un  heureux  milieu.  Pendant  que 
Mercure  tourne  autour  de  son  axe  et  subit  en  six 
heures  lés  vimsitudes  du  jour  et  de  la  nuit;  qu'il 
accomplit  son  année  en  quatre-vingt-huit  jours 
et  est  éclairé  par  le  soleil  six  fqis  autant  que  notre 
terr^  pendant  que  Jupiter,  d'une  autre  part^  met 


140  UVRE  I. 

«onze  années  et  trois  cent  treize  \oixF$  pour  adiei^r 
son  long  cours  autour  du  soleil»  bien  que  son  jour 
et  sa  nuit  ne  durent  que  dix  heures  :  pendant  que 
lé  vieux  Saturne,  pour  qui  la  lumière  solaire  est 
cent  fois  plus  faible,  $nit  à  peine  son  voyage  autour  j 
clu  soleil  en  trente  années,  en  tournant  sur  son 
axe  dans  Tespace  de  sept  heures:  nous,  planètes 
moyennes,  Mars,  Vénus  et  la  terre,  nous,  sommes 
d'une  nature  moyenne.  Nos  révolutions  diurnes 
sont  presque  égales,  quoique  nous  différions  des 
autres  globes  célestes,  autant  par  la  longueur  des 
jours  que  par  ceUe  de  Tannée.  Le  jour  de  Vénus  est 
de  vingt-quatre  heures  environ  ;  celui  de  Mars  n'est 
pas  de  vingt-cinq.  L'année  du  premier  dure  d^ux 
cent  vingt- quatre  jours;  celle  du  second,  six  cent 
quatre-vingt-sept,  quoiqu'il  soit  trois  fois  et  demie 
plus  pe(it  que  la  terre,  et  de  moitié  plus  distant 
du  soleil.  Quand  nous  en  venons  aux  autres,  les 
rapports  de  leurs  masses,  de  leurs  révolutions  et  de 
leurs  distances,  difiièrent  beaucoup  entré  euic. 

A^isi  la  nature  nous  a  placés  sur  une  des.  trois 
[danètes  moyennes,  dans  laquelle  on  peut  suj^ser 
que  règne  un  s}^tème  d'êtres  moyens,  comme  il 
semble  qu'un  moyen  terme,  et  qu'une  proportion 
plus  tempérée^  dans  ce  qui  a  rapport  à  l'espace  et 
à  1^  dui'ée,  y  prévalent.  II.  est  probable  que  le  rap- 
port de  la  matière  à  la  pensée  est  proportionné  en 
BOUS  à  la  longueur  de$  jours  et  des  nyiits.  ^elcm 


CHÀPltHE  II.  11 

iOiHe  yraiseinblaiiee  il  y  a  dan»  la  spccesi^ion  et 
la  rapidité  des  idées  le  mëine  rapport  die  vitesse 
qu'entre  lés  révolutions  de  notre  planète  sur  ellcr 
même  et  autour  du  soleil,  et  celles  de  tel  autre 

i 

astre  ^  car  nos  sens  $ont  évidemment  appropriés 
à  l'organisation  de  notre  terre.  Nous  pouvons 
présumer  que  loin  du  ce^itre  où  nous  sommes , 
les  pouvoirs  de  la  création  vont  en  divergeant 
jusques  a  rinfîni.  Mais,  tant  que  nous  vivons  sur 
la  terre,  ne  comptons  que  sur  un  moyen  terme 
dans  lés  intelligc^nces  terrestres,  et  encore  plus  da«s 
les  veitus  si  incertaines  dé  Thumapité.  Si  nous  pou- 
vions contempler  le  soleil  avec  les  yeux  de  Mercure 
et  fuir  sur  ses  ailes;  si  nous  avions  en  partage  le  pa^ 
tardif  et  Torbite  immense  de  Saturne  ou  de  Jupiter 
avec  une  égale  vitesse  de  révolution  ;  si  nous  étions 
capables  de  supporter  les  derniers  excès  de  la  chà«r 
leur  et  du  froid ,  et  de  nous  .élever  sur  la  chevelure 
d'une  com^e.à  tf^vers  les. régions  indéfinies  du  ciel« 
nous  pourrions  parler  d'autres  âmes  et  d'autres  puis* 
sances  que  de  celles  qui  ont  été  proportionnées 
au  cours  moyen,  de  4'bumanité.  Mais  à  présent ^ 
étant  où  nous  sommes  et  ce  que  nous  sommes, 
restons  inébranlables  à  ce  terme  moyen  ;  il  est  pro^ 
baUe  qu'il  a  été  approprié  avec  précision  a  la  durée 
de  notre  vie.  il  est  une  chose  qui  doit  enflammer  la 
pensée  du  mortel  le  plus  indolent;  c'est  de  conce- 
voir qu'il  peut  jouir  un  jour  des  richesses  â'une 


la  liyre  I. 

* 

nature  créatrice  qui  nous  sont  refusées  niaintenant; 
c'est  d'îmagiper  que  probablement,  après  que  nous 
aurons  atteint  le  sommet  de  l'organisation  d^  notre 
{danète,  ce  peut  être  notre  lot,  ce  peut  être  le  pro-^ 
grès  de  notre  nature  que  de  traverser  d'autres  astres^ 
ou  que  notre  destinée  suprême  est  peut-être  de 
nous  associer  avec  les  créatures  parfaites  de  mondes 
si  nombreux  et  si  divers.  Gomme  nos  pensées  et 
nos  facultés  ne  viennent  évidemmeht  que  dé  notre 
organisme  terrestre ,  et  tendent  à  se  modifier  et  à 
se  développer  elles-mêmes,  il  y  a  lieu  de  croire, 
d'après  les  inductions  de  l'analogie,  qu'il  en  arrive  dé 
fnéme  dans  les  autres  astres  ;  et  qui  peut  concevoir 
Une  si  glorieuse  harmonie,  quand  des  êtres  si  diver-  ^ 
sèment  formés,  tendent  tous  à  un  seul  point  >,  et 
se  communiquent  l'un  à  l'autre  leurs  expériences 
et  leurs  impressions  ?  Notre  intelligence  est  une  in- 
telligence terrestre,  modifiée  successivement  par  les 
objets  environnans,  qui  se  rendent  eux-mêmes 
accessibles  à  nos  sens.  Ainsi  en  est-il  des  impulsions 
et  des  penchans  de  nos  cœurs,  il  est  probable  qu'un 
autre  monde  ne  connaît  point  le^  secours  et  les 
<5bstac]es  qu'ils  rencontrent  ici  au  sein  des  circons- 
tances externes.  MaisJes  résultats  seront-ils  aussi 

'  ■    ■'  %*      ' ■  I I    ■  1    ■!■■      ■  I     ■■  1     ■    lin  I    ■■  I       I  II        * 

\ 

1 .   £sl  -  il  probable  que  le  soleil  «oit  un  astre  habitable  ? 
Voyez  à  ce  sujet  les  pensées  de  Bode  sur  la  nature  du  soleil 

■  • 

dans  les  Transactions  de  la  Société  physique  de  Berlin,  Yol.  1 1» 
pag.  aaS. 


CHAPITRE  II.  l5 

inconnus?  Non  certainement!  tous  les  rstyons  ten* 
dent'  au  centre.  L'intdiligence  pure  doit  être  partout 
l'intelligence  de  tout  ce  qui  lui  a  été  révélé  par  les 
objets  sensibles  :  leS'  puissa^ices  du  coâur  auront 
partout  la  même  ^èr^e,  c'est- à -dire  la  même 
vertu 9  sur  quelques  objets  qu'elles  aient  été  exercées^ 
Ainsi  donc  il  e^  probable  aussi,  que  la  plus  grande 
variété  tend  à  l'uniformité ,  et  que  la  nature  partout 
répandue  aura  un  point  où  elle  réunira  les  plus 
nobles  développanens  de  tant  de  belles  créatures  j 
et  les  fleurs  de  tous  les  mondes  seront  rassemblées, 
dans  vil  seul  jardin.  Pourquoi  ce  qui  est  physique- 
ment uni,  ne  le  serait-il  pas  aussi  spirituellement  et 
moralement?  puisque  les  esprits  et  les  intelligences 
ont  aussi  leurs  relations,  et  obéissent  seulement 
dans  une  sphère  supérieure  aux  mêmes  lois,  dont, 
en  dernière  analyse ,  tot^t  dépend  dans  le  système 
solaire.  S'il  m'était  permis  de  comparer  les  consti- 
tutions générales  de  plusieurs  planètes  dans  leurs 
rapports  avec  les  organisations,  et  les  vies  de  leurs 
habitans ,  avec  les  diverses  couleurs  d'un  rayon 
de  lumière ,  ou  les  diverses  notes  de  l'échelle  jdia? 
tonique,  je  dirais. que  probablement  lajumière  d!un. 
soleil  unique  de  vérité  et  de  bonté  frappe  différem- 
ment' chaque  planète.  Mais  pendant  qu'un  seul  soleil 
les  éclaire  toutes,  et  qu'elles  se  meuvent  toutes 
dans  un  même  plan  de  la  création,  il  est  à/espérer 
que  chacune^  à  sa  manière,  approchera  de  plus  en 


l4  UTRE  h 

plus  de  la  perfecûon,  jusqu'à  ce  qu'à  la  fin,  après 
divers  changemens,  elles  aillent  toutes  Se  réunir  dans 
uneipëme  école  de  bien  et  de  beauté.  A  préseilt» 
soyons  seulement  des  hommes»  c'est-à-^dire,  une 
couleur,  une  note^  dans  l'harmonie  de  nos  astresL 
$i  la  lumière  dont  nous  jouissons  peut  être*  com* 
parée  à  la  couleur  moyenne  du  vert,  ne  nous  con- 
sidérons pas  nous-mêmes  comme  la  pure  lumite^ 
du  soleil,  et  ne  prenons  pas  nos  intelligences  et 
nos  volontés  pour  les  fondemens  de  l'univers;  car 
nous,  avec  notre  terre»  et  toutes  les  choses  qui 
s'y  rapportent,  ne  formons  évidemment  qu'une 
petite  partie  du  grand  tout 

CHAPITRE  III. 

Notre  terre  a  subi  plusieurs  résolutions 
avant  de  devenir  ce  quelle  est  main- 
tenant. 

La  vérité  de  cette  proposition  se  confirme  par 
ce  qui  apparaît  au** dessus  et  au-dessous  de  la  sur- 
face du  globe,  aussi  loin  que  les  hommes  ont  pu 
pénétrer:  il  a  été  submergé  par  les  eaux,  qui  y 
ont  formé  des  couches  de  terre,  des  montagnes  et 
des  vallées.  Le  feu  en  a  ravagé,  en  a  dévoré  le  noyau; 
il  s'est  élevé  avec  les  montagnes  et  a  dispersé  les 
entrailles  liquéfias  de  la  terre.  Enfermé  dans  son 
sein,  l'air,  l'a  entrouverte,  et  a  aidé  à  i éruption 


GHAHTRB.  m.  l5 

de  Félément  puissant  du  feu  :  les  veuts  oot  exercé 
leur  fui:îe  sur  sa  surface,  et  une  Cause  plus  puissante 
encore  a  changé  ses  zôuek  Une  graiidç  partie  de 
ces  choses  sont  arrivées,  quand  déjà  ^existaient  des 
êtres  organisés  et  vivans;  et  cela  plus  d'une  fois, 
d^ans  des  lieux  différens,  à  de.  plus  longs  ou  de 
plus  courts  intervalles,  comme  Tattestei^t  de  toutes 
parts  les  animaux,  et  les  planbs  pétrifiés  que  Ton 
découvre  presque  partout,  sur  les  hauteurs  les  plus 
élevées  9  et  dans  les  abîmes  les  plus  profonds. 

Plusieurs  de  ces  révolutions  supposent  une  terre 
déjà  formée,,  et  peuvent  passer  avec  raison  poi;r 
accidentelles;  d'autres  paraissent  essentielles  à  la 
terre  et  elles  ont  été  les  causes  premières  de  sa  forme. 
IVous  ià'avons  pourtant  aucune  théorie  complète  ni 
des  unes  ni  des  autres,  et  il  est  assez  difiicile  de  tirer 
entre  elles  une  ligne  de  démarcation.  Nous  n'avons 
que  de  faible^  motifs  d'espérer  uçe  théorie  de, celles 
que  j'ai  nommées  accideutelles;  car  elles  appartien- 
nent, dans  leur  ensemble  à  une  nature  historique  et 
dépendent  d'uli  trop  grand  nombre  de  causes  locales 
et  contingentes.  Quant  aux  révolutions  essentielles 
et  prinoitives  de  notice  terre,  qu  il  me  soit  permis  de 
soubaîfeer  que  leur  théorie  soit  découverte,  avant 
que  je  ne  meure.  J'espère,  m^e  qu'il  en  sera  ainsi; 
car,  Uen  q^e  les  observadons  faites  dans  les  diffé" 
renies  parties  du  ;gM>e  soient  loin  d'être  suffisant- 
ment  exactes  et  étendues,  cependant  les  principes 


l6  LITRE  1.  "  ' 

établis  et  les  ob^rvatioiis  dès  tmturalistes,  les  e%^ 
périences^  des  ohimistes  et  des  minéralo^sces ,  sem«- 
blent  avoir  amené  les  choses  au  point  où  quelque 
heureux  aperçu  peut  unir  difiërentes  silences  et 
les  éclairer  Tune  par  l'autre.  Buffon,  avec  ses  hypo* 
alises  hardies,  n'est  certainement  que  le  Descartes 
de  cette  branche  de  connaissances,  et  bientôt  im 
Kepler  ou  un  Nevirton  i^enversera  à  jamais  ses  théo* 
ries  systématiques,  à  l'aide  de  quelques  &it5  qui 
s'accorderont  sans  efforts  Les  njOUvélles  découvertes, 
qui  ont  été  faites  sur*  la  chaleur,  la  lumière,  le 
feu,  les  divers. effets  de  ces  agèns  sur  la  composi- 
tion, la  dissolution  et  les  parties  constituantes  des 
substance^  terrestres;  les  principes  simples  auxquels 
ont  été  ramenés  l'électricité,  et  aussi,  jusqués  à  un 
certain  point,  le  fluide  magnétique,  me  paraissent, 
sinon  des^  approximations  suffisantes,  du  moins  des 
progrès  éminens  qui,  avec  le  temps,  porteront 
quelque  heureux  géme  à  expliquer^  à  Tâide  de  cer- 
taines idées  de  coniiexité,  notre  géologie  par  des 
principes  aussi  simples  que  ceux  auxquels  Kepler 
et  Neypton  ont  ramené  le  système  solaire.  Ce  serait 
faire  un  grand  pas,  que  de  rapporter  à'des  propriétés, 
physiques,  susceptibles  de  démonstrations,  plusieurs 
pouvoirs  de  la  nature,  jusqu'ici  considérés  comme 
quahtés  occultes.  Quoi  qu'il  en  soit,  encore  est-il 
incontestable  que  la  nature  poursuit  ici  son  long 
ooufs,  et  fait  tiattre  la  plus  grande  variété,  au  seigi 


CHAPITRE  m.  17 

d'une  simplicué  progressire  à  l'infini.  Avant  que 
notre  air,  nos  eaux,  notre  terre  aient  été  produit», 
plusiecu^s  composés  ont  dû  se  précipiter  et  se  dis* 
soudre  les  uns  les  autres.  Et  combien  ces  espèces 
nombreuses  de  terres,  de  pierres  et  de  cristallisa- 
tions, et  toutes  ces  formes  d'organisation,  depui$ 
le  coquillage  jusques  à  la  plante,  jusques  à  Fanimal^ 
et  enfin  jusques  à  l'homme,  ne  fontrelles  pas  sup- 
poser de  systèmes  différens  de  dissolution  et  de 
transmutation  !  Comme  de  nos  jours  encore  la  na- 
ture (ait  sortir  tous  les  êtres  de  Têtre  le  plus  petit 
et  le  plus  insaisissable,  qu'elle   ne  compte  point 
d'après  notre  estimation  du  temps,  et  qu'elle  dis- 
tribue la  plus  grande  abondance  avec  l'économie  la 
plus  stricte  ;  ainsi  il  paraît ,  même  conformément  à 
la  tradition  de  Moïse,  que  tel  fut  son  cours  quand 
elle  posa  les  premiers  fondemens  de  la  création,  ou 
plutôt  de  la  formation,  et  des  phases  des  créatures. 
La  masse  des  pouvoirs  et  des  élémens  actifs  dont 
fut  formée  la  terre,  contenait  probablement  comme 
un  chaos  tout  ce  qui  devait  y  être  et  pouvait  y 
être.  A  divers  périodes ^  l'air,  le  f^i^  la  terre ^  sor- 
tirent de  cette  préparation  morale  et  matérieUe. 
Diverses  combinaisons  d'eau,  d'air  et  de  lumière,' 
ont  sans  doute  paru  avant  que  le  germe  de  la  pre- 
mière organisation  végétale,  d'une  mousse  peut-être, 
ait  pu  se  manifester.  Plusieurs  plantes  sans  doute 
naquirent  et  moururent  avant  que  des  animaux 
I.  a 


ï8  UTRJS  J. 

orgaftîséd  eussent  reçu  TéiFe;  et  parmi  ceux-ci 
les  insectes  et  les  oiseaux,  les  animaux  aquatiques 
et  nocturnes  doivent  avoir  précédé  les  aniuiàux  les 
plu^  par£iits  de  la  terre  et  du  jour,. jusqu!à  ce  qu'en- 
fin, pour  couronner  l'orgabisation  de  notre  terre, 
l'hpmme,  le  microcosme^  s'életa;  lui,  le  fila  de  tous 
les  élémens  et  de. tous  les  êtres,  leur  abrégé  le 
plus^  complet,  et  la  fleur  de  la  création ,  ne  pou- 
%^it  être  (}u|p  le  dernier  enfant  chéri  de  la  nature; 
et  sa  forme  et  sa  réception  devaient  être  précédées 
par  divers  phénomènes  et  divers  changemens. 

D'ailleurs ,  il  était  inévitable  qu'il  en  vit  plu- 
sieurs; car,  comme  la  nature  |ie  se  repose  poiut 
sur  son  ouvrage,  et  qu'elle  ne  le  néglige  ni  ne  le 
délaisse  point  pour  son  Êivori,  la  terre  eontinua  à 
se  dégager  du  sein  des  eaux  et  à  se  former  par 
degrés-,  les  flammes  en  ravagèrent  cncoî'e  l'intérieur, 
et  les  inondations  avec  toiis  les  phénomènes  qui 
en  résultent,  ne  cessèrent  point  d'en  ébranler  la 
surface,  long-temps  même  après  que  l'homme  eut 
commencé  d'exister.  Bien  plus,  nos^  traditions  les 
plus  anciennement  écrites  font  mention  de  sem- 
blables révolutions;  et  nous  verrons  par  la  suite  les 
effets  puissans  que  ces  effroyables  phénomènes  des 
vieux  âges  ont  exercés  sur  la  destinée  de  presque 
toute  la  race  humaine.  De  si  étonnantes  commotions 
spnt  plus  rares  aujourd'hui  que  1^  terre  est  per- 
fectionnée^ ou  plutôt  Iju'elle  a  vieilli;  mais  jamais 


CIUPITH£   III.  19 

nous  ou  notre  asile  ne  pouvons  en  être  entièreme/u 
exempts.  Voltaire  fut  dé^voué  par  la  philosophie, 
quand,  en  genùssant  sur  le  désastre  de. Lisbonne, 
il  outragea  par  une  sorte  de  blasphème  la  divinité, 
même.  Nous,  et  tout  ce  qui  nous  appartient,  en 
y  comprenant  même  la  terre,  notre  demeure ^  ne 
sommes-nous  pas  soumis  aux  élémens?  et  quand 
ceux-ci,  conformément  aux  lois  toujours  actives 
delà  nature,  s'éveillen^  périodiquement  et 'réclament, 
leur^  droits;  quand  le  feu  et  l'eau,  l'air  et  le  vent, 
qui  ont  rendu  notre  terre  habitable  et  fertile,  sui- 
vent leur  cours  et  la  bouleversent;  quand  le  soleil, 
après  Tavoir  loi^g^temps  échauffée  avec  )an  soin  pa*- 
ternel,  après  avoir  noi^rri  tous, les  êtrçs  vivans  et 
les  avoir  encbaîiiés  à  son  dbar  triomphal  par  des 
liens  dorés ,  finit  par  attirer  dans  $on  sein  cruel  les 
pouvoirs  surannés  de  \^  terre  qv^'ell^  nfi  peut  plus 
ni  renouveler  ni  ccMQserver;  quarrive-t-il  qui  ne 
soit  en  harmonie  avec  l'ordre  et  la  sagesse?  Dans  un 
s7stemis.de  choses  variables,  ^s'il  y  a  progirès,  il  doit 
y  avoir  destruction;  destruction  apparente,  c'est^ 
à-^ire  chàngen^ent  de  figures  et  de  formes.  Mais 
eUe  s'atteint  pas  l'intérieur  de  la  nature,  qui, 
clominant  toute  destruction,  retiait  incessamment 
comme  le  phénix  .de  ses  cendres  et  fleurit  avec 
une  vigaéur  toujours  Tajeunie.  La  formation  de 
notre  demeure ,  et  de  toutes  les  substances  qu'elle 
peut  produire,  doit  noifs  avoir  préparés  à  la.fmgi- 


20  LITRE  I. 

Ihé  et  à  l'ins^bilité  de  Thistôire  àe  Fliomme;  et  plus 
nous  réfléchissons  attentivement  à  ces  choses,  plus 
elles  se  présentent  avec  clarlé  à  notre  intelligence. 

CHAPITRE  XV. 

Notre  terre  est  un  globe  qui  tourne  sur 
son  axe  dans  une  direction  oblique  au 
soleil.  ^ 

Gomme  la  sphère  est  k  figure  la  plus  parfaite, 
celle  qui  comporte  la  plus  grande  surface  sous 
le  plus  petit  volume,  et  qui  unit  la  plus  grande 
variété  à  la  simplicité  la  plus  belle;  notre  terre, 
toutes  les  planètes  et  tous  les  soleils,  ont  été  jetés 
par  la  main  de  la  nature  dans  des  formes  sphéri- 
ques ,  où  l'abondance  et  la  richesse  n'exclnent  pas 
une  sage  économie.  On  s'étonne  de  la  variété  qui 
existe  actuellement  sur  notre  planète;  mais  plus 
étonnante  encore  est  l'unité  qui  domine  au  sein  de 
cette  inconcevable  variété.  C'est  une  preuve  de  la 
profonde  barbarie  dans  laquelle!  nous  élevons  nos 
eûfans,  que* de  négliger  de  leur  donner,  dès  leur 
bas  âge,  une  profondé  impression  de  la  beauté,  de 
runi&rmité  et  de  la  variété  que  présente  notre 
terre.  Puisse  mon  livre  bâter  le  développement  de 
ce  grand  point  de  vue,  qui  me  frappa  pour  jamais, 
du  moment  où  je  commençai  à'  penser  par  moi- 
même^  et  où  je  me  hasardai  pour  la  première  fois 


CHAI^RË  IV.  '     21 

sur  rimniense  océan  d'une  libre  investigation.  Il 
sera  sacré  pour  moi,  aussi  long-temps  que  je  verrai 
le  ciel  se  déployer  au-dessus  de  ma  tête,  et  se 
dérouler  à  mes  pieds  cette  terre  qui  enferme  toutes 
choses  dans  le  cercle  qu'elle  se  donne  à  elle-même 
pour  limite. 

Il  est  Inconcevable  que  les  hommes  aient  pu 
voir  si  long-teinps  l'ombre  dé  la  terre -projetée  sur 
la  lune,   sans  quHls  aient  reconnu  que  tous  les 
objets  changent  et  tournent  sur  sa  circonférence. 
Quel  est  celui  qui,-  s'il  eût  sérieusement  considéré 
cette  forme ,    se  fôt  présenté  pour  ^  convertir  le 
monde  entier  à  un  seul  et  même  système  de  philo- 
sophie et  de  religion ,  ou  eût  immolé  pour  cela 
des  hommes  par  un  zèle  avenue,  quoique  pieux? 
Sur  notre  terre,  tous  les  objets  varient  comme  les 
points  d'une  sphère  ;  pas  un  lieu  n'est  semblable  a 
un  autre,  pas  iln  hémisphère  à  celui  qui  lui  cor- 
respond :  r^t  et  l'ouest  sont  aussi  opposés  que 
le  nord  et  le  midi.  U  n'appartient  qu/à  un  esprit 
étroit  de  considérer  cette  variété  seulement  par 
rapport  à  la  latitude,  parce  qu'elle  est  peut-être 
moins  évidente  par  rapport  à  la  longitude,  et  de 
diviser  en  climats  l'histoire  de  l'homme,  suivant  le 
système  suranné  de  Ptolomée.  Les  anciens  n'avaient 
que  d'imparfaites  connaissances  de  la  terre;  mais, 
après  tout  ce  que  nous  avons  appris  de  sa  configu- 
ration ,  on  ne  peut  plus  se  borner  à  un  aperçu  gêné* 


^a  LIVRE  ï. 

rai  de  âes  lois ,  seulement  d'après  les  parallèles  du 
nord  et  du  sud. 

Tout  est  changement  sur  notre  terre;  dk  ne 
comporte  point  les  sections  ni  les  divisions  néces- 
saires  d'un  globe  ou  d  uiie  carte.  Pendant  que  la 
sphère  tourne,  les  peuples  tournent  avec  elle^  comme 
les  climats,  les  habittK]es,;les  religions,  cofnme  les 
goûts  et  la  forme-  dés  vétemens.  Il  y  a  en  cela  une 
inexprimable'  sagesse;  non  pas  que  mcfa  admira-* 
tion  se  porte  tout  entière  sur  Finépuisablè  diver- 
sité des  choses,  mais  bien  plutôt  sur  Tunité  har* 
monique  qui  en  résulte.  Le  chef'-d'œttVre  de  la 
beauté  repose  dans  cette  Ich  :  produire  beaucoup 
de  chosef  avec  une*  seule,  et,  combiner  la  plus 
grande  variété  avec  une  libre  uniformité: 

Pour  nous  donner  cette  uniformité  et  cette 
stabilité^  la  nature  a  attaché  unf  heureux  poids  à 
nos  pieds  :  dans  le  monde  matériel  on .  le  nomme 
gravité;  dans  le  monde  immatériel,  indolence.  Si 
tous  les  corps  tendent  à  un  centre ,  et  qu'aucun 
d'eux  ne  peut  quitter  la  terre  (car  il  ne  dépend  pas 
même  de  notre  volonté,  de  ne  pa^  y  vivre  et  jde 
ne  pas  j  mourir) ,  la  âature  attire  aussi  nos  coeurs 
depuis  l'enfance  par  des  chaînes  puissantes,  chacun 
dans  sa  direction,  c'est-à-dirè,  vers  sa  terre  natale. 
Gir,  ôtez  ce  sentiment,  que  reste- 1- il  qui  nous 
appartienne  véritablement  en  propre  ?  Chacun  aime 
«on  pays,  ses  coutumes >  son >  langage»  sa  femme^ 


GHAPIfRE  lY.  23 

ses  aiÊms;  noB  pas  qu'ils  soient  les  meilleurs  du, 
monde,  mais  parce  qu'ils  lui  sont  entièrement 
propres ,.  et  c'est  luivmém^  et  son  œuvre  qu'il  aime 
en  eux.  Ainsi  les  hommes  s'accoutumen(;  h  la  nour- 
riture la  moins  savoureuse  ^  au  mode  de  vie  le  plus 
difficile  9  aux  coutumes  les  plus  rudes  du  .plus  rudq 
climat,  et  ils  y  trouvent  plaisir  et  jouissance.  U 
n'est  pas  jusqu'aux  oiseaux  de  passage  qui  ne  bân 
tissent  leurs  nids  dans  les  lieux  où  ils  sont  nés: 
et  la  contrée  la  plus  saiuvage  a  souvent  les  charme^ 
les  plus  séduisans  pour^  la  race  d'homnuis  qui 
l'habitent. 

Demandonè-nous  donc  où  est  le  pays  de  l'homme? 
où  est  le  point  central  de  la  terre?  Partout,  pou-r 
vons  nous  répo^idre  :  là,  où  tu  es,  que  ce  soit 
près  des  ^ces  du  pqle,  ou  précisément  sous  Iç 
soleil  dévorant  de  l'équateur  ;  partout  où  des 
bomme^  peuvent  vivre,  et  ils  peuvent  vivre  pres^ 
que  parioût,^^  la  vivent  àe$  homimes.  L'auteur  des 
choses  ne,  pouvait  pas  produire  une  étemelle  uni* 
fonoité  sur  n0ti:e  terre  :^  il  n^  restait  donc  qu'à 
créer  la  plus  ^nde  variétés  et  à  former  l'homme 
de  manière  à  ce  qu'il  pût  s'y  plier.  Nous  aperce- 
vrons phis  loin  une  belle  échelle,  Suivant  laquelle^ 
à  mesure  que  l'orgaliisaiion  de  la  créature  est 
plus  achefvée^  sa  capacité  de  ^uppor|:£r  des  états 
divers  el  de  se.  conformer  à.  chacun  d'eux  «  croil; 
porpoftioBndyieBaent;  De  U)utesvces  créatures  var 


^4  LtVRE  I. 

ridblés ,  susceptibles  de  mcKlifîcations  et  de  fleii- 
hîlhéj  nulle  n'en  est  plus  susceptible  que  rhomntie. 
Toute  la  terre  est  faite  pour  lui,  il  est  fait  pour 
toute  la  terre. 

Si  donc  nous  voulons  établir,  une  philosophie  de 
l'histoire  de  notre  espèce,  rejetons  aussi  loin  que 
po^ible  toutes  ces  manièresi étroites  dépenser^  tirées 
de  la  constitution  d'une  seule  contrée  d^  la  terre, 
toutes  ces  docirine^d'une  école  spéciale.  Gonsidérans 
comme  le  but  de  la  nature ,  non  pas  ce  que  l'homme 
est  parmi  nous,  ni  ce  qu'il  devrait  être,  selon  les 
idées  de  quelques  rêveurs,  mais  ce  qu'il  est  sur 
la  terre  en  général,  et  en  même  temps  dans  chaque 
pays  en  particulier,  ou  ce  qu'il  peut  devenir  dans 
la  main  de  la  nature,  par  l'extrême  variété  des  cir- 
constances. Nous  ne  lui  chercherons  point  quelque 
forme ,  quelques  contrées  favorites  :  partout  où  il 
est,  il  est  le  maître  et  l'esdavç  de  la  nature;  son 
enfant  bien  aimé,  et  en  même  temps  peut-être 
l'esclave  qu'elle  tient  enchaîné  avec'  le  {^us  de 
rigueur.  Les  avantages  et  les  désavantages,  les  biens 
et  les  maux,  ausçi  bien  que  tous  les  genres  de 
jouissance  et  de  bonheur,  l'attendent  en  tous  lieiiz» 
et  il  est  ce  que  le  font  être  les  circonstances  et  les 
conditions  que  le  jour  ramène  avec  lui. 

La  nature,  par  un  moyen  facile,  quoique  inex- 
plicable pour  nous,  non-seulement  a  établi  sur  la 
terre  cette  variété  de  créatures,  mais  encore  elle 


CB  à  fixé  et  limité,  retendue.  Ce  Deroyen  est  Fcbli- 
quité.de  Taxe  de  la  terre  à  Téquateur  dû  soleil, 
et  ce  n'est  pas  là  un  résultat  des  lois  du  mouvement 
de  rotation^  car  il  manque  à  Jupiter,. qui  a  son  aie 
perpendiculaire  a  son  orbite  :  Mars  ne  l'a  qu'à  un 
très-petit  degré^  pendant  que  Vénus  y  obéit  suivant 
un  angle  très^aigu,  et  que  Saturne,  avec  son  anneau 
et  ses  lunes,  reste  parallèle  au  soleil  Et  de  là, 
quelle  variété  infinie  de^  saisons  et  d'influences 
solaires  se  succèdent  dans  notre  système  1  Ici  aussi 
notre  terre  est  un  enfant  fiivorisé,  un  des  membres 
moyens  de  la  famille  céleste.  L'angle  suivant  lequel 
die  est  inclinée,  n'est  pas  de  vingt- quatre  degrés. 
Ce  n'est  pas  le  moment  d'examiner  s'il  en  fixt  tou- 
jours ainsi,  qu'il  nous  sufiBse  que  cela  soit  ainsi 
maintenant  Cet  angle  merveilleux ,  ou  au  moins 
inexplicable  pour  nous,  lui  est  devenu  propre,  et 
n'a  pas  changé  depuis  des  milliers  d'années  ^  J^insi 
il  paraît  nécessaire  à  la  constitution  présente  ;de  la 
terre  et  de  l'espèce  humaine  ;  car  de  cette  obli* 
quké  de  l'édiptiquê  naissent  les  changemehs  des 
zones  qui  rendent  toute  la  terre  habitable,  depuis 
le  pôle  jusqu'à  l^équateur,  depuis  l'équateur  ju&- 


1.  On  sait  qae  les  obseryations  astronomiques  ^ont  pronyé 
que  Fobliqaité  ^e  Técliptique  décrott  rëgnlièremênt,  au  moins 
depuis  le  temps  de  Ptolémée,  d'^enviion  denz  minutes  ^  demie 
ftit  siècU,  {jyoi$  du  traducuitr.) 


^6  MVRE  I. 

qu'au  pôle,  n  fallait  que  la  terre  eât  tme  iBdinaîsoD 
réglée,  afin  que  des  contrées  qui  autrement  seraient 
restées  dans  des  ténèbres  glacées ,  pussent  contem- 
pler les  rayons  du  soleil  et  devenir  propres  à 
Forganisation.  L'histoire  de  la  terre,  depuis  les 
temps  les  pluÀ  reculés,  nous. apprend  que  la  di^ 
fêrence  des  zones  a  eu  une  puissante  influence 
sur  toutes  les.  révolutions  dé  la  pensée  humaine, 
et  que  ni  la  zone  torride  ni  la  zone  glacée  n'ont 
pu  donner  naissance  à  aucun  de  ces  effets  qm  sont 
produits  dans  les  zones  tenfpérées;  aussi  j  voyez 
comment  le  Tôut-puissant  a  marqué  de  son  doigt 
et  enveloppé  -d'un  réseau  tqus  les  accidefas  et  toutes 
les  ombres  du  globe  !  Que  Tinclinaison  de  réclip* 
tique  eût  différé  même  faiblement  de  ce  qu'elle 
est ,  et  la  fêice  de  la  terre  eût  été  presque  entiè- 
repient  cbiangée. 

Ainsi  donc,  la  variété  convenable  est  là  aussi 
l|i  loi  de  l'ait  plastique  du  Créateur  du  monde.  Il 
ne  lui  suffisait  pas  que  la  terre  fiit  partagée  en 
lumière  et  en  ombre ,  la  vie  humaine  entre  le  jour 
et  la  nuit;  Tannée  de  notre  espèce  dût  aussi  varier, 
et  quelques  jours  seulement  nous  ont  été  laissés 
de  son  automne  et  de  son  hiver.  Par  là  fiirent  dé- 
terminés la  longueur  ou  k  brièveté  de  la  vie  hu- 
maine,  la  mesure  de  nos  facultés,  les  révolutions 
de  nos  âges,  la  sucee^ion  4e.  nos.  occupations, 
celle  des  phénomènes  et  des  idées,  le  néant  ou  1% 


CHAPlTkE   IV.  37 

durée  de  nos  projets  et  de  no$  actions;  car  tout 
cela,  nous  devons  le  reconnaître,  est  lié  en  dernière 
analyse  à  la  loi  simple  de  la  vicissitude  du  jour  et 
des  saisons.  Si  l'homme  devait  vivre  plus  long- 
temps, les  pouvoirs,  le  but,/ les  jouissances  de  sa 
vie  seraient  moins  variables  et  moitfs  disséminés; 
la  nature  ne  le  presserait  pas  par  des  retours  si 
fréquens  des  phénomènes  périodiques  des  saisons. 
UeÉnpire  de  Phomme  sur  la  terre  ne  serait  pas  ^ 
étendu,  et  encore  moins  les  scènes  compliquées 
que  l'histoire  développe  maintenant,  se  seraient- 
elles  présentées;  mais  probablement  que,  dans  une 
babitatiofi  pki$  circonscrite ,  nos  ptiissances  vitales 
agiraient  avec  dès  forces  plus  intimes,  plus  éner* 
giqu«6  et  plus  durables.  A  présent  les' paroles  de 
l'apôtre  sont  le  symbole  de  notre  terre  :  il  y  a  un 
temps  pour  toutes  choses ,  pour  l'hiver  et  pour 
le  printemps,  pour  la  naissatoce  et  pour  la  mort, 
pour  k  jeunesse  et  pout  la  vieillesse,  pour  le  travail 
et  pour  le  repos;  sous  notre  soleil  oblique  les' 
actions  dë'i'homme  sont, en  rapport  avec  les  révo- 
lutions des  saisons. 


^6  unus  t 

ÇHAPrTHE  V. 
Notre  terre  est  em^eloppée.iTùne  atmo- 
sphère  et  est  en  conflit  a\^ec  plusieurs 
corps  célestes. 

Avec  une  stracture  si  compliquée,  nous  sommes 
un  abrégé  de  {H*esque  toutes  les  espèces  d'orga- 
nisations de  la  terre  ;  et  comme  il  est  probable 
que  leurs  parties  premières  et  constituantes  fiirent 
toutes  précipitées  de  Féther,  pour  passer  de  l'in- 
visible à  un  monde  visible,  nous  sommes  incapa- 
bles de  respirer  l'air  pur.  Quaild  notre  terré  com- 
mença à  paraître,  selon  toute  apparence ,  l'sdr  fut  le 
réceptacle  des  pouvoirs  et  des  matériaux  qui  con- 
coururent à  sa  formation  ;  ^ët  n'en  est*il  pas  encore 
de  même?  Que  de  choses,  jusque-là  inconuues, 
ont  été  découvertes  dans  ces  derniers  temps,  qui 
toutes  agissent  à  travers  le  milieu  de  l'air  !  La 
matière  électrique  et  le  fluide  magnétique ,  le 
phlo^stique  et  le  principe  acidifiant,  les  sek  qui 
développent  le  froid,  et  peut-être  les  particules  de 
lumière  que  le  soleil  ne  fait  que  mettre  en  mou- 
vement, toutes  ces  choses  sont  les  instrumens  des 
opérations  de  la  nature  sur  la  terre  :  et  combien 
plus  encore  en  reste-t-il  à  découvrir  !  L'air  féconde 
et  dissout  l'être  matériel;  il  l'absorbe,  il  le  précipite, 
il  le  met  en  fermentation.  Ainsi  il  semble  qu'il  est 
le  p^  des  créatures  terrestres,  aussi  bien  que  de  la 


CHAPITHE  V.  ^9 

terre  elle-même;  le  moyen  général  de  communica- 
tion entre  les  êtres  qu'il  reçoit  dans  son  sein  et 
qu'il  repousse  ensuite  de  ses  embrasseraens. 

Il  est  inutile  de  démontrer  que  l'atmosphère 
coopère  par  son  action  aux  déterminations^intelli- 
gentes  de  toutes  les  créatures -de  la  terre;  elle  par^ 
tage  avec  le  soleil  le  gouvernement  de  ce  ^obe 
qu'elle  créa  autrefois.  Combien  les  choses  eussent 
été  différentes,  si  notre*  air  eût  possédé  un  degré 
différent  d'élasticité,  de  pesanteur,  de  pureté  et  de 
densité;  s'il  eût  précipité  d'autres  ^aux,  une  autre 
4erre ,  et  s'il  eût  influé  d'une  autre  manière  sur 
l'organisation  dès  corps!  Sans  doute  qu'il  en  est 
de  même  des  autres  planètes,  formées  dans  d'autres 
régions  de  l'air;  et  de. là  toutes  les  notions  que 
jious  ppuvons  établir  sur  leurs  substances  et  sur 
leurs  phénomènes  ^  d'après  celles  que  nous  avçns 
sfXr  notre  terre ,  sont  également  incertaines.  Pro* 
méthée  fut  ici-bas  un  véritable  créateur;  il  forma 
des  corps  dhme  argile  doucement  précipitée,  et  tira 
du  ciel  autant  d'éûncelles  de  lumière  et  de  pouvoir 
intellectuel  qu'il  eja.  put  recueillir  à  une  telle  ais<- 
taàee  du  scdeil  et  d'une  masse  de  cette  pesanteur 
spécifique. 

De  thème,  la  différence  qui  existe  entre  les  hommes, 
aussi  bien  qu'entre  toutes  les  autres  productions 
du  globe  terrestre  y  doit  être  mesurée  par  la  diffé- 
^cifique  du  miliea dans, lequel  nous  vivons, 


•  V 


5o  hiy^js,  h 

comme  daQs^  Torgane  de  la  diviiiité:  et  par  là  il 
faut  entendre,  non --seulement  la  division  des  zones 
d'après, la  chaleur  et  le  froid ,  nonrseulement  la  lé- 
gèreté ou  la  pesanteur  de  l'atmosphère  qui  nous 
presse^  mais  bien  plus  encore  les  pouvoirs  variés, 
s^tifs  Qt  immatériels  qui  opèrent  dans  son  sein ,  et 
qqi  même  constituent  probablement  toutes  ses  qua- 
lités  et  tous  ses  phénomènes.  Comment  les  flots 
électriques  et  magnétiques  >  se  succèdent-ils  autour 
de  notre  »  terre  ?  Quelles  vapeurs  et  quelles  exha- 
laisons  s'élèvi^nt  dans  tel  ou  tel  lieu  ?  où  tendent- 
elles?  que  deviennent-elles?  qu'elles  organisations 

p  • 

1.  Je  profite  avec  empressement  de  cette  occasion  pour 
annoncer  'au  lecteur  une  Théorie  4a  magnétisme  terrestre, 
coosid^é  tant 'en  iMÎ-'aéme  <|ue  îdans  ses  rapports  généraux 
arec  les  graodes  «opérations  de  la  nature.  L^auteur ,  suivant 
le  Mémoire  que  noqs  avx)ns  sous  les  yeux ,  et  <{ui  a  été  adressé 
à  la  Société  de  géographie  au  mois  de  Mars  iS^^i*),  aurait 
pose  lM<{uation  du  rapport  de  rinclinâisoù  magoétique  àyec 
la  longitud^e  et  la  latitude  terrestres^  il  anrait  découvert  et 
démontré  que  la  cause  magnétique,  qui  a  4té.  réléguée,  si 
long-temps  dans  Pintérieur  du  globe^  a  sa  place  dans  Tespace, 
OÙ  elle  forme  une  grande  atmosphère  excentrique  à  la  terre; 
que  leà  Variations  de  Taignille  aimantée  s^exécutent  suivant 
une  longne  période  de  ^lemps,  dont  il  aurait  déterminé  la 
durée  ^  qu^elles  consistent  en  un  mouvement  de  tout  le  système 
];nagnétiqQe  dWient  en  occident;  que,  dan$ 'ce  mouvement, 
Tordre  des  différens  degrés  de  Tinclinaison  n^est  pas  dérangé 
et  qu^il  s^avance  k  Fouesty  toujours  parallèlement  aux  latitudes; 
'que  robliquité  des  plans  d«  déclinaison  obéit  à  des  lois  aussi 


GHAPimE  V.  ,  5l 

produîsei^t-ell^?  combien  de  temps  les  coi^servent- 
elles ?^  et  comment  les  dissolvent- elles?  Ces  quç»- 
tioas  rentrent  évidemment  dans  le  domaine  de  l'his- 
toire physique  et  mprale  de  chaque  race  d'hommes; 
car  rhomme,  coulme  toute  a^tre  créature,  est  un 
nourrisson  de  lair,  et  dans  le  cercle  entier  de  son 
existence  il  est  le  frère  de  tous  les  êtres  organisés 
de  la  terre. 

Il  me  semble  que  nous  approcherions  d'un  nou- 
veau  monde  de  connaissances,  si  les  observations 

*  <  r 

I 

qui  ont  été  faites  ^  par .  Bayle ,  Boerh^ave ,  Haies, 

S'Gravesandç,   Franklin,   Priestley,  Black,  Çraw- 

'  ■  '  ■ ■"'■'  '-'■'■    p  ■  I        I 

simples;  que  la  même  période  de  temps  gouyehie  une  yatiation 
correspondante  dané  la  tempéitttnre,  dans  la  pesanteur  de 
ratmosphér«,  la  hauteur  du  âai(  maritime,  et,  en  g^ùéral, 
les  phénomènes  météororogiques.  Ainsi,  Ja  grande  question 
de  la  déclinaison  et  >  àe  Tinclinaison  magnétique  serait 
résolue  sous  un  point  de  yue  uniyersel.  Déjà  la  tahle  de 
llncUnaison  est  construite  pout  toute  la.  surface  terrestre  « 
de  manière  à  s'appliquer  à  toutes  lies  épi>ques;  et  Tauteur 
est  sur  le  point  ;de  la  publier  ayec  le'  déyeloppement  de 
sa  théorie.  Depuis  plusieurs  années  nous  ayons  été  témoin 
de  Pincroyable  perséyérance  aVec  laqi^elle  il  a  suivi  ce 
long  tràyailj  et,  si  nous  nous  livrons  ici  à  un  penchant 
bien  personnel  en 'lui.  consacrant  \ces  lignes,  si.  nous  croirons 
remplir  un  devoir  etiyers  la  iscience,  en  indiquant  k  ceux 
qui  la  cultiyent  un  ouvrage  qui  nous  parait  si  digne  de  leur 
attention,  nous  cédons  aussi  à  Timportance  que  nous  sommes 
accoatniné  à  donner  à  une  pensée  désintéressée  qui  a  rempli 
la  destinée  entière  d^ub  homme,  quel  qu'il  puisse  0U;  (Note 


5d  LITRE  X.  ' 

f6rd,  Wnson^  Adbar^,  etc.»  sur  la  chaleur  et  sur 
le  froid,  sur  l'électricité,  sur  différentes  espèces 
d'air  et  d'autres  ageus  chimiques,  et  siir  Finfluence 
que  ces  principes  exercent  sur  le  règne  minéral  et 
le  règne  végétal,  sur  les  hommes  et  les  animaux, 
étaient  rassemblées  en  un'  seul  système.  Si  jamais 
ces  observations  devenaient  ^  aussi  nombreuses  et 
aussi  générales  que  le  permettront  les  connaissances 
que  nous  acquerrons  sur  diverses  contrées  et  sur 
diverses  productions  de  la  ^rre,  et  si  Fétude  per- 
fectionnée de  la  nature  établissait ,  sous  une  forme 
quelconque,  utie  académie  libre  et  universellement 
répandue,  qui  observs^t  avec  une  attention  divisée, 
mais  avec  un  esprit  de  vérité,  de  certitude,,  d'utilité 
et  d'élévation,  Tinfluence  de  ces  principes  dans  td 
et  tel  lieu,  sur  tel  et  tel  sujet,  nous  obtiendrions 
à  la  fin  une  aérologie  géographique,  et  nous  ver- 
rions dans  l'immense  v  creuset  de  la  jaature  s'opérer 
des  miUiers  de  changemens  par  les  mêmes  lois 
«fondamentales. 

Mais  la  terre  n'est  pas  seule  dans  l'univers. 
D'autres  être$  célestes  opèrent  dpnc  sur  son  at- 
mosphère, sur  œ  grand  réservoir  des  poi^voirs 
acti6.  Le  foyer  éternel  du  soleil  la  gouverne 
par  ses  rayons;  dans  sa  marche  pesante,  la  lune, 
qui  probablement  se  balance  aussi  .dans  son  at- 
mosphère propre,  la  presse  tantôt  de  sa  surface 
froide  et  ténébreuse,  et  tantôt  de  sa  &ce  échauf- 


CHAPITRE  V.  33; 

fée  par  la  lumière  solaire;  tantdt  en  avant ,  tantôt 
en  arrière  de  notre  ^obe;  aujourd'hui  elle  9e  rap- 
proche,  demain  die  s'éloigne  du  solâl.  Dautrea 
corps  célestes  avoisinent  la  terre  $  pressent  son 
orbite  et  modifient  ses  pouvoirs.  Tout  le  système 
des  deux  est  xme  li^tte  entre  des  globes  aemblablei 
Qu  dissemblables,  chassés  avec  force  l'un  vers  l'au* 
tre,  et  il  n'y  a  que  l'idée  simple  et  sublime  de  ]% 
Toute-pmssance  qui  pouvait  ainsi  balancer  ces  forcée 
contraires  et  les  présenter  du  choc.  Là  aussi ,  dana 
le  labyrinthe  immjeme  de  ces  pouvoirs  opposés, 
i'intdligence  humaine  a  trouvé  un  fil ,  et  presquet 
cônsonuné  des  miracles^  guidée  surtout  par  la  lune» 
iinégulière  que  sollicitent  deux  forces  ccmtraireSy 
et  que  le  Créateur  a  heureusement  placée  si  prés  de 
nous.  Si  tbut^  ces  observations  et  leurs  résultats, 
étaient  jamais  appliquée  à  notre  orbe  aérien,  comme 
ils  l'ont  été  au  flux  et; au  reflux  i)e  notre  Océan f 
si,  aidés  d'instrumene  ingénieux  dont  la  plupart 
sont  déjà  inventés,  on  faisait  servir  l'expérience  de 
plusieurs ^ année»  dan^  différens  lieux  de  la  terre» 
à  ordonner  et  unir;  en  un.  seul  tout,  eu  égard. 
au  lieu;  et  au  tenips,  les  révolutions  d^  cette  mer. 
céleste^  il  me  semble  que  Vastrologie  apparaîtrait 
de  nouveau,  parmi  no.$  sciences j  sous  la  forme 
la  plus  utile  et  la  plus  respectable;  et,  ce  que 
Toaldo  a  commencé,  ce  que  Deluc,  Lambert,  Mayer, 
Beckmann  et  d'autres  ont  préparé  eh  ppsant  des 
I.  5 


54  LIVRE   I. 

principes  et  des  matériaux  a^essoires,  il  esi  pro- 
bâl>}e  <ju'ùii  Gatterer  Fachèverait  :  ce  qu'il  y  a  de 
éertain ,  du  moins ,  c'est  qt^il  méleraît  à  son  oQtrdge 
des  vues  étendues  .sur  la  géographie  et  Fhbtoire  de 
fhotiime.  ;  '  ' 

Quoi  tfa'û  en  soit ,  nous  virons  et  nous  mou- 
rons, erranset  souffrans  au  sein  d'une  foule  de 
pouToim  «[Restes,  dont  quelque&^n^ but' été  obseï^ 
vés,  et  les  autres  livrés  à  nos  conjectures.  Puisque 
Vair  et  la  températiire  ont  une  si  grande  influence 
sur  nous  et  sur  toute  la  tenrèy^elon  toute  appa- 
jpeuce ,  ce  fut  tantôt  une  étjincelle  électrique  qui 
teilia  plus  pure  dans  tel  homme;  tantéi  une  prtie 
de  matière  iiiâammaMe  pk»  fortement  comprimée; 
ici  une  masse  flt&ê  fttmk  et  plus  intense,'  là  tme 
essence  douce,  moHe  et  expanstve  r  voilà,  ce  qui 
détermina  et  produisît  les  plus  graqdes  époques  et 
k»]plus  importantes  révolutièns  du  genre  humain. 
L'oeil,  partout  présent,  qui  voii  cette  ar^le  se  com*- 
biner  suivant  les  lois  étemelk^  peut  seul,  dans  ce 
chaos  de  pouvoirs  physiques^  marquer  à  flaque 
atâme  élémentaire,  à  chaque  étincelle  qui  s'éeha^t 
à  chaque  rayon  de  l'espace  éthéré,  sa  placé,  son 
temps  et  sa  ^hère  d'action,  afin  de  les  modi&r 
par  des  pouvoirs  contraires.^ 


CHAPITRE  TI.  5B 

CHAPITRE  VI. 

Là  planète  que  nous  habitons  est  une  sphère 
montagneuse  qui  s'élève  aurdessus  de  la 
surface  des  eaux. 

A  ne  fimt ,  pour  confirpier  4$ette  proposition , 
que  jeter  im  coup  d'œîl  siur  uœ  mappemonde.  Oa 
voit  des  chaînes  de  montagnes  qui  non-«eulement 
traversent  la  terre  ferme,  mais  qui  paraissent  évi- 
demment former 9  po^ir  ainsi  dire»  le  sqneleite  sur 
lequel  ia  terre  a  été,  construite.  Dans  rAmériqixey 
les  montagnes*  «e  dirigent  à  travers  Isthme  le  long 
de  la  c6té  oecidentai^.  Elles  «'avancent  oMiqué- 
ment,  dans  la  ditrection  d«i  eol.  Là  od  elles  pé^ 
nètrent  plus  avant- dans  IHntérteur,  te  eontînent  a 
plus  de  largeur,  jusqu'à  ce  qu'enfin  elles  aillent  se 
perdre  dMQslcs  coiàtrëes  inconnues  dû  Nouveau^ 
Mexique.  ^  est.  vnmeMiblable  que  là ,  non-^seuiement 
elles  s'iÊlèveM  '  plu^  liant  que  le  moiit  Elias,  mais 
qnfeBes  sont  encore  -  urnes  latéralement  à  d'autres  . 
ehsanes,  pardeulièrenieiit  aux  montagae|^< Bleues, 
conmié  dans  T Amérique  méridioDale,  ou  la  terré 
ferme  a  plus  de  lai'ge^r,  et  où  les  montagnes  se 
dirigent  .au  nord  «t  à  Test  Ainsi  ^  même  par  sa 
figavév  l'Am^^querest  une  bande  de  terre  àppuyeè 
à  des  moiitftgnés/  et,  selon  kurs  pentes,  ou  pkts 
unie  <ia  plua*eSGai^pâe. 


S6  LITRE  I. 

Les  trois  auirès  parties  du  globe  présentent  un 
aspect  plus  comj^qué;  car,  bien  que  l'espace  qu'elles 
comprennent  soit  beaucoup  plus  étendu ,  elles  ne 
forment  dans  le  fait  qu'un  seul  tout  Pourtant,  il  ne 
Ëiut  pas  beaucoup  d'application  pour  reconnsdtre 
que  l'arète  protubérante  de  l'Asie  est  la  même 
Muche  de  montagnes  qui  s'étend  sur  cette  partie  du 
^obe,  sur  l^Eurc^,  et  probablement  aussi  sur 
l'Afrique,  au  moins  dans  la  partie  supéria^re. 
L'Atlas  n'est  que  la  continuation  des  montagnes  de 
l'Asie ,  qui .  atteignent  une  plus .  grande  élévation 
daps  le  mitieu  de  là  contrée^,  ét^  sidiôn  toute  ap- 
pareQaci,  se  joignent  aux;  montagnes  dé  la  lune, 
par  le  moyen^  de  la  chs^e  qui  -est  dans  Je'voisînage 
du  ItiJ.  Siuces  moint^gnea  de^  la  |iÉie  sont  ^»$eK 
liantes  et  a#set  étwdues'pour  être  considérées  réel- 
kiiient  comme  une' des  arêtes  dé  la  terre;  c'est  ce 
que  l'avenir  doit  déteroiiner*  L'étendue  xle  la  con* 
trée  et-  quelqu4$l  domiéea  iflipar&Ues  ipenBetient 
dp  telles  conjectuits;  mata  k  petit  nombre.  et,k 
cjpurs  étroit  des^rivièrea  de..ct(te.>partie  du  globe  » 
n9us.:anp£cheat  de  voir  en  vdles)iuie  vénta))le.ceîii^ 
ture,  de  la-  t^rre,  âo«ime  dans  l'Ural  de  TAâie  ou 
les  CordiUières  de  l'Amérique.  Maifik  il  jaous  suffit 
que  dans  ces  coiHrées  au^si,  la  ^rre  reçoive  évi* 
<fomment  sa  configuration  des  montiiigQes;.  partout 
^eUe  l^r  ,est  puralMe;  et  là  qù  le^.  gacmtagnes  étoi* 
dent  leurs  -bruches,  là  aussi  éiîmd:h  terre fecme. 


j 


CRAPmB  TI.  57 

Cetie  remarque  ft'ipplique  également  au  promon- 
toiiiei  à  111e  et  à  là  pénihaule.  La  terre  déploie  ses 
bras  et  ses  membres  partout  où  se  déploie  le  sque* 
lette  des  monkajgues  ;  ce  n'est  donc  qu'une  masse 
variée,  qui,  disposée  sur  la  charpente  en  coudies 
et  en  degrés  différens,  devint  peu  à  peu  habitable. 
^  Ainfii,  les  premières  montagnes  déterminèrent 
comment  le  globe  devait  exister,  en  tant  que  terre 
feraie;  il  parait  qu'elles  furent  l'ancien  noyau,  l'an- 
tique  voute  de  la  terre,  sur  lesquels  Tair  et  les  eaux 
ne  firent  que  déposer  leurs  fardeaux,  jusqu'à  ce 
qu'à  la  fin  il  se  fondât  une  sur&ce  où  devait 
s'étendre  et  se  développer  l'organisation  végétale* 
Ces  antiques  chaînes  de  montagnes  ne  peuvent 
point  être  expliquées  par  la  rotation  du  globe  j 
elles  ne  sont  point  dans  la  région  de  Téquateur 
où  le  mouvement  orbiculaire  est  le  jplus  puissant; 
elles  ne  lui  sont  pas  même  parallèles,  et  la  chaîne 
d'Afadérîque  passe  précisément  à  travers  l'équateur. 
Ainsi  nous  ne  pouvons  espérer  aucune  lumière  de; 
nos  cercles  mathématiques;,  surtout  parce  que  les 
moQtagtiea  et  les  chaînes  de  montagnes  les  plus 
élevées  n'ont,  en  comparaison  dé  la  masse  mou- 
vante du. globe,  qu'une  valeur  presque  nulle.  Je 
crois  donc  qu'il  n'y  a  aucun  fondtemeAt  a  supposer 
ici  quelque  analogie  entre  l'équateur ,  les  méridiens 
et  la  formation  des  cluubes  de  montagnes,  parce  qu'il 
n'y  a  aucune  connexion  entre  ces  idhoses^  et  qpie 


V-     •» 


38  UTBBX 

l'on  ne  fenot  qu'mtrocKiire  par  ;là  dt s  idées  faiiàses. 
C'est  par  leur  forme  primitive ,  par  letir  gé&ératioii , 
c'est  par  leur  étendue,  par  leur  hauteur  6t  par  leur 
largeur;  en  un  mot»  c'est  par  une  loi  physique  de 
la  nature,  quil  faut  expliquer  leur  formation  «  et 
avec  elle  celle  de  la  terre  ferme.  Mais^  celte  loi 
physique  de  la  sature  peut^Ué  être  découverte^ 
I<es  montagnes^  ne  sont-elles  que  des  rayons  d'un 
centre,. que  des  branches  d'une  seule  arête,  que 
4e6  couche^  angulaires,?  Et,  dans  tous  les  cas, 
quel  fut  leur  mode  de  formation  quand  elles  ap- 
parurent avec  leurs  sommets  dépouillés  comme 
le  squelette  de  la  terre  ?  yoilà  des  questions  im- 
portantes qu'il  reste  à  résoudre,  et  dont  je  désire 
ardemment  voir  Une  solution  sattôfaisânte.  Je  n'en- 
tends .point  parler  ici  des  hauteurs  formées  par 
aUiivipns,  mais  des  montagnes  primitives  et  fon- 
damentales du  globe. 

Qu'il  suâBrse  que  les  couches  de  terre  se  soient 
répandues  à  mesure  que  les  montagnes  se  sont 
élevées.  L'Asie  fut  de  toutèis  les  parties  au  monde 
k  première  halntable^  parce  qu'elle  avait  les  plus 
hantes  e,t  les  plus  larges  chaînes  de  montagnes  et  que 
sur  leurs  sommet^  s'étendait  ime  plaine  que  la  mer 
n'a  jamais  submergée.  Ce  fiit  donc  là,  suivant  toute 
apparence,'  dans  quelque  heureuse  vallée  »  au  pied 
àt^  montagnes  qui  le  reçurent  dans  leui*  sem,  qœ 
f  h^anne  choisit  son  premier  asile.  De  là  sa  pos* 


r 


CQAPIIRE.yi.  59 

ténié  desocft^t  au  AÊdi,  dans  leB  plaîii€ê  mutes 
et  ferdlfis  qui  bordaient  it$  ileaves^  pendant  que 
des  laœs  plus  hardies  reçurent  le  jour  dans  le 
Noid,  snivirept  la  direction  des  fleuyes  et  des  nion«- 
tagnes,  et  se  répandirent  avec  le  temps  à  l'Oc»- 
ci(ïent  )usqu'en  Europe.  Des  hordes  furent  suivies 
d'autres  hordes;  un  peuple  en  poussa  un  autre 
en  avant,  jusqu'à  ce .  qu'à  la  fin  ils  arrivèrent  tous 
à  une  mer,  notre  Baltique ,^  qu*une  partie  traversa, 
pendant  qu'une  autre  tourna  brusquement  pour 
occuper  lé  midi  de  l'Europe.  Mais  d'autres  colo* 
nies,  d'autres  amas  de  peuples,  s'avançant  dç  l'Asie 
au  Midi,  avaient  dé]à  éubli  leurs  demeures  dans 
cette  même  contrée  ;  et  ainsi  ce  coin  du  monde  fut 
peuplé  conmie  nous  le  voyons  maintenant,  par  des 
flots  de  nations  diy erses  et  quelquefois  opposées 
Tune  à  l'autre.  A  la  lon^e,  plus  d'un  peuple  vive^ 
ment  preissé  se  retira  dans  les  montagnes  et  aban- 
donna les  plaines  et  les  campagnes  ouvertes  aux 
coaquérans  ^  de  là  vient  que  nous  rencontrons  sur 
presque  tout  le  globe  d'anciens  restes  de  nations  et 
d'idiomes,  soit  dans  les  montagnes,  soit  dans  les 
réduits  cachés  ou  sur  les  langues  de  terre.  A  peiné 
est- il  une  île,  un  pays,  où  Ifs  plaines  n'aient  été 
occupées  par  un  peuple  étranger  d'une  date  plu| 
réeente,  pefidant  que  les  naûons  les  plus  aneienàeè 
et  les  moins  civilisées  ae  sont  retirées  sur  les  hau'- 
leurs.  De  <5es  hàuteufs,  oit  elles  ont  conservé  toute 


' 


4o  .     UTRX.I*.  > 

la  rudesse  de,  leurs  monirs ,  elles  ont  sourem,  dans 
des  tenips  postérieurs»  consommé  des  révolutions 
<]u\  ont  enveloppé  les  hakitans  des  plaines ,-  dans 
une  plus  ou  moins  grande  étendue  de  territoire. 
L'Inde,  la  Perse,  là  Chine,  et  même  les  contrées  occi- 
de^plales  de  l'Asie,  et  l'Europe  elle-même,  protégée 
comme  elle  l'était  par  ses  arts  et  la  division  de  son 
aol,  ont  senti*  plus  d^me  fois  le  fléau  accablant  des 
armées  qui  descendaient  des, montagnes,  et  ee  qui 
a  eu  lieu  sur  le  grand  diéàtre  du  monde,  n'a. pas 
été  moins  fréq^ent  dans  de  plus  petits  cercles. 
Les  Marattes,  dans  le  midi  de  l'Asie,  les  sauyages 
montagnards  dans  diverses  iles,  et  çà  et  là  dans 
l'Europe  les  restes  antiques  de  ces  braves  faal»tans 
des  pays  de  monugnes,  ont  feit  dans  les  plaines 
diverses  incursions,  et  ils  ont  pillé  quand  ils  n'ont 
pu  conquérir.  En  un  .mot,  il  semble  que  ce  soit 
sur  ces  mêmes  plateaux  qui  ont  été  jadis  la  pre- 
mière demei)re  de  la  race,  humaifie,  que  se  prépa* 
ient  les  instrumens  de  ses  révolutions  et  de  sa  con- 
servation.  Conune  ils  répandent  l'eau  sur  la  terre, 
c'est  de  même  qu'ils  répandent  les  peuples.  Conune 
c'est  d'eux  que  jaillissent  les  fontaines,  aussi  est-ce 
d'eux  que  jaillit  l'esprit  de  liberté  et  de  bravoure, 
ipendant  que  les  plaines  les  plus  riantes  languissent 
sous  le  joug  des  lois,  des  arts  et  des  vices.  Les 
hauteurs  de  l'Asie  sont  même  encore  le  rendez- 
vous  de  peuples  pour  la  plupart  sans  culture  :  et 


CHAPintE  TI.  4> 

qui  pent  dire  qiidles  sont  les  ptiûes  qu'ils  sont 
destinés  à  bouleverser  ou  à  rebouveier  dans  les 
âges  fumrs? 

Nous  ne  connai^ons  l'Afirique  que  trop  impar- 
Êitement  pour  étabHr  une  opinion  sur  Fhistoire 
de  ses  peuples  :  à  en  juger  par  les  races  qui  '  les 
habitent,  les  contrées  les  plus  élevées  ont  tiré  leur 
population  de  l'Asie,  et  il  est  probable  que  c'est 
de  la  même  partie  du  monde ,  et  non  pas  dés 
plus  hauts  plateaux  de  son  territoire,  que  l'Egypte 
a  reçu  sa  civilisation.  Toutefois  elle  a  été  envahie 
par  les  Éthiopiens  ;  et  sur  plusieurs*  de  ses  côtes 
qae  n'ont  pas  dépassées  nos  connaissances  géo^^ 
phiques ,  nous  entendolRS  parler  d'irruptions  de 
peuples  sauvages  qui  appartiennent  à  un  pay$  de 
montagnes.  Les  Giagues  passent  communément 
pour  des  cannibales  dans  l'acception  la  plus  stricte 
dn  mot;  on  dit  que  les  Gafres  et  les  peuples  qui 
habitent  au-delà  du  Monomotapà  ne  leur  cèdent 
point  en: barbarie;  et  là  aussi,  conformément  à  ce 
qne  nous  avons  observé  jusqu'il  présent ,  il  parait 
que  les  races  primitives  de  sauvages  habitent  les 
montagnes  dé  la  lune,  qui  occupent  le  plus  grand 
e^ce  de  l'intérieur  de  la  contrée. 

Quelque  aniâque  ou  récente  que  puisse  être  la 
population  de  l'Amérique,  le  Pérou,  l'état  le  plus 
civilisé  de  cette  partie  dp,  globe,  repose  précisé- 
ment aux  pijcds  de  là  p)us  haute  des  Gordillières; 


7^ 


■  9U 

'y 


4^  umE  I. 

mais  seulement  a  ses  pieds,  dans  h^  vallée  mute  et 
fertile  de  Quito.  Les  nations  sauvages  s'étendent  le 
long  des  montagnes  du  Chili  jusqu'à  la  Paiagonie. 
Les  autres  chaînes  de  montâ§^es,  et  les  parties  inté- 
rieures du  pays,  nous  sont  en  général  peu  connues; 
assez  cependant  pour  confirmer  que  c  est  sur  ces 
hautes  montagnes  que  se  conservent  les  coutumes 
antiques,  la  barbarie  originelle  et  la  liberté.  Plu- 
âeurs  de  ces  peuples  n'ont  même  pas  été  conquis 
par  les  Espagnols  ^  qui  sont  forcés  de  leur  donner 
le  titre  de  las  bravos.  Les  régions  glacées  du  nord 
de  l'Amérique  et  de  l'Asie,,  doiv^it  être  considérées 
comme  d'immenses  branches  de  montagnes,  soit 
que  l'on  ait  égard  aux  climats  ou  aux  cotttiÊ|me$ 
des 'habitans, 

La  nature  a  tracé  d'une  main  rude,  mais  .ferme^ 
le  dessin  de  l'histoire  de  l'homme  et,  de  ses  révo- 
lutions, dans  lès  Hgnes  de  montagpes  qu'elle  a  tirées 
et  dans  les  fleuves  qu'elle  fidt  descendre  de  leurs 
sommets.  Comment  les  peuples  purent -ils  se 
répandre  çà  et  là  et  découvrir  ides  terres  loin- 
taines, s'étendre  le  long  des  fleuves  et  élever  4es 
huttes,  des  villages  et  des  villes  dans  les  lieux 
fertiles  ?  Comment  se  retranchèrent  -  ils ,  selon 
rpcoasion ,  sur  les  bords  d'im  fleuve ,  entre  des 
montagnes  et  des  déserts  7  comment  en  vinrent- 
ik  à  établir  le  droit  de  propriété  sur  un  asile ,  dé- 
terminé par  la  nature  et  par  l'occupation?  com- 


CHAPITRE  TI.  4^ 

ment  de  Û,  raîtm  les  circonstances *^tt  lieu,  vit« 
on  naître  <Kverses  coaiumes  et  enfin  des  royaumes, 
eomment  enfin  les  hommes  qui  avaient  atteint  les 
côtes  de  la  mer,  quittèrent -ils  ces  lieux  en  gé-»  ' 
néral  stériles,  pour  s^élancer  sur  les  flots,  où  ils 
apprirent  à  irouTer  leur  nourriture?  Tout  cela 
a|^'nient' aussi  essentiellement  à  la  progression  , 
natnreUe  de  l'histoire  de  l'homme,  qu'à  l'histoire 
physique  de  la  terre.  Telle  colline  produisit  dea 
Dations  de  chasseurs ,  qui  aimèrent  et  rendirent 
nécessaire  Tétat  sauvage.  Telle  autre,  plus  étendue 
et  moms  escarpée,  offrit  un  champ  à  des  bergers, 
et  leur  associa  de  paisibles  aniniaui.  tJne  troisième 
£t  de  l'agriculture  un  àft  aisé  et  nécessaire ,  pen- 
dant qu'une  quatrième  donna  Tidée  de  la  péché» 
de  la  navigation ,  et  enfin  du  commercé.  La  con- 
figuration de  notre  terre  rendit  iâéritables  ces  di-* 
versîtés  dans  les  périodes  et  lès  états  de  l'huma*» 
nité.  Ainsi,  dans  plusieurs  parties  de  la  terre,  les' 
mœurs  et  les  coutumes  sont  restées  invariables^ 
pendant  des  milUers  d'années.  Dans  d'autres ,  elles 
ont  été  altérées  en  général  par  des  causes  externes, 
mais  toujours  suivant  le  territoire  d'où  vint  l'altéra- 
tion; suivant  le  milieu  dans  lequel  le  changement 
arriva,  et  l'objet^sur  lequel  il  opéra.  Les  mers,  les 
montagnes  et  les  rivières,  sont  les  limites  les  plus 
naturelles  des  nations,  désaccoutumes,  des  langues, 
des  royaumes ,  aussi  bien  que  des  territmres ,  et 


44  ^       UTRÈ  1. 

même  dm$  les  plus:  grades  révolutions  d|ês  àfiîâres 
humaines,  elles  Ont  été  les  lignes  de  direction.ou  les 
confins  de  l'histoire  du  monde.  Donnez  aux*  fleuveâ 

*  un  autre  cours^  aux  chaînes  dé  moptagiies:  une  autre 
direction,  aux  rivages  de  la  mer  daul^res  contours  : 
cela  seul  ne  suffit-il  pas  pour  chang^er  entièrement 
et  à  jamiûs  les  fermes  du  développement  de  l'hu* 
manité  sur  ,cé  sol  vacillant  où  les  nations-  se  suc- 
cèdent? 

Je  ne  dirai  que  peu  de  mots  des  rivages  dé  la 
mer  :  ils  forment  une  scène  aussi  vaste  que  Taspect 
de  la  terre  ferme  est  grand  et  diversifié.  Qu'astrrce 
qui  a  rendu  FAsie  si  uniforme  dans  ses  coutumes 
et  ses  préjugés?  Pourquoi  a-t-elle  été  la  première 
école  des  nations,  le  lieu  où  elles  ont. commencé  à 
se  former?  D'abord  c'est  qu'elle  présente  à  elle  seule 

^  une  immense  étendue  de  terre  ferme ,  et  qu'ainsi  leA 
peuples^  qu'ils  le  voulussent  ou  non,  devaient  non- 
seulement  se  répandre  avec  Êicilité  sur  sa  surÊice  » 
mais  encore  rester  long-temps  uni&les  uns  aux  autres. 

. .  I/Asie  septentrionale  et  méridionale  est  divisée  par 
de  grandes  montagnes;  mais  aucune  mer  ne  partage 
son  immense  étendue.  Reste  de  l'Océan  primitif, 
la  mer  Caspienne  s'étend  seule  au  pied  du  Caucase. 
Cest  là  surtout  que  les  traditions  jaissent  voir  de 
quelle  source  elles  descendent,  et  elles  pourraiient 
être  expliquées  par  des  traditions  plus  rpçeateSj 
tirées  de  eette  contrée  ou  d'une  autre.  Là,  tout  a 


GIUPltRB  .VI.  4^ 

» 

pootté  de  profondes  raciiies  :  la  reli^on,  le  res^ 
pect  filial,  le  de^odsme!  Plus  nous  approchons 
de  l'Asie,  pins,  ces  trois  puissances  temontént  à 
une  haute  antiquité, ;plùs  dles, sont  fortemeikt  em- 
prmnt^  dons  l^cbutinâes. locales;  et  malgré  toutes 
les  variétés  que  présentent  plusieurs  de  ced  contrées, 
«lies  sont  répandues  dans  tout  le  midi  de  l'Asie. 
Le  nord,  qui  en  est  s^pairé  par  de  hautes  mônta- 
liaès.  qomme  par  un  mur,  a  donné  à  ses  nations 
de3  formes  diflSSrentes;  mais,  quelle  que. puisse  être 
la  variée  des  nuances,  Tensembie  est  marqué  d'un 
caractère  uniforme.  L^  Tartarie,  la  contrée  la  plus 
étendue  de  la  .terre ,  fourmille  de  nations  de  races 
différentes  qi|i:li(MSite&;a|ip«^Ghent  d'u^  même  degrç* 
de  culture;  car  aucune. mer  ne  les  sépare,  elles 
rouiébt  toutes  sur  un  geahd  plan,  incliné  au  Nord. 
D'une  autre  part»  vayez  qo^le  diversité  a  été  pro** 
duité  par  la  mer  Rouge,  quelque  petite  qu'Ole  soit? 
Les  Abyssiniens  sont  une  racé  arabe,  tes  Égyptiens 
une  nation  asiatique;  cépendsoit  rien  ne  se  ressemble 
sur  les  deux  rivages,  ni  les  mœurs  ni  les  croyances» 
U  en  est  de  même  dans  la  partie  là  plus  basse  de 
TAsie.  Quelle  diffiérence  le  golfe  de  Bassora  ne  met- 
il  pas  entre  les  Persans  et  lés  Araibes?  Combien  les 
Malais  sont  feciles  à  distinguer  des  peii|>les  de  Cain'^ 
boja,  dont  ils  ne  scmt  séparés  que  par  le  petit  golfe 
de  Sàdml  Les  coutumes  des.  habitans  de  l'Afrique 
ne  disant  évidemment  que.  très^eu^les  unes  des 


46  LIVRE  t. . 

autres,  car  i}s  ne  s<mt  séparés  par  aucune  mer,  et 
par  des  déserts  seulement,  selon  toute  a^parrace. 
Par  là  aussi  les  Aattons  étrangères  ont  été  moins 
capables  de  faire  impression .  sûr  eux  ;  et  pouF 
nous,  qui  nous  sommes  introduits  dois  presque 
dbaque  réduit,  cette  Tiaste  partie  du  monde  nous 
est  un  peu  moins  qu'inconnue;  précisément  parce 
qu'dle  n'est  point  profondément  morcelée  par  la 
mer,  et  qu'elle  s'éiend  à  travers  des  espaces  im- 
menses comme  une  terre  inaccessible. 

,  Si  l'Amériqtie  est  peuplée  de  petites  nations, 
c'est  probablement  parce  qu'elle  est  brisée  et  cou- 
pée,  au  Nord  et  au  Midi,  par  des  rivières,  des  lacs 
et  des  montagnes/ D'ailleurs,  comme  elle  est  com- 
posée de  deux  pémnsoles,  unies  seulement  pr  on 
petit  isl&me,  près  duquel  laûae  baie  profonde  forme 
un  archipel;  elle  est,  par  sa  situation  mtime,  de 
toutes  les  terres  la  pias  accessible  à  rinténeur: 
ce  n'est  pour. ainsi  ^are  qu'un  iwagé  qui  ^'éteai 
d'un  pôle  à  lauire,  et  par  là  elle  dennt  la  proie 
de  toutes  1^  puissances  maritimes  de  l'Europe,  et 
dans  la  guerre  elle  fut  l'élément  de  discorde.  Cette 
situation  nous'  fut  favQrable  à  npus  autres  pirates 
européens;  mais  ce  fut  précisément  ce  sol  dirisé 
et  morcelé  qui  s'opposa  au  développement  de  ses 
anciens  habitanis.  Ils  vécurent  trop  séparés  les  uns 
des  autres  par  des  lacs  et  des  rivières,  par  des 
kauteura  ea«iaijpées  eC  par  des  prfteipicefr,  pour  que 


CHAPITRE  TI.  4? 

la  cîvîlisatioii  d^une  (contrée,  ou  le  vieiiZ  mondé 
de  la  tradition  de  leurs  pères,  pût  s'établir  et  s'éteû^ 
dre  sans  obstacle  comme  xlans  l'Asie. 

Pourquoi  l'Europe  se  distingue  ^t- elle  par  la 
variété  de  ses  nations,  de  ses  coutumes,  de  ses 
arts«  et  plus  encore  par  l'influence  qu'elle  a  exercée 
sur  tomes  les  parties  du  monde?  Je  soi»  bien  qu'il 
j  a  une  combinaison  dé  causes  que  nous  ne  pou-^ 
TOUS  tracer  ici  séparément;  mais  il  est  physique- 
ment incontestable  que  son  territoire,  coupé  et 
brisé  dans  ses  formes,  a  été  une  des  causes  acciden-^ 
tdles  qui  y  a  contribué.  À  mesure  que  les  peuples 
de  l'Asie  s'avancèrent  par  des  chemins  et  en  des 
temps  différens,  que  de  baies  et  de  golfes,  que  de 
rivières  dont  le  cours  était  varié,  que  de  collines 
dont  les  chaînes  se  contrariaient  l'une  l'autre ,  se 
présentèrent  à  leurs  regarda  !  Ils  purent  être  réunis 
et  vivfe  séparés;  ils  puretit  a^r  les  uns  sur  les 
autres,  sans  que  la  pait  fik  troublée.  Ainsi,  dans 
la  variété  de  ses  formes,  cette  partie  du  monde 
représenta  en  abrégé  le  lieu  d'assemblée  de  tous 
les  peuples  de  la  terre. ^  La  Méditerranée  seule'  a* 
tant  influé  sui*  le  caractère  de  toute  PEurope,  que 
BOUS  pouv^s  voir  en  elle  le  milieu  par  lequel  se 
sont  propagées  toutes  le&  civilisatipns  depuis  Tan- 
tiqttité  jusqu'au  moyen'  âge.  Bien  loin  après  diè , 
vient  la  nier  Bahique,  quif  ^'étendant  beaucoup 
plus  au  Nord ,  entt^  dks  nations  grossières  et  des 


49  iàmn  i 

m 

terres  -slérileft ,  ^t  comiiiie  un  défilé  àh  se  presse 
le  commerce  du  monde  :  c'est  elle  qui  donne  la 
vie  à  tout  le  nord  de  l'Europe;  sans  elle  »  phi- 
sieurs  des  terres  adjacentes  seraient  ()arbares»  gla- 
cées et  inhabitables.  Les  mêmes  effets  sont  pro- 
duits par  l'échancrure  du  sol  entre  l'Espagne  et 
la  France^  par  le  canal  qui  séps^«  la  France  de 
TAngleterre»  et  par  la  configuration  de  la  Grande 
Bretagne,  de  lltalie  et  de  Tancienne  Grèce.  Clhanr 
gez  la  forme  de  ces  contrées ,  prolonge?/  ici  un 
détroit,  là  &ites  circuler  un  canal;  le$  progrès  ç^ 
la  dévastation  du  mcHide,  le  destin  de  tous  les 
pays  et  de  tous  les  peuples  suivront  pendant  des 
siècles  un  cours  ^tièrement  différent. 

En  second,  lieu,  si  l'on  demande  pourquoi, 
outre  les  quatre  parties  du  monde»  il  n'jr  en  a 
pas  une  cbquième  au  sein  de  ce  vaste  Océan  dans 
lequel  on  en  a  suf^osé  une,  avec  un  espoir  long- 
temps prolongé,  la  r^>onse  est  bien  déterminée 
par  les  Saits  :  il  n'y  a  pas  dans  cette  mer  pro- 
fonde de  montagnes  primitives  assec  élevées  pour 
former  une  terre  ferme  assez  étefidue.  Les  mon- 
tagnes de  l'Asie  sont  terminées  à  Ceylan  par  le 
pic  d'Adam  I  et  dans  les  îles  de  Sumatra  et  de 
Bornéo  ,^  par  les  plateaux^  de  Malaca  et  de  Siam, 
comme  le  sont  les  montagnes  de  l'Afrique  au  cap 
de  Bonne-Espérance  et  celles  4'Amérique  dans  la 
Terre  de  fea.  Depuis  là,  le  granit,  la^colonn^  fon- 


damentale  de'  la  terre  fem^,   dkparail^  dans  les 
abunes,  et  cesse  de  se  montrer  en.  pics  élevés  au- 
dessus  de  la  surface  de  la  mer.  Dans  toute  l'étendue 
de  la  Nouvelle* Hollande  il  n'y  a  pas  une  seule 
chaîne  de  montagnes  de  première  dasse*  Les*  Phi* 
Uppines,  les  Mduques»  et  le  reste  des  îles  çà  et 
là  répandues,  sont  toufes  du  genre  volcanique 
seulement,  et  plusieurs  d'entre  elles  ont  encore 
des  yolcans.  Là  »  les  sulfures  métalliques  peuvent 
avoir  développé  leurs  actions  et  coiltribué  à  là 
formation  dé  ces  jardins  embaumés   du  mondé, 
qui  par  leur  chaleur  souterraine  sont  petit -être 
comme  des-  espèces  de  terres  chaudes  de  la  nature. 
Le  corail  ^  fait  aus^  ce  qu'il  peut,  et  cet  insecte 
met  probablement  des  milliers  d'années  à  produire, 
ces  petites  îles  qui  apparaissent  comme  des  points 
sur  rOcéan.  Mais  les  pouvoirs  de  cette  région  mé* 
ridionale  ne  s^étendent  pas  plus  loin.  La  nature  a 
marqué  les  limites  de  ce  grand  espace,  et  les  eaus:  y 
ont  creusé,  un  vaste  àbime,  qui  était  nécessaire  pour 
rendre  la  terre-' habitable.  Si  un  jour  la  loi  phy- 
sique de  la  formation  des  montagnes  primitives  est 
découverte,  et  avec  elle,  celle  de  la  forme  de  notre 
terre,,  nous  saurons  pourquoi  le  jpôle  méridional  ne 
comporte  point  des  montagnes  de  ce  genre ,  non 
plus  qu'une  cinquième  partie  du  mondes  et  à  sup- 

1.  Voyez  1«»  ObsenFÀUoDf  d«  Forster»  page  ia6. 

I.  4 


52  LITRE  1. 

CHAPITRE  VIL 

Îm  direction  de  nos  montagnes  fait  de 
nos  deux  hémisphères  le  théâtre  des 

I      «       r 

variétés  et    des^  changemens  les  plus 
remarquables. 

•  Je  continue  ici  à  poursuivre  rexamen  général 

41  de  la  nàiàppemonde.  Les  montagnes  de  l'Asie  s'éten- 

dent dans  la  direction  de  la  plus  grande  largeur 
du  sol,   et  leur  souche  est  à  proprement  prier 
au  centre  de  cette  partie  du  monde.  Comment 
»  supposer   que ,   dans    l'hémisphère   oj^osé ,  elles 

s'étendent  précisément  dans  une  direction  con- 
traire y  suivant  la  plus  grande  longueur  ?  et  cepen- 
dant c'est  ce  qui  a  lieu.  Cela  seul  établit  déjà  une 
énorme  difféirence  entre  les  deux  continens.  Non- 
seulement  èlposéc  aui  veiits  froids  du  nord  et 
du  nord-est  9  mais  séparée  du  Midi  par  dés  mon- 
.  tagnes  primitives  couvertes  d'une  neige*  étemelle, 
la  Sibérie  doit  être,  surtout  si  Ton*  considère 
'  la  nature  saline  de  son  sol,  telle  qu'elle  nous  est 
connue  par  des  descriptions,  d'un  froid  glacial, 
excepté  dans  les  lieux  où  les  branches  de  mon- 
tagnes peuvent  la  préserver  des  vents  les  plus 
yiolens  et  former  des  vallées  mieux  tempérées. 
Mais  aussi ,  voyez  les  belles  contrées  qui  s'étendent 
aux  pieds  de  ces  montagnes  précisémait  au  milieu 


CHAPftRc  ru.  55 

de  ïkûe  !  Protégées  pair  ces  muiraiUés  contre  les 
vents  glacés  du  nord,  il  ne  leur  reste  qiie  la  brise 
rafraîchissante.  Dans  ce  but,  1^  nature  a  changé 
la  direction  des  montagnes  vers  le  Midi ,  et  elle 
les  déploie  longitudinalement  à .  travers  les  pénin- 
sules de  llndostan ,  de  Malaca ,  de  Geylan ,  etc. 
En  donnant  aux  deux  extrémités  de  cette  contrée 
des  températures  opposées  et  de&phases  alternatives-, 
elle  en  a  fait  le  plus  heureux  pays  de  la  terre.  Nous 
ne  connaissons  qu'imparfeitement  les  -  chaînes  de 
montagnes  de  la  partie  intérieure  de  T Afrique;  nous 
savons  pourtant  qu'elles  coupent  cette  partie  du 
monde  à  la  fois  dans  sa  Idngueur  et  sa  largeur, 
et, qu'elles  contribuent  probabl^nent  beaucoup  à 
en  rafraîchir  le  centre. 

En  Amérique  au  contraire ,  quelle  différence  ! 
Au  Nord ,  les  vents  froifls  du  nord  et  du  nord- 
ouest  soufflent  au  loin!  dans  les  terres,  tons  quç 
leur  cours  ion  brisé  par  une  seule  montagne.  Ha 
descendent  de  ces  immenses  régions  polaires  qui 
jusqu'à  présept  ont  rendu  inutiles  tous  les  efforts 
que  Ton  a  faits  pour  les  traverser,  et  que  Ton  peut 
regarder  comme  des  vallées'  de  glace  encore  in« 
connues  du  monde.  De  là  ils  se  répandent  sur  un 
vaste  espace  de  terre  gelée ,  jusqu'à  ce  que  le 
climat  devienne  plus  tempéré  sur  les  montagnes 
6leue$,  mais  ppuru^nt  avec  des  transitions  du  froid 
au  chaud  et  du  chaud  au  froid,  telles  qu'au(iun 


54  LITRE  ï. 

autre  pays  nW  présente  de  semblable»;  c^êsr  pro- 
bablement parce  qu'à  travers  toute  cette  péninsule 
du  Nord  y  il  n'y  a  ps  de  chaînes  de  montagnes 
asser  contiguës  les  unes  aux  autres  pour  repousser 
les  vents  et  les  orages,  et  pour  limiter  leur  domaine. 
IVune  autre  part^  dans  rAmérique  méridionale  les 
vents  partent  des  glaces  du  pôle  sud,  et  trouvent, 
au  lieu  d'un  obstacle  qui  arrête  leur  impétuosité, 
une  chaîne  de  montagnes  qui  les  conduit  depuis  le 
Midi  jusqu'au  Nord^  Douces  et  riantes,  comme  le 
sont  naftureltenient  les  régions  moyelines  j  leurs  ba- 
bitans  languiraient  bientôt  80€is  le  poids  de  la  chaleur 
et  de  l'humidité  que  prodinsent  deux  foirees  oppo- 
sées, si  la  brise  salutaire  ne  venait  pas  soit  des  mon- 
tagnes,* soit  de  la  mer,  rafraîchir  et  amollir  leur  soL 
Si  maintena;nt  nous  considérons  rélévajdon  ra- 
pide  du  soi  et  ses  plateaux  uniformes,  la  différence 
des  deux  hémisphères  deviendra  encore  plus  frap- 
pante. Les  Gordillières  sont  les  plus  hautes  mon- 
tagnes du  monde;  à  peine  si  les.  Alpes  de  la  Suisse 
atteignent  un  peu  plus  de  hh moitié  de  leur  hauteur. 
A  leurs  pieds,  les  sommets  de  la  Sierre* Madré, 
assez  hauts,'  si  on  les  compare  à  la  surface  de  la 
mer,  ou  aux  abîmes  profonds  dea  vaUées,  s'étendent 
en  longues  chaînes  ^  On  éprouvé,  seulem^t  à  les 

1.  Voyez  Touvragc  d^Ulloa,  intitulé  JVachrichten  von  Ame- 
rika,  Leîpsic,  1780;  avec  des  additions  de  J.  G.  Schneider, 
qui  en  augtnenteat  beaucoup  la  irâUm«.  . 


CHÀPRItfi  TII.  55 

traverser >  des  symptômes  d«  nausées  et  des  pro^ 
tradon»  spud^es  de  forces ,  que  les  animaux  reâ- 
sentent  aussi,  et  cj^si  sont  inconnues  dans  les  plus 
hautes  montaçies .  du  "vieux  monde.  Elles  sont 
véritablement  les  confins  même  du  continent  ^  et 
l'on  n'îgnofe  p£^  cond>iea  dans  différens  lieux  k 
sol  uni  se  détache  brusquement  de  leurs  masses. 
Au  pied  oriental  des  CordiUières  s'étend  k  grande 
plaine  que  fertilise  le.  flevxve  des  Amazones ,  unique 
dans  son  genre,  comme  les  chsdnes  des  moiitagnes 
pérurvieniiea,  qui  restait  aussi  sans  é^le$.  Ce  fleuve, 
qui  peu  à  peu  devient  une  mer ,  n'a  pas  uiie  inclinaison 
de  deux  <^nquièâi€;s  de  pouce  dans  la  longueur  de 
mille  pas,  et  on  peut  traverser  une  étendue  égale  à 
la  phza  grande  largeur  de  l' Allemagne,  sans  s'élever 
d'unr  sévà  pas  aip^dessus  dû  niveau  de  ia  mer  ^.  Com- 
parées à  celles  dés  Gor^iflières,  les  montagnes  de 
Maldoînadoy  sut  le  fleuve^  de  Rio  de  la  Plau,  n'ont 
aucime  iâsponance;  de  telle,  sorte  que  toute  la 
partie  orieistale  de  l'Amériqise  du  Sud  doit  étrfe 
considi^ée  comxne  une  vaste  plaine  qui  pendant 
des  mittiers  d'années  a  été  e^osée  aux  inonda- 
tions f  k  teAis  les  ittconvéniens  des  terrés  basses  et 
mar^caqgdMesy  et  qui  vfea  est  fas  encore  entière^ 
ment  eieuypte.  Ici  aussi  le  géaâit  et  le  nain  démeu'* 
rent  prèâ  Tun  dé  Fautrev  l«s;  montagnes  v  les  plus 


1 1  t  î  "  T 1  t  [  I  *■  r  "  I     I  "  I  *  "    l 'i  I       i"  i'\  11"        I  I  1  I    r 


1.  Yûytt  Leiste,  Desèripiioii  de  PAmërt)q[a«  pojctugâiBe. 


56  uvrb'l 

r 

éjlevées  et  les^  sd)imes  les  plus  profonds  de  la  ten*e. 
Il  en  est  absolument  de  même  dans  la  partie  méri- 
dionale de  l'Amérique*  du  nord.  La  Louisiane  est 
aussi  basse  que  la  mer  qui  la  borde  ;  et  cette  plaine 
unie  s'étend  au  loin  dans  ta  contrée.  Les  grands 
lacs,  les  étonnantes  cataractes,  le  froid  perçant  du 
Canada  et  d'autres  lieux,  prouvent  que  les.  régions 
septentrionales  ont  une  grande  élévation,  et  que 
là  aussi  les  extrêmes  se  touchent,  quoique  dans  un 
moindre  degré.  La  suite  montrera  quels  effets  toutes 
ces  circonstances  ont  produits  sur  les  plantes,  les 
animaux  et  les  Kommes, 

Dans  notre  hémisphère,  où  elle  se  préparait  à 
placer  le  berceau  de  l'homme  et  des  animaux,  la 
nature  disposa  autrement  son  ouvrage  :  elle  dé* 
ploya  les  montagnes  l'uùe  après  l'autre  en  long  et 
en  large,  et  les  développa  en  diverses  branches, 
afin  que  les  trois  parties  du  monde  fussent  réunies, 
et  que,  liialgré  la  différence  des  régions  et  des  pays, 
la  transition  de  l'un  à  l'autre  fut  douce  et  facile. 
Aucune  de  ces  contrées  ne  pouvait  être  inondée 
pendant  des  siècles  :  ces  essaims  d'insectes,  d'am- 
phibies,' de  reptiles,  tous  ces  produits  des  eaux 
qui  peuplaient  l'Amérique  né  pouvaient  point  y 
être  formés  :  et  si  l'on  excepte  le  désert  de  Ck)bi, 
car  nous  ne  connaissons  point  les  montagnes  de 
la  lune ,  elles  ne  présentent  presque  aucun  de  ces 
sommets  entièrement  arides  et  déserts  qui,  pénétrant 


CHAPITRE  VII.  57 

juaqu'au-dessus  des  nuages,  ne  produisent  que  des 
monstres  dans  le  fond  de  ieurs  -  cavernes.  Ici  le 
soleil  électrique  pouvait  tirer  d'une  terre  .plus  sèche 
et  d'une  plus  doiice  composition,  de  plus  parÈûts 
aromates,  des  alimens  plus  savoureux ,  et  une  orga- 
nisation plus  complète  tout  à  la  fois  pour  l'homme 
et  pour  les  animaux.   %  '^ 

U  serait  ^  désirer  que  nous  eussions  une  carte  des 
montagnes  o,u  un  atlas  dditsr  lequel  ces  colonnes  de 
la  terre  seraient  tracées  et  dépeintes  avçc  toutes  les 
circonstances  que  comprend  l'histoire  de  l'homme. 
La  direction  et  la  hauteur  des  montagnes  de  plu- 
sieurs pays  sont  déterminées  déjà  avec  beaucoup  de 
précision.  L'élévation  du  sol  au-dessus  du  niveau 
de  la  mer,  l'état  du  terrain  à  la  surface,  le  cours 
des  rivières,  la  direction  des  vents,  les  variations 
de  la  boussole,  et  les  degrés  de  la  chaleur  et  du 
froid,  ont  été  observés  dans  d'autres,  et  en  partie 
notés  sur  des«  cartes  particulières.  Si  plusieurs  de 
ces  observations,  dispersées  aujourd'hui  dans  les 
ouvrages  des  voyageurs  et  dans  d'autres  publica- 
tions, étaient  soigneusement  réunies  sur  une  mappe- 
monde, quelle  belle  et  instructive  géographie  phy- 
sique de  la  terre  ne  poufrait-on  pas  offrir  à  celui 
qui  étudie  l'histoire  de  la  philosophie  naturelle  de 
l'homme  {  ce  serait  le  commentaire  lé  plus  pré- 
cieux que  l'on  pût  ajouter  aux  ouvrages  estimables 
de  Yarennius ,  Lulof  et  Bergjnaiin.  Mais  ici  nous 


58  LITRE  I.   CttlR  VIL 

ne  sommes  encore  que  sur  le  seuil;  les  précieux 
documens  que  Féiiier,  Pallas,  Saussure,  Souk^ie 
et  d  autres ,  ont  déposés  dans  des  recueils  particuliers, 
seront  prdliablement  dans  la  suite  des  temps  ra- 
menés à  un  principe  clair  et  méthodique;  et  quand 
on  les  aura  comparés  aux  obserrations  que  four- 
nissent les  montagnes  du  9érou,  ils  composeront 
peut-être  le  traité  le  plus  intéressant  qu'il  soit 
possible  d'écrire  sur  les  branches  les  plus  élerées 
de  l'histoire  naturelle. 


>  ' 


LITRE  t!.    CftAWTRE  I.  69 

LIVRE  IL 


CHAPITRE  PREMIER. 

Notre  terre  est  un  immense  laboratoire 
où  se  prépare  torganisation  d'êtres 
très  "  dijférens  les  uns  des  autres. 

Quoique  nous  n'apercevions  que  le  chaos  et  des 
ruines  dans  les  entrailles  de  ja  terre,  par  l'ioipos- 
sibilité  oit  nous  sommes  ^e  considérer  la  cons- 
truction primitive  du  tout,  nous  reconnaissons 
pourtant,-  même  dans  les  choses  que  nous  sup- 
posons les  plus  petites  et  les  plus  inachevées,  un 
être  véritablement  déterminé ,  une  forme  et  une 
configumiion  qui  relèvent  des  lois  éternelles,  que 
la  volonté  humaine  ne  peut  altérer.  Ces  lois  et  ces 
formes  nous  les  observons,  mais  sans  connaître 
leurs  pouvoirs  intrinsèques;  et  ce  que  nous  expri- 
mons par  certains  termes  généraux ,  tels  que  cohé- 
sion, extension,  affinité  et  gravitation,  se  rapporte 
à  des  idées  de  relations  extérieures  seulement,  sans 
nous  avancer  d\in  seul  pas  vers  l'essence  interne 
des  choses. 

Mais  ce  qui  est  commun  à  toute  espèce  de  terre 
et  de  pierre,  est  certainement  une  loi  générale  pour 
toutesiles  créatures  de  notre  globe;  et  par  là  j'entends: 


6ù  ,       LltllE  IL 

une  forme  i  une  figure  déteiininéey  une  existence 
distincte.  Puisque  €  est  de  ces  tJioses  que  dépendent 
ses  propriétés  et  ses  opérations,. aucun  être  ne 
peut  ou  se  ies  assimiler  ou  les  emprunter  d'un 
autre  être  semblable  à  lui.  La  chaîne  incc^mœen- 
surable  descend  depuis  le  Créateur  jusqu'au  germe 
d'un  grain  de  sablç;  car  même  ce  dernier  a  sa 
figure  déterminée  »  qui  approche  souvent  des  plus 
belles  cristallisations.  Les  êtres  les  plus  compliqués 
suivent  aussi  de  leur  côté  la  même  loi;  mais  tant 
de  pouvoirs  differens  opèrent  sur  eux  pour  com- 
poser enfin  un  tout,  et  pour  établir  une  unité  géné- 
rale au  sein  de  la  composition  la  plus  variée,  qu'il 
doit  résulter  de  là  une  fdule  de  transitions^  d'in- 
tervalles et  de  formes  divergentes. 

A  peine  le  granit ,,^  le  noyau  de  là  terre,  eut^il 
paru,  qu'il  fut  accompagné  de  la  lumière,  dont  Fac- 
tion, au  sein  des  vapeurs  épaisses  dU  chaos,  était 
probablement  semblable  à  celle  du  feu.  Il  fallut, 
pour  opérer  sur  cette  masse  inei'te ,  un  air  plus  dense 
et  plus  puissant  q|ie  celui  que  nous  connaissons 
maintenant,  des  eaux  plus  composées  et  plus  pe- 
santes. Les  acides  la  pénétrèrent  pbur  la  dissoudre, 
et  la  transformèrent  en  pierres  de  tous  les  genres: 
peut -être  que  les  sables  de  notre  terre  ne  sont 
que  les  cendres  de  éette  substance  broyée.  La 
matière  inflammable  de  Tair  convertit  probable- 
ment le  silex  en  terre  calcaire,  et  ce  £vL\  là  que  les 


CHAPITRE'!.  6l 

premières  créatures  vivantes  de  la  ûier,  les  coqtiil- 
lages,  furent  formés;  car  dans  toute  Tétradue^de 
la  nature  la  matière  brute  paraît  avant  la  structure 
organique  df^s  animaux.  Il  Êillut  une  action  du  feu 
et  du  froid  plus  puissante  et  plus  pure  encore  pour 
la  cristallisation,  qui  ne  se  modèle  point  sur  la 
forme  des  coquillages ,  telle  que  la  présentent  les 
fractures  du  silex ,  mais  plutôt  sur  les  angles  géo<- 
métriques  :  ceux-ci  varient  aussi  suivant  les  parties 
qui  concourent  à  la  composition  de  chaque  in- 
dividu, et  ils  s'élèvent  peu  à  peu  jusqu'aux  demi- 
métaux,  aux  itiétaux,  et,  enfin,  aux  germes  des 
plantes.  La  chimie ,  étudiée  aVec  tant  de  zèle  dans 
ces  dernières  années ,.  ouvre  au  pjbilosophe,  dans 
les  règnes  souterrains  de  }a* nature,  une  seconde 
et  abondante  création;  peut-être  ne  renferment- ils 
pas  seulement  les  matériaux,  mais  encore  les  prin- 
cipes, fondamentaux  et  comme  le  secret  dé  toutes 
les  choses  qui  reçoivent  leur  ibrme  sur  la  terre. 
Partout  nous  apercevons  que  la  nature  doit  dé» 
traire  puisqu'elle  réconstruit  ;  qu'elle  doit  diviser 
pour  réunir.  Des  lois  les  plus  simples ,  comme  des 
formes  les  plus  grossières  ,  elle  s'élève  aux  plus 
complètes,  aux  plus  savantes  et  aux 'plus  délicates^ 
et  si  nous  avions  un  sens  pour  apercevoir  les  ^for- 
mes primitives  et  les  premiers  germes  des  choses, 
peut-être'  découvririons- nous  dans  le  plus  petit 
point  la  série  progressive  dé  toute  k  çréalioii. 


6U  LIVRE  lU  . 

MaU  de$  considérations  dp  ce  genre. n'apportien* 
Q^nt  pas  à  notre  sujet;  examinons  donc  seulement 
b  ooinbinaison  qui  appropria  notre  terre  à  Torga* 
nisation  de  nos  plantes ,  des  animaux  et  de  rhontune, 
$i  tels  autres  n^taux  que  Ton  peut  désigner  avaient 
été  répandus  sur  la  terre  autant  que  le  fer,  que 
nous  trouvons  partout,  même  dans  les  eaux,  dans 
les  terres,  dans  les  plantes ,  dans  les  animaux  et 
dan3  rhonime;  si  le  pétrole,  }e  soufre,  avaient  été 
di^tnbuéa  sui*  la  sur&cè  di^  globe  en  aMSsi  grande 
abcddancç  qi^e  le  sable,  l'argile  et  la  terre  végétale, 
combiw  les,  créatures  que  nous  voyons  seraient 
dîflSIretitffs  de< 4:e  qu'elles  sont,  puisque  leur  tempe- 
rangent  itérait  plus  l^e.  Au  Iieu.de  cela,  le  père  du 
mottde  a  compçsé  de  sels  plus  doux  et  de  snc$ 
plus  onctueux  les  {^tiçss  cpnsiiiuantes  des  végétaux 
qui  nous  fournissent  notre  nourriture;  elles  sont 
gmdiiellQment  préparées,  depuis  un  aable/délajé, 
i(Pf9  ar^f  tenace  et  unf  tourbe  maUéable  :  il  n^est 
p4s  ju^uau  grotôier  ijninérai  de  fer,  aux  roches 
')>irutc>^9  qui  ne  doivent  graducfUement  s'élever  jus* 
qn^'à  ^lj^4  ils  çhajAgent  de, formes  avec  le  te^ips^ 
en  Us  4Qnne9t  nai^iance  à  des  arbres  saps  fruits, 
Ofu  ^u  iftôins  à  des  ipouf^es  sans  sèves,  le  fer  étant 
nonrSfeul^wept  le  plus  $alubre  des  métaux,  mais 
a4|ssi  celui,  qui  se  prête,  le  plus  aisément  aux  divers 
iphépomène^  d#  h  v^g^^tatip^  et  de  b  nutrition. 
L'air  et  la  rpsè^^^  I41  {4uèf.€t.la  ù^igei  l'oau  et  le 


CKARTRIS I.  63 

I  ^ 

vent,  ferûlmiit  paturellemtiu  la  terré.  Mêlées  par 
Tait  à  sa  substance,  les  chaut  alcalines  multiplient 
naturellement  ses  produits,  et  la  mort  des  plantes 
et  des  animaux  y  contribue  ég^em^pt  Mère  atten- 
tive; combien  ta  main  est  économe  et  bienfaisante! 
Toute  mort  est  une  vie  nouvelle;  la  corruption  pu* 
tréfiée  elle -même  prépare  la  sauté  et  rajeunit  ie9 
pouvoirs  <|ai  s*épuisent. 

Il  y  a  long-temps  que  Ton  se  [daint  que  l'homme, 
au  lieu  d'avoir  cultivé  la  surface  de  la  tfirre,  ^oit 
descendu  dans  ses  abîmer,  et  que  la  il  ait  cber-- 
ché,  pour  la  destruction  de  sa  santé  et  de  sa  paix, 
parmi  des  vapeurs  pestiférées,  les  métaux  qui  ser- 
vent son  orgueil  et  sa  vanité,  son  avarice  et  soq 
ambition.  Qu'il  y  ait  beaucoup  de  vérité  dans  cei 
reproches,  les  abus  qui  se  sont  succédé  sur  la 
terre,  le  prouvent  suffisamment,  et  plus  encore  les 
pâles  apparitions  de  ces  ^pièces  de  momies  em* 
prisoimées  au  sein  des  royaumes  dç  Pluton.,  Pour- 
quoi Tair  des  mines,  pendant  qu'il  nourrit  les  mé- 
taux, est -il  mortel  aux  animaux  et  à  Thomme? 
pourquoi  le  Créateur  n'a-t41  pas  pavé  la  terre  d'or 
et  de  diamans ,  au  lieu  de  <}onner  pour  loi  à  Sie^ 
créatures  de  s'enrichir  de  la  fertilité  du  sçl.  ^g^$ 
doute,  c'est  parcf  que  nQus  me  pouvons  p^i»  u^Ager 
for,  et  parce  que  la  plus  peûte  plante  digf^iblf 
noQrseulfaieni  noua  est  plus  uiUie,  mais  e&t  encore 
plus  p^^ement  organisée,  et  plus  noble  da^t.  so» 


64  UVRB  II; 

genre,  que  la  pierre  la  plti3  précieose,  soit  que 
nous  l'appelions  améthyste  ou  saphir,  émeraude 
/  bu  diâitiant.      . 

Cependant  ne  poussons  pas  les  choses  plus  loin. 
Dans  !e  îlomhre  des  formes  de  Thumanité  que  le 
Créateur  a  prévues,  et  que  par  la  structure  même 
du  globe  il  semble  avoir  provoquées  lui-mèine, 
sont  compris  ces  étals  dans  lesquels  ïhomme  de- 
vait apprendre  à-  descendre  danj^  les  entrailles  de 
b  terre  et  à  «flottes  sut^  sa^sur&ce.  Ainsi  le  Créateur 
a  placé  divers  métaux^  dans  leur  plus  pur  état, 
presque  sous  les  yeux  de  Thomme  :  ainsi  les  rivières 
furent  destinées  à  délayer  le  soi  de  la  terre  et  à 
lui  montrer  ses  trésors;  Il  n'est  pas  jusqu'aux  na- 
tions les» plus  sauv£^s  qui  n'aient  découvert  l'uti- 
lité du  cuivre  et  l'usage  du  fer,  qui,  avec  son  pou- 
voir niagnétique,  semble  gouverner  le  globe  entier, 
et  apres^e  à  lui  seul  élevé  notre  espèce  d'un  degré 
de  civilisafion  à  un  Atttre.  Poùrique  l'hoinme  ù^st 
le  meilleur^ utoge  pôssiUe  :de  son>  habitation,  ii 
Wt  qu'il  la  domiaisse,  et  son  tnailre  lui  a  marqué 
dés  limites  stilfisammèht"  étroites  pour  y  faire  ses 
investigations,  pour  la  disposer  y  la  préparer  et  la 
changer. .  •         • 

Ce  qu'il  y  a  dé  certain ,  c'est  que  nous  sonunes 
surtout  destinés  à  ramper  :comme  des  vers  sur  la 
^ùrfece  dé  nôtre  terre  ^  à  nous  y  développer  nous- 
mémés  et  à  y  dé[]^epser  vnotre.  courte  vi^.  Quelque 


CHAPITRE  I.  65 

grand  que  Ton  fasse  rhomme,  la  couche  légère  de 
terre  végétale  qui  s'étend  à  ses  pieds,  nous  montre 
combien  son  empire  a  de  bornes.  Quelques  pas 
plus  loin,  il  découvre  des  masses  sans  aucune 
trace  de  végétation,  ou  qui  du  moins  demandent 
des  années  et  des  siècles  pour  produire  seulement 
une  herbe  chétive.  Plus  loin  encore,  il  trouvé  de 
nouveau,  là  où  il  ne  le  cherchait  pas,  le  sol  fertile 

• 

qui  fut  un  jour  la  surface  de  la  terre,  mais  que  la 
nature  inconstante  n'a  point  épargné  dans  ses  pé- 
riodes progressives.  Des  moulés  et  des  coquillages 
sont  entassés  sur  des  montagnes.  On  trouve  des 
pétrifications  d'animaux  aquatiques  et  terrestres, 
des  bois  fossiles  et  des  impressions  de  fleurs  à  près 
de  quinze  cents  pieds  de  profondeur.  Pauvre  mor- 
tel! tes  pieds  ne  laissent  pas  une  puissante  em- 
preinte sur  la  terre,  tu  ne  fais  qu'effleurer  le  seuil 
de  ta  maison,  qui  sans  doute  a  éprouvé  plusieurs 
déluges,  avant  de  devenir  ce  qu'elle  est  Là  croissent 
pour  loi  quelques  brins  d'herbes,  quelque  peu 
d'arbres;  le  Créateur  t'a  entouré  de  chose3  péris- 
sables dont  il  te  fait  vivre,  toi,  vermisseau  d'un 
jour. 


I. 


66  LIVRE  II. 


CHAPITRE  IL 

Le  règne  végétal  de  notre  terre  y  consi- 
déré dans  se^  rapports  ai^eo  thistoire 
de  Vhumanité. 

Lé  règne  végétal  a  une  ^orte  d'organisation  plus 
élevée  cpi'aucune  production  minérale 9  et  il  remplit 
un  si  grand  espace  dans  la  création  que,  pendant 
qu'il  rentre  d'un  côté  dans  le  domaine  d^  la  miné- 
ralogie, de  l'autre,  il  se  rapproche  du  règne  animal. 
Les  plantes  ont  une  sorte  de  vie  et  des  successions 
d'âges;  elle^  opt  des  sexes  et  àes  pouvoirs  géné- 
rateurs ;  elles  naissent  et  elles  meurent  La  surface 
de  la  terre  leur  fut  appropriée  avant  de  l'être  à 
l'homme  ou  aux  animaux;  partout  elles  se  hâtèrent 
avant  ces  derniers,  et  sous  la  forme  d'une  herbe, 
d'une  mousîse,  elles  couvrirent  les  rochers  bruts, 
quie  le  pied  d'aucune  créature  vivante  n'avait  encore 
foulés.  Partout  où  un  atome  de  terre  légère  put 
recevoir  un  germe,  partout  où  un  rayon  de  soleil 
put  l'échauffer,  naquit  une  plante  pour  mourir 
d'une  mort  féconde,  puisque  ses  cendres  devaient 
fournir  un  sol  plus  fertile  à  d'autres  plantes.  Ainsi 
les  rochers  furent  couverts  d'herbes  et  de  fleurs; 
ainsi  avec  le  temps  les  marais  se  remplirent  de  plantes 
et  d'arbrisseaux.  La  putréfaction  de  la  création  vé- 


CHAPITRE  II.  67 

gétale  est  dans  la  nature  l'agent  infatigable  de  Tor- 
ganisation  et  le  moyen  de  culture  de  la  terre. 

Il  est  évideM  que  la  vie  humaine,. autant  qu'elle 
est  une  végétation,  a  la  destinée  des  plantes.  Comme 
elles,  l'homme  et  les  animaux  sont  prodmts  d'uti 
germe  qui ,  de  mèmie  que  le   germe  d'un  drbre 
futur,  a  besoin  d'une  place  préparée  pour  son 
développement  Semblable  à  une  plante,  ses  pre- 
mières formes   se  déploient  dans   le  s^in  qui  le 
porte,  et  après  cela,  la  structure  de  âos  fibres, 
dans  leurs  premières  fonctions  et  leur  première  efflo- 
rescence,  ne  resseroble-t-elle  pas  à  celle  des  fibres 
de  la  sensitive  ?  Nos  âges  aussi  sont  comme  les 
âges  d'une  planté  $  nallre,  croître,  fleurir,  se  faner 
et  mourir  !  Noto  venons  au  jour  sans  notre  con- 
sentement; il  n!est  demandé  à- aucun  de  nous  de 
quel  sexe  il  voudra  être,  de  quels  parens  il  veut 
descendre,  ou  par  quelle  cause  interne  ou  externe 
il  veut  arriver  à  sa  fin.  Dans  tout  cela,  il  faut  que 
l'homme  obéisse  à  des  lois  supérieures ,  sur  les- 
quelles il  n'a  pai  plus  de  pouvoir  quune  plante, 
et  que  méqie  ses  penchans  les  plus  impérieux  su* 
bissent  presque  contre  sa  volonté.  Aussi  long-temps 
qœ  l'homme  croît  et  que  la  sève  s'élève  en  lui,  com- 
Uen  le  monde  lui  parait  spacieux  et  riant!  il  étend 
ses  branches ,  et  il  s'ima^ne  que  sa  tète  touchera 
les  cieux.  C'est  ainsi  que  la  nature  l'introduit  dans 
^  vie,  jusqu'à  ce  qu'avec  des  pouvoirs  agrandie 


68  ^    LIVRE   II. 

et  des  éiTorts  plus  efficaces  il  ait  acquis  dans  ce 
champ ,  *où  il  a  été  planté-  de  sa  main.,  tout  le 
développement  qu'elle  Jui  ayait  assigtié.  A  peine 
a-t-il  accompli  ses  desseins ,  qu'elle  l'abandonne. 
Dans  la  fleur  de  l'enfance  et  de  la  jeunesse,-  de 
quelles  richesses  la  nature  n'abonde-t-ellç  pas  en 
tous  lieux  !  L'homme  croit  que  ce  monde  de  fleurs 
produira  le  germe  d'une  création  nouvelle,  cepen- 
dant, après  quelques  mois,  combien  la  scène  est 
changée!  Presque  toutes  les  fleurs  sont  tomï>ée$, 
et  quelques  fruits ,  encore  verts ,  leur  succèdent 

• 

L'arbre  s'efforce  de  les  porter  à  leur  msiturité,  et 
aussitôt  après  les  feuilles  se  fanent  ;  il  jette  ses  tristes 
regards  sur  ces  enfans  chéris  qui  l'ont  quitté;  il 
reste  défeuillé.  L'orage  le  sépare  de  ses  brancnes 
mortes,  jusqu'à  ce  qu'à  la  fin  il  tombe  sur  le  sol 
et  rende  à  l'ame  de  la  nature  le  peu  de  phlogistique 
qu'il  contenait. 

En  est-il  autrement  de  l'homme ,  considéré  comme 
plante?  Quelles  vastes  espérances,  quels  spectacles, 
quels  motifs  d'action  frappent  par  des  impressions 
ou  distinctes  ou  obscures,  son  ame  pleine  de  jeu- 
nesse! Il  se  confie  en  -chaque  chose  ,^  et  pendant 
qu'il  se  confie,  il  réussit;  car  le  succès  est  le  coropa- 
gnon  de  la  jeunesse.  Après  quelques  années  tout  est 
changé  autour  de  Jm,  uniquement  parce  qu'il  n'est 
plus  le  même;  il  n'a  achevé  que  la  moindre  partie 
des  choses  qu'il  se  proposait  de  faire ,  çt  il  Êt^t  se 


-  CHAPITRE  II.  69 

réjouir  s^3  ne  désire  plus  accomplir  ce  que  le  temps 
ne  permet  plus  d'exécuter,  mais  s'il  se  résigne  à 
vieillir  en  paix.  Aux  yeux  d'un  être  supérieur,  les 
superbes  entreprises  de  l'homme  sûr  la  terre  n'ont 
peut-être  pas  une  valeur  plus  réelle,  ou  au  moins, 
sans  aucun  doute,  sont«-etles  aussi  déterminées  et 
aussi  àrconscrites  que  les  actions  et  que  les  entre- 
prises d'un  ^  arbre.  Il  développe  tout  ce  qu'il  peut 
développer,  et  se  rend  maître  de  tout  ce  qu'il  est  en 
son  pouvoir  de  posséder.  11  pousse  des  boutons  et 
des  feuilles;'il  produit  des  fi-uiis  et  donne  l'être  à  de 
jeunes  arbres  :  mais  jamais  il  ne  quitte  la  place  que 
la  nature  lui  a  assignée;  jamais  il  n'acquiert  un  seul 
pouvoir  dont  la  nature  ne  lui  ait  fourni  le  germe. 
Selon  moi,  il  est  surtout  humiliant  pour  l'homme 
que;  dains  la  douce  impulsion  qu'il  nomme  amour 
et  dans  laquelle  il  met  tant  de  spontanéité,  il  obéisse 
aux  lois  de  la  nature  presque  aussi  aveuglément 
qu'une  plante.  Le  chardon  même,  d'après  ce  que 
Ton  a  observé,  a  une  sorte  de  beauté  quand  il  est 
en  fleur,  et  nous  savons  que  dans  les  plantes  la 
saison  de  la  floraison  est  la  saison  de  l'amour.  Le 
calîde^est  la  couche,  la  corolle  sert  de  rideaux;  les 
autres  parties  de  la  fleur  sont  les  organes  de  la 
génération,  que  la  nature  a  exposés  à  la  vue  dans 
ces  êtres  inhocens  et  qu'elle  a  ornés  avec  magni- 
ficence :  elle  a  découpé  la  fleur  d  amour  comme 
la  couche  nuptiale  de  âalomon,  et  elle  en  a  fait 


70  LITRE  II. 

une  coupe  de  plaisir,  même  pour  d'autres  créa- 
tures. Pourquoi  cela,  pourquoi  avoir  oitrelacé 
dans  la  ceinture  de  Tamour  humain  les  charmes 
les  plus  enivrans,  ceux  qui  embellissaient  sa  pro- 
pre ceinture?  C'est  pour  accomplir  sa  grande  fin 
et  oon  pas  seulement  celle  dune  créature  firèle 
et  sensuelle  qu'elle  a  si  élégamment  ornée  :  or, 
cette  fin  est  la  propagation ,  la  continuation  de 
l'espèce. 

La  nature  emploie  des  germes^  elle  emploie  un 
nombre  ihfini  de  germes,  parce  que  dans  son  im- 
mense progression  elle  se  propdse"  mille  fins  à  la 
/fois.  Il  faut  aussi  qu'elle  calcule  sur  quelques  pertes; 
puisque  cha<|[ue  chose  est  comprimée,  et  que  rien 
ne  trouve  place  pour  se  développer  complétetoent; 
mais ,  afin  qu^au  milieu  de  cette  prodigalité  app- 
rente  les  pouvoirs  de  la  vie,  ces  pouvoirs  essen- 
tiels, primitifs  et  toujours  rajeunis,  {^ar  lesquels 
elle  doit  nécessairement  prévenir  tous,  les  accidens 
dans  ceitte  foule  d'êtres  ainsi  pressés,  ne  vinssent 
pas  à  lui  manquer ,  elle  a  fait  de  la  jeunesse  la  saison 
de  lamour ,  et  à  allumé  son  flambeau  au  feu  le 
plus  subtil  et  le  plus  actif  du  ciel'  et  de  la  terre. 
Des  désirs  innocens  s'éveillent  ^  auxquels  l'enfance 
était  entièrement  insensible  :  l'œil  du  jeune  homme 
s'anime;  sa  voix  change;  la  joue  de  la  jeune  fille 
se  couvre  de  rougeur.  Deux  créatures  soupirent 
Tune  pour  l'autre,  sans  savoir  poui^quoi  elles  sou- 


•  CHAPITRE  II.  71 

pîrent  ;  elles  languissent  et  se  consument  pour  con- 
fondre leurs  6tres  que  la  nature  a;  séparés ,  et  elles 
errent  sur  une  mer  de  déceptions.  Créatures  dou- 
cement déçues,  jouissez  de  vôtre  heurej  mais  sa- 
chez que  TOUS  accomplissez,  non^  pas  vos  rêves 
décevans,  mais  le  graiad  dessein  de  la  nature  ^  au- 
quel elle  vous  invite  par  tant  de  séductions.  Elle 
voulut  tout  déposer  dans  le  premier  couple  d'une 
espèce,  des  générations  dans  des  générations;  c'est 
pourquoi  elle  choisit  les  germes  naissans  aux  mo- 
mens  les  plus  Mîmes  de  la  vie,  dans  l'enchante- 
ment  d'un  j^aisir  mutuel^  et  si  elle  dérobait  à  un 
être  vivant  quelque  chose  de  son  existence,  elle 
voulait  au  moins  le  lui  dérober  par  les  charmes 
les  plus  enivrans.  Aussitôt  qu'elle  a  assuré  l'espèce, 
elle  laisse  l'individu  périr  par  degrés,  A  peine  la 
saison  des  amours  estrelle  passée ,  que  le  cerf  perd 
son  bois,  l'oiseau  ses  chants  et  une  grande  partie 
de  sa  beauté,  le  poisson  son  parfum  délicat  et  la 
plante  ses  plus  belles  couleurs;  le  papillon  perd 
ses  ailes,  et  le  souffle  de  la  vie  s'éteint  en  lui,  tandis 
que 9  restant  seul,  sans  afiaiblir  ses  forces,  il  pour- 
rait vivre  la  moitié  de  Tannée.  Tant  que  la  jeune 
plante  n'»  point  produit  de,  fleurs,  elle  peut  résister 
au  froid  de  l'hiver;  mais  celle  qui  est  précoce  à 
fleurir,,  est  la  plus  précoce  à  mourir.  L'aloés  d'Ame;' 
riq[ue  vit  souvent  un  siècle  ;^  mais  «  quand  une  fois 
il  a  porté  ses  fruits,  aucun  procédé,  aucun  art  ne 


72  LIVRE   II.  • 

peut  empêcher  sa  tige  orgueilleuse  de  mourir  à 
la  nouvelle  année.  En  trente -cinq  ans  le  grand 
palmier  à  éventail  arrive  à  la  hauteur  de  soixante* 
dix  pieds;  il  grandit  alors  de  trente  pieds  dans 
l'espace  de  quelques  mois;  puis  il  fleurit,  il  porte 
ses  fruits  et  il  meurt  la  inëme  année.  Tel  est  le 
cours,  de  la  nature  dans  le  mouvement  des  êtres 
qui  procèdent  l'un  de  l'autre  :  le  fleuve  coule, 
quoique  chaque  vague  se  perde  dans  la  Vague  qui 
lui  succède. 

U  y  a  dans  la  dissémination  et  la  dégénération 
des  plantes  une  analogie  à  observer  qui  s'appliquera 
à  des  êtres  d  un  ordre  supérieur,  et  qui  nous  pré- 
parera aux  vues  et  aux  lois  générales  de  la  nature. 
Chaque,  plante  a  besoin  d'un  climat  particulier, 
par  lequel  il  faut  comprendre  not{  -  seulement*  la 
constitution  de  la  terre  et  du  sol,  mais  aussi  l'élé- 
vation de  la  contrée,  la  qualité  de  l'air  et  de  l'eau, 
et  le  degré  de'  température.  Sous  la  terre ,  toutes 
choses  restent  confondues  l'une  avec  l'autre,  et 
quoique  chaque  espèce  de  pierre,  de  cristal,  de  mé- 
tal emprunté  sa  qualité  de  la  terire  dans  laquelle  elle 
se  développe,  et  que  d^là  résultent  les  variétés  les 
plus  frappantes,  il  nous  §  été  impossible  d'acquérir 
sur  ces  royaumes  de  Plutondes  notions  aussi  précises 
de  leurs  principes  et  de  leur  classification,  en  un 
mot ,  dés  vi^^  géographiques  aussi  générales  que 
celles  que  nous  avons  sur  les  beaux  domaÎBes  de 


CHAPltRE  II.  75 

Flore»  La  philosophie  ^  de  la  botapique,  qui  classe 
les  plantes  suivant  réléyation  et  la  qualité  du  sol, 
de  lair,  de  Teau  et  de  la  température,  e^t  un  mo- 
dèle frappant  po;ur  une  méthode  semblable .  dans 
la  classification  des  .animaux  et  des  hommes. 

Toutes  les  plantes  naissent  sauvages  dans  telle 
ou  telle  partie  du  monde;  celles  que  nous  culti- 
vons avec  art,  sortent  librement  des  mains  de  la 
nature  et  arrivent  à  une  perfection  beaucoup  plus 
grande  dans  leurs  propres  climats.  U  en  est  dé 
même  de  Thomme  et  des  animaux,,  car  chaque 
race  d'hommes  est  organisée  dans  sa  propre  ré- 
gion suivant  le  mode  qui  lui  est  le  plus  naturel. 
Chaque  sol,  chaque  espèce  de  montagnes,  chaque 
région  correspondante  de  latmosphère,  aussi  bien 
que  tel  degré  de  chaleur  ou  de  froid ,  produisent  et 
nourrissent  des  plantes  qui  leur  sont  propres.  Les 
mêmes,  ou  du  moins  de  semblables  végétaux,  se  re- 
trouvent, malgré  la  distance,  surles  Alpes,  les  Pyré- 
nées et  les  rochers  de  Laponie.  L'Amérique  septen- 

■        ■  .         ■  Il  ■    i{  .11         ■  ,  I  I    I       I    r  II  I  .1  I     I    ■ 

I.  La  philosophie  hotânique  de  Linnée  est  pour  plusieurs 
sciences  un  modèle  classique.  Une  philosophie  anthropolo- 
gique, écrite  avec  la  même  conscience  et  la  même  exactitude., 
serait  pour  nous  un  oadre  précieux  dans  lequel  viendraient 
ce  placer  toutes,  les  observations  futures.  Dans  son  Histoire 
naturelle  de  la  France  méridionale,  part.  II,  tom.  I.*",  Pabbé 
SoalaTÎe  a  donné  un  essai  'de  géographie  physique  générale 
da  règne  végétal,  et  a  promis  de  Tétendre  aux  animaux  et  à 
rhomme. 


74  UYRE  II, 

trionak  et  les  immenses  plateaux  de  la  Tartane  pro- 
duisent les  mêmes  rejetons.  A  la  vérité /dans  ceslieuî 
élevés,  où  les  plantes  sont  fortement  agitées  par  ie 
vent,  et  où  l'été  est  de  courte  durée,  elles  n'ont 
qu'une  petite  stature,  mais  un  nombre  prodigieux 
de  graines.  Quand  elles  sont  transportées  dans  nos 
jardins,  elles   s'élèvent  davantage  et  poussent  de 
plus  larges  feuilles ,  tandis  qu'elles  portent  moins 
de  fruits:   Chacun  aperçoit  ici  une  ressemblance 
frappante  avec  ce  qui  arrive  dans  les  animaux  et 
les  hommes.  Toutes  les  plantes  aimeint  l'air  libre; 
dans  les  sierres  chaudes  elles  cherchent  la  ré^on  de 
la  lumière,  même  quand  elles  èont  obligées,  pour 
la  trouver,  de  se  glisser  à  travers  une  crevasse.  Dans 
une  chaleur  renfern^ée,  elles  s'alongent*  et  s'éten- 
dent davantage,  mais  plus  pâles,  moins  fécondes;  si 
elles  sont  soudainement  exposées  au  soleil,  leurs 
feuilles  se  fïlétrissent  Une  éducation  fatisse  et  effé- 
minée ne  produit-elle  pas  des  effets  semblables  sur 
l'homme  et  sur  les  aniiDaux?  La  différence  de  pays 
et  de  température  (ait  naître  des  variétés  dans  les 
plantes  aussi  bien  que  dans  les  animaux  et  dans 
l'homme;  et  ce  qu'elles  gagnent  en  beauté  par  le 
développement  de  leurs  feiâlles  et  le  nombre  de 
leurs  fleurs,  elles  le  perdent  en  fécondité.  En  est-il 
autrement  de  l'homme  du  des  animaux,  si  nous 
considérons  la  force  plus  puissante  de.  leur  nature 
multiple?  Des  plantes  qui  dans  des  pays  ehauds 


CHAPITRE  If.  75 

atteignent  la  hauteur  des .  arbres ,  deviennent  des 
nains  rabougris  dans  les  pays  froids.  Telle  plante 
e^t  faite'  pour  la  mer ,  telle  autre  pour  les  marais  ^ 
une  troisième  pour  les  rivières  et'  les  lacs  ;  l'une 
aime  la  neige  9  Tautre  les  pluies  qui  inondent  la 
zone  torride;  et  tout  cela  est  indiqué  par  leur 
forme  et  leur  figure.  Ne  devons -nous  pas  nous 
attendre  par  là  à  de  semblables  vaiiétés  dans  la 
structure  organique  de  Thomme,  en  tant  du  moins 
qu'il  est  une  plante? 

U  est  surtout  intéressant  d'observer  par  quds 
moyens  singuliers  les  plantes  se  conforment  elles- 
mêmes  à  là  saison  de  Tannée,  et  même  à  rheuré 
du  jour  y  et  s'accoutument  par  degrés  à  un  climat 
étranger^  Près  du  pôle,  elles  sont  plus  lentes  à 
croître,  et  fleurissent  d'autant  plus  promptement 
que  l'été  arrive  plus  tard  et  agit  avec  plus  de  puis* 
sance  :  transportées  en  Europe ,  les  plantes  qui 
croissent  dans  dès  contrées  méridionales  fleurissent 
plus  tard  la  première  année,  parce  qu'elles  ont 
besoin  du  soleil  de  leur  propre  climat^  les  étés 
suivans,  elles  arrivait  plus  promptement  à  leur 
maturité,  à  inesUre  qu'elles  sont  plus  hatbituées  À 
leur  nouvelle  position.  Dans  la  chaleur  artificielle 
d'une  serre,  chacune  obéit  à  sa  saison  natale,  même 
quand  elle  est  depuis  cinquante  ans  en  Europe. 
Les  plantes  du  Cap  fleurissent  en  hiver ,  parce  que 
c'est  alors  l'été  dans  leur  contrée  natale»  La  n^er» 


76  .  LIVRE .  II;  ' 

TcMle  du- Pérou  s'épanouit  pendant  la  nnit,  proba- 
blement, observe  linnée,  parce  qu'il  est  alors  jour* 
en*  Amérique,  d'où  elle  tire  son  origine.  Ain^, 
cbacune  tient  au  temps  et  même  à  l'heure  auxquels 
elle  avait  coutume  de  s'ouvrir  et  de  se  fermer.  «  Ces 
circonstances,  ^it  le  philosophe  botaniste  \,  parais^ 
sent  indiquer  qu'il  faut  pour  leur  développement 
quelque  chose  de  plus  que  la  chaleur  e^  que  l'eau;  ^* 
et  apparemment,  dans  les  variétés  organiques  cle 
l'homme ,  et  dans  la  puissance  de  se  nslturaliser 
au  milieu  dé  climats  étrangers ,  il  faut  considérer, 
surtout  quaûd  il  s'agit  d'un  autre  hémisphère-, 
quelque  chose  de  plu«,  quelque  chose  autre  que  la 
chaleur  et  que  le  froid. 

Enfin,,  si  nous  voulions  y  entrer,  quel  champ 
d'observations  nous  est  ouvert-  dans  Tassociation 
des  plantes  avec  l'homme  !  Dé jà^  a  été  faite  celte 
intéressante  découverte  que  les^plantesnae  peuvent, 
pas  plus  que  nous ,  vivre  dans  l'air* pur;  mais  que 
l'air  qu'elles  absorbent,  est  précisément  cette. partie 
pfalogistique  qui  détruit  la  vie  et  provoque  la  pu- 
tréfaction dans  toutes  les  substances  animales.  On 
a  reconnu,  qu'elles  remplissent  l'utile  mission'  de 

purifier  l'air,  iion.pas  par  le -secours  de  la  chaleur, 

^ ■  ■  I   ■     ■■■•....         ■  ■   .  i   j  — 

1.  Voyes  les  Transactions  d^  PAcadémie  suédoise ,  toL  ii 
pag.  6. 

à,  Ingenhousz''s  F^etsuche  mit  den  Pflanzen  (Expériences  sar 
les  plantes*^) ^'Lei^psiè,   inSo/pàg.  49* 


CHAPITRE  11/  77 

mais  par  celui  de  la  lumière;  car  les  froids  rayons 
de  la. lune  suffisent  à- accomplir  ce  dessein.  Heureux 
en&ns  de  la  terre  I  ce  qui  nous  détruit  ^  ce  que 
nous  exhalons  infecté,  vous  le  respirez^  et  c'est  par 
le  milieu  Je  plus  délicat  que  cet  air  doit  se  combi- 
ner à  vous,  et  que  vous  devez  nous  le  rendre,  pu- 
rifié par  vos  soins.  Vous  conservez  la  santé  de  ces 
créatafes  qui  vous  détruisent,  et  il  n'est  pas  jusqu'à 
votre  mort  qui  ne  soit  un  bienfait;  car  vous  amé- 
Jiorez  la  terre,"^  et  vous  la  fertilisez. pour  de  nouveaux 
êtres  de  votre  propre  espèce. 

Quand  les  plantes  ne  serviraient  qu'à  cela  seul, 
leur  silencieuse  existence  serait  encore  uii  bel  en- 
chaînement pour  arriver  aux  animaux  et  à  Thomme; 
rn^is  puisqu'elles  sont  en  même  temps  la  nourriture 
la  plus  abondante  de  la  création  animale,  et  qu'il 
est  d'wne  extrême  importance  dans  l'histoire  des 
modes  de  vie  de  l'humanité,  d'observer  quels  sont 
les  plante^  et  les  animaux  que  chaque  peuple  a  trou^ 
vés  dans  son  pSys-natal  pour -se*  nourrir,  sous  com- 
bien d'aspects  nouveaux  ne  se  présentent -elles  pas 
à  nous,  dans  l'étude  des  règnes  de  la  nature! 

Les  animaux  les  plus  paisibles  et,  si  nous  pou- 
vons hasarder  l'expression,  les  plus  humains,  se 
nourrissent  de  végétaux.  Les  nations  qui  emploient 
principalement  le  même  genre  d'alimens,  se  sont 
&it  remarquer  comme  eux  par  un  calme  et  utie 
séréniié  inaltérahles.  Tous  les  carnassiers  sont  natu- 


7^  LIVRE  II. 

rellement  plus  sauvais*  L'hottihiey  placé  entre  deux, 
ne  peut  être  un  animal  carnassier,  à  en  juger  par 
la  confonnaûon  de  ses  dents.  U  est  des  nations 
qui  ne  vivent  que  de  lait  et  de  végétaux.  Dans  les 
premiers  temps  elles  étaient  plus  nombreuses;  et 
quelle  richesse  la  nature  leur  offrait  dans  les  pulpes, 
dans  les  sucs,  dans  les  fruits,  dans  les  écorCes  et 
les  rejetons  de  là  création  végétale ,  quand  souvent 
un  seul  arbre  pouvait  fournir  à  la  nourriture  de 
toute  une  famille!  Chaque  contrée  «st  admirable- 
ment disposée  de  manière  à  se  suffire  à  elle-même, 
tant  pour  les  chosea  qu'elle  produit ,  que  pour 
ceUes  qu'elle  attire  à  elle  ou  qu'elle  repousse  de 
son  seiii.  Ainsi,  pendant  que  les  plantes  se  nour- 
rissent de  la^  partie  phlogistique  de  l'atmosphère, 
et  jusqu'à  un  certain  point  des  vapeurs  qui  nous 
sont  les  plus  pei^nicieuses ,   leurs  antidotes  sont 
appropriés  aux  circonstances  de  chaque  pays,  et 
partout  elles  préparent  pour  les  corps  animaux, 
toujours  enclins  à  la  corruptio»,  les  remèdes  qui 
convienneni  aux  maladies  de  la  contrée.  C'est  donc 
à  tort  que  l'homme  accuse  la  nature  d'avoir  prO' 
duit  des  fiantes  nuisibles  ;  car  c'est  par  elles  que  se 
font  les  sécrétions  des  poisons,  de  sorte  qu'elles 
conti^ibuent  beaucoup  à  la  salubrité  du  pays,  en 
mênie  temps  qu'eUes  sont  dans  ses  mains,  aussi 
bien  que  dans  celles  de  la  nature,  les^  remèdes  les 
plus  ^caces.  Rarement  l'homme  a-t-il  détruis 


CHAPITRE  II.    .  79 

dans  une  contrée  quelque  espèce  de  plantes  ou 
d'animaux,  sans  s'être  aperçu  bientôt  de  quelques 
résultats  désavantageux  au  lieu  qu'il  habite  :  et  la 
nature  n'a-t-elle  pas  fourni  à  chaque  aniâial  <  aussi 
bien  qu'à  l'homme ,  des  sens  et  de$  organes  suffi* 
sans  pour  découvrir  les  .plantes  qui  lui  sont 
utiles  )  et  repousser  celles  qui  lui  sont  perni- 
cieuses? 

Quelle  intéressante  carrière  ne  foumirait*pn  pas 
au  milieu  des  arbres  et  des  plantes ,  si  l'on  pour- 
suivait, à  travers  les  diverses  régions  de  la  t^re, 
ces  grandes  lois  naturelles  dans  leurs  rapports  avec 
le  règne  animal  et  l'humanité!  Nous  devons  nous 
contenter  d*àUer  ainsi  cueillir  au  hasard  quelqueis 
fleurs  dans  ce  champ  immense,  et  de  recommander 
à  quelqu'un  qui  soit  spécialement  instruit  dans  cette 
science  ^  le  désir  que  nous  avons  de  posséder  une 
géographie  universelle  de  botanique  pour  F  histoire 
de  Phomme. 

CHAPITRE  ill. 

Du  règne  animal  dans  ses  rapports  ai^eç 

rhistoire  de  Thomme. 

Les  animaux  sopt  les  frères  aînés  de  l'honmie; 
ils  étaoeni}  avant  qu'il  ne  fik.  Étranger  sur  la  terre, 
rhomme  tjrouva  à  son  arriérée  chaque  contrée  déjà 
occupée,  au'  moins  dans  quelques-uns  dé  ses  élé- 


80  LIVRE  n. 

ihens;  car,  si  yoùs  exceptez  les  végétaux,  de  quoi 
le  nouveau -venu  aurait -il  pu  se  nourrir?  Ainsi 
toute  histoire  de  rhomme  qui  le  considère  sans 
cetti^  relation,  est  nécessairement  partielle  et  incom- 
plète. Le  monde,  il  est  vrai,  (ut  donné  à  l'homme; 
mais  non  pas  à  lui  seul ,  non  pas  à  lui  pour  la  pre- 
mière fois.  U  n'est  pas  d'élément  où  les  animaux  ne 
lui  disputent  le  pouvoir  suprême.  U  faut  qu'il  ap- 
privoise telle  espèce,  qu'il  lutte  long-temps  contre 
telle  autre;  quelques-unes  échappent  à  son  empire, 
d'autres  engagent  aVec  lui  une  guerre  étemelle;  en 
un  mot,  toutes  les  espèces  étendent  leur  <loniaine 
sur  la  terre  à  proportion  de  leur  capacité,  de  leur 
adresse,  de  leur  force  6u  de  leur  courage, 

U'  ne  s'agit  pas  ici  de  savoir  si  l'homme  a  la 
raison  en  partagé,  et  si  elle  est  refusée  aux  animaux. 
Dans  TTC  dernier  cas,  ils  ont  quelque  autre  avantage; 

^  car  assurément  la  nature  n'a  laissé  sans  protection 
aucune  de  ses  créatures;  si  une  seule  était  négligée 
d'elle,  de  qui  pourrait-elle  être  secourue,  puisque 
toute  la  création  n'est  qu'une  guerre,  et  que  les 
pouvoirs  les  plus  contraires  se  touchent  et  se  limi- 
tent Fun  l'autre?  Ici  l'homme,  ce  demi -dieu,  est 

.tourmenté  par  les  serpens,  là  par  des  insectes;  ici 
tm  requin  le  dévore,  là  un  tigre  :  c'est  une  lutte 
généralje  entre  des  êtres  qui  se  font  obstacle  l'un 
à  l'autre;  chacun  pourvoit  à  sa  propre  subsistance 
et  défend  sa  propre  vie. 


CHAPITRE   III.  8l 

Pourquoi  la  nature  en  agit-elle  ainsi?  et  pourquoi 
limite- 1- elle  .ses  créatures  l'une  par  laulre?  Cest 
afin  de  produire  dans  le  moindre  espace  le  plus 
grand  nombre  et  la  plus  grande  variété  possible 
d'êtres  vivans,  de  sorte  que  Tun  balance  l'autre, 
et  que  l'équilibre  des  pouvoirs  établisse  la  paix 
dans  la  création.  Chaque  espèce  prend  soin  d'elle 
seule,  comme  si  elle  était  seule  à  FeiListence.  Mais 
à  côté  d'elle  une  autre  s'élève,  qui  la  confine  entre 
deux  limites  :  et  par  cet  équilibré  de  pouvoirs  op- 
posés, la  nature  créatrice  a  trouvé  le  vrai  moyen 
de  maintenir  le  tout;  elle  a  pesé  les  pouypirs,  elle 
a  compté  les  membres,  elle  a  déterminé  les  instincts 
des  espèces  et.  leurs  penchans  mutuels,  et  a  laissé 
la  terre  produire  ce  qu'elle  était  capable  de  pro- 
duire. 

Je  ne  m'inquiète  donc  point  de  savoir  si  des 
espèces  entières  d'animaux  ont  disparu  d^  dessus  la 
surface  de  la  terre.  Les  nains  ont-ils  disparu?  Il  en 
a  été  de  même  des.géans;  pendant  quils  existaient, 
les  rapports  des  créatures  entré  elles  étaient  difierens. 
Dans  les  choses,  telles  qu'elles  sont  maintenant,  nous 
apercevons  un  équilibre  évident,  non-seulement  sur 
la  surface  du  globe  en  général,  mais  dans  des  contrées 
et  des  régions  déterminées.  L'agriculture  peut  aisé^ 
ment  enfermer  les  animaux  dans  des  limites  plus 
étroites;  mais  il  ne  lui  est  pas  facile  de  les  exter- 
miner, au  moins  n'a- 1- elle  pu  le  faire  dans  une 
I.  6 


8a  tivKE  II. 

grande  éteâdue  de  pays,  et  elle  a  mùljtipliè  .le  nom- 
bre des  animaux  domestiques  à  la  place  des  ani- 
maux sauvages,  qu'elle  a  rendus  plus  rares.  Ainsi, 
dans  la  constitution  présente  de  notre  terre,  aucune 
espèce  n'a  été  perdue,  quoique  je  ne  mette  pas  en 
doute  que  d'autres  aient  pu  exister  quand  sa  cons- 
titution était  différente;  et  si  |i  quelque  époque 
future  )  l'art  ou  la  nature  devaient  la  changer  com- 
plètement, il  s'établirait  entre  les  créatures  vivantes 
un  rapport  différent. 

En  un  mot,  Thonime  est  entré  dans  un  monde 
habité;  tous  les  élémens,  les  rivières  et  les  marais, 
la  terre  et  l'air,  étaient  remplis  où  se  remplissaient 
de  créatures  vivantes  ;  aidé  de  ses  qualités  presque 
divines,  de  son  habileté  et  de  sa  puissance,  il  fallut 
qu'il  fît  luî-mtoie  la  conquête  de  son  empire.  Com- 
ment y  parvini-il?  c'est  là  ce  qui  constitue  Thistoire 
de  la  civilisation,  partie  la  plus  intéressante  de 
l'histoire  dé  Thomme,  et  qui  embrasse  jusiju'aux 
nations  les  plus  grossières.  Je  dois  remarquer  ici, 
une  fois  pour  toutes,  que  l'homme  reçut  unique- 
mei^t  des  animaux  cette  première  instruction  qui 
lui  fit  étendre  ^ar  degrés  son  domaine  sur  tous; 
ce  furent  les  étincelles  vivantes   de  rinielligencc 

divine  ^ ,  dont  l'homme  condensa  en  lui  les  rayons 

—         ■'.'  ' ■,       . I  .     ...  -    ...     ..  ■  ■  .       .     __. — ^ 

1.  Il  faut  se  garder  de  confondre  cette  manifestation  uni- 
TerseUe  de  la  peasée  divine  avec,  cette  éducation  spéciale  que 
Tâuteur  reclame  plus  loin.    Cest  ici  une  de  ce^  propositions 


CHAPITRE  III.  85 

dans  une  sphère  plus  ou  moins  grande^  pour  les 
réfléchir  dans  ses  arts ,  ses  instincts ,  ses  moyens 
de  se  nourrir  et  de  se  vêtir,  son  industrie  et  ses 
coutumes;  plus  il  mit  en  cela  de  persévérance  et 
d'adresse 7  plus  les  animaux  qui  lentouraient  étaient 
industrieux,  plus  il  se  familiarisa  avec  eux,  plus  il 
vécut  avec  eux,  soit  en  paix  soit  en  guerre,  plus 
aussi  il  se  perfectionna,  de  telle  sorte  que  l'histoire 
de  sa  culture  est  en  grande  partie  zoolqgique  et 
géographique. 

Secondement^  quelles  que  soient  sur. notre  terre 
les  variétésf  du  spj  et  du  climat,  des  pierres -et  des 
plantes,  combien  les  Variétés  des  êtres  animés  sont 
plus  nombreuses  !  Ne  les  confinons  pas  toutefois 

à  la  terre;  car,  dans  l'air,  dans  l'eau,  même  dans 

« 

les  parties  internes  des  plantes  et  des  animaux,  p^r-^ 
tout  fourmille  la  vie.  Multitudes  innombrables,  pour 
qui  le  monde  a  été  créé  aussi  bien  que  pour  l'homme  I 
Surface  mouvante  de  la  terre ,  sur  laquelle.,  aussi 
loin  que  s'étendent  les  rayons  du  soleil,  s'étendent 
la  jouissance,  la  vie  et  l'activité  ! 

Je  ne  veux  point  idi  entrer  dans  cette  proposition 
générale,  que  chaque  animal  a  son  élément,  son 
climat  et  son  lieu  propre;  que  quelques  espèces  sont 

peu  répandues ,  d'autres  davantage ,  et  quelques-unes 

'■---■■ 

indécise»  par  lesquelles  il  se  prépare  à  tèmber  du  général  dans 
le  particulier ,  sans  qn^aùcune  secousse  ayertisse  dé  la  chute. 
{Note  du  traducteur.) 


84  LIVRE  II. 

presque  autant  que  rhomme  lui-même;  car  nous 
avons  sur  ce  sujet  un  ouvrage  profond,  écrit  avec 
un  génie  vraiment  philosophique ,  par  Zimmer- 
mann,  sur  Thistoire  géographique  de  Thomme  et 
'sur  les  quadrupèdes  universellement  répandus  K  II 
me  suJBSra  d'indiquer  ici  quelques  observations,  par- 
ticulières, que  nous  trouverons  confirmées  par  Tbis- 
toire  de  l'homme. 

1 .  Les  espèces  qui  habitent  à  proprement  parler 
toutes  les  parties  du  globe,  reçoivent,  des  formes 
différentes  dans  presque  chaque  climat.  En  Lapo- 
nie,  le  chien  est  petit  et  laid;  en  Sibérie,  il  est 
mieux  formé,  il  a  les  oreilles  droites  et  une  taille 
médiocre.  Dans  les  pays,  dit  Buffon,  où  nous  trou- 
vons les  plus  belles  races  d'hommes,  nous  voyons 
aussi  les  chiens  les  plus  beaux  et  les  plus. grands; 
dans  les  cercles  arctique  et  antarctique  le  chien  perd 
sa  voix  ,  et  dans  Tétat  sauvage  il  ressemble  au 
chacal.  Â  Madagascar,  le  bœuf  a  sur  le  dos  une 
bosse  du  poids  de  cinquante  livres,  qui  disparait 
peu  à  peu  à  mesure  que  Ton  s'éloigne  de  ce  climat; 
d'ailleurs,  cet  animal  diffère  beaucoup  de  couleur, 
de  grandeur,  de  force  et  de  courage  dans  presque 
tous  les  lieux  de  la  terre.  Le  mouton  d'Europe 
traîne,  au  cap  de  Bonne-Espérance,  une  queue  de 

1 .  Geagrapkische  Ge^ckichte  des  Mens'chen  und  der  aUgemein 
verbr€iUten  vierfussigén  Thiere^  Leipsic,  i  778-  1733;  en  Uois 
volumes,  ayec  une  belle  mappemonde  zoologique. 


ÇHAPIXRE  III.  85 

dix-neuf  livres  pesant  ;  en  Irlande ,  ses  cornes  vont 
jusqu'à  cinq;  dans  le  comté  d'Oxford,  en  Angle- 
teire ,  il  a  la  taille  d'un  âne;  et  en  Turquie,  la 
laine  est  tachetée  comme  la  peau  du  tigre.  Ainsi 
varient  tous  les  animaux;  comment  donc  rhomme, 
qui  est:  aussi ,  par  la  structure  de  ses  nerfs  et  de  ses 
muscles,  un  animal,  ne  changerait- il  pas  avec  le 
climat!  D'après  l'analogie  de  la  nature  ce  serait  un 
miracle  s'il  demeurait  invariable. 

2.  Tous  les  animaux  domestiques  que  nous  avons, 
ont  commencé  par  être  sauvages  :  bien  plus,  on 
trouve  encore  les  races  sauvages  dont  ils  descen- 
dent, surtout  dans  les  montagnes  de  l'Asie^  qui 
fiirent  probablement  le  pays  ns^tal  de  l'homme,  au 
moins  dans  notre  hémisphère,  et  le  berceau  de  la 
civilisation.  Plus  on  ^'éloigné  de  cette  contrée^  par- 
ticuhèrement  dans  les  lieux  où  les  communications 
avec  elle  sont  difficiles ,  plus,  le  nombre  des  espèces 
d'animaux  domestiques  va  en  dîmiiiuant,  jusqu'à  ce 
qu'à  la  fin  le  chien,  le  cochon  et  le  chat  soient  les 
seuls  animaux  de  ce  genre  que  possèdent  la  Nou- 
velle -  Guinée ,  la  Nouvelle  -  Zélande  et  les  îles  de 
l'Océan  pacifique. 

5.  L'Amérique  a  un  grand  nombre  d'animaux  qui 
lui  sont  propres;  parfaitement  appropriés  à  son 
climat,  ils  sont  tels  qu'ils  doivent  naturellement  être 
produits  sur  ses  hauteurs  immenses  et  dans  ses  val- 
lées long-temps  inondées.  P.eur  ou  point  de  grands 


86  LIVRE  II. 

animaux,  et 'moins  encore  qui  soient  apprivoisés 
ou  capables  de  l'être  :  mais  elle  a  porportionnelle* 
ment  plus  d'espèces  de  chauve -souris  ^  de  tatous, 
de  rats  et  de  souris;  le  unau,  le  ai,  une  foule  din- 
sectes,  d amphibies,  de  crapauds,  de  lézards,  etc. 
On  peut  concevoir  quelles  conséquences  ont  du 
résulter  de  la  pour  l'histoire  de  Thommé. 

4.  Dans  lès  contrées  où  les  pouvoirs  de  la  nature 
sont  plus  actifs,  où  la  chaleur  du  soleil  se  com- 
bine avec  des  vents  réguliers,  de  grandes  inonda- 
tions, de  violentes  explosions  du  fluide  électrique, 
et,  en  un  mot,  avec  tout  ce  qui  dans  la  nature 
produit  la  vie  et  reçoit  la  dénomination  de  vivi- 
fiant, nous  trouvons  les  animaux  les  plus  forts, 
les  plus  grands,  les  plus  hardis,  les  plus  parfaits, 
aussi  bien  que  les  plantes  les  plus  aromati<}ues. 
L'Afrique  a  ses  troupeaux  d'éléphans,  de  zèbres, 
de  daims ,  dé  sangliers  et  de  buffles;  cVst  là  que  le 
lion,  le  tigre,  le  crocodile,  l'hippopotame  parais- 
sent dans  toute  leur  force  ;  c'est  là  que  les  plus 
grands  /  arbres  du  mpnde  s'élèvent  dans  les  airs, 
chargés  des  fruits  les  plus  nourrissans  ^et  les  plus 
savoureux.  Tout  le  monde  sait  que  l'Asie  possède 
une  quantité  prodigieuse  de  plantes  et  d'animaux, 
et  qu'ils  sont  plus  non^reux  là  où  les  pouvoirs 
électriques  du  soleil,  de  l'air  et  de  la  terre  sont 
en  plus  grande  abondance.  Au  contraire,  là  où  ces 
agens  sont  plus  faibles  et  plus  irréguliers,  repoussés 


^ 


CHAPCmE  iii.  87 

et  confinés  dans  les  eaux ,  dans  des  sels  dissolvans 
ou  d^s  des  bois  htmiides,  là  ne  se  développent 
point  ces  créatures  qui  ont  besoin  pour  se  former 
du  jeu  libre  de  l'électricité,  Ck>mbinée  avec  Thunii- 
dite ,  une  chaleur  lourde  produit  des  essaims  d'in- 
sectes et  d'amphibies;  mais  non' pas  les  formes 
admirables  de  l'ancien  monde,  qui  sont  animées 
de  la  chaleur  d'un  feu  vivifiant  La  force  muscu- 
laire du  lion,  l'osil  perçant  et  l'élasticité  du  tigre, 
l'adroite  sagacité  dé  l'éléphant,  la  souplesse  de 
la  g^selle,  la  mécdianceté  insidieuse  du  sanglier 
d'Afirique  et  d'Asie,  ne  se  retrouvent  dans  aucun 
des  animaux  du  nouveau  continent.  Parmi  ceux^ 
ci  l'un  semble  s'être  dégagé  avec  difficulté  d'une 
glaire  échauffée  ;  l'autre  n'a  point  de  dents  ;  cdui- 
ci  n'a  ni  pattes,  ni  griffes;  celui-là  n'a  point  de 
queue,  et  la  plupart  manquent  de  force,  de  cou- 
rage et  d'adresse.  Ceux  qui  habitent  les  montagnes 
sont  plus  intelligens,  mais  ils  n'égalent  pas  les 
animaux  de  l'ancien  monde;  et  dans  la  conforma- 
tion cpriace  et  écailleuse  du  plus  grand  nombre, 
on  aperçoit  que  l'élément  électrique  leur  manque 
essentiellement. 

5.  Enfin,  il  est  probable  qu'en  ce  qui  concerne 
les  animaux,  il  y  a  encore  de  plus  grandes  singu- 
larités à  observer  quç  celles  que  nous  avons  remar- 
quées dans  les  .plantes ,  en  parlaDit  des  qualités 
qu'elles  empruntent  et  de  la  lenteur  qu'elles  mettent 


88  UVRE  IL 

à  se  (àmîliariser  avec  un  climat  étranger  ou  antipode. 
L'ours  d^inérique,  décrit  par  linnée^,  observait 
niellée  en  Suède  le  jour  et  la  nuit  d'Amérique.  Il 
dormait  depuis  minuit  jusqu'à  midi:,  et  depuis  midi 
jusqua  minuit  il  errait,  comme  si  c'eût  été  son 
jour  d'Amériqiie:  il  conservait  ainsi  avec  ses  autres 
instincts,  les  divisions  du  temps,  telles  qu'il  les 
avait  apprises  dans  sa  patrie.  Cette;  remarque  ne 
s'applique-t-elle  pas  à  d'autres  contrées  de  la  terre 
et  aux  deux  hémisphères^  oriental  et  méridional?  et 
si  cette  variété  d'effets  a  lieu  parïni  les  animaux, 
l'homme ,  malgré  son  caractère  particulier,  devra-t-il 
en  être  exempt? 


s       ^      CHAPITRE  IV. 

L'homme  est  une  créçture  centrale  au 
milieu  des  animaux  terrestres. 

1.  Quand  Linnée  coinptait  deux  cent  trente 
espèces  d'animaux  vivipares,  parmi  lesquels  il  com- 
prenait ceux  qui  sont  aquatiques,  il  distinguait  neuf 
cent  quarante  -  six  espèces,  d'oiseaux ,  deux  cent 
quatre-vingt-douze  d'amphibies,  quatre  cent  quatre 
de  poissons,  trois  mille  soixante  d'insectes  et  douze 
cent  cinq  de  vers.  Les  mammifères  étaient  donc  en 
plus  petit  nombre,  et  les  amphibies  qui  leur  res- 

1. 'Transactions  de  rAcadémie  suédoise,  toL IX;  p.  3oo.  , 


CHAPITRE   IV.  89 

semblent  le  plus,  venaient  immédiatement  après. 
Dans  Tair,  dans  l'eau,  dans  les  marais,  et  dans  les 
déserts  sablonneux,  les  genres  et  les  espèces  aug- 
mentent, et  je  suis  persuadé  qu'à  mesure  que  nous 
étendrons  nos  découvertes,  nous  les  verrons  s'aug- 
menter dans  une  égale  proportion;  car,  après  I9 
mort  de  liinnée,  les  animaux  vivipares  furent  portés 
au  nombre  de  quatre  cent  cinquante.  Buffon  compta 
deux  mille  oiseaux,  et  Forster  découvrit  à  lui  seul, 
pendant  un  court  séjour  dans  quelqi|es-unes  des 
lies  de  la  mer  du  .Sud,  cent  neuf  e$pèces  nouvelles, 
sans  rencontrer  une  seule  espèce  nouvelle  de  qua- 
drupèdes.  Si  la  même  proportion  subsiste,  et  que 
dans  les  temps  à  venir  on  décQuvre  plus  d'insectes, 
d'oiseaux  et  de  repdles,  que  d'espèces  entièrem^it 
nouvelles  de  quadrupèdes,  bien \ qu'il  y  en  ait  .sans 
doute  plusieurs  dans  les  contrées  ^encore,  inconnues 
de  l'Afrique,  nous. pouvons,  selon   toute  proba- 
bilité, établir  comme  un  fait:  que  les  classes  desj 
créatures  s^ étendent  à  mesure  qu^ elles  diffèrent  plus 
de  Vhomrne;  que^  plus  elles  se  rapprQchefd  de  lui^ 
plus,  le  nombre  des  espèces  (f  animaux  les  plus  par* 
faits  j  comme  on  a  coutume  de  les  appeler  y  va  en 
diminuant. 

2.  Maintenant  il  est  incontestable  que ,  dans 
toute  la  création  animée ,  On  voit  dominer  parmi 
tant,  d'êtres  différens  une  ceruinè  uniformité  d'or- 
^uûsation,  et  pour  ainsi  dire  un  type  exemplaire  ^ 


90  LIVRE  II. 

qui  se  modifie  au  sein  de  la  plus  abondante  variété. 
On  voit  au  preinier  coup  c^'œil  comlûen  il  y  a  de 
ressemblance  dans  la  structure  creuse  de  tous/  les 
animaux  terrestres.  Les  parties  principales  dans  tous 
sont  :  la  tète^  le  xsorps,  les  mains  et  les  pieds,  et 
même  leurs  membres  principaux  sont  configurés 
d  après  un  seul  prototype,  diversifié  à  Tinfini.  La 
/structure  înteime  des  animaux  rend  cette  proposi* 
tion  encore  plus  évidente ,  et  plusieurs  formés  gros- 
sières  à  rextérieur  ressemblent  beaucoup  à  celles 
^e  l'homme  dans  leurs  parties  internes.  L'amphibie 
s^ëloigne  davantage  de  ce  modèle ,  moins  pourtant 
que  les  oiseaux,  les  poissons,  les  insectes  et  les 
animaux  aquatiques,  qui  vont  à  la  fin  se  perdre 
dans  le  inonde  végétal  ou  fossile.  Nos  yeux  ne 
peuvent  pas  pénétrer  plus  avant  ;  mais  ces  transi- 
tions n'empêchent  pas  de  conjecturer  que  dans  les 
productions  marines,  dans  les  plantes  et  dans  les 
objets  inanimés,  comme  on  les  appelle,  il  ne  se 
trouve  un  seul  et  même  type  d'organisation,  quoique 
infiniment  plus  grossier  et  plus  confus.  A  l'œil  de 
l'Être  âtemel,  qui  voit  ^toutes  choses  dans  un  seul 
tout  indivisible,  peuirétre  que  la  forme  d'une  par- 
celle de  glace,  telle  qu'elle  est  engendrée,  et  que 
le  fldcon  de  neige  qui  se  développe  par  elle,  ont 
quelque  analogie  avec  l'embryon  dans  le  sein  qui 
le  nourrit»  Nous  pouvons  donc  encore  admettre 
cette  grande  proposition  :  plus  les  créatures  se  rap- 


CHAPITRE  ly.  gv 

prochent  dé  P homme  ^  plus  elles  ont  de  ressem,- 
hlance  avec  lui  dan^  leur  forme  générale  ;  et  la 
nature j  dans  la  variété  infinie  gabelle  aime^  semble 
a^oir  construit  toutes  les  créatures  vivantes  sur 
notre  terre  diaprés  un  seul  et  même  type  d^orgcfr 

nisation, 

< 

5.  Ainsi  il  eH  évident  que,  comme  ce  type  doit 
varier  nécessairement  avec  la  race,  l'espèce ,  la  dea*^ 
dnaUoa  et  les  élémens,  une  copie  est  expliquée  par 
une  autre  copie.  Ce  que  la  nature  a  donné  à  un 
animal  comme  accessoire,  eUe  l'a  fait  fondamental 
dans  un  autre ,.  soit  qu'elle  le  produise  au  jouir, 
qu'elle  l'agrandisse  ou  qu'elle  j  fasse  concourir  les 
autres  parties,  toujours  dans  une  harmonie  parfaite. 
Ailleurs  y  ce  sont  ces  parties  dépendantes  qui  prédo^ 
minent;  ainsi  tous  les  êtres  de  la  création  prganique 
'  apparaissent  conmie  disjecii  membra  poelœ.  Celui 
qui  veut  les  étudier,  doit  les  étudier  l'un  dans  l'au- 
tre. Une  partie  semble^t^elle  négligée  ou  cachée,  il 
a  recours  à  une  autre  créature ,  dans  laquelle  elle  a 
été  achevée  et  développée  par  la  nature.  Cette  vérité 
se  cQnfirm4S  par  tous  les  phénotnènes  qui  résultent 
de  l'extrême  divergence  des  êtres.     ' 

4*  Pour  conclure  jy  l'homme  semble  être  parmi 
les  animaux  cette,  parfaite  créature  centrale'  qui^ 
sans  briser  l'individuaUté  de  sa  destinée,  réunit 
en  elle  le  plus  grand  nombre  possible  de  rayons 
et  de  fonne&  Il  ne  pouvait  pas  tout  enfermer  en 


9a  LIVRE  II. 

lui  à  un  même  degré  :  ainsi,  tel  animal  le  surpasse 
par  la  finesse  d'un  sens  particulier ,  tel  autre  par 
là  force  de  ses  muscles,  un  troisième  par  Félasti- 
cité  de  ses  fibres;  mais  il  réunit  tout  ce  qui  pou- 
vait réellement  s'unir  en  lui.  Il  a  les  membres,  les 
instincts,  les  sens,  les  facultés  et  les  industries  qui 
sont  communs  à  tous  les  quadrupèdes;  ^'il  n'en  a 
pas  hérité,  il  les  a  acquis,  sinon  dans  leur  perfec- 
tion ,  au  moins  dans  leurs  élémens.  Si  nous  lui 
comparions  les  animaux  qui  se  tapprochent  le  plus 
de  lui,  nous  pourrions  presque  nous -hasarder  à 
dire  qu'ils  sont-  des  rayons  divergens  de  son  image, 
réfractés  par  un  miroir  catoptrique;  iet  ainsi  nous 
pouvons  admettre  pour  quatrième  proposition: 
que  V homme  est  une.  créature  centrale  entre  les 
animaux^  c  est- à- dire  y  fa  forme  la  plus  parfaite  ^ 
qui  réunit  les  traits  de  tous  dans  V abrégé  le  plus 
complet* 

J'espère  que  la  similitude  dont  je  parle  entre 
l'homme  et  les  animaux ,  ne  ^ra  confondue  pr 
personne  avec  ce  jeu  de  l'imagination  qui  a  fait  dé- 
couvrir .des  images  de  jia  figure  humaine  dans  les 
plantes ,  dans  les  pierres ,  et  qui  d'après  cela  a  bâti 
des.  systèmes.  Tout  homme  raisonnable  sourit  de 
ces  chimères;  caria  nature  créatrice  couvre  et  cache 
là  similitude  interne  de  structure  sous  la  différence 
des  formes  externes.  Combien  d'animaux,  quoique 
différens  de  l'homme  dans  leur  conformaûon  exté- 


CHAPITRE  IV.  95 

rieure,  sont  intérieurement ^  dans  la  structure  du 
squelette,  dans  les.  parties  principales  de  la  sensa- 
tion et  de  la  vitalité,  et  même  dans  les  fonctions 
vitales,  entièrement  semblables  à  lui!  C'est  ce  qui 
sera  évident  pour  celui  qui  aura  étudié  les  dissec- 
tions de  Daubenton,  de  Pallas,  de  Perrault  et  d  au- 
tres académiciens;  car  Tenfànce  et  la  première  jeu- 
nesse peuvent  seules  se  contenter^  dans  l'histoire 
naturelle,  de  quelques  distinctions  de  formes  exté- 
rieures,  pour  aider  Fœil  et  la  mémoire  :  riiomiùe 
et  le  philosophe  observent  à  la  fois  la  structure 
externe  et  interne  de  Tanimal,  pour  les  comparer 
avec  sou  mode  de  vie,  et  découvrir  son  caractère 
et  le  degré  qu'il  oçcujpe  dans  l'échelle  5  c'est  ce  que 
l'on  a  appelé,  par  rapport  aux  plantes,  la  méthode 
naturelle:  l'anatomie  comparée  est  le  guide  qui  doit 
noQS  y  conduire  pas  à  pas  dans  l'étude  des  animaux. 
L'homme  trouve  ainsi  naturellement  un  fil  pour  se 
diriger  à  travers  le  grand  labyrinthe  de  la  création 
vivante;  et  si  nous  pouvons  dire  de  quelque  mé- 
thode  que  notre  intelligence  peut  par  son  secours 
se  hasarder  à  Scruter  l'ame  profonde  et  immense  de 
Dieu,  assurément  q'est  de  celle-là.  A  chaque  dévia- 
tion de  la  loi,  que  le  suprême  artisan  nouis  présente 
comme  la  règle  de  Polyclète^ ,  nous  sommés  rame- 
nés à  une  cause  :  Pourquoi  a-l-il  dévié  ici?  dans 

K  _    ■__^ 

1.  Pline.  ,         - 


94  LIVRE  IT. 

quel  but  a-t-il  fonné  d'autres  êtres  avec  une  mé* 
thode  différente?  Ainsi  la  terre,  l'air  et  Teau,  et 
nïêfne  les  abîmes  les  plus  profonds  de  la  création 
animée,  sont  pour  nous  autant  d^expressions  de  ses 
pensées  et  de  ses  inventions ,  conformément  à  un 
type  suprême  d^art  et  de  sagesse. 

Quel  grand  spectacle  ce  point  de  vue  ne  nous 

présente- 1- il  pas  dans  l'histoire  des  êtres,  tant  de 

ceux  qui  nous  ressemblent,  que  de  ceux  qui  sont 

différens  de  nous  !  Il  divise  les  règnes  de  la  nature, 

il  classe  les  êtres  d'après  leurs  élémens,  et  il  les 

unit  l'un  à'  l'autre.  Dans  une  perspective  éloignée 

on  peut  apercevoir  le   rayon  prolongé  à  l'infini, 

tendre  à  un  seul  et  même  centre.  Dans  lair  et  au 

fond  des  eaux^  sur  les  hauteurs  et  dans  les  abîmes, 

je  vois  lés  animaux  s'avancer  vers  l'homnîe,  comme 

ils  s'avançaient  vers  le  premier  père  de  notre  race, 

et  s'approcher  pas  à  pas  de  sa  forme.  L'oiseau  fuit 

dans  les  airs  :  on  peut  expliquer  par  l'élément  où  il 

vit,  toutes  ses  déviations  de  la  conformation  du 

quadrupède  \  et  aussitôt  qu'il  se  rapproche  de  la 

terre  dans  un  genre  hideux  et  équivoque,  comme 

dans  la  chauve-souris  et  le  vampire,  il  ressemble  au 

squelette  de  Thomme.  Le  poisson  nage  au  milieu 

des  flots  :  ses  pieds  et  ses  mains  sont  des  queues  et 

des  nageoires  ;  ses  membres  n'ont  que  peu  d  articu*^ 

lations.  Si,  comme  il  arrive  dans  le  lamantin,  il 

rase  la  terre,  ses  pieds  de  devant  sont  libres  et  la 


CtlÂPITRE  It.  gS 

femelle  a  des  mamelles.  L'ours  et  le  lion  de  mer  ont 
les  quatre  pieds  bien  distincts;  quoiqu'ils  ne  puis- 
sent pas  se  servir  séparément  de  ceux  de  derrière, 
et  que  leurs  orteils  traînent  après  eux  comme  des 
portions  de  nageoires,  ils  se  glissent  pourtant  aussi 
promptement  que  possible  pour  se  réchauffer  aux 
rayons  du  soleil,  et  ils  s'élèvent  au  moins  d'un  degré 
au-dessus  de  l'ihforme  et  s,tupide  chien  de  mer. 
Ainsi,  depuis  la  glaire  du  ver,  depuis  l'asile  calcaire 
du  mollusque  testacé,  depuis  la  toile  de  l'insecte^ 
s'élèvp  graduellement  une  organisation  plus  com- 
plète. De  l'amphibie  nous  montons  au  quadrupède; 
et  parmi  ceux-ci,  depuis  le  unau  dégoûtant  avec 
ses  trois  doigts  et  ses  deux  mamelles  pectorales, 
on  aperçoit  déjà  l'analogie  la  plus  frappante  avec 
notre  forme  propre.  Alors  la  nature  se  joue  de  son 
œuvre,  et  avant  d'arriver  à  l'homme,  elle  essaie  ses 
pouvoirs  sur  une  immense  variété  d'ébauches  et 
d'organisations  :  elle  divise  les  modes  de  vie  et  les 
instincts,  et  forme  des  espèces  ennemies  les  unes 
des  autres;  mais  toutes  ces  contradictions  apparentes 
conduisent  à  la  même  fin.  Ains^  il  est  anatomique- 
ment  et  physiologiquement  vrai,  que  toutes  les  in- 
ductions nous  ramènent  à  un  seul  et  même  mode 
d'organisation,  qui  comprend  sous  sa  dépendance 
le  système  entier  de  la  création  vivante.  Seulement, 
plus  l'animal  s'éloigne  de  l'homme,  plus  la  diffé- 
rence entre  l'élément  vital   de  l'un   et  de  l'autre 


gÔ  l-IVRE  II.   CHAP.  IV. 

augmente;  c'est  dans  la  même  proportion  que  k 
nature,  toujours  conforme  à  elle-même,  dévie  de 
son  type  général  d'organisation  :  plus  les  êtres  se 
rapprochent  des  formes  humaines,  plus  elle  resserre 
étroitement  les  classes  et  les  rayons ,  jusqu^à  ce 
qu'elle  finisse  par  enfermer  toutes  les  combinaisons 
possibles  dans  le  centre  divin  de  la  création  ter- 
restre. Réjouis-loi  de  ton  état,  ô  homme!  et  étudie- 
toi  ,  noble  créature  centrale ,  dans  tout  ce  qui  vit 
autour  de  toi! 


% 


LITRE  m.   CHAPITRE' I.  97 


LIVRE  IIL 


CHAPITRE  PREMIER. 

De  la  structure  des  plantes  et  de  celle  des 
animaua:^  considérées  dans  leurs  rap^ 
forts  ai^ec  torganisation  de  rhomme.  ' 

La  première  chose  qui  distingue  un  animal  à  nos 
yeui,  c'est  la  bouche;  or,  la  plante,  si  je  peux 
in'exprimer  ainsi,  n'est  que  bouche.  Elle  suce  par 
ses  racines,  par  ses  feuilles  et  par  ses  pores  :  comme 
^  enfant  qui  vient  de  naître,  elle  repose  sur  le  sein 
et  sur  les  genoux  de  sa  mère.  Aussitôt  que  la  créa- 
ture a  atteint  l'organisation  animale,  on  peut  aper* 
ce?oir  en  elle  une  bouche,  même  ayant  de  distin- 
guer une  tète.  Les  bras  du  polype  sont  des  espèces 
^e  bouchés  :  dans  les  vers ,  où  il  n'y  a  que  peu  de 
parue»  distinctes ,  on  peut  voir  un  canal  de  nutri- 
Uon;  et  dans  la  plupart  des  animaux  à  coquilles, 
ce  canal,  à  son  ouverture  inférieure,  est  situé 
comme  si  c'était  une  racine  de  la  créature.  Ainsi  la 
nature  forme  d'abord  ce  canal  dans  les  êtres  ani- 
^^s,  et  elle  le  conserve  dans  ceux  qui  ont  l'orga- 
msaiion  là  jJus  parfaitei  A  l'état  de  larve,  les  in- 
sectes ne  sont  qu'un  composé  de  bouches,  d'esto- 
1.  7 


98  WVRE  III. 

macs  et  d'îptestitis  ;  c'est  ce  qui  a  lieu  aussi  dans 
les  amphibies  et  les  poissons,  dans  les  oiseaux  et 
les  animaux  terrestres,  du  moins  à  la  partie  hori- 
zontale de  leurs  corps.  Toutefois ,  à  mesure  que 
Ton  s'élève,  les  parties  se  compl^uent;  rouverture 
diminue,  l'estOjCDac  et.  les  intestins  occupent  une 
région  plus  profonde;  enfin,  dans  la  station  droite 
de  l'homme  ^  la  bouché ,  '  qui  est  à  l'extérieur  la 
partie  tou j  ours  la  plus  proéminente  de  la  tête  de 
l'animal,  se  retire  sous  la  protubérance  du  front. 
Les  parties  les  plus  nobleis  rempUssent  la  poitrine, 
et  les  organes  de  la  nutrition  s'établissent  dans  les 
régions  les  plus  basses:  la  créature  souveraine  n'est 
pas  '  feite  pour  être  l'esclave  de  son  ventre ,  qui 
tiéiit  une  si  grande  place  dans  l'économie  des  ani- 
maux, soit  que  l'on  considère  les  fonctions  vitales, 
soit  que  l'on  n'ait  égard  qu'à  la  configuration 
externe. 

Ainsi,  la  première  loi  à  laqu^le  obéit  l'instinct 
«f  une  créature  vivante ,  c'est  la  nutrition  :  elle  est 
commune  aux  animaux  et  aux  plantes;  oar,  les 
parties  de  leur  être  qui  recueillent  et  élaborent  la 
nourriture ,  préparent  des  sucs  et  ressemblent  par 
leur  structure  aux  appareils  de  la  végétation.  Toute 
la  différence  est  dans  l'organisation,  qui  est  plus 
ou  moins  limitée,  selon  la  place  qu'elle  occupe 
dans  Téchelle  de  la  création.  Jrtus  délicate,  elle 
concourt,  à  l'aide  de  l'épuration 9  de  la  combinai- 


GBÀPITH1&  I.  99 

son  et  de  Féiaboraûon  des  sacs  vitaux,  à  former 
une  rosée  plus  pure,  pour  humecter  des  parties 
plus  nobles.  Homme  superbe,  jette  tes  regards  sur 
les  premier»  besoins  des  créatures  qui  te  suivent  ; 
tu  les  portas  aiusi  en  toi ,  cft ,  comme  tes-  frères 
inférieurs  )  tu  commences  par  être  un  canal  de 
nutrition. 

Toutefois  la  nature  nous  a  élevés  infiniment  au* 
dessus  d'euï  :  les  dents  qui,  dans  les  insectes  et  dans 
d  autres  animaux ,  doivent  tenir  lieu  de  mains  pour 
saisir  et  déchirer  leurs  proies;  les  mâchoires  qui 
ont  une  force  étonnante  dans  les  poissons  et  dans 
les  carnassiers ,  sont  heureusement  repousses  en 
arrière  dans  l'hémme^  et  eUes  n'ont  qu'une  force 
médiocre  ^.  Les-  estomacs  ^multiples  des  créatures 
inférieures  se  réunissent  .en  un  seul,  daiis.son  or- 
ganisation, et  dans  celle  de  quelques  autres  ani^ 
maux  qui  approèhent  intérieurement  de  sa  forme; 
et  ce  qui  achève  de  consacrer  sa  bouche,  c'est  le 
langage ,  ce  don  précieux  de  la  divinités  Les  vers , 
les  insectes,  tes  poissons  et  la  plupart  des  amphi- 
bies sont  entièrement  muets.  L'oiseau  ne  chante  que 
du  gosiei*  :  chaque  animal  n'a  qu'un  petit  nombre 
de  sons  particuliers,  qui  suiSSsent  à  la  conservation 
de  l'espèce;  Fhomme  seul  possède  réellement  l'or- 
■  '     -^  .  ■  •  ' 

V 

I.  Pour  la  force  de  ces  parties,  Toyez  le^  Élémens  physiolo- 
gi<iue8  de  Haller,  \ol.  VI,  pag.  i4  et  i5. 


lOO'  uvRE  nu 

I 

gane  de  la  parole  ^  combiné  avec  ceux  dû  gdiit  et 
de  la  nutrition  :  de  sorte  (]ue  le  plus  noble  de  tous 
est  uni  en  lui  aux  marques  extérieures  des  besoins 
les  plus  bas.  Ce  qvà  prépare  la  nourriture  du  corps, 
^t  aussi  ce  qui  prépare  par  la  ^role  l'aliment  de 
là  pensée. 

La  seconde- mission  4e  la  créature  est  la  propa- 
gation dé  t espèce.  Celte  destinée -se  montre  éyidem- 
meht  jusque  dans  la  structure  des  plantes  :  à  quoi 
servent  les  racines,  la  tige,  la  feuille  et  les  branches? 
Quelle  est  la  partie  qui  a  été  placée  dans  le  lieu  le 
plus  élevé  et  le  plus  sûr?  c'est  la  fleur,  la  couronne 
de  la  plante.  Nous  avons  déjà  vu  que  là  sont  les 
organes  de  la  génération;  c'est  donc  là  la  partie 
principale  et  la  plus  belle  de  la  créature;  là  que  se 
développent  la  vie,  les  fonctions,  le  plaisir;  et  jus- 
qu'à cet  unique  ébranlement  qui  est  en  apparence 
volontaire,  et. que  nous  appelons  le  somm^  des 
plantes  :  celles  dont  les  graines  trouvent  xin  abri 
sufiisant  au  fond  de  leurs  capsules ,  ne  s'endorment 
pas  ;  après  la  fructification  la  plante  ne  dOrt  plus. 
Elle  ne  se  ferme  donc  avec  un  aoin  maternel  que 
pour  protéger  contre  les.  rigueurs  de  Thiver  les 
parties  intérieures  de.  la  fleur.  Ainsi,  tout  en  elle 
est  calculé ,  aussi  bien  que  la  fécondation  et  la  pro- 
pagatioQ^  que  pour  la  croissance  et  la  nutrition: 
quant  k  un  autre  résultat  d'action,  ellesn'en  était 
pas  susceptible.  -   . 


.      CHAPITRE  I.  lOX» 

11  n'ai  est  pas  ainsi  des  animauic  :  les  organes 
génitaux  ne  sont  point  la  partie  principale  et  l'or- 
nement de  leur  être;  ils  sont  plutôt,  conformément 
à  la  destination  de  la  créature,  subordonnés  aux 
membres  les  plus  nobles.  Ce  n'est  que  dans  un  petit 
nombre  des  plus  basses  classes,  qu'ils  se  rappro- 
chent de  la  tête;  le  cœur  et  les  poumons  occupent 
la  poitrine.  La  tête  est  appropriée  aux  sens  les  plus 
exquis;  et  en  général,  dans  tout  l'organisme  la  struc- 
ture des  fibres ,  avec  le  système  entier  de  leurs  pou- 
voirs, est  subordonnée  à  l'élasticité  irritable  des 
onùsdes  et  à  la  susceptibilité  du  système  nei'veux. 
L'économie  vitale  des  animaux  suit  évidemment 
l'esprit  de  leur  conformation.  Un  mouvement  vo- 
lontaire, une  activité  puissante,  des  perceptions  et 
des  penchans,  voilà  ce  qui  constitue  l'œuvre  prin- 
cipale d'un  animal,  à  proportion  que  son  04rgam- 
sation  est  plus  développée.  Dans  plusieurs  genres, 
les  appétits  sexuels  sont  limités  à  une  courte  pé- 
riode 'de  temps  ;  d  autres  vivent  plus  indépendans 
àe  ce  penchant  que  beaucoup  d'hommes  flétris  y 
qui  s'efforcent  de   tomber  dans^  la  condition  des 
plantes  ;  aussi  n'ont-ils  à  vrai  dire  pas  d'autres  des- 
tinées que  celles  des  plantes  :  les  plus  nobles  incli- 
nations, la  force  musculaire  et  nerveuse^  la  volonté 
et  Tintelligençe  sont  affaiblis  en  eux  :  ils  vivent  d'une 
vie  végétale,  et  meivent   d'une  mort  végétalcf  et 
prématurée. 


102  LIVRE   III.  • 

Les  animaux  qui  se  rapprochent'  le  plus  des 
plantes ,  restent  conformes ,  à  la  fois  dans  l'écottomie 
de  leur  structure  et  dans  le  but  de  leur  destina- 
tion, au  principe  de  formation  expliqué  ci-dessus; 
tels  sont  les  zoophytes  et  les  insectes  :  par  sa  struc- 
ture, le  polype  n'est  rien  autre  qu'une  tige  vivante 
et  organique  de  jeunes  polypes;  la  plante  du  corail 
est  rhabitation  organique  des  animaux  marins  qui 
lui  sont  propres.  Enfin ,  dans  une  classe  très-élevée 
au-dessus  d'eux  f  l'insecte,  en  vivant  dans  un  milieu 
plus  subtil,  montre  à  la  fois,  par  sa  vie  et  sa  struc^ 
ture,  combien  il  approche  de  la  destination  des 
plantes  :  sa  tète  n'a  point  de  cerveau  ;  trop  petite 
pour  pouvoir  contenir  les  organes  des  sens,  elle 
les  porte  en  avant  dans  des  antennes.  Sa  poitrine 
est  resserrée;  elle  manque  de  poumons,  et  dans 
plusieurs  cas,  rien  en  elle  ne  présentera  moindre 
analogie  avec  un  cœur;  mais  aussi,  voyez  la  gros- 
seur de  soti  abdomen  avec  ses  anneaux  phytomor- 
phiques  l  c'est  la  partie  principale  •  de  l'aniôialS' 
car  la  nutrition  et  la  multiplication  abondante  de 
l'espèce  composent  à  elles  seules  presque  toute  sa 
destinée. 

Dans  les  animaux  d^un  plus  noble  genre ,  la  na- 
ture, ainsi  qu'il  a  été  dit,  place  plus  bas  les  organes 
de  la  génération ,  comme  par  un  sentiment  de  pu- 


■PB^ 


1.  Cest  par  là  que  respirent  plusieurs  de  ces  animaux. 


GHAPITÏIE  I.  1  o5 

deur  naissante;  elle  donne  à  une  seule  et  même 
partie  les  fonctions  les  plus  dissemblables,  et  réserve 
ainsi  les  capacités  de  la  poitrine  pour  de  plus  nobles 
parties.  De  plus,  les  nerfs  qui  conduisent  à  ces  par- 

0 

ties ,  elles  les  fait  naître  des  branches  inférieures  et 
très-loin  de  la  tête,  afin  de  les  soustraire,  pour  la 
plupart,  avec  leurs  muscles  et  leurs  fibres,  à  l'em- 
pire de  rame.  Ici  le  fluide  séminal  s'élabore  à  la 
manière  des  sucs  végétaux,  et  le  jeune  fruit  est  nourri 
comme  une  plante.  Gomme  dans  une  plante ,  les 
pouvoirs  de  ces  organes  et  de  ces  instincts  com- 
mencent à  se  développer,  quand  le  cœur  com- 
mence à'  battre  plus  vke,,  et  la  tête  à  penser  plus 
solidement.  La  croissance  du  cQips  humain,  selon 
ce  que  Martinet  '  a  attentivement  remarqué,  est 
moindre  dans  la  partie  supérieure  que  dans  la  par<^ 
lie  inférieure ,  comme  si  l'homme  était  u;n  arbre  qui 
se  déploie  par  le  pied.  En  un  mot,  quelque  com- 
pliquée que  soit  la  structure  de  nos  corps,  il  est 
toutefois  évident  que  les  parties  qui  servent  uni- 
quement à  la  nutrition  et  à  la  propagation  de  l'es- 
pèce, pe  devaient  et  ne  pouvaient  être,  même  par 
rapport  à  l'organisation,  les  parties  prédominantes 
(jdi  marquent  la  destination,  je nedis  pas  del'homme^ 
mais  de  TanimaL 

I*   Voyez  Katechismus  der  Natur^  par  Martinet  y  vol.  1$ 
paç.  3i6. 


I 

io4  LiyRE  m. 

.  Quelles  sont  donc  celles  que  la  nature  à  choisies 
pour  cela?  Il  faut  examiner  leur  structure  interne 
et  externe* 

.    Dans  toute  la  chsone  des  créatures  vivantes,  c'est 
june  loi  établie, 

1.**  Que  les  animaux  à  oreillette  et  à  ventricule 
unique  dans  le  cœur,  comme  les  poissons  et  les 
amphibies,  ont  le  sang  froid; 

2.*^  Que  ceux  qui  n'ont  qu'un  ventricule  sans 
oreillettes,  n'ont,  au  lieu  de  sang,  qu'un  fluide 
blanc,  comme  les  insectes  et  les  vers; 

3.^  Mais  que  les  animaux  dont  le  coeur  a  quatre 
cavités,  ont  le  sang  chaud,  comme  les  oiseaux  et 
les  mammifères. 

On  a  également  remarqué  : 

1.^  Que  dans  les  deux  premières  classes,  il  n'y 
a  ni  poumons ,  ni  respiration ,  ni  circulation  da 
sang; 

2.^  Mais  que  les  animau;^  à  quatre  cavités  dans 
le  cœur  ont  des  poumons. 
.    On  ne  saurait  croire  combien  ces  simples  dis- 
tinctions étabhssent  de  différences  dans  l'échelle  des 
créatures. 

Premièrement  La  formation  d'un  cœur,  même 
dans  son  état  le  plus  jimparfait ,  su{^ose  un  sys- 
tème d* organisation  interne ,  tel  que  la  plante  ne 
peut  y  atteindre  dans  aucun  cas;  dans  les  insectes 
et  dans  les  vers  eux-mêmes,  nous  apercevpps  déjà 


CHAPITRE  I.  105 

des  artères  et  d'autres  vaisseaux  de' sécrétion,  et, 
jusqu'à  un  certain  point,  des  muscles  et  des  nerfs, 
qui  sont  remplacés  dans  les  plantes  par  des  tubes>, 
et  dans  les  zoopbytes  par  un  appareil  équivalent. 
Dans  les  créatures  les  plus  par&ites,  il  y  a  une 
élaboration  supérieure  des  sucs  dont  elles  se  nour- 
rissent, et  qui  en  même  temps  provoque  la  cha- 
leur propre  à  la  vitalité.  Ainsi  s'élève  Tarbre  de 
vie,  depuis  la  végétation  jusqu'au  fluide  blanc  des 
animaux  exsanguins;  de  là  jusqu'au  sang  rouge;  et, 
enfin,  jusqu'aux  êtres  les  plus  parfaits,  à  ceux  dont 
le  sang  est  le  plus  ardent  et  l'organisation  la  plus 
complet^. 

A  mesure  que  cette  chaleur  augmente,  l'organi- 
sation interne  devient  plus  compliquée,  en  même 
temps  que  s!agrandit  le  cercle  dont  le 'mouvement 
seul  a  pu,  selon  toute  probabilité,  développer  cette 
chaleur  interne.  Il  parait  qu'un  principe  unique  de 
vie  domine  dans  toute  la  nature  ;  c'est  le  fluide 
éthéré  ou  électrique  qui,  dans  les  tubes  des  plantes, 
dans  lés  artères  et  les  muscles  des  animaux,  et  enfin 
dans  le  système  nerveux,  est  de  plus  en  plus  éla- 
boré, jusqu'à  ce  qu'il  produise  tous  ces  instincts 
merveilleux  et  ces  facultés  intellig^ates  qui  excitent 
notre  étonnement  dans  les  animaux  et  dans  les 
hommes.  La  croissance  des  plantes  est  provoquée 
par  l-électricité ,  quoique  leurs  Sucs  vitaux  soient 
organisés  avec  beaucoup  plus  de  perfection  que  le 


^ 


106  LITRE  m. 

pouvoir  électrique  qui  se  développe  dans  les  parties 
inanimées  de  la  nature.  Les  animaux  et  les  hommes 
sont  au$si  soumis  à  Faction  du  fluide  électrique, 
et  non -seulement  dans  les  parties  les  plus  gros- 
sières de  leur  être,  mais  encore  peut-être  dans  celles 
qui  touchent  de  plus  près  à  la  pensée  ;  excités  par 
une  essence  dont  les  lois  sont  probablenient  au- 
dessus  de  celles  de  la  matière,  puisqu'elle  agit  avec 
une  sorte  d'ubiquité,  les  nerfs  obéissent  a^ussi  au 
pouvoir  électrique.  £n  un  mot,  la  nature  a  donné 
à  seà  enfans  ce  qu'elle  avait  de  meilleur  à  leuk*  don- 
ner, Véquiçalent  organique  de  son  propre  pouvoir 
créateur  y  la  chaleur  vivifiante.  Par  le  moyen  de 
certains  organes,  la  créature  se  dégage  de  la  vie 
végétative,  et  elle  s'élève  jusqu'à  produire  d'actifs 
stimulans,  qui,  purifiés  par  des  canaux  plus  déli- 
cats, deviennent  le  milieu  par  lequd  se  transmet 
la  perception.  Le  résultat  des  stimulans  est  l'ins- 
tinct; le  résultat  de  la  perception  est  la  pensée: 
progression  éternelle  de  l'organisation  créatrice, 
départie  à  tout  être  vivant  L'intensit^  dç  chaleur 
organique  (non  telle  que  noiis  l'apercevons  au  de- 
hors par  nos  instrumens  grossiers)  détermine  le 
degré  de  perfection  de  l'espèce,  et  vraisemblable- 
ment aussi  la  capacité  qu'.elle  a  de  jouir  du  bien- 
être  au  '  milieu  de  ce  fleuve  sans  rivage  dont  la 
source,  qui  répand  partout  le  mouvement,  la  vie 
et  la  jouissance,  se  su$t  à  elle-même  par  la  seule 
conscience  de  l'être. 


CHAPITRE  1.  107 

Secondement  '  A  mesure  que  l'organisation  in- 
terne de  la  créature  se  cotnjdique,  et  qu'elle  pro- 
duit une  chaleur  plus  pure,  le  pouvoir  qu'elle  a 
reçu  de  concevoir  et  de  produire  des  êtres  vis^ans^ 
augmente  dans  le  même  rapport.  C'est  là  une  autre 
branche  du  même  gfand  arbre  de  vie  qui  s'étend 
sur  toutes  les  espèces  de  créatures.  ^ 

Il  est  bien  reconnu  que  la  plupart  des  plantes 
se  fécondent  elles-mêmes ,  et  que  là  où  les  organes 
de  la  génération  sont  séparés ,  on  trouve  beaucoup 
d'androgynes  et  de  polygames.  Il  est  également  re- 
marquable que,  dans  le  dernier  degré  de  l'anima-^ 

■ 

lité,  comme  dans  les  zoophytes,  les  limaçons  et  les 
insectes.,  les  deux  organes  de  la  génération  animale 
manquent  également,  et  que  la  créature  semble  ger- 
mer comme  une  plante  ;  souvent  même  on  y  trouve 
des  hermaphrodites,  des  andrbgynes  et  d'autres 
anomaUes  qu'il  n'est  pas  besoin  de  détailler  ici> 
plus  l'organisation  de  l'animal  est  compliquée,  plus 
nettement  les  isexes  sont  séparés.  Ici  la  nature  ne 
pouvait  plus  se  contenter  de  germes  organisés;  la 
formation  d'un  être  si  multiple  et  si  divers  dans 

^■'  I  l.<l     ■■     I   .   -i       I  .in  I         I     I    ■    ■-  I  I      ■■        I    II  I  I  ■  »l     II    Ml   ■■ 

1.  Que  Ton  n^objécte  pas  qae  les  polypes,  quelques  lima- 
çons, et  m^me  les  puceron^,  cLonnei&t  naissai)ce  k  des  créatures 
▼irantes;  car,  dans  ce  sens,  il  faudrait  dire  que  les  plantes, 
en  poussant  des  boutons,  produisent  des  rejetons  divans.  Je 
ne  parle  ici  que  des  animaux  vivipares  qui  allaitent  leurs 
petits. 

3» 


io8  LITRE  m. 

ses  formes,  eût  mal  réu»si,  s  il  eut  été  laissé  au  pou- 
voir du  hasard  de  se  jouer  sur  des  formes  organi- 
ques. La  nature  a  donc  séparé  et  distingué  les  sexes  ; 
mais  ici  elle  a  donné  pour  loi  à  l'organisation,  qu'au 
moment  de  la  chalair  vitale  et  organique  la  plus 
intense,  quand  deux  créatures  s'uniraient  en  une 
seule,  il  en  naîtrait  une  troisième,  qui  serait  l'image 
fidèle  des  deux  premières. 

Par  cela  seul,  le  nouvd  être  s'élève  à  l'existence; 
la  chaleur  maternelle  l'environne  et  le  développe: 
pourtant  ses  poumops  ne  respirent  pas  encore  et 
son  thymus  Êiit  l'office  d'absorbant  II  parait  que 
le  ventricule  droit  du  cœur  manque  même  dans 
l'embryon  humain  ;  et  au  lieu  de  sang  on  ne  voit 
qu'un  fluide  blanc  circuler  dans  les  veines.  Puis, 
à  proportion  que  la  chaleur  interne  est  augmen- 
tée par  celle  de  la  mère,  le  cœur  prend  sa  forme, 
le  sang  se  colore  et  acquiert  une  circulation  éner- 
^que,  ^quoiqu'il  ne  puisse  pas  encore  entrer  en 
contact  avec  les  poumons.  La  créature  commence 
à  se  mouvoir  quand  le  pouls  commence  à  Jbattre^ 
et-  enfin  elle  vient  au  monde  parfaitement  for- 
mée, douée  de  tous  les  instincts  de  perception 
et  de  mouvement  volontaire,  qui  pouvaient  être 
réunis  dans  une  créature  vivante  de  son  genre. 
Aussitôt  après,  l'air,  le  lait,  la  nourriture,  sou- 
vent même  la  douleur  et  les  besoins,  lui  fournis- 
sent l'occasion  d'absorber  la  chaleur  de  mille  .ma- 

o 


CHAPITRE  I.  lOg 

nières,  et^de  l'-élaborer  par  le  moyen  des  fibres,  des 
muscles  et  des  nerfs,  jusqu'à  une  essence  qu'au^ 
cune  organisation  inférieure  ne  pourrait  produire. 
Elle  augmente  jusqu'à  ces  années  où  une  surabon-* 
dance  de  chaleur  vitale  pousse  le  nouvel  être  à  se 
propager  et  à  se  multiplier  lui-même,  et  ainsi  le 
cercle  de  la  vie  organique  recommence  une  seconde 
fois. 

Cest  ainsi  que  la  nature  agit  dans  les  créatures 
qu'elle  a  douées  de  la  puissance  dé  produire  un 
rejeton  vivant  :  mais  il  n'en  est  pas  ainsi  de  toutes  j 
par  exemple,  des  animaux  à  sang  froid.  Il  &ùt  que 
le  soleil  leur  prête  assistance  et  qu'il  partage  avec 
eux  les  soins  dé  la  maternité;  il  fait  éclore  l'em- 
bryon ,  preuve  évidente  que  dans  toute  la  création 
la  chaleur  organique  est  la  même ,  seulement  plus 
ou  moins  élaborée  par  de  nombreux  canaux.  Les 
oiseaux  même,  quoique  leur  sang  soit  plus  chaud 
que  celui  des  rutiles,  ne  sont  pas  capables  de 
produire  un  être  viyadt,  peut-être  à  cause  de  leur 
élément ,  qui  est  plus  froid  ;  peutt^étre  aussi  à  cause 
de  leur  genre  de  vie  et  de  leur  destination  générale. 
Comme  la  nature  a  exempté  ces  animaux  du  soin 
d'allaiier  leurs  petits,. elle  n'a  point  voulu  noif  plus 
qu'ils  fussent  obligés  de  les  porter  dans  les  airs, 
jusqu'au  moment  où  ils  pourraient  les  mettre  an 
jour  iQut  vivons.  Quand  l'oiseau,  dans;une  espèce 
hideuse  et  intermédiaire,  se  traîne  sur  la  terre,  il 


IIO  LIVRB  III. 

leÉ  allaite  :  aussitôt  que  ranimai  aquatique  a  atteint 
Torganisation  et  le  degré  de  chaleur  qui  sont  néces- 
saires pour  produire  des  êtres  yivans,  l'obligation 
de  les  allaiter  lui  est  imposée. 

Combien  la  nature  a  contribué  par  là  à  la  per- 
fection des  espèces!  Destiné  à  voler,  l'oiseau  ne 
peut  que  couver  ses  petits;  et  cette  première  éco- 
nomie domestique,  quels  instincts  délicats  ne  dé- 
;TeU>ppe-t-eUe  pas  dans  les  deux  sexes!  L'amour  con- 
jugal bâtit  le  nid  ;  la  tendresse  maternelle  l'échauffé  : 
au  milieu  de  cela,  le  père  ne  reste  point  oisif,  il  va 
chercher  la  nourriture.  Avec  quel  courage  la  mère 
défend  ses  petits  !  Qu'il  est  chaste,  l'amour  con- 
jugal, danà  ces  espèces, formées  pour  le  lien  du 
mariage  ! 

Cette  obligation,  partout  où  elle  pouvait  naître, 
devait  être  encore  plus  étroite  parmi  ceux  des  ani- 
maux qui  restent  confinés  à  la  terre  ;  ainsi ,  c'est  «de 
hi  partie  la  plus  délicate  d'elle-même  qu'il  Êiut  que 
la  mère  nourrisse  lé  nouveau  r  né.  Il  n'y  a  qu'im 
pourceau  grossièrement  organisé  qui  puisse  dévorer 
ses  propres  enfans;  il  n'y  a  que  le  froid  amphiUe 
qui  confie  ses  œufs  au  sable  ou  au  marais  :  toutes 
les  e^èces  qui  alhâtent  ont  une  vive  afiection  pour 
leurs  petits.  La  teadresse  -  du  singe  à  passé  en 
proverbe,  et  peut-être  aucune  espèce  ne  lui  est- 
elle  inférieure  en  cela.  Il  n'est  pas  jusqu'aux  ani- 
maux aquatiques  qui  ne  partagent  ce  sentiment ,  et 


GHAPITIÏE  I.  111 

l'on  raconte  du  lamantin  des  traits  extraordinaire^ 
d'amour  conjugal  et  maternel.  Sublime  bienfaiteur 
du  monde!  par  quels  simples  liens  organiques  tu 
ds  resserré  les  relations  les  plus  nécessaires  et  les 
instincts  les  plus  -délicats  de  tes  enfaiis  !  Une  seule 
cavité  dans  les  muscles  du  cœur^  un  seul  couple 
de  poumons  respirans,  et  voilà  que  la  créature  vit 
avec  une  chaleur  plus  pure  et  plus  intense  ;  elle 
produit,  elle  allaite  des  êtres  vivans;  et  elle  s'élève 
à  des  instincts  plus  délicats  que  ceux  de  la  propa- 
gation de  l'espèce,  à  l'économie  domestique  et  à 
l'affection  pour  ses  enfans,  et  même  dans  quelques 
espèces  jusqu'à  Famour  conjugal.  C'est  de  la  plus 
grande  chaleur  du  sang ,  cet  agent  de  l'ame  uni- 
verselle du  monde,  que  tu  as  fais  sortir  la  flamme 
qui  excite  les  émotions  les  plus  douces  du  dœur 
bumain. 

Je  devrais  enfin  parler  de  la  tète,  comme  de  la 
plus  haute  région*  de  la  f^me  animale;  mais  i£  se 
présente  d'autres  considérations  avant  que  d'exa- 
miner  les  figures  et  les  parties  du  dorps. 


113  UTRE   m. 


CHAPITRE  IL 

I 

4 

Comparaison  des  dwers  pouvoirs  organi- 
ques qui  agissent  dans  les  animaux. 

.  *  *         - 

L'immortel  Haller  a  distingué  lés  différens  pou- 
voirs qui  se  déploient  physiologiquement  dans  le 
corps  animal,  tels  que  l'élasticité  des  fibres,  Firn- 
tabilîté  des  muscles  et  la  sensibilité  du  système  ner- 
veux, avec  une  exactitude  qui  non -seulement  ne 
laisse  plus  aucune  prise  à  la  controverse,  jnais  qui 
promet  les  plus  heureuses  applications  à  la  phy- 
siologie de  la  pensée,  même  dans  d'autres  corps  que 
celui  de  l'homme. 

Je  n'examinerai  pas  maintenant  si  ces  trois  phé- 
nomènes, différens  comme  ils  le  paraissent,  ne  peu- 
vent pas  naître  au  sein  d'un  seul  et  même  pouvoir, 
qui  se  déploie  de  telle  ««lajâère  dans  les  fibres,  de 
tdle  autre  dans  les  muscles ,  et  sous  une  troi- 
sième forme  dans  les  nerfs.  Comme  tout  est  lié 
dans  la  nature,  et  que  ces  trois  effets  soat  inti- 
mement et  diversement  combinée  dans  les  corps 
vivans,  a  pq^ne  pouvons  •<- nous  conserver  quelque 
doute  sur  ce  sujet  3  l'élasticité  et  l'irritabilité  se 
servent  l'une  à  l'autre  de  limites ,  et  c'est  aussi  ce 
qui  arrive  pour  lès  fibres  et  les  muscles.  Puisque 
les  muscles  ne  sont  qu'une   structure  de  fibresr 


CHAPITRE   II.  Il3 

artistement  entrelacées ,  il  est  probable  que  Tir rita- 
bilité  n'est  rien  autre  que  l'élasticité  élevée  à  un 
très -haut  degré,  et  qui,  combinée  intimement^ 
s'excitje  elle-même  dans  cet  agencement  organique 
des  parties,  depuis  la  sensation  inanimée  d'une 
fibre  jusqu'à  la  première  apparition  du  sentiment 
animal.  Jjsl  sensibilité  du  système  nerveux  serait 
alors  une  forme  plus  élevée  du  même  pouvoir, 
un  résultat  de  tous  ces  pouvoirs  organiques;  car 
la  circulation  du  sang  en  général,  et  tous  les  vais- 
seaux qui  y  concourent,  semblent  préparés,  comme 
autant  de  racines  nerveuses,  pour  humecter  le 
cerveau  par  le  moyen  de  ce  fluide  délicat  qui, 
considéré  comme  le  médium  de  perception,  a  une 
si  grande  supériorité  au-dessus  des  fibres  et  des 
muscles. 

Quoi  qu'il  en  soit,  c'est  avec  une  sagesse  infinie 
que  le  Créateur  a  combiné  ces  pouvoirs  avec  les 
différentes  ^  parties  organiques  du  corps  animal  et 
a  subordonné  le  degré  inférieur  au  plus  élevé.  Les 
fibres  sont  le  fondement  de  tout  notre  organisme  ; 
c'est  par  elles  que  l'homme  se  développe.  Les 
vaisseaux  lymphatiques  et  chyhfères  préparent  des; 
sucs  pour  toute  la  machine.  Sans  parler  de  la  force 
musculaire  qui  ébiranle  les  muscles  et  leur  corn-» 
munique  un  -mouvement  qu'ils  reproduisent  au 
dehors,  le  cœur  est  le  premier  excitateur  du  sang, 
de  ce  fluide  composé  de  plusieurs  autres  fluides, 
I.  .8 


1 1 4  litre'  m. 

qui  non -seulement  échauffe,  tout  le  corps,  mais 
monte  jusqu'à  la  tète,  et,  après  une  nouvelle  élabo- 
ration, vivifie  le  système  des  nerfs.  Comme  autant 
de  plantes  célestes,  ceux-ci  étendent  leurs  racines 
dans  les  parties  inférieures,  et  de  là  ils  s'élèvent 
jusqu'au  sommet.  Mais  qui  nous  dira  comment  se 
£dt  cçtte  ramification  ?  quel  est  le  plus  haut  point 
de  pureté  auquel  ils  arrivent  ?  quelles  sont  les  par- 
ties avec  lesquelles  ils  sont  en  contact  inmiédiat? 
la  mesure  de  Tirritahilité  de  tel  ou  tel  muscle? 
les  sucs  que  préparent  les  vaisseaux  alimentaires? 
quel  est  le  degré  de  température  de  tel  système 
comparé  à*  tel  autre  ?  avec  quel  genre  de  struc- 
ture il  est  en  rapport  nécessaire  ?  à  quel  mode 
de  vie  il.  conduit?  quelle  est  la  conformation , 
la  figure  externe  de  l'organisation  à  la(]pielle  il 
appartient? 

Si  l'étude  attentive  de  ces  questions  sur  cer- 
tains animaux,  particulièrement  ceux  qui  appro- 
chent le  plus  de  l'homme,  ne  nous  donne  pas  de 
lumières  sur  leurs  caractères  et  leurs  instincts,  dans 

* 

les  rapports  mutuels  des  espèdes,  et  par  dessus  tout, 
sur  les  causes  de  là  supériorité  de  l'homme,  je  ne 
sais  d'où  nous  pouvons  tirer  quelques  éçlaircisse- 
mens  physiques  sur  ce  sujet.  Mais  heureusement 
que  Camper,  Wrisberg,  Wolf,  Sœmmering,  et 
plusieurs  autres  habiles  anatomistes,  appliquait  ce 
mode  judicieux  de  comparaisons  physiologiques 


CHAPITRE  II.  «  1 1 5 

aux  pouvoirs  des  organes   vitaux   de  différentes 
espèces. 

Maintenant  je  vais  essayer  d'établir,  conformé- 
ment à  mon  plan,  quelques  proposition^  fonda- 
mentales, pour  servir  d'introduction  aux  réflexions 
qui  suivront  sur  les  pouvoirs  inhérens  et  organi- 
ques de  divers  êtres ,  et  enfin  de  l'homme  ;  car  sanii 
cela  l'examen  de  la  nature  humaine,  dans  ses  besoins 
et  ses  perfections,  ne  pourrait  être  que  très-super- 
ficiel 

«  1.  Partout  où  un  effet  existe  dans  la  nature, 
«  il  doit  y  avoir  un  pouvoir  agissant;  là  où  l'irri- 
«  tabilité  se  déploie  dans  uu  effort  ou  un  spasme, 
((  il  doit  y  avoir  une  excîlcAon  interne.  '^  Si  ces 
propositions  sont  Êiusses,  il  n'y  a  plus  ni  con- 
nexion dans  nos  observations,  ni  analogie  dans  la 
nature. 

«  2.  On  ne  peut  déterminer  avec  précision  les 
a  circonstances  où  une  action  apparente  sera  une 
K  preuve  d'un  pouvoir  inhérent,  et  celle  où  elle 
m  cessera  d'en  être  une.  Nous  attribuons  le  senti- 
K  ment  et  la  pensée  aux  animaux  qui  vivent  avec' 
«  nous,  parce  que  journellement  nous  les  voyons 
«  a^r  devant  nous;  mais  nous  ne  pouvons  pas  les 
u  refuser  aux  autres,  parce  que  nous  ne  les  connais- 
((  sons  pas  assez  intimement,  ou  que  nous  sommes 
u  trop  disposés  à  regarder  leurs  ouvrages  comme 
a  le  produit  d'un  art  qui  dépasse  leur  instinct; 


V  » 


Il6  LIVRE   IIL 

(c  car  notre  ignorance  ou  notre  manque  d'art  ^  ne 
(c  sont  pas  le  type  absolu  de  toutes  les  idées  mé- 
«  caniques,  ni  celui  des  sentimens  de  la  création 


«  animée.  ^* 


5.  Ainsi ,  partout  où  Part  est  appliqué j  il  y  o 
un  sens  mécanique  qui  existe  et  qui  est  exercé;  et 
quand  une  créature  montre  par  ses  actions  qu'elle 
prévoit  des  accidens  naturels ,  d'autant  mieux  qu'elle 
s'efForcfe  de  s'y  préparer,  il  feut  qu'elle  ait  un  sens 
interne,  un  organe, un  médium  de  cette  prévoyance, 
que  nous  puissions  le  comprendre  ou  non;  car  les 
pouvoirs  de  la  nature  ne  changent  pas  d'après  cela. 

4*  U  P^u^  y  avoir  dans  la  création  plusieurs  mi- 
lieux dont  nous  n'aAms  pas  la  moindre  connais- 
sance, parce  que  nous  n'avons  pas  d'organes  qui 
leur  sont  appropriés;  il  doit  même  en  exister  un 
grand  nombre ,  car  nous  voyons  dans  presque  toutes 
les  créatures  des  actes  que  nous  ne  pouvons  expli- 
quer d'après  notre  organisation. 

5.  Un  monde,  dans  lequel  des  millions  de  créa- 
tures de  sens  et  d'instincts  divers  jouissent  chacune 
de  leur  propre  univers,  et  poursuivent  chacune 
leur  propre  carrière,  est  infiniment  plus  par&it  que 
ne- serait  un  désert  dont  Thomme,  avec  ses  cinq 
sens  égarés,  percevrait  seul  l'immensité. 

6.  Celui  (|ui  a  qiielque  sentiment  de  la  grandeur 
et  du  pouvoir  de  la  nature,  toujours  riche  en  sen- 
sation, en  art  et  en  vitalité,  acceptera  avec  recon- 


1 


CHAPITRE   11-  117 

naissance  les  avantages  qui  résultent  pour  lui  de 
Torganisation  qu'elle  lui  a  donnée  ^  mais  sans 
méconnsdtre  pour  cela  l'esprit  de  tous  ses  autres 
ouvrages.  La  création  toute  entière  se  réduit  à  la 
jouissance,  au  sentiment  et  à  l'action;  il  doit  donc 
exister  sur  chaque  point  des  créatures  pour  jouir, 
des  organes  pour  percevoir,  àes  forces  pour  agir: 
qu'ont  de  commun  entre  eux  le  crocodile  et  le 
colibri ,  le  condor  et  le  pipa  ?  Cependant  chacun 
est  organisé  convenablement  pour  vivre  et  se  mou- 
voir dans  son  élément;  il  n'est  pas  un  point  dans 
la  création  sans  jouissance,  sans  organes  et  sans 
habitans;  chaque  créature  a  son  ménde  propre  et 
déierminé. 

Être  des  êtres,  mystérieuse  nature,  je  m'égare 
dans  l'infini ,  quand ,  entouré  d'un  millier  de  preuves 
et  le  cœur  agité  de  tant  de  sentimens  divers,  j'entre 
dans  ton  temple  sacré  :  tu  n'as  négligé  aucune 
créature;  tu  t'es  communiquée  à  chacune  aussi 
plrinement  que  son  organisation  le  permettait.  Cha- 
cun de  tes  ouvrages  a  été  iin ,  parfait  et  seulement  * 
semblable  à  lui-même;  tu  agis  du  dedans  au  dehors, 
et  quand  tu  as  été  obligée  de  refuser  quelque  avan- 
tage, les  compensations  que  tu  as  départies  ont 
été  celles  que  pouvait  départir  la  mère  de  toute» 
choses.  * 

Jetons  maintenant  un    regard  sur  la  babnce 
relative  des  divers  pouvoirs  qui  absent  dans  les 


Il8  LITRE  m. 

différens  genres  d'organisation  ;  par  la  nous  éclai- 
rerons notre  marche  vers  le  lieu  physiolo^que  de 
Thomme. 

1.  Les  plantes  existent  pour  végéter  et  pour 
porter  des  fruits  :  il  nous  semble  que  cette  fin  soit 
secondaire,  et  pourtant  dans  l'ensemble  de  la  créa- 
tion c'est  la  base  fondamentale  de  tomes  les  des- 
tinées ;  elles  la  remplissent  en  entier  et  y  travaillent 
avec  d'autant* plus  de  zèle  et  de  succès,  qu'elle  est 
plus  simple  et  admet  moins  de  divisions:  elles 
existent  là  où  elles  le  peuvent,  dans  le  germe  entier, 
et  elles  poussent  de  nouveaux  rejetons  et  de  nou- 
veaux boutons  ;  une  seule  branche  représente  l'arbre 
tout  entier.  Ici  donc  nous  appelons  à  notre  secours 
ime  des  propositions  précédentes,  et  nous  sommes 
fondés  à  dire,  suivant  toute  l'analogie  de  la  nature: 
là  où  est  un  ^ffet^  là  doit  élre  un  pouvoir;  là  au 
est  une  nouvelle  vie,  là  doit  être  un  principe  d'une 
nouvelle  vie;  et  dans  toute  créature  phytomorphigue 
ce  principe  doit  reposer  sur  l'activité  la  plus  grande* 
La  théorie  des  germes,  que  l'on  a  prise  pour  expli- 
quer la  végé,tation,  n'ex{dique  rien  en.  dernière  ana- 
lyse, car  le  germe  est  déjà  une  forme;  et  là  où  est 
une  forme,  il  doit  exister  un  pouvoir  organique 
de  formation.  Jamais  le  scalpel  de  l'anatomiste  n'a 
découvert,  dans  le  premier  point  créé,  tous  les 
germes  futurs;  ils  ne  sont  visibles  pour  nous  que 
lorsque  la  plante  a  acquis  la  plénitude  de  ses  pou- 


CHAPITRE  IT..  119 

voirs;  et  toute  notre  expérience  ne  nous  donne  pas 
le  droit  de  les  attribuer  à  autre  chose  qu'au  pouvoir 
organique  de  la  plante  elle-même ,  lequel  opère  sur 
eux  avec  une  silencieuse  intensité.  La  nature  a  donné 
à  cette  créature  tout  ce  qu'elle  pouvait  lui  donner, 
et  ce  qu'elle  a  été  obligée  de  lui  refuser,  elle  l'a 
compensé  par  l'intensité  du  pouvoir  qu'elle  lui  a 
confié.  Quel  bien&it  serait-ce  que  la  puissance  de 
sympathie  animale  pour  la  plante  qui  ne  peut  sortir 
de  sa  place?  pourquoi  serait- elle  capable  de  con- 
naître d'autres  plantes  dansison  voisinage,  puisque 
cette  connaissance  serait  pour  elle  une  source  de 
chagrin?  mais  elle  jouit  à  la  manière  des  plantes, 
de  fSair,  de  la  lumière  et  des  sucs  qui  la  nourris- 
sent et  qu'elle  attire  à  elle;  et  elle  exerce  avec  plus 
d'efficacité  qu'aucune  autre  créature  les  penchans 
qu'elle  a  à  tiroître ,  à  fleurir  et  à  propager  son 
espèce. 

2.  Si  l'on  passe  des  plantes  aux  divers  zoophytes 
qui  ont  été  découverts  jusqu'ici,  cela  parait  plus 

évident  encore  :  dans  ces  derniers,  les  organes  de 

* 

la  nutrition  sont  déjà  séparés;  ils  possèdent  une 
espèce  de  sens  animal  et  de  mouvement  volontaire: 
leurs  principaux  pouvoirs  organiques  sont  la  nu- 
trition et  la  propagation.  Le  polype  n'est  pas  un 
réceptacle  de  germes  qui  demeurent  préformés  en 
lui  pour  exercer  peut-être  le  cruel  scalpel  des  phi- 
losophes; mais  comme  les  plantes  sont  la  vie  orga^ 


120  LIVRE  III. 

hiquêj  il  est  aussi  la  vie  organique.  Comme  elles^ 
il  pousse iles  rejetons,  et  le  scalpel  de  raqatoiniste 
ne  peut  qu'exciter,  ne  peut  que  stimuler  ce  pou- 
voir :  cpnune  un  muscle  stimulé  ou  partagé  déploie 
plus  de  force,  ainsi  un  polype  torturé  met  en  œuvre 
tout  ce  qu'il  peut  pour  réparer  ses  pertes,  il  pro- 
duit des  m^nbres  jusqu^à  ce  que  ses  pouvoirs  soient 
épuisés  et  que  l'art  ait  entièrement  détruit  sa  nature. 
Dans  quelques  membres ,  dans  quelques  circons- 
tances, quand  la  partie  est  trop  petite,  quand  ses 
pouvoirs  sont  trop  ajflfaiblis,  il  ne  peut  plus  exercer 
le  pouvoir  de  reproduction;  ce  qui  n'arriverait  pas, 
si  un  germe  préfbrmé  était  déposé  dans  chaque 
point  de  son  corps.  Tout  cç  qui  frappe  nos  regards, 
c'est  l'action  intime  des  forces  organiques  qui  opè- 
rent en  lui ,  comme  dans  le  bourgeon  des  plantes, 
et  même,  à  un  degré  moins  élevé,  dans  de  faibles 
et  d'obscurs  rudimens. 

5.  Les  animaux  testacés  sont  des  créatures  or- 
ganiques douées  d'autant  de  vie  qu'il  pouvait  en  être 
rassemblé  et  organisé  dans  leur  élément  et  leurs 
coquilles;  c'est  ce  que  nous  appelons  sentiment, 
parcQ  que  nous  n'avons  pas  d'autres  mots.  Maïs 
c'est  le  sentiment  d'un  limaçon ,  c'est  un  océan,  un 
chaos  des  pouvoirs  vitaux  les  plus  obscurs,  qui  ne 
se  développent  que  dans  quelques  membres.  Voyez 
leurs  soitennes  si  délicates ,  le  muscle  qui  supplée 
aux  nerfs  optiques,  leur  bouche  ouverte,  le  com- 


CHiPITRE  IL  131 

mèncement  des  pulsations  d'un  .cœur  et  leur  ex- 
trême pouvoir  de  reproduction.  L'animal  renou*  * 
velle  sa  tète 9  ses  cornes,  ses  mâchoires,  ses  yeux; 
non  -  seulement  il  construit  le  savant  édifice  de  sa 
coquille ,  et  il  la  porte  au  loin ,  mais  il  crée  des 
êtres  vivans  avec  de  pareilles  coquilles,  et  plusieurs 
animaux  de  cette  espèce  sont  à  la  fois  mâles  et 
femelles.  Ainsi  il  )La  «1  eux  une  foule  de  pouvoirs 
organiques,  par  le  moyen  desquels  la  créature  est 
capable,  dans  son  étroite  sphère,  de  certaines  opé- 
rations qui  sont  interdites  à  tel  autre  être,  quoiqu'il 
ait  des  mraabres  plus  parfaits ,  et  que  l'action  du 
mucus  plastique  soit  en  lui  plus  intime  et  plus 
continue. 

4.  L'insecte ,  si  étonnant  dans  ses  ouvrages ,  ne 
Test  pas  moins  dans  sa  structure,  à  laquelle  les 
pouvoirs  organiques  se  conforment  même  dans  les 
parties  qui  semblent  avoir  une  existence  distincte; 
mais  il  n'a  en  lui  de  pl^ce  que  pour  un  cerveau 
d'un  très-petit  volume  et  pour  des  nerfs  extrême- 
ment déliés  :  ses  muscles  sont  si  fragiles  qu'ils  sont 
recouverts  au  dedans  d'un  fort  tissu,  et  son  orga- 
nisation ne  peut  pas  se  prêter  au  mouvement  cir- 
culatoire qui  a  lieu  dans  les  animaux  plus  grands. 
Mais  examinez  sa  tète,  se^  yeux,  ses  antennes,  ses 
pieds ^  ses  défenses,  ses  ailes;  voyez  le  poids  énorme 
que  porte  im  escarbot,  une  mouche,  une  fourmi,  ou 
la  force  que  développe  une  guè[^  irritée  j  voyez 


122  tIVRE»in.' 

les  cinq  mîlle^  muscles  <|ue  Lyonnel  a  comptés 
'dans  la  chenille  du  saule  à  double  queue,  pendant 
que  l'homme,  malgré  sa  force,  en  possède  à  peine 
quatre  cent  cinquante;  considérez,  enfin,  les  ou- 
vrages d'art  qu'ils  entreprennent  avec  leurs  sens  et 
leurs  membres,  et  concluez- de  là  qu'une  plénitude 
organique  de  pouvoirs  inhérens  opère  dans  cha- 
cune de  leurs  parties.  Qui  peut  voir  la  jambe  arra- 
chée et  tremblante  d'une  araignée  ou  d'une  mouche, 
sans  être  frappé  de  la  force  d'irritabilité  vitale 
qu'elle  conserve ,  même  en  étant  séparée  du  tronc  ? 
La  tète  de  l'animal  était  trop  petite  pour  la  con- 
tenir en  entier;  aussi  la  nature  abondante  Ta-t-elle 
distribuée  entre  tous  les  membres^  sans  en  excepter 
les  plus  petits.  Ses  antennes  sont  des  sens,  ses 
jambes  déliées  sont  des  muscles  et  des  bras.  Chaque 
plexus  nerveux  est  un  petit  cerveau;  chaque  vais- 
seau irritable  est  presque  un  cœur  en  pulsation; 
et  ainsi  s^accomplissent  les  opérations  délicates  aux- 
quelles sont  destinés  plusieurs  êtres  de  cette  espèce, 
et  qui  leur  sont  commandées  par  leurs  organisa- 
tions et  leurs  besoins.  De  quelle  puissance  d'élas- 
ticité est  doué  le  fil  de  l'araignée  ou  du  ver  à  soie  ? 
Or  l'artiste  l'a  tiré  de  lui-même;  preuve  évidente 
qu'il  est  tout  élasticité  et  irritabilité,  et  dans  ses 
instincts  et  ses  opérations*  un  artiste  réel,  une 
ame  en  miniature  du  monde  agissant  dans  cette 
organisation.     ^ 


CHAPITRE  II.  12? 

5.  Dans  les  animaux  à  sang  froicl  on  aperçoit 
la  même  surabondance  dtirrUahilUé.  La' tortue  cpn- 
tinue  à  se  mouvoir  avec  force  long -temps  après 
qu'elle  n'a  plus  de  tête.  La  dent  d'une  vipère  fait 
une  blessure  mortelle,'  trois,  huit  et%ième  douze 
jours  après  que  la  tète  a  été  séparée  du  corps.  Si 
les  mâchoires  d'un  crocodile  mort  sont  arrachées, 
eUes  peuvent  encore  couper  les  doigts  imprudens. 
Quant  aux  insectes;  l'aiguillon  d'une  abeille  cherche 
encore  a  blesser  après,  qu'il  a  été  arraché.  Voyez 
la  grenouilte  en  copulation  ;  on  peut  lui  briser  les 
membres,  sans  qu'elle  abandonne  son  dessein.  Voyez 
la  salamandre  torturée  :  elle  peut  perdre  les  doigts  ^ 
les  mains,  les  pieds,  les  jambes,  et  les  remplacer 
par  d'autres,  tant  il  y  a  de  plénitude  et  de  surabon- 
dance dans  les  pouvoirs  vitaux  organiques  de  ces 
animaux  à  sang  froid!  et,. en  un  mot,  plus  l'ani- 
mal est  abject,  c'est-à-dire,  moins  la  faculté  orga- 
nique a  fait  d'efforts  pour  élever  l'irritabilité  et  les 
muscles  à  des  pouvoirs  nerveux  plus  parfaits,  moins 
elle  a  développé  le  volume  du  cerveau,  et  plus  le 
principe  vital  se  manifeste  avec  force  dans  pne 
toute-puissance  organique  ^  qui  conserve  ou  répare 
la  vie. 

6.  De  plus,  on  a  observé  dans  leâ  animaux  à 
sang  chaud  que  leur  chair  est  plus  lente  à  se 
mettre  en  rapport  intime  avec  les  nerfs,  et  que 
les  entrailles  sont  plus .  puissamment  irritées  par 


1^4  XTtRE  m. 

des  excitans  après  la  mort  de  Fanimal.  Bans  la 
mort,  les  convulsions  deviennent  plus  fortes  à 
mesure  que  la  puissance  de  perception  diminue;  et 
un  muscle  quia  perdu  son  irritabilité,  la  recouvre, 
s'il  est  mis  ffl  pièces.  Ainsi ,  à  mesure  que  le  sys- 
tème nerveux  se  complique,  il  semble  que  le  pou- 
voir vital,  qui  ne  s  éteint  que  difficilement,  diminue 
dans  une  égale  proportion.  La  feculté  de  repro- 
duire des  parties,  sans  parterici  de  membres  aussi 
complets  que  la  tète,  les  mains  ou  les  pieds,  est 
perdue  pour  leâ  animaux  les  plus  parfaits,  comme 
on  les  appelle  :  k  de  certains  âges ,  à  peine  peuvent- 
ils  reproduire  une'  dent,  ou  guérir  une  blessure 
bu  une  fracture.  Mais  alor^  les  sensations  et  les 
perceptions  sont  éminemment  développées,  jus- 
qu'à ce  qu'à  la  fin  elles  aillent  se  concentrer,  dans 
l'homme,  dans  le  phénomène  de  la  raison,  le 
plus  pârfidt  et  le  dernier  degfé  de  l'organisation 
terrestre. 

Ces  inductions  nous  conduisent  à  recueillir  quel- 
ques  résultats  qu'il  sera  à  propos  de  réduire  à  un 
seul.  -  # 

1.  Dans  toute  créature  vivante  le  cercle  des 
pouvoirs  organiques  paraît  être  un  tout  complet, 
qui  d'ailleurs  est  modifié  et  distribué  difTéremment 
dans  chacune  d'elles.  Dans  l'une  il  ap{)rochc  de  la 
végétation  y  el  il  est  en  conséquence  assez  puissant 
pour  reproduire  l'espèce  et  restaurer  des  parties. 


CHAPITRE  II.  1^5 

Dans  telle  autre  ces  facultés  diminuent  k  mesure 
que  les  membres  sont .  construits  avec  plus  d'ar- 
tifice, et  que  les  organes  et  les  sens  sont  plus 
parfaits. 

2.  Au-dessus  de  la  sphère  de  végétation  com- 
mence le  système  de  Tirritabilité  vitale  :  elle  est 
unie  étroitement  à  la  faculté  qu'a  la  structure 
fibreuse  de  l'animal  de  croître,  de  pousser  des  re- 
jetons et  de  se  renouveler  elle-même.  Seulement 
elle  apparaît  sous  une  forme  savante  çt  calculée , 
et  pour  une  fin  d'opération  vitale  circonscrite  dans 
de  plu$  étroites  limites.  Déjà  chaque  muscle  est 
en  raj^ort  réciproque  avec  plusieurs  autres.  Il  dé- 
ploira  doQC  non  pas  seulement  les  pouvoirs  d'une 
fibre,  mais  aussi  les  siens  propres,  c'est-à-dire,  ceux 
d'une  irritabilité  vivante  au  sein  d'un  mouvement 
actif.  La  torpille  ne  renouvelle  pas  ses  membres, 
comme  le  lézard,  la  grenouille  ou  le  polype;  et  ces 
animaux,  qui  possèdent  la  faculté  reproductive, 
ne  reproduisent  pas  les  parties  dans  lesquelles  les 
pouvoirs  musculaires  sont  concentrés,  comme  celles 
qui  semblent  n'être  que  des  boutures  de  plantes. 
L'écrevisse  de  mer  peut  bien  reproduire  de  nour 
velles  griQes,  mais  non  pas  une  nouvelle  queue. 
Ainsi  dans  les  pouvoirs  moteurs,  artistement  com- 
binés, la  sphère  de  l'organisation  végétale  s'éva- 
nouit par  degrés,  ou  plutôt  elle  est  conservée  sous 
une  forme  plus  délicate;  et  appliquée  dans  son 


126  LIVRE   III. 

ensemble  aux   desseins    d'une   organisation  plus 
composée., 

3.  Plus  les  pouvoirs  musculaires  pénètrent  au 
loin  dans  la  sphère  des  nerfs,  plus  ils  sont  en- 
chaînés à  cette  organisation  et  soumis  aux  fins  de 
la  perception.  Le  système  oi^anique  est  d'autant 
plus  intelligent  et  plus  parfait,  que  le  système  ner- 
veux est  plu^  composé,  plus- délicat,  plus  varié, 
plus  vigoureux,  joint  à  des  parties  et  à  des  sens 
plus  nobles,  et  que  le  cerveau,  foyer  de  toute  per- 
ception, est  mieux  épuré  et  plus  abondant: au  con- 
traire, dans  les  animaux,  en  qui  l'irritabilité  et  la 
force  musculaire  surpassent.  Tune,  la  faculté  de 
percevoir,  et  l'autre,  le  système  nerveux;  quand 
d'ailleurs  ce  dernier  ne  s'exerce  que  sur  des  fonc- 
tions et  des  instincts  grossiers,  et  surtout  quand 
la  Êdm,  le  plus  impérieux  de  tous  les  instincts, 
est  celui  qui  domine,  l'espèce  est,  conformément 
à  notre  type  invariable,  d'un  côté  moins  parËute 
dans  sa  structure,  de  l'autre  plus  grossière  dans 
ses  habitudes. 

Qui  donc  ne  se  réjouirait  pas,  si  quelque  ana- 
tomiste  philosophe  ^  entréprenait  de  donner  ime 


1*  Sans  parler  de  quelques  autres  morceaux  asses  connus» 
je  trouYe  dans  les  œuvres  d^ Alexandre  Monro  Tainé,  Édimb.y 
1781,  un  Essai  d^anatomle  comparée,  qui  mérite  bien  d^étre 
traduit.  Voy^s  aussi  les  squelettes  d'animaux  de  TOstéographie 


CHAPITRE  II.  127 

physiologie  comparée  de  divers  animaux,  surtout 
de  ceux  qui  approchent  le  plus  de  l'homme,  en 
examinant  les  pouvoirs,  tels  qu'ils  ont  été  classés 
et  établis  par  l'expérience,  dans  leurs  rapports  avec 
l'organisation  générale  de  la  créature?  La  nature 
nous  montre  ses  ouvrages  sous  une  forme  déguisée 
à  Textérieur,  comme  un  réceptacle  caché  d'a.gens 
intérieurs  :  nous  voyons  un  mode  de  vie  animale; 
de  la  physionomie  du  visage  et  de  la  relation  des 
parties,  nous  conjecturons  ce  qui  existe  au  dedans. 
Mais  ici  les  organes  et  la  masse  des  pouvoirs  orga- 
niques sont  eux-mêmes  placés  sous  nos  yeux;  et 
plus  nous  approchons  de  l'homme,  plus  nous  avons 
d'objets  de  comparaison.  Sans  être  anatomiste,  j'es- 
sayerai de  suivre  les  observations  de  quelques  ana- 
tomistes  célè|)res  dan^  un  ou  deux  exemples  qui 
nous  prépareront;  à  la  structure  et  à  la  nature  phy- 
siologique de  l'homme.  .  ' 

de  Cheselden ,  Lond,,  ,i^83>.  Ce  serait  rendre  service  à  la  science 
qoe  d^en  faire  des  copies^  mais  il  serait  difficile  de  reproduire 
en  Allemagne  la  correction  et  la  beauté  des  originaux. 


128  LIVRE  ni. 


CHAPITRE  IIL 

Exemples  de  la  structure  physiologique 
de  quelques  animaux. 

Quelque  informe  qu'il  paraisse ,  Féléphant  ^  a 
pour  lui  de  nombreuses  preuves  physiologiques  de 
sa  supériorité  sur  les  autres  animaux  et  de  sa  res- 
semblance avec  l'homme.  Son  cerveau,  il  est  vrai, 
B'est  pas  très-voluoEiineux  à  proportion  de  sa'taille; 
mais  ses  cavités  et  toute  sa  structure  présentent  des 
similitudes  frappantes  avec  l'espèce  humaine.  «  J'ai 
ce  été  étonné,  dit  Camper,  de  trouver  tant  de  res- 
xc  semblance  entre  hi  glande  pinéale  et  les  tubercules 
«  quadrijumeaux  du  cerveau  de  cet  animal  et  les 
c(  mêmes  parties  du  cerveau  de  l'homme;  si  un  doit 
c<  trouver  un  sensorium  commune^  c'est  là  qu'il 
«  faut  le  chercher.  *'  Le  crâne  est  petit  à  propor- 
tion de  la  tète,  puisque  les  fosses  nasales  se  pro- 
longent sur  le  cerveau  et  remplissent  d'air  non- 
seulement  les  sinus  frontaux  j  mais  encore  d'autres 
cavités  2;  car,  pour  mouvoir  sa  pesante  mâchoire, 
il  faut  une  grande  force  dans  les  muscles,  et  une 
vaste  capacité  que  le  Créateur  a  remplie  d'air,  afin 

1.  Diaprés  BuffoDy  Daabenton,  Camper,  et  en  partie  diaprés 
la  Description  du  fœtus  d^un  éléphant  par  Zimmermano. 
2»  ttti  cavités  et  sinus  d^s  émineaces  mamillaires»  etc. 


CHAPITRE  III.  1:19 

d'épargner  à  la  créature  un  Êtrdeau  insupportable. 
Le  cerveau  ne  repose  pas  au-dessus  du  cervelet  et 
ne  le  déprime  pas  sous  le  poids  de  sa  masse;  la 
membrane  qui  les  sépare  reste  perpendiculaire.  Lés 
nerfs  nombreux  de  l'animal  sont  principalement 
répandus  entre  les  organes  des  sens  les  plus  par- 
faits 9  et  sa  trompe  seule  en  reçoit  autant  que  la 
masse  énorme  de  son  corps.  Les  muscles  qtii  ser- 
vent à  la  mouvoir,  partent  du  froiit  Elle  est  sans 
cartilages,  et  l'organe  d'un  toucher  délicat,  d'un 
odorat  exquis  et  du  mouvement  le  plus  libre.  Ainsi 
donc  die  réunit  plusieurs  sens,  qui  se  prêtent. par 
là  un  secours  mutuel.  L'œil  de  l'éléphant,  qui  par 
l'expression  de  son  regard  rappelle  celui  de  l'homme , 
est  garni  de  poils;  il  se  meut  dans  son  orbite  par 
l'artifice  des  muscles  qui  lui  correspondent ,  et  il  a 
dans  son  voisinage  les  sen;  de  l'ordre  le  plus  élevé. 
Ces  derniers  sont  séparés  de  l'organe  du  goût,  qui 
domine  dans  les  autres  animaux.  La  bouche,  qui 
dans  les  quadrupèdes ,  particulièrement  ceux  du 
gienre  carnassier,  est  la  partie  principale  de  la  face,, 
est  placée  ici  bien  au* dessous  du  front  et  de  la 
trompe,  de  telle  aorte  qu'elle  est  pour  ainsi  dire 
cachée.  Sa  langue  est  encore  plus  petite:  les  dé- 
fenses qu'il  porte  dans  sa  bouche,  sont  distinctes 
des  dents  de  nutrition ,  car  il  n'est  point  fait  pour 
une  sauvage  voracité.  Comparé  au  volume  énorme 
de  ses  entrailles^  son  estomac  est  petit  et  simple. 

ï«  9 


l50  LIVRE   HL 

jUnsi,  il  est  probable  qu'il  n'est  point  sujet  à  la 
&im  dévorante  des  bétes  fiiuves.  H  coupe  Therbe 
nettement  et  sans  précipitation  ;  et  comme  Torgane 
de  l'odorat  est  séparé  ai  lui  de  la  bouche,  il  em- 
ploie à  cette  opération  beaucoup  de  temps  et  use 
de  grandes  précautions.  La  nature  l'a  instruit  à  la 
même  pmdence  en  étanebant  sa  soif  et  dans  toutes 
les  autres  fonctions  de  son  corps  massif,  sans  excep- 
ter la  propagation  de  son  espèce;  l'instinct  sexuel  ne 
l'enflamme  pas  de  rage.  Sa,  femelle  porte  neuf  mois 
son  petite  comme  la  femme,  et  elle  l'allaite.  Les  pé- 
riodes de  sa  vie,  celles  de  sa  crobsance,  de  sa  ma- 
turité et  de  âon  déclin ,  ont  entre  elles  les  mêmes 
rapports  de  durée  que  celles  de  l'homme.  Avec  quelle 
noblesse  la  nature  a  converti  en  lui  les  dents  inci- 
sives en  lôAgues  défenses  !  et  quelle  délicatesse  dans 
l'or^ne  de  l'ouie^  puisqu'il  peut  comprendre  le  lan- 
gage de  rbomme ,  jusques  dans  les  inflexions  itères 
qui  appartiennent  aux  passions  ou  au  commande- 
ment! Ses  oreilles,  plus  grosses  que  celles  d'aucun 
autre  animal ,  s'amincissent  et  s'étendent  sur  les  bords. 
Jje  conduit  auditif  est  placé  très-haut  he  petit  occiput 
n'est  dans  son  ensemble qife  l'enfoncçment  d'un  écho 
rempli  d'air.  Ainsi ,  la  nature  a  sagement  diminué  le 
poids  de  l'animal  et  uni  la  plus  grande  force  muscu- 
laire à  l'économie  nerveuse  la  plus  délicate  :  c'est  un 
Roi  des  animaux,  qu'une  organisation  plus  pure  et 
plus  intelligente  maintient  dans  un  repos  majestueux. 


CHAPITRE  ni.  iSl 

Quelle  différence  avec  cet  autre  roî  des  animaux, 
le  lion  ^  !  La  nature  a  établi  ses  droits  sur  la  force 
musculaire,  et  ncm  pas  sur  la  douceur  et  la  supé- 
riorité de  l'intelligence.  Elle  ne  lui  a  donné  qu'un 
cerveau  peu  .volumineux ,  et  des  nerfs  si  faibles 
qu'ils  ne  sont  pas  même  proportionnés  à  ceux  d'un 
chat;  mais  ses  muscles  sont  gros  et  vigoureux,  et 
elle  les  a  fixés  aux  os  dans  la  position  qui  devait 
produire  le  plus  de  force,  sans  songer  ni  à  la  va- 
riété,  ni  à  la.délicatesse  du  mouvement  A  cela,  clld 
a  ajouté,  comme  autant  d'instrumens  de  la  destinée 
qu'elle  lui  assignait,  un  grand  muscle,  celui  qui  élève 
le  cou,  un  muscle  du  pied  de. devant,  qui  lui  sert  à 
saisir  sa  proie;  une  patte  terminée  par  de  longues 
griffes  si  courbées  qu'elles  ne  touchent  jamais  la 
terre ,  et  que  leurs  pointes  ne  peuvent  être  émous- 
sées:  son  estomac  est  k)hg  et  très-courbé;  le  frot* 
tement  des  parois  et  par  conséquent  la  faim  de  l'ani- 
mal doivent  être  terribles  :  son  cœur  est  petit,  maïs 
les  cavités  sont  délicates  et  larges,  beaucoup  plus 
longues  et  plus  profondes  que  dans  l'homme.  Les 
parois.de  son  cœur  sont  deux  fois  aussi  minces  et  la 
grande  artère  deux  fois  aussi,  petite,  de  telle  sorte 


1 .  Entièrement  confonne  à  Fexceltente  (iescription  de  Wx>lf  « 
dans  les  j^ov-  comment,  Acad^  scient,  petrop, ,  tom.  XV  et  XVI. 
11  serait  à  sonhaiter  qne  nons  eussions  un  grand  nombre  de 
descriptions  anatomico-physiologicpies  exécutées  avec  le  m^me 
bonheur. 


l5a  LITRE  m. 

que  le  sang  du  Kon ,  aussilôt  qu'il  abandonne  le 
cœur,  s'écoule  avec  quatre  fois  autant  de  vitesse, 
et  dans  les  branches  artérielles  avec  une  fois  plus 
de  vitesse  que  dans  la  circulation  humaine.  Le  cœur 
de  1  éléphant ,  au  contraire ,  bat  lentement  y  presque 
comme  dans  les  animaux  à  sang  froid.  La  vésicule 
du  fiel  du  lion  est  grosse  et  le  fluide  noirâtre.  Sa 
langue  large  est  roulée  par  devant  et  munie  de  p- 
pilles  rudes  de  la  longueur  d'une  ligne  et  demie, 
qui  s'étendent  toutes  dans  la  partie  antérieure  avec 
leurs  pointes  dirigées  en  arrière;  de  là  le  danger 
de  lui  laisser  lécher  la  peau;  puisqu'il  fait  couler 
inmiédiatement  le  sang  et  qu'il  excite  ainsi  sa  soif» 
sa  soif  dévorante,  avide  même  du  sang  de  son  ami 
et  de  son  bienfaiteur.  Une  fois  qu'il  a  goûté  le  sang 
humain,  il  n'abandonne  pas  volontiers  une  proie 
que  convoite  son  palais  sillonné.  La  lionne  produit 
plusieurs  lionceaux ,  qui  croissent  lentement  :  elle 
est  donc  obligée  de  pourvoir  long- temps  à  leurs 
bespins,  etson  affection  maternelle,  jointe  à  sa  pro- 
pre faim,  augmente  sa  férocité.  Comme  dans  le  bon 
le  sens  du  gotk  a  une  grande  délicatesse,  et  que  sa 
£dm  redouble  avec  la  soif  qui  le  consume,  il  ^^ 
peut  pas  se  contenter  d'une  chair  corrompue.  Tuer 
l'animal  <jui  doit  lui  servir  de  nourriture,  et  sucer 
le  sang  quand  il  est  encore  chaud,  telle  est  sa 
suprême  jouissance,  et  l'effroi  d'une  première  sur- 
prise est  souvent  tout  ce  que  demande  sa  oiagna* 


CHAPITRE  Itl.  1 55 

mmîté  royale.  Son  sommeil  est  d'autant  plus  léger , 
que  son  sang  est  plus  chaud  et  que  la  circulation  en 
est  plus  rapide.  Quand  il  est  rassasié,  il  est  pares^ 
seux;  car  il  ne  peut  se  sei*vir  d'une  provision  qui 
n'est  pas  fraîche  :  il  n'y  pense  plus,  et  n'est  excité 
au  courage  que  par  la  faim  présente.  La  nature 
bienveillante  a  émoussé  ses  sens^  son  œil  est  effrayé 
du  feu,  et  il  ne  peut  même  supporter  l'éclat  du 
soleil.  U  était  inutile  que  son  odofat  fût  moins 
grossier;  car,  par  l'effet  de  la  disposition  de  ses 
muscles,  il  bondit  plutôt  qu'il  ne  court,  sans  pou- 
voir s'arrêter  à  flairer  sur  les  traces  de  l'animal  qu'il 
poursuit;  et  d'ailleurs  son  instinct  repousse  toute 
espèce  de  proie  putréfiée.  Son  front,  couvert  et 
ridé,  est  petit,  si  on  le  compare  à  la  partie  infé*- 
rieure  de  la  face,  aux  articulations  et  aux  muscles 
des  mâchoires.  Son  nez  est  large  et  long;  son  eou 
et  ses  jambes  de  devant ^sont  de  fer;  sa  crinière  et 
les  muscles'tle  sa  queue  sont  d'une  grosseur  énorme^ 
mais  ses  parties  de  derrière  sont  plus  Êiibles  et  plu^ 
déliées.  La  nature  a  épuisé  ses  pouvoirs  terrifians, 
et  elle  en  a  fait,  lorsqu'il  n'est  pas  tourmenté  de 
la  soif  du  sang,  un  animal  noble  et  généreux  :  tel 

L 

est  le  caractère  physiolq^gique  de  cette  créature. 

L'unau,  en  apparence  le  dernier  el  le  phis  in- 
forme des  quadrupèdes,  masse  de  boue  qui  s'est 
élevée  à  l'organisation  animale ,  peut  nous  servir  de 
troisième  exemple.  Sa  tête  est  petite  et  sphérique; 


l34  LIVRE  III: 

tous  ses  membres  sont  de  même  ronds,  épais,  in- 
formes et  ressemblent  à  des  coussins  d'étoffe  ;  son 
cou  est  raide,  et  parait  ne  âdre  qu'uhe  seule  pièce 
avec  la  tète;  ses  crins  ont  une  direction  contraire 
à  la  lon^eur  dé  Tanimal,  comme  si  la.  nature 
l'avait  formé  suivant  deux  directions,  ne  sachant 
laquelle  préférer;  enfin,,  elle  choisit^  pour  les  par- 
ties principales,  le  ventre  et  les  parties  postérieures, 
auxquelles  la  tête  est  subordonnée  dans  sa  place, 
sa  forme  et  ses  fonctions.  La  femelle  porte  ses  petits 
dans  ses  parties  postérieures;  Testomac  et^  les  en- 
trailles remplissent  Tabdomen;  le  cceui*,  les  pou- 
mons et  le  foie  sont  grossièrement  formés,  et  la 
vésicule  biliaire  semble  manquer  entièrement  Son 
sang  est  si  froid  qu'il  diffère  peu  de  celui  des  am- 
phibies :  son  cœur  et  ses  intestins  palpitent  long- 
temps après  qu'ils  ont  été  arrachés,  et  les  jambes 
de  l'animal  s'agitent  même  après  que  le  cœur  est 
mort,  comme  s'il  était  endormi.  Ainsi  ^  nous  re- 
connaissons ici  une  des  compensations  de  la  na- 
ture, qui,  si  elle  est  obligée  de  refuser  des  nerÊ 
susceptibles  d'impressions  rapides ,  et  même  àts 
forces  musculaires,  répand  et  partage  plus  intim^ 
ment  une  irritabilité  extrême.  Ce  singulier  aninoal 
peut  donc  être  moins  malheureux  qu'il  ne  Semble. 
Il  aime  la  chaleur,  le  repos  du  sommeil,  et  jouit 
dans  l'un  et  l'autre  d'une  sorte  dé  bien-être  vis- 
cpieux.  Quand  la  chaleur  lui  manque,  il  s'endort; 


cainTRE  III.  i55 

et  comme  s'il  lui  était  pénible  même  >  de  se  cou- 
cher, il  s'accrodie  à  un  rameau  avec  ses  pattes, 
pendant  que  l'une  dVelles  lui  sert  à  prendre  sa 
nourriture,  et  que,  suspendu  comme  un  sac,  il 
jouit  à  la  chaleur  des  rayons  du  soleil,  de  sa  bizarre 
existence.  Ainsi  la  disposition  informe  de  ses  jHeds 
est  un  HenËdt  pour  WL  Par  la  singularité  de  leur 
structure,  Tanimal  ne  peut  se  soutenir  sur  leur 
plante ,  mais  seulement  sur  la  courbure  des  griffes^ 
qui,  comme  les  roues  d'im  chariov,  aident  sa 
marche  lente  et  tranquille.  Ses  quarante^six  côtes^ 
qu'aucun  autre  quadrupède  ne  possède  en  pareil 
nombre,  forment  une  longue  Toute  pour  le  ma* 
gasin  de  ses  provisions,  et  elles  sont,  si  je  puis 
m'exprîmer  ainsi,  les  anneaux  osseux  d'un  sac  de 
pulpe  vorace  et  la  charpente  d'un  monstre.  Ces 
exemples  suffisent  On  voit  évidemment  ce  qu'il 
faut  entendre  par  une  ame  animale  et  un  instinct 
animal,  si  Ton  prend  pour  guide  la  physiolog^  .et 
l'expérience.  L'une  est  la  somme  et  le  résultai  de 
toutes  les  forces  vitales  qui  agissent  dans  un  sys-* 
tème  organisé;  l'autrç  est  la  direction  que  la  nature 
a  donnée  à  ces  forces  collectives  ^  en  les  plaçani 
dans  un  tempérament  donné  et  non  dans  un  aur 
tre^  en  les  organisant  suivant  telle  structure  et  non 
telle  autre. 


l56  LITRE  m.  < 

/ 

CHAPITRE  IV. 

I 

Des  instincts  des  animaïur^ 

m 

Reimarus  nous  a  laissé  sur  les  insdncts  des  ani- 
maux  un  traité  excellent ^ ,  gui  restera,  ainsi  que 
son  ouvrage  sur  la  religionnaaturelle,  comme  un 
monument  de  son  iesprit  de  recherches  et  de  son 
profond  amour  de  la  vérité.  Après  des  observa- 
tions judicieuses  et  savantes  sur  les  instincts  di- 
vers des  animaux,  il  tâche  de  les  expliquer  par  le 
mécanisme  des  sens  et  par  le  tact  interne.  Son 
opinion  est  qu'il  faut  admettre,  surtout  pour  les 
arts  instinctifs^  certains  poui^oirs  déterminés  et  na- 
turels^ certaines  capacités  naturelles  innées  ^  qui 
ne  sont  pas  susceptibles  d'une  explication  plus 
rigoureuse.  Je  ne  peux  acquiescer  à  la  dernière 
partie  de  ces  idées;  car  la  composition  de  toute 
la  machine,  d'après  tels  pouvoirs,  tels  sens,  tels 
sientimens  et  telles  perceptions;  en  un  mot,  tof" 
ganisation  même  de  la  créature  j  c'est  là  ce  qui 
constitue  la  direction  la  plus  sûre^   la  détermi- 

0 

I.  Beimaruê  allgemeiite  Betraehtungen  iibef  die  Triebe  der 

Thiere;    Hamb.»    177 3-   ^ngefangene  Betraehtungen  ûber  die 

'  '        ' 

besondern  Arten  der  thierischen  Kunsttriebe,    A  cet  ouvrage  est 

joint ,  en  forme  d^appendice ,   un  Essai  aussi  ingénieux  que 

riche  en  résultats,  de  J.  A.  H.  Reimarus,  sur  la  piatnre  des 

soopbytes. 


•ç' 


CHAPIIHE   IV.  l57 

niUion  la  plus  parfaite ,  que  la  nature  puisse  im- 
primer à  son  ouvrage. 

Puisque  le  Créateur  a  formé  des  plantes ,  qu'il 
les  a  divisées  en  certaines  parties,  et  qu'il  leur  a 
attribué  certains  pouvoirs,  pour  attirer  et  assimiler 
la  lumière,  l'air  et  d'autres  matières  subtiles  qm 
leur  sont  fournies,  en  abondance  par  le  milieu  de 
TaUnosphère  ou  de  l'eau;  et  puisqu'il  les  a  placées 
dans  Jeurs  élémens  propres,  où  chaque  partie  dé<- 
Teloppe  naturellement  les,  pouvoirs  qui  lui  sont 
essentiels,  il  ne  me  semble  pas  nécessaire  qu'il  leur 
ait  départi  im  nouvel  et  aveugle  instinct  de  végé- 
tation. Chaque  partie  remplit  sa  tâche  avec  ses 
forces  vitales,  et  c'est  ainsi  que  se  manifeste  en 
définitif  le  résultat  organique  qui.pouvm  être  pro- 
duit dans  tel  système  et  non.  dans  tel  autre.  Les 
principes  actifs  de  la  nature  sont  tous  des  principes 
vitaux,  chacun  dans  leurs  genres.  Ils  doivent  ren- 
fermer au  dedans  quelque  chose  qui  réponde  à  leurs 
effets  extérieurs,  aipsi  que  Leibnitz  Fa  avancé  et 
que  toute  l'analogie  semble  ie  confirmer.  Que  nous 
n'ayons  pas  dé  mot  pour  désigner  cet  état  interne, 
des  plantes,  ou  les  forces  qui  agissent  en  elles, 
c'est  un  défaut  du  langage;  car  la  sensation  né 
s'emploie  que  pour  exprimer  la  modification  in^ 
terne  qui  est  produite  en  nous  par  le  système 
nerveux.  Toutefois  il  peut  exister  quelque  obscure 
analogie  entre  ces  choses,  et  s'il  en  est  autrement, 


i38  uvRE  m. 

ces  insiindLs  nouveaux,  ces  pouvoirs  de  végétation 
qui  sont  départis  au  tout,  sont  autant  de  mots  qui 
ne  nous  laissent  aucune  idée  précise. 

On  aperçoit  évidemment  dans  les  plantes  deux 
instincts  naturels,  ceux  de  nutrition  et  de  propa- 
gation, et  leurs  résultats  sont  des  ouvrages  d'art, 
tels  qu'ils  sont  à  peine  égalés  par  les  constructions 
de  l'insecte  vivaM,  quelque  savantes  qu'elles  puis- 
sent être.  Quand  la  nature  fait  i^ne  tranâtion  de 
la  plante  ou  dé  la  pierre  au  règne  animal,  nous 
révèle-t-elle  plus  clairement  les  instincts  des  pou* 
Yoirs  organiques?  Le  polype  semble  s'épanouir 
comme  une  plante ,  et  pourtant  c'est  un  animal 
Comme  un  animal^  il  cherché  et  digère  sa  nour- 
riture. Il  polisse  des  bourgeons,  et  ces  bourgeons 
sont  des  animaux  vivans.  Il  les  renouvelle  tant  qu'il 
jouit  d'un  pouvoir  de  renouvellement,  et  cette 
oeuvre,  la  plus  étonnante  de  toutes,  est  le  prodige 
de  la  créature.  Où  y  a-t-il  plus  d'art  que  dans  la 
maison  du  limaçon?  la  cellule  <lfe  l'abeille  peut  à 
peine  lui  être  comparée.  La  toile  de  la  chenille, 
cdle  du  ver- à -soie,  sont  loin  de  l'emporter  sur 
cette  fleur  artificielle.  Et  de  quels  moyens  la  nature 
s'esta  elle  servie  pour  produire  ce  chef-d'œuvre? 
Be  pouvoirs  organiques,  qui,  partagés  entre  un 
très -petit  nombre  de  membres,  sont  réunis  en  un 
faisceau ,  dont  les  volvules ,  en  suivant  pour  la 
plupart  les  progrès  du  soleil,  forment  cette  figure 


cHAprmE  IV.  i59 

É-^uIièrè.  \Les  parties  internes  fournissent  la  ma- 
dère première,  de  tnème  que  l'araignée  tire  sa 
toile  de  ses  entrailles,  et  l'air  n'entre  que  dans  la 
composition  des  parties  les  plus  grossières.  lime 
semble  que  cette  transition  démontre  suffisamment 
à  quelle  cause  il  faut  rapporter  tous  ces  instincts 
et  le  mécanisme  des  animaux  les  plus  ingénieux: 
à  des  pouvoirs  organiques  qui  agissent  dune  ma- 
nière donnée  sur  des  membres  donnés.  Que  ces 
effets  soient  accompagnés  d'une  sensation  plus  ou 
i!noins  vive,  c'est  ce  qui  dépend  des  nerfs  de  la 
créature;  mais  à  ces  premiers  agens  il  faut  ajouter 
des  fibres  et  des  forces  musculaires  ;  et  ces  deux 
systèmes  de  pouvoirs  indépendans  des  nerfs  et 
imbtts  d'une  vie  végétative  qui  se  développe  sans 
s'épuiser,  compensent  suffisamment  dans  la  créature 
ce  qui  lui  manque  en  ner&  et  en  cerveau.  Ainsi  la 
nature  elle-même  hous  conduit  aux  arts  instinctifs 
que  nous  avons  coutume  d'attribuer  plus  spéciale*- 
ment  à  certains  insectes,  parce  que  nous  ne  voyons 
qu'en  petit  leurs  œuvres  et  que  nous  les  comparons 
avec  les  nôtres:  Plus  les  instrumeus  de  la  créature 
sont  distincts  les  uns  des  autres,  plus  soii  irrita- 
bilité est  vive  et  délicate,  et  moins  nous  devrions 
nous  étonner  de  lui  voir  exécuter  des  choses  qui 
sont  interdites  à  dçs  animaux  d'une  structure  plus 
grossière  et  d'une  irritabilité  moins  grande,  quels 
que  soient  d'ailleurs  les  avantages  que  ces  dîerniers 


l4o  LIVRE  m. 

possèdent.  La  petitesse  de  la  créature  çt  la  délica- 
tesse mémç  de  ses  membres  la  ' conduisent  à  Part, 
qui  ne  peut  être  que  le  résultat  de  toutes  ses  sen- 
sations, de  toutes  ses  activités  et  de  toutes  ses 
irritabilités. 

Ici  les  exemples  parleront  plus  clairement  que 
les  principes;  car  par  la  constance  industrieuse 
d'unSivammerdam,  d'un  Réaumur,  d'un  Lyonel, 
d'un  Rœsel  et  de  quelques  autres ,  ces  exem- 
ples ont  été  présentés  sous  un  jour  admirable 
Quand  la  chenille  s'environne  ,  elle  -  même  d  une 
toi][e,  que  fait-elle  dé  plus  que  tant  d'autres  créa- 
tures qui  changent  de  peau  ?  Le  serpent  quitte  sa 
dépouille,  Toiseau  perd  ses  plumes,  et  plusieurs 
quadrupèdes  leur  poil:  par  là  ils  se  rajeunissent 
et' renouvellent  leurs  pouvoirs.  La  chenille  aussi 
se  rajeunit,  mais  d'une  manière  plus  difficile,  plus 
calculée  et  plus  savante.  Elle  se  débarrasse  de  son 
enveloppe  hérissée,  qui  emporte  avec  soi  quelques- 
unes  des  pattes  de  l'animal,  et,  par  une  transition 
ou  plus  lente  Ou  plus  rapide,  elle  apparaît  sous 
une  forme  entièrement  nouvelle.  La  première  pé- 
riode de  sa  vie,  qu'elle  a  employée  sous  la  forme 
de  chenille  à  la  seule  fonction  de  la  nutrition,  lui 
fournit  les  pouvoirs  qui  maintenant  doivent  servir 
à  propager  l'espèce,  et  c'est  pour  cela  que. ses. an- 
neaux se  forment  et  que  ses  membres  se  dévelop- 
pent Ainsi ^  dans  l'organisation:  de  «cette^créature, 


CHAPITRE  IT.  l4l 

la  nature  n'a  fait  que  séparer  par  de  plus  longs 
intervalles  les  diverses  périodes  de  sa  vie  et  les  ins- 
tincts qui  tous  concourent  à  préparer  une  certaine 
métamorphose,  aussi  involontaire  de  la  part  de  la 
créature  que  celle  du  serpent  quand  il  se  dépouille 
de  sa  peau. 

Qu^est-ce  que  la  toile  de  l'araignée,  sinon 
V araignée  elle-même ,  alongée  pour  atteindre  l'ani- 
malcule  dont  elle  se  nourrit?  Comme  le  polype 
étend  ses  bras  pour  étreindre  sa  proie,  comme  elle 
a  reçu  des  griffes  pour  serrer  la  sienne,  de  même 
elle  a,  pour  Tenlacer  dans  ses  pièges,  des  papilles 
entre  lesquelles  se  forme  le  .fil  de  sa  toile.  Les  sucs 
qui  en  composent  le  tissu,  spnt  en  assez  grande 
abondance  pour  l'entretenir  de  filets  pendant  toute 
sa  yie;  mais,  s'ils  viennent  à  lui  manquer,  il  faut 
qu'elle  ait  recours  à  de$.  moyens  violens ,  oru  qu'elle 
meure.  Le  pbuvoir  qui  a  organisé  tout  son  corps 
et  toutes  ses  acuités,  l'a  formée  ainsi  organiquement 
pour  la  fabrication  de  cette  toile. 

La  république  des. abeilles  présente  les  mêmes 
résultats;  chacune  d'elles,  dans  son  espèce  particu- 
lière, est  préparée  pour  un  but  particulier;  et  elles 
s'associent  entre  elles,  parce  qu'aucune  d'elles  ne 
peut  exister  sans  les,  autres.  Les  abeilles  ouvrières 
sont  organisées  pour  aller  quêter  le  miel  et  pour 
construire  les  cellules.  Elles  vont  quêter  le  miel, 
copime  d'autres  animaux"  vOnt  chercher  leUr  nour- 


1 4^  hitRÊ  nu 

riture;  et  aÎDsi  que  lear  manière  de  vivre  reùge, 
elles  en  fom  une  provision  qu'elles  disposent  avec 
ordre.  Elles  cpnstruisent  leurs  cellules  de  même  que 
beaucotip  d'autres  animaux  bâtissent  leurs  habita-i' 
tîons ,  chacun  à  sa  manière.  Quoiqu'elles  n'aient  pas 
de  sexe,  elles  nourrissent  les  jeunes  abeilles  de  la 
roche,  comme  d'autres  nourrissent  leurs  petits,  et 
elles  tuent  les  guêpes  comme  tout  animal  tue  ce- 
lui qui,  en  dérobant  ses  pro vivons,  est  un  fardeau 
pour  sa  Êimille.  Bien  que  tous  ces  effets  &ssent 
supposer  un  système  de  sens  et  une  sorte  de  sen- 
timens,  pourtant  il  n'y  a  là  (jae  le  sentiment,  que 
le  tact  d'une  abeille,  et  ce  n'est  ni  un  pur,  méca- 
nisme tel  que  BuSbn  l'entend ,  ni  une  raison  com- 
pliquée, mathématique  et  politique,  comme  d'an- 
cres le  prétendent  Son  ame  est  enfermée  dans  l'or- 
ganisation et  intimement  unie  à  elle.  Elle  s'y  con- 
forme avec  art  âans  ses  opérations,  mais  dans  un 
cercle  très-rétréci  et  très-limité.  La  ruche  est  son 
monde,  et  le  Créateur  a  divisé  ses  travaux  en  trois 
parties  par  une  triple  organisation. 

Il  ne  faut  pas  non  plus  nous  méprendre  sur  ee 
mot  habileté f  quand  nous  sommes  Irappés  des  arts 
organises  de  divers  animaux,  dès  les  premiers  mo* 
mens  de  leur  naissance.  Notre  halnleté  vient  de  la 
pratique;  il  n'en  est  pas  ainsi  de  ia  leur.  Leur  oi^a- 
nisation  est -elle  complété?  leurs  forces  ont  leur 
entier  développement  Qu'est-ce  qui  dans  b  monde 


CHAPITRE  IV.  145 

a  la  plus  grande  habileté?  h  pierre  qui  tonabe»  la 
plante  iqui  fleurit.  L'une  tombe,  l'autre  fleurit,  con^ 
formément  à  sa  nature.  lie  cristal  se  développe  avec 
plus  d'habileté  et  de  régularité  que  a'en  peut  mon^ 
trer  l'abeille  dans  la  construction  de  sa  cellule,  ou 
l'araignée  dans  le  tissu  de  sa  toile.  Il  n'y  a  dans  la 
matière  brute  qU'un  instinct  aveugle ,  mais  infaillible. 
Dans  l'insecte,  il  est  organisé  pour  servir  divers 
membres  et  divers  instrumens  :  or,  ceux-ci  peuvent 
être  en  défaut,  et  c'est  de  leur  concours  unanime 
à  un  même  but,  que  naît  Thabileté,  aussitôt  que. la 
créature  existe  dans  la  plénitude  de  ses  forces. 

Par  là  nous  voyons  pourquoi,  à  mesure  que  les 
créatures  s'élèv^it,  leurs  instincts  sont  plus  indér- 
terminés,  en  même  temps  que  la  puissance  infail- 
lible de  leur  habileté  va  en  diminuant  Par  exem- 
pl^,  à  mesure  que  le  principe  organique  que  nous 
désignons  par  les  mots  de  forces  de  formation^ 
^ impulsion^  de  sensation ^  de  combinaison  arti- 
ficielle^ fnais  qui  en  dermer  résultat  n'est  qu'un 
seul  et  même  pouvoir  organique»  se  sous -divise 
en  un  plus  grand  nombre  d'organes  et  de  mem- 
bres ;  à  mesure  que  les  sphères  d'action  où  il 
réside  se  multiplient  avec  le$  obstacles  et  les  er?- 
reurs  de  détail,  la  force  de  rinstinct  s'affaiblit, 
et  l'empine  de  la  volonté,  et  par  conséquent  ce- 
lui de  l'erreur,  augmentent  en  égale  proportion. 
U  ÊLut  que  les  sensations  se  tiennent  l'une  l'autre 


i 


/ 


^ 


f 


l44  LIVRE   III.     . 

en  équilibre  et  qu'elles  soient  en  hârpgionie,  entre 
elles.  Salut,  donc,  instiact  tout r puissant,   guide 
infaillible!  L'irritation  obscure^  qtii  dans  une  sphère 
déterminée,  séparée  de  toutes  les  autres,  renferme 
en  soi  une  sorte  d'omniscience  et  d'omnipotence, 
se  partage  alors  en  rameaux  et  en.  branches.  Puis- 
•  qu'elle  reçoit  de  la  nature  moins  de  r  connaissances 
instmctives,   la  créature  capable  d'instruction  est 
obligée  d'apprendre^  il  faut  qu'elle  exerce  ses  forces, 
précisément  parce  qu'elle  est   naturellement  plus 
faible  et  moins  industrieuse  :  mais,  par  l'effet  de 
son  perfectionnement  progressif  et  de  la  division 
de  ses  pouvoirs ,  elle  a  obtenu  de  nouveaux  moyens 
d'actions ,    des   organes  plus   nombreux    et  plus 
parfaits   pour  distinguer    ses   sensations   et   pour 
faire   le  meilleur   choix;   ce   qui   lui  manque  en 
intensité  d'impulsion ,  est  compensa  par  une  com- 
position plus   étendue   et  plus  parfaite. .  Elle  est 
susceptible  d'un  contentement  intérieur  plus  pur  ^ 
elle  fait  un  usage  plus  libre  et  plus  varié  de  ses 
forces  et  de  ses  membres;  et  tout  cela,  parce  que, 
pour  m'exprimer  ainsi,  son  ame  organique  est  dis- 
tribuée avec  plus  de   pureté  et  de  variété  entre 
ses  organes. 

Examinons  maintenant  quelques-unes  de  ces  lois 
admirables  qui  président  au  développement  graduel 
de  la  créature,  et  cherchons  par  quels  moyens 
le  Créateur  l'a  accoutumée  peu  à  peu  à  combiner 


CHAPITRE  V-  145 

plusieurs  idées  ou  sentimens^  et  à  se  servir  libre- 
menti  dans  une  sphère  donnée j  de  plusieurs  sens 
et  de  plusieurs  membres, 

CHAPITRE  V. 

Par  quelle  progression  la  créature  s'élève 
*jusqua  combiner  plusieurs  idées  entre 
elles,  et  à  faire  un  usage  plus  libre  de 
ses  sens  et  de  ses  membres. 

1.  Un  instinct  obscur,  mais  puissant,  voilà  tout 
ce  que  la  nature  inanimée  possède.  Les  parties  se 
pressent  Tune  l'autre  par  des'  énergies  internes; 
toute  créature  tend  à  acquérir  une  forme  qu'elle 
se  donne  elle-même.  Tout  est  donc  renfermé  dans 
cet  instinct  qui  se  répand  indestructiblément  sur 
tout  Têtre.  La  plus  petite  partie  d'un  cristal  ou 
d  un  sel  est  un  sel  ou  un  cristal  :  indivisible  au 
dehors,  indestructible  au  dedans,  la  force  de  for- 
mation agit  9ur  chacune  des  parties  les  plus  petites 
aussi  bien  que  sur  le  tout 

2.  Les  plantes  se  composent  de  tubes  et  d'autres 
parties  y  dont  il  est  inutile  ici  de  faire  le  détai}. 
Dans  ces  parties,  Tinstinct  commence  à  se  modi- 
fier, quoique  dans  le  tout  il  opère  encore  d'une 
manière  uniforme.  La  racine ,  la  tige  et  les  branches 
sont  toutes  des  absprbans;  mais  elles  agissent  de 
différentes  manières,  par  différens  conduits  et  sur 

J.  10 


l46  LIVRE  m. 

> 

différentes  substances.  L'instmct  du  Tout  qui  se 
modifie  avec  elles  et  en  elles,  reste  identique  et 
indivisible  dans  le  Tout;  car  la  propagation  n'esl 
en  elle-même  rien  autre  que  la  floraison  de  la 
croissance^  et  ces  deul  penchans  sont  essentiels 
à  la  nature  de  la  créature. 

3.  Dans  les  zoophytes  la  nature  commence  im- 
perceptiblement à  séparer  certains  organes  et  avec 
eux,  leurs  pouvoirs  inhérens  :  les  organes  de  la 
nutrition  deviennent  visibles;  le  fruit  se  détache 
déjà  dans  le  sein  de  la  mère,  quoiqu'il  continue  à 
être  nourri  comme  une  plante.  Plusieurs  polypes 
sont  les  rejetons  d'une  seule  et  même  tige;  la  nature 
a  fixé  leur  place ,  et  les  a  dispensés  de  la  locomo- 
tion. Le  limaçon  a  un  pied  large  pour  fiiir  dans  sa 
maison.  Les  sens  de  cette  créature  sont  obtus  et 

'  confus;  ses  penchans  ajgissent  avec  lenteur,  mais 
avec  une  force  intime;  la  copulation  du  limaçon 
dure  plusieurs  jours.  Ainsi,  autant  qu'elfe  le  pou- 
vait,  la  nature  a  dispensé  ce  commencement  a  or- 
ganisation vitale,  de  la  variété  d'action^  qu'elle  a 
concentrée*  dans  un  mouvement  simple  et  obtus: 

'  la  vie  tenace  du  limaçon  est  presque  indestructible. 

4.  En  s'élevant  à  un  degré  plus  haut  dans  l'échelle 
animale ,  elle  continue  à  observer  avec  sagesse  la 
même  précaution  pour  préparer  la  créature  à  une 
plus  grande  variété  de  sens  et  d'instincts.  Lm- 
secte  ne  peut  accomplir  en  une  seule  fois  tout 


CHAPITRE   V.  147 

ce  qu'il  doit  accomplir:  il  faut  donc  qu'il  change 
de  forme  et  d'être  ;  d'abord ,  sous  la  figure  de  la 
chenille,  il  satisfit  au  penchant  de  la  nutrition, 
et  ensuite,  cçmme  papillpn,  à  celui  de  la  pro- 
pagation* Il  lui  eût  été  impossible  de  remplir  ces 
deux  destinées ,  s'il  n'eût  eu  qu'une  seule  forme. 
Une  espèce  seule -(Tabeilles  ne  pourrait  suffire  à 
tout  ce  qu'exigent  les  besoins  et  la  propagation 
du  genre  :  aussi  la  nature  les  a  divisées  en  trois 
classes;  la  première  faite  pour  travailler,  la  se- 
conde pour. féconder  et  la  troisième  pour  per- 
pétuer l'espèce.  U  ne  lui  a  fallu  que  modifier  très- 
faiblement  l'organisation  pour  donner  aux  pou- 
voirs de  la  créature  une  direction  nouvelle.  Le 
résultai  quHl  lui  était  impossible  dratteindre  par 
le  moyen  d^un  seul  modèle  ^  elle  Va  obtenu  en 
divisant  le  modèle  en  trois  parties  y  en  rapport 
Puhe  avec  Foutre^  comme  les  fr'agmens  d^un  tout. 
Ainsi  elle  a  partagé  la:  mission  des  abeilles  entre 
trois  espèces,  comjne  die  a  enseigné  au  papillon 
et  à  d'autres  insectes  leurs  innocens  travaux  sous 
deux'foirmés  différentes. 

5.  A  mesure  qu'elle  avance  dans  sa  marche  pro- 
gressive et' qu'elle  cherche  à  multiplier  les  sens  et 
à  les  unir  à  l'action  de  la  volonté,  elle  fait  dispa- 
raître les  membres  inutiles  et  simplifie  la  structure 
interné  et  externe.  En  se  dévètissant  de  sa  peau,  la 
chenille  se  débarrasse  de  cette  multitude  de  pieds 


l48  UTRE  111/ 

qui  ne  seront  plus  nécessaires  au  papillon.  Les 
créatures  plus  relevées  sont  loin  d'avoir  autant  de 
pieds  que  les  insectes ,  ni  autant  d'yeux  avec  toutes 
-les  variétés  qu'ils  présentent,  ni  leurs  antennes  et 
beaucoup  d'autres  de  leurs  petits  instrumens.  La 
tète  de  ces  derniers  ne  renferme  qu'un  cerveau 
très -peu  volumineux.  Il  a  son  siège  très -bas  en 
avant  de  la  moelle  épinière,  et  chaque  ganglion 
nerveux  constitue  un  nouveau  centre  de  sensation. 
Ainsi  l'ame  du  petit  artiste  est  répandue  dans  tout 
son  corps.  Plus  la  créature  devait  recevoir  dç  spon- 
tanéité  et  d'intelligence,  plus  son  cerveau  est  grand 
et  perfectionné;  et  de  là,  les  trois  parties  princi- 
pales du  corps  sont  entre  elles  dans  des  rapports 
plus  exacts  que  dans  les  insectes,  les  vers,  etc., 
où  elles  manquent  entièrement  de  proportion. 
L'amphibie  traîne  après  lui  une  queue  d'une  force 
et  d'une  grosseur  énormes;  mais  ses  pieds  sont 
difformes  et  mal  assortis  entre  eux.  La  nature  a 
relevé  son  buvrâge  dans  les  quadrupèdes  :  les  jambes 
sont  plus  longues  et  se  rapprochent  davantage  l'une 
de  Tautre;  la  queue,  avec  la  portion  de  la  ver- 
tèbre qui  s'umt  à  elle,  se  raccourdt  et  diminue; 
elle  perd  la  force  musculaire  qu'elle  a. dans  le  cro- 
codile, et  devient  plus  flexible  et  plus  mince;  dans 
les  animaux  les  plus  par&its,  elle  n'est  plus  qu'un 
rameau  chevelu ,  qui  à  la  fin  disparait  entièreipent 
lorsque  la  nsAure  approche  de  la  forihe  droite  :  la 


CHAPITRE  y.  149 

moelle  en  est  portée  plus  haut,  et  se  répand  dans 
des  parties  plus  nobles. 

6.   En  même  temps  que  l'artisan  créateur  éta* 
blissalt  dans  le  quadrupède  la  proportion  la  plus 
convenable  pour  l'instruire  à  exercer  certains  sens  ^ 
certains  pàw^oirs  combinés  ^  et  à  les  concentrer  dans^ 
une  seule  forme  de  pensée  et  de  sensation ,  il  chan- 
geait la  figure  de  chaque  espèce  suivant  la  manière 
de  vivre  à  laquelle  il  la  destinait,  et  avec  les  mêmes 
parties  et  les  mêmes  membres  il  composait  pour 
chaque,  genre  une  harmonie  propre,  et  déposait 
dans  chacun  d'eux  une  intelligence  particulière  et 
dijflférente  de  toutes  les  autres.   Cependant  il  ne 
laissait  pas  de  maintenir  une  certaine  ressemblance 
entre  les  destinées  des  êtres,  et  tout  parut  indiquer 
qu'il  poursuivait  une  grande  fin.  Cette  grande  fin 
est  évidemment  d'approcher  par  degré  de  la  forme 
organique  qui  s'accorde  avec  la  plus  grande  com- 
binaison d'idées,  et  l'usage  le  plus  varié  et  le  plus 
libre  de  divers  sens  et  de  divers  membres  ;  et  c'est 
là  ce  qui  constitue  le  plus  ou  le  moins  d^ùmanité 
des  animaux.   Ce  n'est  point  ici,  il  est  vrai,  un 
artifice  de  la  volonté ,  mais  un  résultat  de  diverses 
formes,  qui  ne  pouvaient  être  combinées  que  pour 
remplir  le  but  particulier  que  la  nature  leura  assigné, 
c'estrà-dire,  pour  mettre  en  oeuvre  des  pensées,  des 
sens ,  des  instincts  et  des  désirs ,  dans  telle  propor- 
tion ,  pour  telle  fin  et  non  pas  pour  telle  autre. 


i5o  uvRE  m* 

Les  parties  de  chaque  animal  sont  Tune  à  l'autre 
dans  la  proportion  la  plus  exacte,  selon  la  place 
qu'elles  occupent,  et  je  suis  persuadé  que  toutes 
les  formes  sous  lesquelles  peut  exister  une  créature 
vivante  sur  la  terre,  exbtent  réellement  Les  ani- 
maux marchent  à  quatre  pdttes,  parce  qu'ils  ne 
peuvent  pas  ,se  servir  de  leurs  pieds  de  devant, 
comme,  de  mains  humaines  ;  mais  par  cela  même, 
il  leur  est  plus  facile  de  grimper,  de.  courir,  de 
sauter,  et  de  mettre  en  action  leurs  autres  sens 
instinctifs.  Ils  ont  la  tète  penchée  vers  la  terre, 
parce  qu'ils,  tirent  leur  nourriture  du  sol  :  la  plu- 
part d'entre  eux  ont  l'odorat  très  ^délicat,  parce 
qu'il  doit  éteiller  ou  guider  leur  iâstinct  L'un  a 
pour  lui  une  vue  perçame ,  l'autre  l'excellence  de 
l'ouïe 3  et  ainsi  la  nature  a  choisi,  non^seulement 
dans  la  iconstitution  générale  des  quadrupèdes ,  mais 
encore  dans  la  formation  de  chaque  espèce  en  par- 
ticulier, le  système  d& pouvoirs  et  de  sens.tpii  de- 
vait le  mieux  s'exercer  dans  une  pareille  organisa-^ 
tion.  D'après  ce^,  elle  '  a  '  ou  Taccourci  ou  alongé 
les  membres;  elle  a  augmenté  .ou  diminué  la  force. 
Toute  créature  est  un  numérateur  du  grand  déno- 
minateur, qui .  e^t  la  nature  même  :  l'homme  lui- 
même  n'est  qu'une  fraction  du  tout,  un  ensemble 
de  pouvoirs  qui  ont  à  se  former  eux-mêmes  en  un 
seul  tout ,  suivant  tçUe  organisation  et  non  pas  telle 
autre,  par  le  concours  général  de  divers  membres. 


CHAPITRE  V.  l5l 

'  ^  Il  faut  nécessairement ,  dans  une  organisation 
terrestre  ainsi  établie,  qu^ aucun  pow^oir^  qu^ aucun 
penchant  n^en  détruise  un  autre;  et  c'est  une  chose 
merveilleuse  que  le  soin  que  la  nature  met  à  remplir 
ce  but.  La  plupart  des  animaux  ont  leur  cîimat  pro^ 
prej  qui  est  précisément  celui  où  ils  peuvent  le  plus 
aisément  se  nourrir  et  propager  leur  espèce.  Que 
la  nature  les  eût  organisés  d'une  manière  plus  indé- 
terminée, avec  la  faculté  de  supporter  divers  cli- 
mats; à  quels  besoins,  à  quel  isolement  plusieurs 
espèces  n'eussent  -  elles  pas  été.  exposées,  si  bien 
qu'elles  eussent  fini  par  périr?  Cest  ce  que  nous 
vojons  par  les  espèces  les  plus  flexibles  et  qui  ont 
suivi  l'homme  dans  toutes  les  contrées.  Chaque 
pays  leur  a  laissé  une  empreinte  particulière,  et 
le  chien  est  un  des  animaux  les  plus  féroces  lors'-^ 
qu'il  devient  sauvage.  L'instinct  de  la  propagation, 
augmenterait  encore  la  férocité  de  la  créature^  s'il 
était  enfermé  dans  des  limites  moins  détenninées; 
mais  il  a  été  enchaîné  par  le  Créateur.  Il  ne  s'éveille 
qu'à. une  certaine  époque,  quand  la  chaleur  orga- 
nique de  l'animal  est  au  plus  haut  degré;  et  comme 
cet  effet  dépend  des  révolutions  physiques  de  la 
croissance,  de  celles  des  saisons,  de  l'abondance  de 
la  nourriture,  et  que  d  ailleurs  le  suprême  ordon- 
nateur des  choses  a  déterminé  le  temps  de  la  gesta- 
tion ,  il  y  a  autant  de  précautions  prises  pour  l'en- 
&nce  que  pour  l'âge  mûr.  Le  nouveau -né  arrive 


l5a       '  LIVHE  MI. 

I- 

dans  le  monde,  s'il  est  en  état  d'y  prospérer  Jpti 
il  passe  la  mauvaise  saison  enfermé  dans  un  oeuf^ 
jusqu'à  ce  qu'il  soit  éveillé  par  un  soleil  plus  bien- 
veillant; l'adulte  ne  sent  en  lui  la  force  de  cet  ins- 
tinct,  que  quand  il  n'en  contracte  plus  d'autres: 
c'est  aussi  par  là  que  s'établissent  les  rapports  des 
espèces  dans  la  durée  et  la  force  de  ce  penchant. 

On  ne  peut  dire  avec  quelle  affection  toute  ma- 
ternelle la  nature  a  suivi  cette  marche  dans  Tédu^ 
cation  de  la  créature  vivante ,  qu'elle  a  accoutumée 
peu  à  peu  au  genre  d'actions,  <^e  pensées  et  de 
vertus  qui  convenaient  à  l'organisation  dont  elle 
l'avait  pourvue  :,elle  ^préconçu  cet  ordre,  quand 
elle  a  déposé  ces  pouvoirs  dans  une  organisation 
donnée,  et  qu'elle  a  fait  à  la  créature  une  loi  de 
voir,  de  désirer  et  d'agir  dans  cette  organisation, 
de  la  manière  qu'elle  prévoyait,  et  selon  les  be- 
soins,  les  pouvoirs,  l'espace  qu'elle  lui  donnait 
dans  les  hmites  de  ce  tout  organique. 

Il  n'est  pas  de  vertus,  de  penchans  dans  le  coeur 
humain,  qui  n'aient  quelque  part  dans  le  monde 
animé,  un  point  correspondant  auquel  la  mère  de 
toutes  les  formes  a  accoutumé  organiquement  l'ani- 
mal. Il  faut  qu'il  pourvoie  à  ses  propres  besoins; 
il  faut  qu'il  apprenne  à  aimer  ses  petits.  La  néces- 
sité étales  saisons  l'obligent  à  se  réunir  en  soâété 
avec  les  individus  de  son  espèce,  quand. ce  ne 
serait  que  pour  avoir  des  compagnons  de  voyage. 


CHAPITRE  T.  l55 

L'instînét  pousse  tel  animal  à  Tamour;  la  nécessité 
conduit  tel  autre  au  mariage,  à  une  sorte  de  répu- 
blique et  d'ordre  social.  Quelque  confus  que  soit 
ce  fait  intérieur,  et  quelque  courte  que  soit  la 
durée  de  son  action,  il  est  empreint  dans  la  nature 
de  l'animal,  il  s'y  manifeste  avec  évidence,  et  ses 
retours  sont  irrésistibles,  indestructibles.  A  mesure 
que  ses  opérations  se  concentrent  davantage  dans 
la  profondeur  de  l'organisme,  qu'elles  sont  plus 
confuses,  à  mesure  qu'il  y  a  moins  de  pensées  en 
mouvement,  et  que  la  for4|  d'impulsion  agit  plus 
rarement,  l'instinct  a  plus  d'empire  et  ses  effets 
sont  plqs  parÊûts.  Ainsi  partout  se  reproduisent, 
dans  la  sphère  où  les  animaux  se  développent,  des 
représentations  de  certains  actes  propres  à  l'espèce 
humaine;  et  s'il  est  un  péché  contre  nature,  c'est 
de  s'obstiner  à  les  considérer  comme  des  machines, 
quand  nous  voyons  de  nos  yeux  leur  système  ner- 
veux ,  leur  constitution ,  qui  ressemblent  aux  nô- 
tres, leurs  besoins  et  leurs  genres  de  vie  qtû  sont 
les  méme$. 

U  ne  faut  donc  pas  s'étonner  que  plus  une  espèce 
ressemble  à  l'homme,  plus  son  art  mécanique  di- 
minue; car  alors  elle  est  déjà  dans  un  cercle  pra- 
tique de  pensées  plus  conformes  à  l'humanité.  Le 
castor,  qui  n'est  autre  qu'un  rat  d'eau,  bâtit  avec, 
art  son  habitation;  le  renard,  le  mulot,  et  d'autres 
animaux  semUables,  ont  leurs  constructions  arti- 


l54  LIVRE  in. 

ficîelles  et  souterraines.  Le  chien,  le  cheval,  le 
chameau,  l'éléphant,  n'ont  pas  besoin  de  ces  arts 
élémentaires;  ils  ont  des  idées  comme  celles  de 
l'homme.  Poussés  par  la  main  plastique  de  la  nature, 
ils  développent  leurs  penchans  comme  il  le  fait 
iui-méme. 

CHAPITRE  VI. 

Différence  organique  entre  Vhomme  et  les 

animaux. 

# 

Cest  une  grande  erreur  que  de  dire  à  la  louange 
de  l'homme,  que  les  pouvoirs  et  les  capacités  de 
toutes  les  autres  espèces  sont  concentrés  en  lui 
avec  la  perfection  la  plus  achevée  :  une  telle  asser- 
tion est  non-seulement  sans  preuves,  mais  elle  se 
détruit  d'elle-même.  Comment  Thomme  pourrait- 
il  en  même  temps  s'épanouir  comme  la  fleur, 
palper  comme  l'araignée,  bâtir  comme  l'abeille, 
sucer  comme  le  papillon,  et  de  plus  posséder  la 
force  inusculaire  du  lion,  la  trompe  de  l'éléphant 
et  l'art  du  castor?  Possède -t- il,  je  dirai  plus, 
comprend -il  un  seul  de  ces  pouvoirs  avec  cette 
intensité  que  l'animal  met  à  en  jouir,  et  à  le  dé- 
velopper? 

D'autre  pan,  il  «n  esi  qui  l'ont,  non  pas  dégradé 
jusqu'au  rang  des  animaux,  mais  entièrement  dé- 
pouillé du  caractère  de  son  espèce;  et  Us  en  ont 


eRAPITRE  YI,  1 55 

fait  un  animal  dégénéré,  qui,  s'efforçant  incessam- 
ment d'atteindre  à  un  plus  haut  degré  de  perfec- 
tion» a  tout-'à-fait  perdu  l'individualité  de  s^n  espèce. 
C'est  ce  qui  est  évidemment  contraire  à  la  vérité 
et  au  témoignage  de  son  histoire  naturelle*  Il  a , 
sans  aucun  doute,  des  qualités  qu  aucun  autre  ani-* 
mal  ne  possède,  et  il  fait  des  actions  dont  le  bien  et 
le  mal  lui  appartiennent  véritablement  en  propre. 
Aucun  animal  n'a  le  langage  de  l'homme  y  et  encore 
moins  ses  écritures,  ses  traditions,  sa  religion,  ses 
droits  et  ses  lois  arbitraires;  en  un  mot,  aucun 
animal  n'a  la  figure,  le  vêtement,  l'habitation,  les 
arts,  la  manière  de  vivre  indépendante,  les  pen- 
chans  indomptés  et  les  opinions  flottantes  qui  dis-* 
tinguent  presque  chaque  individu  du  genre  humain. 
Nous  n'examinons  point  si  tout  cela  est  à  l'avantage 
ou  au  détriment  de  nôtre  espèce  ;  il  suffit  que  ce  ' 
soit  là  son  caractère  dominant.  Puisque  tout  animal 
reste  conforme,  dans  l'ensemble  de  sa  vie,  aux 
qualités  du  genre  dont  il  fait  partie,  et  que  nous 
seuls  avons  fait  un  Dieu  de  notre  volonté  et  non 
de  la  nécessité ,  cette  différence  doit  être  exami- 
née comme  un  fait;  car  c'en  est  un  incontesta- 
blement :  que  si  l'on  demande  comment  Thomme 
est  arrivé  à  cette  différence;  si  elle  est  naturelle, 
bu  circonstantielle  et  acquise  ?  Ces  questions  sont 
d'un  autre  genre  et  n'appartiennent  qu'à  l'histoire.. 
D'ailleurs  la  faculté  qu'il  a  de  se  perfectionner  ou  de 


i56 


Lrmz  m. 


se  corrompre,  et  cfu'aucun  atûmal  ne  partage  avec 
/lui,  est  un  des  caractères  'distinctifs  de  son  espèce. 
Laissant  donc  de  côté  toute  métaphysique,  nous 
nous  bornerons  à  la  physiologie  et  à  l'expérience. 

1,  L^aitUude  de  P homme  est  droite:  en  cela, 
U  a  sur  la  terre  un  caractère  distinctif;  car,  bien 
que  l'ours  ait  aussi  i;ui  pied  large,  et  qu'il  se  tienne 
droit  quand  il  combat;  bien  que  le  singe  et  le 
py gmée  ^  se  mettent  quelquefois  à  marcher  et  à 
courir,  le  corps  dressé,  l'espèce  humaine  est  la 
seule  pour  laquelle  cette  position  soit  naturelle  et 
constante.  Le.  pied  de  l'homme  est  plus  ferme  et 
plus  large;  son  orteil  est  gros  et  long,  tandis  que  le 
singe  n'a  qu'un  pouce  opposable;  en  même  temps 
son  talon  est  de  niveau  avec  la  plante  du  pied. 
Tous  les  muscles  doiut  le  concours  est  nécessaire, 
sont  appropriés  à.  ce  mode  de  station.  Le  gras  de 
la  jambe  s'arrondit;  le  bassin  se  retire  en  arrière; 
l'épine  du  dos  est  moins  courbée;  la  poitrine 
s'élargit;  les  épaules  ont  des  clavicules;  les  mains 
ont  des  doigts  exercés  au  toucher  :  pour  couron- 
ner son  organisation ,  la  tète,  en  se  retirant,  s'élève 
sur  les  muscles  du  cou.  L'homme  est  ecyOçcûTfeç^i 
il  regarde  au  loin,  au-dessus  et  autour  de  Ijui. 

Il  Ëiut  avouer  toutefois  que  ce  mode  de  station 
n'est  pas  teUement  essentiel  à  l'homme,  que  le 

1.  Le  simia  troglodytes  de  Linné. 

a.  De  flevA»,  en  haut,  et  de  ^tafitâ^  regarder. 


# 


CHAPITRE  tl.  *  l57 

contraire  lui  sôit  aussi  impossible  que  de  voler; 
non-seulement  cela  se  voit  par  les  enfans,  mais 
encore  l'expérience  la  démontré  par  l'exemple  dés 
hommes  qui  ont  été  élevés'  au  milieu  des  animaux. 
On  connaît  onze  ou  douze  exemples  de  ce  genre  % 
et  quoiqu'ils  n'aient  pas  été.  tous  suffisamment  ob- 
servés et  décrits,  pourtant  quelques-uns  prouvent 
évidemment  que  la  démarche  la  plus  incommode 
à  l'homme  n'est  pas  impraticable  à  sa  nature  flexible. 
Sa  tête  et  son  abdomen  font  une  légère  saillie;  son 
corps  peut  donc  tomber  en  avant,  comme  quand 
la  tète  penche  dans  le  sommeil.  Nul  corps  privé 
de  vie  ne  peut  rester  debout  Ce  n'es^t  que  par  l'exer- 
cice combiné  d'actions  innombrables  que  notre 
manière  artificielle  de  nous  tenir  droit  et  de  mar- 
cher, devient  possible. 

Ainsi ,  on  peut  concevoir  aisément  qu'en  se 
prêtant  à  la  démarche  des  quadrupèdes,  plusieurs 
membres  du  corps  humain  doivent  changer  de 
fomies  et  de  proportions  ;  c'est  ce  que  l'on  voit 
par  les  hommes  sauvages.  L'enfant  irlandais,  décrit 
par  Tulpius,  avait  le  front  plat,  l'occiput  élevé, 
le  gosier  alongé  et  d'où  sortait  une  espèce  de  bêle- 
ment, la  langue  épaisse  et  qui  totiçbait  presque 
au  palais,  et  le  creux  de  l'estomac  profondément 
enfoncé  :  c'est  précisément  ce  qui  doit  arriver  dans 

1.  Voyez  le  Système  naturel  de  Lionéj  le  Supplément  de 
Martini  à  Baffbn,  etc. 


• 


l58  .  LITRE  m. 

ta  marche  quadrupède.  Là  jeune  611e 'flamande,  qui 
marchait'  droite,  et  qui   conservait  encore  beau- 
coup de  choses  de  la  nature  de  la  femme, x^omme 
de  se  parer  d'un  tablier  de  paille,  avait  la  peau 
brune,  épaisse  et  velue,  et  de  longs  cheveux  épais. 
La  jeune  fiUe  trouvée  à  Songi,  en  Champagne, 
avait  Tair  ^sombre  et  hagard  ;  ses  doigts  étaient  sin- 
gulièrement nerveux  et  ses  ongles  d'une  longueur 
démesurée;  ses  pouces  surtout  étaient  si  forts  et  si 
alongés,  qu'elle  s'élançait  d'arbre  en  arbre  comme 
un  écureuil  :  son  pas  rapide  n'-était  pas  celui  de 
la  niarche;  elle  semblait  fuir  en  sautillant  et  en 
glissant;  à  peine  pouvaitron  distinguer  le  mouve- 
ment de  ses  pieds.  Le  son  de  sa  voix  était  faible 
et  tendre  ;   son  cri ,  perçant   et  glacé  :   elle  avait 
une  force  et  une  agilité  extraoïdinaires ,  et  il  lui 
était  si  difficile  de  se  priver  de  sa  nourriture  accou- 
tumée, qiû  se  composait  de  chair  crue  et  saignante, 
de  poisson,  de  feuilles  et  de  fruits,  que  noh-^eu- 
][ement  elle  fit  tous  ses  efforts  pour  échapper  à 
ses  gardiens,  maiis  qu'elle  tomba  dangereusement 
malade,  et  qu'elle  ne  put  trouver  de  soulagement 
qu'en  suçant  du  sang,  chaud ,  qui  glissait  dans  ses 
veines  comme  une  sorte  de  baume.  Ses  dents  et 
ftes  ongles  tombèrent  à  mesure  qu  elle  s'accoutuma 
À  notre  nourriture.   Des  douleurs  insupportables 
resserraient  son  ^estomac  et  ses  entrailles,  particu- 
lièrement l'œsophage,  qui  se  dessécha  et  se  con- 


CHAPITRE  VI.  iSg 

suma;  preuve  incontestable  que  la  nature  flexible 
d'un  être  humain,  même  quand  il  est  lïé  et  a  été 
élevé  pendant  quelque  temps  au  milieu  des  hommes, 
peut  s'habituer  en  peu  d'années  au  mode  inférieur 
de  la  vie  des  animant^  parmi  lesquels  il  a  été  jeté 
par  quelque  hasard  funeste. 

Comment  pourrais -je  décrire  l'odieux  spectacle 
que  l'homme  eût  présenté,  s'il  eût  été  condamné 
par  le  destin  à  être  un  fœtus  animal  dans  le  sein 
d'un  quadrupède?  Quels  sont  ceux  de  ses  pou- 
voirs qui  auraient  été  fortifiés  ou  affaiblis  ?  quelles 
seraient  la  démarche,  l'éducation,  la  manière  de 
vivre,  la  structure  physique  de  l'animal  humain? 
Mais,  loin  de  moi,  image  impie,  image  épouvan- 
table !  monstre  effrayant  dont  la.  Nature  s'indigne! 

0 

tu  n'existes  pas  '^dans  le  monde;  ma  plume  ne 
dessinera  pas  tes  traits. 

2.  Uattitude  droite  de  Vhùmme  n^esi  naturelle 
qu^à  lui;  mais  cette  forme  d^ organisation  est  corn-, 
mune  à  toute  son  espèce  ^  dont  elle  est  le  caractère 
distinctif. 

On  n'a  trouvé  sur  là  terre  aucune  nation  qui 
marchât  sur  les  pieds  et  sur  les  mains.  Les  plus 
sauvages,  quelque  rapprochées  qu'elles  soient  des 
animaux  dans  leurs  formes  et  leur  manière  de  vivre, 
en  diffèrent  toutes  par  le  mode  de  station.  Il  n'est 
pas  jusqu'aux  automates  de  Diodore,  et  à  quelques 
autres  êtres  fabuleux  des  écrivains  de  l'antiquité  et 


l6o  UYRE  III. 

du  moyen  âge,  qui  ne  soient  des  êtres  bipèdes;  et 
je  ne  puis  concevoir,  comment,  l'espèce  humaine, 
si  elle  n'a  reçu  de  la  nature  qu'une  attitude  abjecte 
et  horizontale,  a  pu  jamais  s'élever  à  une  attitude 
si  contrainte  et  si  compliquée.  Que  n'a-t-il  pas  fallu 
pour  accoutumer  à  notre  nourriture  et  à  notre 
manière  de  vivre,  les  hommes  sauvages  que  l'on  a 
découverts  ;  pourtant  ils  n'étaient  pas  sauvages  on- 
^nairementr  et  ne. l'étaient  devenus,  qu'en  demeu- 
rant quelques  années  au  milieu  des  animaux.  La 
jeune  fîUe  de  la  terre  de  Labl^ador  avait  quelques 
idées  de  son  premier  état,  et  die  conservait  quel- 
ques traces  du  langage  et  des  instincts  de  son  pays 
natal  ;  mais  sa  raison  ne  dépassait  pas  le  cercle  de 
l'instinct  animal  :  il  ne  lui  restait  aucun  souyenir 
ni  de  la  traversée,  ni  de  la  vie , sauvage.  Celles 
dont  nous  avons  parlé  plus  haut,  non-seulement 
étaient  privées  de  la  parole ,  mais  semblaient  en 
être  privées  pour  toujours.  —  Et  lanimal  hu- 
main y  s'il  eût  été  pendant  des  siècle^  de .  siècles 
dans  cet  état  abject,  et  que  par  des  proportions 
enlièrement  différentes  il  eût  reçu  la  forme  qua- 
drupède dans  le  sein  de  sa  mère,  eût  abandonné 
cet  état  de  son  propre  mouvement  et  se  fût  élevé 
à  l'attitude  droite  !  De  la  condition  de  l'animal  qui 
le  courbait  vers  la  terre,  comment  eût-il  pu  s'élever 
k  l'état  d'homme,  et  avant  qu'il  ne  fut  homme, 
inventer  la  parolle  humaine  ?  Si  l'homme  eût  corn^ 


CHAPITRE. VI.  .  l6l 

nencé  par  marcher  sur  les  pieds  et  sur  les  mains, 
issurément  il  n'aurait  point  changé;  et  il  n'y  a  que 
le  prodige  d'une  seconde  création  qui  eût  fait  de 
lui  ce  qu'il  est  maintenant,  et  ce  que  son  histoire 
et  l'expérience  nous  attestent  à  chaque  pas» 

Pourquoi  donc   embrasserions -nous  des  para* 
doxes  dénués  de  preuves ,  et  même  entièrenient 
contradictoires,  quand  la  constitution  de  l'homme, 
l'histoire  de  son  espèce,  et,  comme  je  le  pense', 
toute   l'analogie  de  l'organisation  terrestre,  nous 
conduisent  à  d'autres  résultats.  De  toutes  les  Créa- 
tures que  nous  connaissons,  aucune  ne  s'est  éloi- 
gnée de  son  or gtinisaiion  .  originelle,  jusqu'à  se 
prêter  à  une  autre  qui  soit  inconciliable  avec  la 
première.  Elles  ne  peuvent  agir  qu'avec  les  pou- 
voirs inhérens  à  leur  organisation,  et  la  nature  né 
manque  pas  de  moyens  pour  retenir  chaque  créa- 
ture dans  la  sphère  quelle  lui  a  assignée.  Tout,  dans 
rhomme,  est  approprié  à  la  forme  que  nous  lui 
voyons  maintenant  C'est  par  elle  que  tout  s'ex- 
plique dans  son  histoire:  sans  elle.il  n'y  a  plus 
qu'obscurité  et  contradiction  ;  et  puisque  toutes  les 
formes  de  la  création  aniinale  semblent  converger 
à  la  sienne,  conune  à  l'image  élevée  de  la  divinité 
et  à  la  b^uté  la  fins  achevée,  la  plus  par&ite 
que  la  terre  puisse  présenter;  puisque  sans  elle  le 
monde  serait  privé  de  son  ornement  suprême  et 
de  sa  couronne,  comme  si  la  dokninatton  de  l'homme 
I.  Il 


l62  LIVRE  IIL  CHAPITRE  TI. 

xnanquait  à  FtimTers;  pourquoi  abaisserions -nous 
dans  1«  poussière  le  diadème  de  notre  destinée,  et 
Armerions  -  nous  obstinément  les  yeux  à  l'édat 
dont  resplendit  ce  point  central  dans  lequel  pa- 
raissent se  réunir  tous  les  rayons  du  cercle. 

Quand  l'auteur  des  choses  eut  achevé  son  ouvrage 
et  ^uisé  en  apparence  toutes  les  formes  posnbles 
sur  notre  terre,  il  s'arrêta  et  contempla  le  produit 
de  ses  msôns;  et  comme  il  vit  que  la  terre  manquait 
encore  de  son  principal  ornement^  de  son  souve- 
rain,  et  d'un  secoi^d  Créateur,  il  prit  conseil  en 
lui  -  même  y  il  combina  entre  elles  les  formes  et 
composa  son  chef-d'œuvre,  ]ia  beauté  humaine 
Avec  une  affection  de  përe,  il  tendit  la  main  à 
la  dernière  créature  de  sa  pensée,  et  liû  dit  :  Sois 
débout  sur  la  terre!  Abandonné  à  toi-même,  ta 
eus  été  un  animal ,  semblable  aux  autres  animaux; 
mais  par  mon  appui  et  mon  amour,  marche  la 
iéte  levée  y  et  sois  le  Dieu  des  animaux. 

Considérons,  avec  des  yeux  de  reconnaissance, 
dans  cet  acte  sacré,  le  bienfait  qui  fit  de  nôtre  race 
une  espèce  véritablement  humaine;  nous  remar- 
querons avec  admiration  quel  nouvel  ordre  de  pou- 
voirs commença  avec  l'attitude  droite  de  l'homme, 
et  comment  par  cela  seul  l'homme  devint  Houbie. 


LITRE  IV.   CHAPITRE  I.  l6S 


LIVRE  IV. 


CHAPITRE  PREMIER. 

Lhomme  est  par  son  organisation  'hn^  être 

raisonnable. 

L'orang-outang  ressemble  intérieurement  et  ex- 
térieurement  à  Thomme;  son  cerveau  a  la  même 
forme;  il  a  d'ailleurs  la  poitrine  large,  les  épaules 
plates j  son  visage.se  rapproche  du  nôtre,  et  son 
crâne  est  jeté  dans  le  même  moule.  Son  cœur, 
ses  poumons,  le  foie,  la  rate,  Testcmiac  et  les  in- 
testins sont  semblables  à  ceux  de  l'homme.  Tyson  ^ 
a  distingué  qqarante  -  huit  parties  dans  lesquelles 
il  ressemble  plus  à  notre  espèce  qu'à  celle  du 
singe;  et  les  actions  que  Ton  raconte  de  lui  jus- 
<{u'à  ses  vices  et  ses  folies,  et  probablement  aussi 
sa  menstruation ,  présentent  des  similitudes  avec 
Tespèce  humaine. 

n  est  donc  incontestable  que  dans  jses  actes  in- 
ternes, dans  les  opérations  de  sa  pensée,  il  doit 
présenter  aussi  quelque  ressemblance  avec  l'homme, 
et  les  philosophes  qui  voudraient  ne  voir  en  lui 

I.  Tjrson^s  Anatomy  of  a  pygmy  compared  with  that  of  a 
McnhffTf  an  ape,  and  à  mo/i.  Lond.^  175 1|  pa^i,  99-»^4- 


i64 .  iivRE  ir: 

qu'une  simple  machine  animale,  manqueraient  à 
n'en'  pas  douter  de  termes  de   comparaison.  Le 
castor  se  bâtit  une  habitation,  mais  il  n'obât  qu'à 
l'instinct;  tout  le  mécanisme  de  son  être  est  com- 
biné pour  cette  opération  :  mais  il  ne  peut  rien 
faire  de  plus,  ni  s'associer  avec  l'homme,  ni  pren- 
dre part  à  ses  idées  et  à  ses  passions.   Le  singe, 
au  contraire,  n'a  pas  un  instinct  déterminé;  son 
mode  de  pensée,  qui  touche  d'une  part  aux  limites 
de  la  raison  y  ne  quitte  pas  le  champ  de  l'imitatioD. 
Il  .imite  tout,  et  ainsi  il  Êiut  que  son  cerveau  soit 
propre  à  des  milliers  de  combinaisons  d'idées  sen- 
sibles ,  dont  aucun  autre  animaf  n'est  capable  ;  car 
ni  le  sage  éléphant ,  ni  ne  chien  industrieux,  ne 
peuvent  faire  ce  que  Ëdt  le  singe.  Que  serait-ce, 
s'il  se  perfectionnait  lui  -  même  I  mais  c'est  ce  qui 
lui  est  impossible  ;  il  y  trouve  un  t>bstaclé  invin- 
cible :  son  cerveau  est  incapable  de  combiner  avec 
«es  propres  idées  celles  d'autrui,  et  de  faire  ce  qu'il 
imite  comme  une  chose  qui  lui  serait  propre.  La 
femelle  décrite  par  Bontius,  avait  une  sorte  de 
modestie  et  se  voilait  de  sa  main  quand  un  étranger 
entrait  :  elle  soupirait ,  pleurait  et  semblait  accom- 
plir des  actions  humaines.  Les  )  singes  dont  parle 
Battel,  marchent  en  sociétés,  s'arment  de  massues, 
et  chassent  les  éléphans  de  leur  voisinage.  Le  singe 
que  de  la  Brosse  mettait  à  table,  se  servait  d'un 
couteau  et  d'une  fourchette;  il  était  susceptible  de 


CHAPITRE  I.  .l65 

tnstesse,  de  confiante  et  de  toutes  les:  passions  hu- 
maines. L'aihour  des  mères  pour  leurs  petits,  leur 
éducation,  la  manière  dont  elles  leur  apprennent 
les  arts  et  les  ruses  de  la  ^ie  des  singes,  les  régle- 
mens  de  leur  société  j  les  châtimens  qu'ils  infligent 
aux  malfaiteurs ,  ~  jusqu'à  leurs  tours  plaisans  et 
leurs  malices ,  prouvent  par  .  un  grand  nombre 
d'exemples  incontestables,  «.que  ces  créatures  res- 
semblent intérieur^nent  à  l'homme'  autant'  que 
Tindiqué  leur  extérieur.  C'est  en  vain  que  Bufibn 
prodigue  les  efforts  de  son  giénie,  quand  à  l'occa- 
sioB  de  ces  animaux  il  combat  la  ressemblance  de 
l'organisme  interne  avec  l'organisme  externe.  Les 
&its  qu'il  a  lui'^mème  rassemblés  suffisent  pour  le 
réfuter;  et  l'uniformité  de  l'organisme,  au  dedans 
et  au  dehors,  si  elle  est  bien  définie^  est  tellement 
manifeste  qaon  la  saisit  à  travers  toutes  les  formes 
de  l'être  animé. 

D'où  vient  donc  qu'un  être  si  semblable  à 
l'homme  n'est  pas  homme?  C'est  peut-être  uni- 
<{uement  du  langage?  Mais  on  a  pris  la  peine  d'eu 
élever  plusieurs;  et  si  cet  animal,  qui  imite  tout, 
pouvait  reproduire  la  parole,  c'est  ce  qu'il  aiu^it 
commencé  par  imiter  sans  attendre  qu'on  -  l'eût 
instruit j  n'est-ce  que  l'organe  qui  lui  manque? 
Non,  certainement;  car,  bien  qu'il  comprenne  ce 
qu'il  y  a. de  vulgaire  dans  le  langage.de  l'homme, 
fit  qu'il  ne  cesse  de  gesticuler,  pourtaiit  le  singe 


l66  LIVRE  iv. 

I 

n'a  jamais  acq[tiis  k  faculté  de  converser  par  la 
pamomime  avec  son  maître,  et  de  discourir  par 
gestes.  Il  Ëiut  donc  chercher  ailleurs  pour  quelle 
raison  l'intelligence  humaine  a  été  refusée  à  cette 
créature,  qui  peut -être  m  a  un  obscur  pressenti- 
ment ,  sans  être  pour  cela  plus  en  état  darriver 
jusqu'à  elk.  ^  • 

Or,  comment  l'eicpliquer ?  Il  est  ranarquable 
que  presque  toute  la  différence  que  la  dissection 
découvre  entre  ces  deux  êtres  parait  consister  dps 
les  pOiriies  appropriées  à  la  marche.  Le  ^inge  est 
formé  comme  pour  la  station  droite  ;  aussi  est-il 
plus  semblable  à  Thomme  que  ses  frères  ;  naos  il 
n'est  pas  formé  en  ^itiér  pour  cela,  et  cette  Mfr 
rence  semble  le  priver  de  tous  ses  autres  avantages. 
Suivons  cette  lueur,  et  la  nature  die- même  now 
guidera  dans  le  sentier  où  nous  devons  chercher 
les  premiers  fondemens  de  la  supériorité  de  rbomme. 
L'orang  -  outang  ^  a  les  bras  longs ,  les  mains 
grosses,  les  jambes  courtes,  et  les  pieds  gros  avec 

1.  Vdyex  Camper  :  Kort  Berigt  wegens  de  Ontleding  van 
versehiedene  Orang-Outangs  ^  Mémoire  abrégé  sur  la  dissection 
de  quelques  orasg-oBjUngs)  Amsterdam^  1786.  Xe  ne  eonsais 
ce  Mémoire  que  par  le  long  extrait  qui  en  a  été  fait  dans  » 
Revue  littéraire  de  Gœttingne  (Gœttingisehe  geUkrte  Jmeigent 
Zugabe^  St,  29 j  1780),  et  il  faut  espérer  que  cet  ourrage» 
ainsi  que  ITEssaî  sur  les  organes  de  la  parole  dans  les  singes i 
seront  insérés  dans  la  coUeàion  des  Traités  de  ce  célèbre  ana* 
^tomiste.  (Leipsic,  1781.} 


CHAPITRE  I.  I&J 

des  doigts  Congés  ;  mais  le  pouce  dé  la  niain  et 
le  grand  orteil  du  pied  sont  comparativement  très- 
petits.  Bufibn ,  et  Tyson  avant  lui ,  donnent  d'après 
cela  au  ange  le  nom  d'e^èce  quadrumane  ;  et  il 
est  évident  que  la  base  qui  permet  à  l'homme  de  se 
tenirdroit,  manque  au  singe,  à  cause  de  la  petitesse  de 
ces  articulations  :  la  partie  postérieure  de  son  corps 
est  amaigrie;  ses  genoux  sont  plus  gros  que  ceux 
de  l'homme  et  placés  plus  haut  Les  muscles  qui 
meuvent  les  genoux  partent  d.e  l'os  de  la  cuisse 
plus  bias  que  dans  l'hoipme^  de  tdle  sorte  que 
ranimai  ne  peut  jamais  se  tenir  parfaiteme;nt  droit; 
mais^  avec  ses  genoux  arqués,  il  semble  pour  ainsi 
dire  apprendre  à  se  dresser*  La  tète  de  l'os  de  la 
cuisse  pend  dans  sa  cavité  sans  aucun  ligament» 
Les  os  du  bassin  sont  comme  ceux  des  quadru- 
pèdes; les  cinq  dernières  vertèbres  du  cou  ont  des 
appendices  longs  et  pointus,  qui  empêchent  la  tète  de 
se  porter  en  arrière.  Ainsi  la  créature  n'est  pas  for- 
mée pour  rester  droite,  et  les  conséquences  qui  en 
résultent  sont  fâcheuses  pour  elle.  Son  cou  est  court 
et  les  clavicules  sont  si  longues  que  la  tête  semble 
enfoncée  entre  les  épaules  ^  Les  parties  antérieures 
prennent  beaucoup  de  développement  ;  les  mâ- 
choires sont  fortement  articulées ,  et  le  nez  est  aplati. 
Les  yeux  sont  placés  près  Tun  de  l'autre  ;  la  pru- 

1.  Voyez  dans  Tyson  une  figure  de  face  et  par  derrièf^. 


l68  LIVRE  IV. 

nelle  4e  l'œil  est  si  petite  qu'on  ne  vdit  aucun  blanc  ; 
au  contraire,  la  bouche  est  grande ,  le  ventre  replet, 
la  poitrine  longue  et  le  dos  très-faiblé*  Les  cavités 
orbitaires  sont  rapprochées  l'une  de  l'autre;  l'arti- 
culation de  la  tête  est  postérieure  comme  chez  les 
autres  animaux,  et  non  plus  centrale  et  apgulaire 
comme  dans  l'homme.  La  mâchoire  inférieure  est 
proéminente  et  l'os  intermaxillaire  achève  de  dé^ 
truire  toute  ressemblance  encre  la  face  du  singe  et 
celle  de  l'homme  ^  Or,  de  la  forme  même  de  la 
tète,  dont  la  partie  inférieure  se  projette  en  aviatnt, 
et  dont  la  partie  postérieure  se  rejette  en  arrière, 
de  la  manière  dont  elle  est  placée  sur  le  cou,  des 
rapports, de  situation  qu'ont  avec  elles  les  vertèbres 
du  dos,  il  résulte  que  le  singe  n'est  qu'un  animal, 
quelque  grande  que  soit  sa  ressemblance  avec 
l'homme. 

Pour  nous  amener  à  cette  conséquence,  consi- 
dérons l'habitude  générale  du  corps  dç  l'homme, 
laquelle  semble  se  rapprocher,  quoique  de  loin,  des 
formes  de  l'animal.  Que  faut-il  pour  le  rabaissera 
nos  yeux  vers  hi  brute  j  pour  lui  donner  un  aspect 
bas  et  hideux  ?  Que  les  *  mâchoires  soient  proémi- 

"    "  '     '  I     ■    ■    *'?■    ■■■INI         ■■■    ■    I  ■■        <  lllllll»!  I      l|l  I    ■!      I  "■ 

1.  Voyez  un  dessin  de  cet  o«  dans  Blumenbacli,  De  generû 
humani  varietate  haiivdy  tab.  i ,  fig.  a  :  mais  il  ne  parait  pas 
que  tous  les  singes  aient  cet  os  intermaxillaire  au  même  degré 
de  développement;  car  Tyson,  dans  son  mémoire  de  difsection, 
dit  positivement  (^ull  ne  Fa,  point  trouvé. 


CHAPITRE  I.  l6g 

nentes,  que  la  tète  sqU  rejetéé  en  arrière  ;  en  un 
mot,  la  ressemblance  la  plus  éloignée  avec  Torga- 
DÎsation  quadrupède.  Au  moment  où  le  centre  dé 
gravité,  sur  lequel  le  crâne  humain  repose  sa 
voûte  âevée,  est  changé;  la  tète  semble  fixée  à 
l'épine,  la  mâehoir^  se  projette  en  avant,  et  lé  nez 
s'élargit  et  s'aplatit  comme  dans  les  brutes.  Au- 
dessus^  les  cavités  orbitaires  se  rapprochent  davsm- 
tage  Tune  de  l'autre  ;  le  front  se  retire  en  arrière , 
et  il  présente  latéralement  cette  dépression  qui, 
daûs  le  eràioe  du  singe,  marque  son  infériorité 
dans  l'échelle  animale;  la  tête  se  termine  en  pointe 
au-dessus  et  par  derrière;  la  cavité  du  crâne  se 
rétrécit,  et  tout  cela  parce  que  la  dirj^ction  de  la 
figure ,  la  forme  dégagée  de  la  tête  dans  l'attitude 
droite  de  l'homme,  est  changée. 

Que  ce  point  seiil  soit  disposé  autrement,   et 
toute  la  forme  s'embellira  et  s'ennoblira.  Le  front 

s  ■ 

se  produira  en  avant;  rempH  de  vastes  pensées,  et 
le  crâne  s'arrondira  en  voûte  avec. un  caractère  im- 
posant de  grandeur  et  de  calme  ;  le  nez  épaté  de 
l'animal  sie  contractera,  et  sa  forme  sera  mieux  des- 
sinée et  plus  délicate;  la  bouche  en  se  retirant  sera 
bordée  et  recouverte  d'un  tissu  plus  précieux,  et 
ainsi  se  formeront  les  lèvres  de  l'homme ,  qui  man- 
quent  aux  espèces  les  plus  remarquables  des  singes* 
Le  menton  s'abaissera  pour  s'arrondir  en  un  ovale 
perpendiculaire;  les  joues  s'enfleront  légèrement. 


170  LVTRM  IV. 

et  Tonl  considérera  les  objets  de  dessous  le  front , 
qui  s'avance  comme  le  temple  sacré  de  ^la  liensée. 
Et  d'où  vient  tout  cela?  de  ce  que  Ja  tète  est  formée 
pour  Tatthude  droite  ;  de  ce  qu'elle  est  intérieure- 
ment et  extérieurement  organisée  pour  un  centre 

• 

particulier  de  gravités  Que  celui  qui  n'en  est  pas 
persuadé  examine  les  crânes  du  singe  etde  l'homme, 
et  il  ne  lui  restera  pas  l'ombre  de  son  doute. 

Toute  forme  externe  dans  la  nature  indique  ses 
opérations  internes;  et  ainsi,  mère  suprême  de 
toutes  choses»  nous  approchons  du  plus  sacré  de 
tes  ouvrages  terrestres,  du  laboratoire  de  l'inteUi- 
gence  humaine  I 

On  s'est  .donné  beaucoiqp  de  peine  pour  corn- 
,  parer  la  masse  du  cerveau  humain  avec  celle  du 
cerveau  des  autres  animaux;  et  pour  avoir  les 
poids  relatifs  des  cerveaux  et  des  corps.  Mais  celte 
manière  de  peser  et  de  calcuder  ne  peut  donner 
aucun  résultat  exact  pour  trois  raisons. 

1.  Parce  que  Tua  des  membres  de  h  compa- 
raison, la  masse  du  corps,  est  trop  indéterminé  et 
ne  conserve  pas  un  rapport  invariable  avec  l'autre 

1.  Je  n^ai  pas  lu  VEssai  de  Daubeaton  sur  les  différences  de 
la  situation  da  grand  trou  occipital  dans  rhomme  etdansles 
animaux  (Mémoires  de  rAcadémie  de  Paris»  i764)-  ^«  ne  saû 
pas  davantage  quelles  sont  les  conséquences  que  Fauteur  en 
diduit,  ni  jusqu^où  il  pouss^  ses  idées.  Les  miennes  me  sont 
fournies  par  Fexamen  à^un  certain  nombre  de  crânes  d^homines 
et  d^aniniaux  que  j'ai  sous  les  yeux. 


CHAPITRE  I.  ^  7  ^ 

4 

membre,  qui  est  détenniné  avec  précision.  Qui  ignora 
combien  il  y  a  peu  d'homogénéité  dans  la  nature 
des  choses  qui  composent  le  poids  d'un  corps  et 
combien  les  proportions  qu'on  serait  tenté  de  leur 
assigner  peuvent  changer!  Le  corps  lourd  de  l'élé- 
phant, aussi  bien  que  sa  tête  massive-,  sofit  allégés 
parle  moyen  de  l'air,  et  quoique  soii  cerveau  ne  smt 
pas  très- volumineux,  il  ne  laisse  pas  que  d'être  le 
plus  intelligent  des  animaux.  Qu'est-ce  qui  pèse  le 
plus  dans  le  corps  de  l'animal  ?  ce  sont  les  os  ; 
or  le  cerveau  ne  leur  est  pas  strictement  propor- 
ûonné. 

2.  Il  est  sans  doute  d'une  grande  importance 
de  savoir  quelle  est  la  fin  à  laquelle  le  cerveau  con- 
court dans  l'économie  animale,  et  la  part  qui  lui 
appartient  dans  les  fonctions  où  il  assiste  les  nerfs. 
Si  donc  le  cerveau  et  le  système  nerveux  étaient 
pesés  ensemble  j  on  obtiendrait  une  proportion  plus 
approximative,  sans  qu'elle  fût  encore  d'une  exac- 
titude rigoureuse;  d'ailleurs  leur  poids  n'indique- 
rait ni  la  délicatesse  des  nerfs,  ni  leur  destination. 

3.  Ainsi,  en  dernière  analyse,  tout  dépend  de 
la.  perfection  de  l'élaboration,  des  rapports  de 
situation  des .  parties  eilitre  elles ,  de  la  capacité  et 
du  «développement  d'une  organisation  où  les  im- 
pressions et  les  perceptions  des.  nerfs  vont  se  com- 
biner avec  une  grande  force ,  avec  une  justesse 
exquise,  avec   une  liberté  et  une  variété  inépui- 


>  1 


i'J^  LIVRE  IV. 

sables,  et  surtout  de  Ténergie  avec ' laquelle  elles 
s'unissent  dans  lentité  divine  et  mystérietise  que 
nous  nommons  pensée^  et  sur  laquelle  nouis  ne 
pouvons  tirer  aucun  éclaircissement  de  l'évalua- 
don  de  la  masse  du  cerveau. 

Toutefois  les  calculs  que  l'expérience  consacre 
sont  précieux  et  méritent  bien  d'être  pris  en  con^ 
sidération^  S'ils  ne  nous  fournissent  aucun  ré- 
sistât définitif,  du  moins  ils  nous^  condûiseùt  à 
des  inductions  préliminaires  dont  l'importance  se 
fait  proihptement  sentir;  j'en  mentionnerai  ici 
quelques-unes  pour  montrer  l'uniformité  ascen- 
dante du  cours  de  la  nature. 

1.  C'est  dans  les  animaux  les  plus  petits/ dans 
ceux  où  la  circulation  et  la  chaleur  organique  ne 
sont  qu'imparfaitement  développés ,  que  4è  cerveau 
présente ,  toute  proportion  gardée ,  un  moindre 
volume ,  et  que  le  système  nerveux  eslt  le  plus 
incomplet.  La  nature,  conime  nous  l'avons  déjà 
remarqué,  a  fait  pour  ces  derniers  en  irritabilité 
intime  ou  expansive,  ce  qu'elle  a  été  obligée  de 

= — ^ • _         ,  ^  . 

1 .  On  trouve  un  grand  nomlire  de  ces  données  dans  le  graVid 
onvrage  de  Haller  sur  la  physiologie ,  et  il  est  bien'  à  désirer 
que  le  professeiir  Wrisberg  fasse  connaître  les  nombreuse^  «x- 
périences  qu'il  indique  dans  ses  Notes  sur  le  petit  Traité  de  la 
physiologie  de  Haller  5  car  nous  verrons  bientât  que  le  poids 
ftpéci£que  du  cerveau,  tel  quHl  Ta  évalué,  est  un  type  plus 
«zact  €fvkt  celui  qiii  a  été  employé  dans  les  calculs  pirécédeoi. 


CHAPITRS  I.  1 75 

leur  refuser  en  .sensibilité  ;  car  il  est  probable  qud 
forganisme  de  ces  créatures  ne  pouvait,  /dans  son 
élaboration  )  ni  produire,  ni  comporter  un  {dua 
grand  cerveau. 

2.  Dans  les  animaux  à  sang  dhaud ,  la  masse  du 
cerveau  augmente  à  proporûon  que  leur  organisa^ 
tioa  est  plus  élaborée;  mais  ici  surviennent  d'autres 
considérations,  qui  sont  fondées  plus  spécialement 
sur  la  connaissance  des  rapports  établis  entre  les 
nerfs  et  les  forces  musculaires.  Dans  les  animaux 
de  proie  le-  cerveau  est  plus  petit  :  ee  qui  domine 
dans  ces  derniers,  c'est  l'irritabilité  animale,  c'est 
la  force  musculaire ,  à  laquelle,  le  système  nerveux 
est  presque  toujours  assujetti  Dans  les  animaux 
pacifiques  et  herbivores,  le  cerveau  est  plus  déve» 
loppé  j  mais  encore  il  semble  être  surtout  employé 
dans  les  nerfs  des  sens.  Les  oiseaux  ont  beaucoup 
de  cerveau  ;  car  dans  leur  élément  plus  froid ,  il 
leur  Êiut  un  sang  plus  chaud.  La  circulation  est 
confinée,  d'ailleurs  dans  une  sphère  plus  étroite 
dans, leur  corps,  qui  e^  en  génénd  petit.  Dans,  le 
moineau  lascif,  le  cerveau  remplit  toute  la  tète,d 
est  égal  en  poids  à  un  cinquième  du  corps.  i 

3.  Dans  les  créatures  jeunes,  le  cerveau  est  pluf 
volumineux  que  dans  celles  qui  ont  atteint  tout 
leur  développonent;  ce  qui  vient  évidemment  de 
ce  qu'il,  est  plus  mou^  plus  tendre ,  qu'il  présente 
ainsi  un  plus  grand  volmne  sous  un  poids  égii^ 


1 76  LIVRE  IT* 

s'écarte  nulle  part ,  pas  même  dans  le  moindre  yer^ 
dans  le  moindre  insecte,  et  qu'elle  change  d'une 
manière  presque  imperceptible  dans  chaque  espèce, 
suivant  la  variété  de  l'oi^ani^tion  externe;  mais 
tout  en  le  modifiant,  elle  le  dévdoppe,  elle  l'agran- 
dit, elle  le  perfectionne,  jusqu'à  ce  qu'à  la  fin  il 
atteigne  son.  plus  haut  degré  d'épuration  dam 
l'homme.  "Le  cervelet  s'achève  avant  le  cerveau; 
«plus  étroitement  uni  à  la  moelle  épinière ,  dont  il 
se  rapproche  davantage  par  son  ori^ne ,  il  établit 
des  points  de  ressemblance  entre  pinceurs,  espèces, 
qui  n'en  présentent  d'^lleurs  aucun  dans  la  con- 
figuration du  cerveau.  Et  il  ne  Êiut  pas  que  ceci 
nous  étonne ,  puisque  des  nerj&  d'une  grande  im- 
portance  pour  l'économie  animale  partent  du. cer- 
velet, de  telle  sorte,  que  la  liature,  pour  produire 
la  fleur  de  la  pensée,  en  jeta  les.  premiers  germes 
dans  l'épine  dorsale  eties  développa  dws  les  parties 
.antérieures. 

2.  Les  lobes  du  cerveau  paraissent  sous  (ritusieurs 
rapports  plus  achevés  dans  leurs,  plus  nobles 
parties.  Non -seulement  leurs  circonvolutions  sont 
plus  profondément  et  plus  soigneusement,  mar- 
quées ,  plus  nombreuses  et  plus  diversifiées  dans 
l'homme  que  dans  aucun  aut,re  anin^al  ;  qipn-seule- 
ment  la  partie  corticale  du  cervçau  humain  en  est 
la  portion  la  plus  tendre  et  la  plus  délicate,  puis- 
qu'il peut  être  réduit  par  la  dessiccation  au  vingt- 


CHAPITR£  I.  1^7 

cmquième  de  aon  pok}^;  osais  le  trésor  6é  la  moelle 
cérébrale ,  qui  est  couvert  et  entrelacé  par  cette 
partb  corticale ,  est  plus  délicat ,  plus  déterminé 
et,  toute  proportion  gardée^  plus  grande  dans  les 
animaux  les  plus  nobles,  spécialement  dans  l'homme, 
que  dans  toutes  les  autres  créatures.  ^  Dans  l'homme 
le  cerveau  est  beaucoup  plus  pesant  que  le  cervelet, 
et  ceci  indique  clairement  que  le  premier  est  rempli 
intérieurement  et  que  son  élaboration  est  plus  abon-^ 
dante. 

3.  Toutes  les  eitpériences  ra^emblées  jusquHci 
par  Haller,  le  plus  savant  physiologiste  qu'aucune 
nation  ait  jadiais  produit,  tendent  à  montrer  com^ 
bien  il  serait  inutile  de  chercher  le  irapaii  inpisibh 
de  la  formation  des  idées  en  substance  et  distribué 
entre  les  parties  matérielles  du  cerveau  :  je  suis 
persuadé,  d'ailleurs,  quand  aucune  de  ees  expé^ 
riences  n'existerait,  qu'eu  réfléchissam  sur  le  véri- 
table mode  de  formation  àes  idées,  nous  serions 
arrivés  à  la  même  conséquence.  Pourquqji  nom- 
mons-nous les  pouvoirs  de  la  pensée,  smvant  leurs 
différentes  relations,  imaginatioil  et  mémoire ^  esprit 
et  jugement?  Pourquoi  distinguer  l'impulsion  du 
désir  de  celle  de  la  volonté  simple^  et  le  pouvoir 
de  la  Sensation  de  celui  du  mouvement?  La  moindre 
réflexion  impartiale' nous  dit  que  les  facultés  ne 
sont  pa^  séparées  localement,  comme  si  le  juge«f 
ment  •  résidait  dans  une  partie  du  cerveau  ^  la  mé-^ 
I.  1:2 


x*jS  Livre  iv; 

moire  et  rimagination  dans  une  autre,  les  passions 
et  les  pouvoirs  s^isitifs  dans  une  troisième;  car 
la  pensée  de  notre  ame  est  indivisible  ^  et  chacun 
de  ses  effets  est  un.  résultat  de  la  pensée.  U  serait 
donc  absurde,  jusqu'à  un  certain  point,  de  tenter 
de  disséquer  les  relations  abstraites,  comme  autant 
de  corps ,  et  de  morceler  l'ame ,  comme  Médée 
fit  des  membres  de  son  fi-ère.  &  la  matière  de  la 
sensation,  qui  est  endèrement  distincte  du  fluide 
nerveux. (en  admettant  qu'il  existe),  échappe  à  nos 
observations  dans  les  sens  les  plus  grossiers ,  com- 
bien devons-nous  être  plus  incapables  de  découvrir 
la  connexion  spiritudJe  qui  est  étab&e  entre  tous 
nos  sens  et  nos  perceptions ,  et  non-seulement  de 
les  voir  et  de  les  sentir,  mais.de  pouvoir  les  exciter 
à  volonté  dans  les  différâites  parties  du  cerveau, 
comme  les  touches  d'un  clavecin,  que  nous  faisons 
résonner  quand  il  nous  plaît  !  Je  suis  loin  d'entre- 
tenir le  moins  du  monde  une  tdle  espérance. 

4*  ^^  ^^^  encore  plus  éloigné,  quand  je  con- 
âdère  la  structure  du  cerveau  et  celle  des  ner& 
Combien  ici  l'économie  de  la  nature  est  différente 
de  ce  que  serait  tentée  de  *  supposer  une  physlo* 
logie  abstraite  des  sens  et  des  facultés  de  Tame! 
Où  est  celui  qui,  d'après  des  notions  purement 
métaphysiques,  inférerait  que  les  nerfs  naissent, 
se  divisent  et  se  réunissent,  comme  cela  amve 
réellement?   et    encore    ces   parties   du  cerveau 


/ 
\ 


loiit^dles  les  seules  dont  nous  connaissions  les 
pouvoirs  or^niquesy  parce  que  leurs  effets  sont 
placés  sous  nos  yeux.  U  ne  nous  reste  donc  qu'à 
considérer  ce  kboratoire  sacre  des  idées,  le  cer-> 
veau  interne ,  où  Tes  sens  convergent  de  toutes 
parts  y  comme  le   sein   où  l'embryon  invisible  et 
indivisible  de  la  pensée  commence  à  se  former. 
S'il  a  atteint  son  complément ,  s'il  est  dans  un  heu- 
reux  état  de  santé,  et  qu'il  fournisse  à  l'embryon 
non  -  seulement  ce  qu'il  lui  faut  de  chaleur  men- 
tale et  vitale  pour  naître,  mais  encore  une  capacité 
assez  vaste ,  une  situation  assez  fixe  pour  que  les 
pouvoirs  organiques  et  invisibles  ,  qui  s'étendent 
ici  à  toutes  cliosés,  puissent  recueillir  les  impres- 
sions des  sens,  celles  du  corps  entier,  et  les  com- 
biner pour  ainsi  dire  en  Un  point  lumineux  qui 
approche  du  sentiment;  alors  la  créature,  délicate- 
ment organisée,  s'élève  à  la  puissance  de  la  raison, 
SI  elle  est  aidée  par  les  circonstances  externes  de . 
l'éducation  et  du  développement  moral.    Que  le 
contraire    ait  lieu  \   que  le    cerveau  manque  de 
fluides  élaborés,  de  certaines  parties  essentielles; 
qne  les  sens  les  plus   grossiers  l'occupent;  qu'il 
>oit  resserré  dans  d'étroites  limites  ;  qu'arrive-t-il  ? 
Comme  elle  manque  de   ce  rayonnement  subtil, 
«c  cette  convergence  intellectuelle  qui  donnent  à     • 
1  homme  sa  supériorité ,  la  créature  n'est  plus  qu'un 
«nfant  des  sens. 


l80  UTRE  IV. 

6.  CeH  aussi  <:e  que  semble  démontrer  la  con« 
formation  de  l'encéphale  de  divers  animaux,  et 
même  en  la  comparant  à  l'organisation  externe  et 
au  genre  de  vie  de  l'animal,  nous  pouvons  recon- 
naître pourquoi  la  nature  a  été  obligée  de  s'écarter 
tantôt  d'une  manière,  tantôt  d'une  autre,  du  type 
général  qu'elle  s'est  imposé.  Dans  plusieurs  ani- 
maux le  sens  dominant  est  celui  de  l'odorat  :  c'est 
le  plus  nécessaire  à  leur  conservation ,  et  le  guide 
infaillible  de  leur  instinct  Voyez  comme  le  nez 
est  fortement  marqué  sur  la  Êice  de  ces  animaux; 
c'est  aiiiisi  que  se  prononcent  dans  le  cerveau  les 
ner&  ol&ctifs ,  comme  si  le  front  n'était  &it  que 
pour  eux  :  larges,  creux  et  inédullaires,  ils  semblent 
n'être  que  la  continuation  des  ventricules  du  cer- 
veau; e't  si  dans  plusieurs  espèces  l'os  frontal  reçoit 
tant  de  développement ,  c'est  probablement  pour 
renforcer  le  sens  de  l'odorat,  de  telle  sorte  que, 
pour  ainsi  parler,  la  plus  grande  partie  de  Famé 
animale  est  olfactive.  Les  nerfs  optiques  tiennent 
immédiatement  après;  le  sens  de  la  vue  étant  le 
plus  nécessaire  à  l'animal  après  celui  de  Todorat 
Us  tiennent  davantage  de  la  région  moyenne  àa 
cerveau,  et  concourent  à  un  sens  plus  délicat  Les 
autres  nerfs,  qu'il  est  inutile  d'énumérer  ici,  suivent 
graduellement  selon  leur,  importance  dans  rorgam- 
sation  dont  ils  servent  à  lier  les  parties  entre  elles? 
comme  ^  par  exemple  ^  les  nçrfs  et  les  muscles  àe 


cRipmus  I.  181. 

rocciput  qai  soatieniient  et  animebt  la  bonche ,  I0 
menton,  etc.  Us  terminent  pour  ainsi  dire  l'habi- 
tude générale  du  corps  et  moulent  la  figure  externe 
sur  un  seul  tout,  de  même  que  la  forme  interne  ré- 
sulte des  rapports  des  pouvoirs  internes.  Toutefois, 
dans  ce  point  de  vue ,  il  ne  faut  pas  nous  borner 
seulement  à  la  &ce,  mais  étendre  ces  considéra- 
tions au  corps  entier.  Il  est  intéressant  d'étudier 
les  rapports  des  diverses  formes  en  les  comparant 
entre  elles  et  en  étudiant  les  principes  internes 
par  lesquels  la  nature  a  mis  chaque  créature  en 
mouvement.  Ce  qu'elle  a  été  obligée  de  refuser  > 
elle  l'a  compensé  d'une  autre  manière;  ce  qu'elle 
a  été  obligée  de  rendre  complexe,  elle  l'a  com- 
pliqué avec  sagesse,  c'est-à-dir^  qu'elle  a  mis  l'or- 
ganisation externe  de  la  créature  en  harmonie  avec 
son  g^re  spécial  de  vie  ;  cependant  elle  a  toujours 
son  modèle  en  vue,  et  elle  ne  s'en  écarte  qu'à 
regret;  car  le  grand  but  qu'elle  s'est  imposé  en 
créant  toutes  les  organisations  de  la  terre,  est  de 
distribuer  une  sensibilité  et  une  intelligence  par^ 
iout  analogues  dans  des  corps  différens.  C'est  ce 
que  Ton  peut  rebfiarquer,  suivant  une  progression 
constante ,  dans  les  oiseaux ,  dans  les  poissons  et 
•  les  animaux  terrestres,  malgré  les  variétés  presque 
infinies  qu'ils  présentent. 

6.  Et  ainsi  nous  arrivons  à  la  supériorité  de 
Fhomme  dans  la  structure  du  cerveau.  Or,  d'où 


/ 


l83  .^LIVRE  IV. 

peut-elle  provenir ,  sînoii  de  la  perfection  générale 
de  son  organisation  ^  et  surtout  du  mode  de  station 
qui  lui  est  propre  ?  lie  cerveau  de  clu^que  animal 
en  formé  d'après  le  moule  de  sa  tête;  ou  plutôt 
il  Êiudrait  retourner  la  proposition  ,'puisqae  la 
nature  travaille  du  dedans  au  dehors.  Selon  Tatti* 
tude,  le  rapport  des  parties  entre  elles,  et  les 
Jiabitudes  auxquelles  elle  a  destiné  la  créature ,  elle 
a  distribué  et  approprié  différemment  les  pouvoirs 
organiques.  D'après  pies  pouvoirs  et  les  rapports  de 
leurs  actions  réciproques ,  le  cerveau  est  ou  grand 
ou  petit,  étroit  ou  profond,  léger  ou  pesant, 
simple  ou  compliqué,  et  les  sens  de  la  créature  sont 
faibles  ou  forts,  actifs  ou  languissans.  Les  cavités  et 
les  muscles  deâ  pai^îes  antérieures  de  la  tête  et  de 
l'occiput  se  forment  eux-mêmes  à  mesure  que  la 
lymphe  y  afflue»  en'un  mot,  suivant  V angle  de 
la  direction  organique  de  la  tête.  Sans  multiplier 
ici  les  preuves  qui  viennent  de  toutes  parts  à  lap- 
pui  de  CjBtte  assertion,  il  suffira,  d'en  indiquer 
quelques-unes.  D'où  vient  la  différence  organique 
qui  distingue  la  tête  de  rhommé  de  celle  du  singe? 
De  l'angle  de  direction.  Le  singe  a  toutes  les  parties 
du  cerveau  qui  sont  propres  à  l'homme;  mais  en 
lui,  eUes  sont  rejetées  en  arrière  dans  la  position 
qui  est  commandée  par  la  forme  de  son  crâne;  et 
cela,  parce  que  sa  têlç  est  inclinée  sous  un  angle 
différent  et  qu'il  n'est  pas  fait  pour  marcher  droit. 


CHAPITRE  I.  l83 

Par  là  y  tous  les  pouvoirs  oi^ganiques  agissent  d'une 
manière  difierente.  :  plus  étroite , .  la  tète  n'a  ni  au- 
tant de  hauteur,  ni  autant  de  profondeur  que  dans 
rhoaime.  Les  sens  d'un  degré  inférieur  dominent 
avec  les  parties  basses  de  la  Êice,  et  déterininent  le 
caractère  de  la  face  de  la  brute,  comme  son  cer- 
Tcau  rejeta  ea.  arrière  n'est  encore  que  le  cerveau 
d'an  animal.  Aindi ,  quoiqu'il  ait  toutes  les  parties 
du  cerveau  humain,  il  les  a  dans  une  situation, 
dans  un^  proportion  différentes.  Les  anatomistes 
français  ont  trouvé,  dans  les  singes  qu'ils  ont  dis- 
séqués y  que  les  parties  antérieures  sont  e^aotement 
paralles  à  celles  de  l'homme  ;  mais  que  les  parties 
internes,  depuis  le  cervelet,  sont,  toute  propor- 
tion gardée,  beaucoup  plus  massives;  que  la  glande 
pinéale  est  conique,  avec  sa  pointe  tournée  vers  le 
deprière  de  la  tète,  etc.  Ainsi,, il  y  a  un  rapport 
évident  entre  l'angle  de  direction  de  la  tête  et  le 
mode  de  station ,  la  forme  de  Fanimal  et  son  genre 
de  vie.  Le  singe  disséqué  par  Blumenbach  ^ ,  te- 
nait encore  plus  de  la  brute;  il  était  probable- 
ment  d'une  espèce  inférieure ,  puisque  son  cervelet 
était  plus  ^and ,  et  qu'il  manquait  des  parties  les 
plus  importantes.  Ces  différences  n'existent  pas 
dans  l'orang-outang,  dont  la  tête  est  moins  rejetée 
en  arrière,  et  dont  le  cerveau  n'est  pas  si  conci- 


le Blaménbacfa,  De  varietf  natiw»  gen,  hum»,  pa§,  la» 


l84  LIVRE  IV. 

j^linë  entre  les  parties  de  derrière ,  bien  quHl  le 
soit  encore  assez^  si  on  le  compare  avec  la  courbe 
hardie  dû  cerveau  humain,  seule  enceinte  digne 
kle  la  formation  des  idées  raisonnables.  Pourquoi 

le  cheval  n'a  «-t*  il  pas  aussi  bien  que  d'autres  ani<* 

•  •  •  ■ 

maux  le  reîe  mirabUe?  parce  que  sa  tète  reste 
droite,  et  que  l'artère  carotide  s'élève  en  quelque 
sorte,  comme  celle  de  l'homme,  sans  empêcher 
pour  cela  le  cours  du  sang,  comme  dans  les  ani- 
maux qui  ont  k  tète  pendante.  Aussi  est-ce  un 
animal  noble,  fi^r,  courageux,  plein  de  chalew  et 
d'un  sommeil  léger.  Au  contraire ,  dans  les  créar 
tures  dont  la  tête  pend  vers  la  terrç,  la  nature  a 
plusieurs  précautions  à  observer  dans  la  constnic^ 
tion  du  cerveau.,  même  en  séparant  les  parties  prin*< 
cipales  par  une  construction,  osseuse.  Ainsi,  tout 
dépend  de  la  direction  que  la  tète  a  dû  prendre 
pour  se  conformer  à  l'organisation  générale  dn 
•  corps.  Je  mé  bornerai  à  ces  exemples ,  espéraot 
que  des  anatomistes  zélés  s'appliqueront,  surtout  en 
dis*séquant  les  animaux  qui  ressemblent  à  rhomme, 
à  étudier  les  proportions  des  parû^  entre  elles, 
«  d'après  les  circonstances  de  leurs  situations  com- 
parées^ et  d^ après  la  direction  de  la  tUc  dans 
ses  rapports  af^ec  le  système  entier  d organisation, 
Cest  la,  je  crois,  que  se  trouve  la  différence  qui 
produit  tel  on  tel  instinct ,  qui  élabore  une  ame 
animale  pu  humaine;  car  toute  créature  est  dans 


CHAPITRE  I.  l85 

diacane  de  ses  parties  un  Tout  vivant  coordonné 
pour  une  seule  el  mèttie  fin. 

7.  Et  tnéme  il  parait  que  la  beauté  dé  la  tète 
immaine  se  détermine  et  s'apprécie  en  général  par 
la  loi  qui  la  rend  propre  à  l'attitude  droite;  car 
comme  cette  configuration  de  la  tête ,  cette  expan* 
sion  du  cerveau  dans  ses  vastes  et  superbes  hémir 
sphères,  et  les  dispositions  internés  qui  lui  permet- 
tent de  recueillir  la  raison  et  la  liberté,  ne  pouvaient 
s'accorder  cp'avec  la  forme  droite  (ainsi  que  cela 
est  démontré  par  le  rapport  et  le  poids  dés  parties 
elles-mêmes,  par  le  degré  de  chaleur  qu'elles  po^ 
sèdent  et  le  mode  de  circulation  du  sang),  la  forme  . 
humaiDe  était  le  seul  résultat  que  cette  proportion 
interne  pût  produire.  Pourquoi  le  haut  de  la  tète 
S^que  penche -t -il  en  avant  avec  tant  de  grâces? 
Cest  qu'elle  laisse  du  cerveau  un  vaste  espace  pour 
se  développer  en  liberté ,  et  qu'elle  marque  de  si 
profondes  cavités  dans  l'os  frontal,  qu'il  peut  être 
considéré  comme  le  sanctuaire  sacré  où  la  pensée. 
Mit  ses  sublimes  et  immortelles  apparitions.  La 
partie  postérieure  de  la  tète ,  au  contraire ,  va  en 
s  amincissant,  afin  q^e  le  cervelet  qui  la  remplit 
^c  domine  pas^  Il  en  est  de  même  des  autres  por^ 
tions  de  la  face;  organes  de  sensation,  elles  in^ 
diquent  les  rapports  les  plus  délicats  des  facultés 
«ensibles  du  cerveau,  et  la  moindre/  déviation  de 
ces  rapports  est  un  pas  fait  vers  la  forme  animale* 


l86  UVRE  IV. 

Je  suis  persuadé  qu'on  élèvera  uii  jour  sur  Tsicoorcl 
de  ces  parties  entre  elles  une  science  estimable,  à 
jamais  supérieure  à  celle  de  la  physionomie,  qui 
procède  par  conjectures.  I^  fondemens  de  la  forme 
externe  reposent  dans  Tintérieur  :  car  tout  a  été 
Êiçonné,  du  dedans  au  dehors,  par  Tactioa  des 
^pouvoirs  organiques,  et  la  nature  a  Ëiit  de  chaque 
être  un  jtont  complet,  cpmipe  si  elle  n'avait  jamais 
créé  rien  autra 

Lève  les  yeux  vers  le  ciel;.  6  homme,  et  réjouis- 
toi,  en  tremblant ,  de  l'immense  supériorité  que  le 
Créateur  du  monde  t'a  donnée,  et  qu'il  a  établie  sur 
.  un  principe,  aussi  simple  que  la  station  droite.  Si  tu 
marchais  incliné  vers  la  terre  comme  l'animal,  si  ta 
tête  était  grossièrement  formée.pour  le  goût  et  l'odo- 
rat, si  la  structure.de  tes  membres  répondait  à  ces 
transformations,  qiie  deviendrait  la  puissance  im- 
mortelle de  ta  pensée  ?  Combien  l'iinage  de  la  divi- 
nité en  toi  ne  serait-elle  pas  dégradée?  Le  malheu- 
reux qui  descend  au  rang  des  animaux  l'a. perdue; 
sa  raison  est  égarée  y  ses  facultés  sont  abruties  et  les 
sens  les  plus  grossiers  le  confinent  ii  la  terre;  mais 
en  formant  tes  membres  pour  i'attiti;ide  droite,  la 
nature  a  tracé  les  nobles  contours  de  ta  tète;  elle 
en  a  marqué  dignement  la  place,  et  a  commandé 
au  cerveau,  ce  germe  délicat  et  éthéré  du  ciel,  d'en 
remplir  les  capacités  et  d'étendre  au  loin  ses  bran- 
ches. Le  front  s'élève,  riche  de  pensées  et  de  sou- 


I 


1 


CHAPITRE  I.  ld7 

?eiûrs;  les  orgues  animaux  se  retirent  et  font  place 
à  ïfL  fofme  humaine.  A  mesure  que  le  cerveau  s'é« 
lève,  l'oreille  descend  :  elle  est  plus  étroitement 
unie  à  Fœil»  et  ces  deux  sens  ont  un  accès  plus 
intime  .auprès  de  l'enceinte  sacrée  où .  se  forment 
les  idées.  Le  cervelet,  la  moelle  épinière  et  les 
prindpes  vitaux  des  sens  qui  dominent  dans  1  ani« 
mal,  sont  subordonnés  à  l'encéphale.  Les  rayons 
qui,  par  leur  arrangement  merveilleux,  forment 
les  *corps  striés,,  sont  mieux  marqués  et  plus 
délicats  dans  Thomme;  ce  qui  indique  qu'une 
lumière  infiniment  plus  pure  se  concentre  dans 
cette  région  et  part  de  la  en  divergeant  C'est  ainsi, 
pour  me  servir  de  cette  image,  que  se  forme  la 
plante  qui,  donnant  naissance  au  bouton  de  la 
moelle  épinière,  s'épanouit  en  une  jQeur  éthérée, 
dont  le  germe  ne  pouvait  se  trouver  que  dans  cet 
arbre  céleste. 

Bien  phis^  la  proportion  générale  des  pouvoirs 
organiques  dans  les  animaux  .est  contraire  au  déve* 
loppement  ^e  la  raison»  Leur  organisation  est  sou» 
luise  à  la  force  musculaire  et  à  l'irritabilité  sen- 
suelle, qui,  distribuées  sous  des  formes  diverses, 
selou'la  destinée  de  la  créature,  constituent  Tins- 
tinct  dominant  de  chaque  espèce.  Avec  la  figure  , 
droite,  de  l'homme,  »s'élève  un  arbre  fait  '  pour 
transmettre  les  fluides  les  plus  délicats  et  les  phis 
dbondansau  cerveau,  celte  fleur  qui  couronne  le 


l88  LIVRE  IT. 

U>ut  Chaque  pulsation  du  cœur  envoie  à  la  tète 
seulement  plus  de  la  sixième  parde  du  sang  que 
eontient  le  corps  humain,  Le  grand  ruisseau  s'élève, 
s'éloigne-,  suit  une  courbe  adoucie  et  se  partage 
par  degrés,  de  telle  sorte  que  les  parties  de  la 
iéce  même  les  plus  éloignées  tirent  de  là  et  des 
canaux  correspondans  leur  chaleur  et  leur  nour- 
riture. La  nature  a  mis  tout,  son  art  à  fortifier  les 
vakseaux  qui  servent  de  conduit  au  fluide,  à  affai- 
blir et  à  modérer  la  force  du  courant,  à  le. retenir 
long- temps  dans  le  cerveau,  et  à  le  Êdre  redes- 
cendre du  haut  de  la  tête,  quand  il  a  achevé  son 
cours.  U  s'élève  des  régions  qui,  voisines  du  cœur, 
agissent  encore  avec  toute  la  force  du  mouvement 
primitif;  et  dès  le  commencement  de  la  vie,  c'est 
sur  dies,  c'est-à-dire,  sur  les  plus  nobles  et  les  plus 
sensibles  de  toutes,  que  le  cœur  exerce  ses  pou- 
voirs naissaiis.  Les  extrémités  n'ont  pas  encore  reça 
leurs  formes,  que  la  tèle  et  les  parties  internes 
sont  déjà  entièrement  développées.  On  voit  avec 
surprise  non  -  seulement  que  leurs  rapports  sont 
déjà  établis  et  marqués,  mais  encore  que  leur 
structure  est  achevée  dans  les  organes  des  sens  de 
l'embryon.  Vouls  diriez  que  le  grand  artisan  ne  Ta 
créé  que  pour  le  cerveau  et  pour  le  principe  da 
mouvement  intérieur ,  en  attendant  qu'il  ajoute 
à  ces  premières  conditions  de  son  existence,  des 
membres  qui  semblent  n'être  plus  que  des  organes 


CHAPITRE  I.  l8() 

et  des  prodoits  des  parties  internes.  Ainsi,  l'homme 
est  formé  dans  le  sein  de  sa  mère  pour  faltitade 
droite  et  pour  tout  ce  qui  en  dépend. .  Il  n'est  pas 
né,  comme  l'animal,  dans  tin  sein  incliné  vers  la 
terre.  Une  cavité  composée  avec  plus  d'artifice  et 
qui  repose  sur  la  base  même  du  sein  matemd ,  a 
été  préparée  pour  lui  donner  sa  forme.  C'est  là  que 
repose  le  petit  dormeur,  et  le  sang  monte  à  sa  tête 
josqu'à  ce  qu'elle  retombe  par  son  propre  poids.  Eft 
tmmot;  l'homme  est  ce  qu'il  devait  être,  et  toutes 
les  parties  concourent  à  cette  fin  ;  c'est  un  arbre 
qui  s'élève,  couronné  par  la  plus  belle  âeur  de 
toutes,  par  le  siège  de  la  pensée  perfectionnée. 

CHAPITRE  IL 

J^t  t organisation  de  Fhomme  comparée 
à  celle  des  créatures  inférieures  qui  se 
rapprochent  de  lui  par  la  forme  de  la 
tête. 

S'il  est  vrai  que  nous  avons  suivi  jusqu'à  présent 
I^  voie  la  plus  sûre,  la  même  analogie  des  rapports 
de  la  tète;  avec  la  structure  générale  du  corps  doit 
^paraître  dans  les  créatures  inférieures,  puisque 
1&  nature  est  uniforme  dans  ses  opérations  ;  et ,  en 
effet,  c'est  ce  qui  â  lieu  de  là  manière  la  plus  frap- 
pante. Comme  tout  le  travail  de  la  plante  aboutit 
a  produire  la  fleur,  de  même,  dans  les  créatures 


igO  LITRE  lY. 

vivantes ,  si  rorganisation  développe  ses  poturcurs  ^ 
c'est  potir  nourrir  la  tète,  comme  sa^  eouronné^ 
On  pourrait  dire»  dans  un  smis,  que  la  natare  em- 
ploie tout  l'organisme  des  créatures,  selon  le  degré 
qu'elles  occupent»  à  préparer«et  à  épurer  de  plus 
en  plus  le  cei^eau»  afin  d'y  réuiûr,  comme  dans 
i;in  point  central,  les  puissances"  de  la  sensibilité  et 
de  l'intelUgence.  Pins  elle  s'élève  dans  l'échelle  ani- 
male, plus  aussi  elle  donne  d'importance  à  cette 
partie  de  son  œuvre;  du  moins' autant  que  cela  se 
peut,  sans  rendre  la  tète  de  la  créature  u*op  pesante, 
et  sans  mnre  aux  /acuités  physiques.  Examinons 
quelques  anneaux  de  cette  cb»ne  ascendante  de 
sensibilité  organique,  tant  dans  la  forme  externe  que 
dans  la  directiop  de  la  tète^ 

1.  Dans  les  animaux  dont  la  tète  conserve  une 
position  horizontale  comme  le  corps  »  le  cerveau 
est  moins  élaboré  :  la  nature  a  répandu  l'irritabilité 
et  l'instinct  plus  généralement  sur  tout  l'être.  Tels 
sont  les  vers  et  les  zoophytes,  les  insectes,  les  pois- 
sons et  le^  animaux  amphibies  ;  à  peine  si  l'on 
aperçoit  la  marque  d'une  tête  dans  l'anneau  infé- 
rieur de  la  chaîne  organique»  dans  d'autres  ce  n'est 
qu'un^  point  saillant  Dans  les  insectes ,  elle  est 
d'une  extrême  petitesse;  dans  les  poissons»  elle 
ne  &it  qu'un  ^eul  tout  avec  le  corps»  et  dans  les 
animaux  amphibies  elle  est  le  plus  souvent  hori-* 
zontale  et  attachée  à  un  corps  rampant  A  mesure 


CHAPITRE  ÏIv  1^1 

que  là  tété  se  dresse  et  qu'elle  se  sépare  davantage 
de  la  tbâsse  qu'elle  domine,  la  créature  sort  de 
sa  stupidité  brutale;  en  même  temps  la  bouche 
se  retire  et  ce^e  d'occuper  toute  la  partie  anté* 
rieure  de  Is^  bonformatidn  qui  n'est  plus  horizons- 
taie.  Si  nous  comparons  le  requin,  qui  ne  semble 
que  bouche  et  gosier,  ou  le  crocodile  yorace  et 
rampant  y  à  des  créatures  moins  grossièrement  or^ 
ganiséesj  nous  serons  conduits,  par  de  nombreux 
exemples,  à  cette  proposition:  qu^à  mesure  que 
la  tête  et  le  corps  de  F  animal  se  rapprochent  j 
dans  leurs  directions  relatives  ^  de  là  Ugne  droite 
horizontale^  Us  région  encéphalique  se  resserre  et 
iahmsse  ;  et  lés  mâchoires^  en  dtçermni  plus 
fortes  et  plus  proéminentes^  tendent  à  être  la  partie 
dominante  du  corps.  '  • 

2.  Plus  l'animal  est  parfait,  plus  il  s'élève  au-<les- 
sus  de  la  surface  du  sol  :  ses  jambes  s'alongent;  les 
os  du  cou  s'articulent  d'une  manière  appropriée  à 
Torganisation  générale,  et  la  tète  prend  la  position 
et  la  direction  qui  conviennent  au  tout  Compa-* 
rons  ici  le  porc-épic,  le  rat,  le  glouton  et  d'autres 
espèces  inférieures,  aux  animaux  les  plus  nobles  ; 
dans  les  premiers,  les  jambes  sont  courtes,  la  tète 
est  «ifoncée;  les  épaules,  les  mâchoires  s'alon- 
gent^  se  projettent  en  avant;  dans  les  derniers, 
la  démarche  est  plus  libre,  la  tète  plus  légère,  le 
cou  plus  flexible,  les  mâchoires  sont  plus  poùrtes; 


et  par  là  le  cerveau  se  maintient  naturellement  dan» 
une  position  plus  élevée,  et  Be  développe  dans  un 
plus  grand  espace.  Ainsi,  nous  pouvons  admettre 
cette  seconde  proposition  :  que  la  formé  de  la 
créature  se  perfêciiorme  à  mesure  que  i^  corps  tend 
à  s' élever  et  la  tite  à  se  dégager  librement  du  sque- 
lette. Toutefois  cette  proposition,  ainsi  que  la  pré^ 
cédente,  ne  s'appliquait  pas  à  certains  membres 
en  particulier,  mab  aux  rapports  généraux  de  la 
structure  animale* 

5.  Plus  la  partie  inférieure  de  la  &ce  ditninue 
ou  se  retire,  à  mesure  que  la  tête  s'élève,  plus  les 
traits  sont  nobles  et  plus  le  front  est  intellige&t: 
comparez  le  loup  et  le  chien,  le  chat  et  le  Uoni 
le . rhinocéros  et  l'éléphant^  le  cheval  et  lliif^ 
potame.  Au  contraire,  plus  les  -parties  basses  du 
visage  sont  massives  et  pesantes ,  plus  elles  pen- 
chent vers  la  terre  et  plus  le  crâne  et  le  front  sont 
petits.  Sous  ce  rapport,  non-seulement  les  diverses 
espèces  d'animaux  diffèrent  entre  dles,  mais  encore 
les  animaux  de  la  même  espèce,  dans  différens 
climats,  y  oyez  l'ours  blanc  des  régions  arctiques 
et  l'ours  des  climats  chauds,  ou  'encore  les  diffé- 
rentes variétés  de  chiens, ..de  cerfs  et  de  chevreuils; 
en  un  mot ,  moins  les  mâchoires  sont  massives, 
plus  le  crdru  est  profond  y  et  plus  Panimal  afh 
proche  de  la  forme  raisonnable.  Pour  éclairer 
davantagis  ce  sujet,  tirons  des  ligues  depiûs  k 


GHAPITRJË  IL  193 

dernière  v^rièbre  cervicale  du  squelette  jusqu'au 
sommet  >au  crâzie,  à  la  partie  de  devant  de  l'os 
'  fromdTet  à  l'extrémité  de  la  mâchoire  supérieure; 
nous  verrons  alors  que  la  grande  variété  que  prér 
sente  l'angle  Ëicial  se  (fivise  en  espèce^  et  en  genres 
différens,  et  en  même  temps  nous  reconnaîtrons 
qu'elle  résulte  primitivement  de  la  station  plus  ou 
moins  horizontale  de  l'animal. 

Mes  remarques  s'accordent  ici  avec  les  excellentes 
observations  de  Camper  sur  la  figure  des  singes  et 
sur  celle  d'hommes  de  race  différente  :  en  effet,  il 
tire  une  ligne  droite  de  l'ouverture  de  Toreille  à 
la  partie  inférieure  du  nez,  et  une  autre  de  la  pro- 
jection la  plus  reculée  de  Tos  frontal  à  la  partie 
la  plus.  proéQiinente  de  la  mâchoire^  supérieure.  ^ 
U  prétend  découvrir  dans  cet  angle  non-seulement 
la  différence  qui  existe  ent^e  des  genres  variés  d'a- 
lûmaux,  imis  encore  ce  qui  distingue  les  nations 
Tune,  de  l'autre,  et  il  suppose  que  la  nature  s'est 
servie  de  cet  angle  pour  distinguer  toutes  les  va- 
riétés de  la  création  animale ,  et  s'élever  par  degrés 
à  la. forme  la  plus  parfaite  de  beauté,  dans  l'homine. 
Les  oiseaux  décrivent  le  plus  petit  angle,  et  l'angle 
s'élargit  à  mesure  que  l'animal  approche  de  la  forme 
humaine.  Les  têtes  des  singes  atteignent  de  42  ^  ^o 


*''■»' 


1.  Cdmper*s  kleinere  Scfirifieny  t.  i>  p.  i5j  Essai  de  Camper 
ftar.les  rapports  dc^ranatomie  et  de  Part  da  djeasio. , 

I.  l5 


194  LIVRE  nr. 

degrés;  ces  derniers  approchent  du  typé  humain. 
Chez  le  Nègre  et  le  Galmouc ,  cet  angle  est  de  70 
degrés;  chez  TEuropéen  de  80  degrés,  et  les  Grecs 
portèrent  leur  beauté  idéale  jusqu'à  gù  et  même 
foc  degrés.  Tout  ce  qui  dépasse  celte. mesure  d^ 
vient  monstrueux  ;  aussi  est-ce  le  point  le  plus 
élevé  auquel  les  anciens  aient  porté  le  caractère  de 

leurs  tètes.  Comme  cette  remarque  est  frappante  de 

*  * 
justesse ,  je  prends  grand  plaisir  à  la  ramener,  amsi 

que  je  crois  l'avoir  fait,  à  son  principe  physique, 
qui  est  la  tendance  progressisme  de  la  criàiion  amr 
maie  à  la  position  et  à  la  forme  soit  horizontale, 
Suit  perpendiculaire^  de  la  tête  y  d'où  l'heureuse 
situation  du  cerveau  et  la  beauté  et  la  proportion 
de  tous  les  traits  dépendent  en  dernier  résulut 
Si  donc  nous  voulions  compléter  ^la  théorie  de 
Camper,  et  en  même  temps  développer  son  prin- 
cipe fondamental ,  nous  n'aurions  besoin  que  de 
prendre  la  dernière  vertèbre  cervicale  pour  point 
central,  au  lieu  de  l'oreille,  et  de  tirer  de  la  des 
lignes  à  l'extrémité  de  l'occiput,  au  point  le  plus 
élevé  du  couronnement  de  la  tête,  à  celui  qui  se 
projette  le  plus  en  avant  et  au  plus  proéminent  de 
la  mâchoire  supérieure.  Ainsi ,  non-seulement  nous 
montrerions  à  l'œil  cette  foule  de  configurations 
diverses  que  présente  la  tête ,  mais  encore  le  prin- 
cipe général  qui  leur  sert  de  fondement;  savoir: 
que  iout^  dans  sa  forme  et  sa  direction  ^  dépend 


CHAPITRE  II.  igS 

du  mode  de  station ,  ou  horizontale ,  ou  perpen^ 
dicuiaire^  de  la  créature  y  c'est-à-dire  de  l'habitude 
générale  du  corps,  et  ainsi,  en  vertu  d'un  principe 
unique,  l'unité  se  produit  au  sein  de  la  variété  la 
plus  grande. 

Oh!  plût  à  Dieu  qu'un  nouveau  GaUen  suppléât 
de  nos  jours  au  livre  de  cet  ancien  sur  les  parties 
du  corps  humai^i ,  en  développant  d'une  manière 
spéciale  la  perfection  de  notre  forme  en  tant  qu'ap* 
propriée  à  l'attitude  droite  dans  toutes  ses  propor-* 
ûoùs  et  ses  mouvemens  !  Quel  intérêt  il  exciterait  » 
si,  dès  le  moment  où  les  fonctions  physiques  et 
morales  font  leurs  premières  apparitions,  il  com- 
parait les  pouvoirs  de  l'homme  avec  ceux  des  ani- 
maux qui  s'en  rapprochent  le  plus ,  s'il  suivait  les 
rapports  progressifs  des  parties,  a'il  s'élevait  avec 
l'arbre  de  vie  jusqu'au  sommet,  le  cerveau,  et  s'il 
montrait  enfin  que  l'homme  seul  réunit  les  condi- 
tions nécessaires  à  la  formation  d'un  cerveau  intel- 
ligent I  L'attitude  droite  est  la  plus  belle  et  la  plus 
naturelle,  de  toutes  pour  les  plantes  de  la  terre. 
Comme  l'arbre  pousse  ses  rejetons  vers  la  cime,  et 
que  la  fdalite  fleurit  à  son  sommet,  il  est  à  croire 
que  le  caractère  des  plus  nobles  créatures»  est  d!a- 
Voir  un  développement  analogue,, un  pareil  mode 
de  station,  sans  ramper  sur  le  sol  comme  un  sque- 
lette appuyé  sur  quatre  piliers^  mais,  dans  les  pre- 
mières périodes  de  son  abjection,  il  faut  que  la 


196  LIVRE  IT.  ^ 

créature  développe  ses  acuités  animales,  et  qu'elle 

• 

apprenne  à  exercer  ses  sens  et  ses  instincts  ayant 
de  parvenir  à  notre  attitude  à  la  fois  plus  libre  et 
plus  parfaite.  Elle  en  approche  par  degrés.  Le  nv 
rampant  élève  autant  que  possible  sa  tête  hors  de 
la  poussière  du  sol,  et  l'amphibie  se  glisse,  en  traî- 
nant son  corps,  sur  le  rivage.  Le  cerf  orgueilleux, 
le  noble  cheval  marchent,  le  cou  élancé  :  1^  ins- 
tincts de  l'animal  apprivoisé  sont  amortis;  son  intel- 
ligence est  nourrie  d'idées  qui  sont  hors  de  sa  portée, 
qu'il  prend  sur  parole  sans  pouvoir  les  comprendre, 
et  auxquelles  il  finit  par  s'accoutumer  aveuglément 
D'abord  obscure  et  |iresque  inefficace ,  une  loi  du 
règne  invisible  de  la  nature  excité  par.  degrés  le 
corps  affaissé  de  l'animal  à  s'élever  de  lui-même;' 
l'arbre  organique  s'élance  en  ligne  droite,  et  ses 
fleurs  s'épanouissent  avec  plus  de  liberté.  La  poi- 
trine s'arrondit,  les  hanches  se  resserrent,  le  cou 
se  détache;  les  sens  se  perfectionnent  et  se  con- 
centrent dans  une  conscience  plus  intime,  et  bien- 
tôt dans  le  phénomène  divin  de  la  pensée  :  et  ces 
prodiges  quand  ont-ils  paru  dans  le  mcmde?  si  ce 
n'estau  moment  où,  les  pouvoirs  organiques  étant 
suffisamment'  développés  par  le  verbe  créateur,  il 
prononça  cette  parole  :  Que  la  créature  se  Im  el 
que  ses  regards  corUemphrU  le  ciel! 


cHApmiE  111.  ^97 


CHAPITRE  IIL 


L'homme^  doué  de  sens  plus  parfaits  que 
les  animaux  y  est  formé  par  son  orga^ 
msation  pour  lart  et  le  langage. 

Si  l'homme  eût  rampé  sur  la  terre,  tous  ses  sens, 
renfermés  dans  un  cercle  plus  étroit,  eussent  été 
rabaissés  sous  le  domaine  des  instincts  inférieurs, 
comme  le  prouve  l'exemple  des  hommes  sauvages  ; 
Todorat  et  le  goût  eussent  été,  de  même  que  dans 
les  animaux,  ses  guides  constans.  Élevé  au-dessus 
de  la  terre  et  des  plantes,  ce  n'est  plus  le  sens  de 
l'odorat  qui  domine  en  lui,  mais  celui  de  la  vue. 
Ce  dernier  a  un  champ  plus  vaste  :  îl  se  développe 
depuis  l'en&nce  dans  la  géométrie  la  plus  délicate 
des  lignes  et  des  couleurs.  Placée  en  descendant 
sous  la  projection  du  cerveau,  l'oreille  est  plus 
voisine  du  réceptacle  interne  des  idées ,  tandis  que 
dans  les  animaux  elle  se  dresse,  pour  ainsi  dire, 
comme  une  ;sentinelle,  et  que  sa  forme  externe 
n'est  pas  moins  délicate  que  le  pouvoir  dont  elle 
est  l'organe.  ' 

Le  mode  de  station  droite  rend  l'art  naturel  à 
l'honune;  car  par  cet  art,  le  premier  et  le  plus 
difficile  que  l'homme  connaisse,  il  est  initié  à  la 
pratique  de  la  connaissance  et  devient  pour  ainsi 


igS  uvRE  IV. 

dire  un  art  vivant  et  actif.  Voyez  l'animal  !  Jusqu'à 
un  certain  point,  il  a  des  doigt$  comme  ceux  de 
l'homme^  mais  tantôt  ils  sont  enfermés  dans  un 
sabot,  tantôt  terminés  par  des  griffes,  ou  toute 
autre  forme.  Destiné  à  marcher  drcfit,  l'homme 
a  les  mains  libres;  instrumens  adroits  dés  opéra- 
tions les  plus  délicates,  elles  sont  toujours  prêtes 
à  recevoir  des  impressions  nouvelles  et  distinctes; 
et  ce  ne  fut  pas  sans  raison  qu'Heivédos  pré- 
tendit qu'elles  sont  d'un  grand  secours  à  la  rai- 
son de  rhomme  ;  car  combien  d'idées  l'éléphant 
n'acquiert-il  pas  par  le  moyen  de  sa  trompe? 
D'ailleurs ,  ce  tact  délicat  est  répandu  sur  tout  \t 
corps,  et  des  hommes  privés  de  leurs  bras  ont  fiit 
avec  les  doigts  des  pieds  des  ouvrages  d'art  aux- 
quels les  mains  ne  suffiraient  pas  toujours;  Le  pouce 
de  la  main ,  le  grand  orteil ,  qui  sont  formés  dans 
leur  structure  musculaire  avec  un  soin  si  particu- 
lier, quoiqu'ils  nous  semblent  avoir  peu  d'impor- 
tance dans  la  conformation  générale  du-coips^  sont 
d'une  utilité  presque  indispensable,  l'un  pour  se 
lemr  droit  et  pour  marcher,  l'autre  pour  saisir  les 
objets,  et  en  général  pour  tous  les  besoins  de  la 
pensée  qui  exerce  un  art. 

On  a  souvent  répété  que  l'homme  a  été  créé  sans 
défense ,  et  qu'un  des  cai^actères  qui  le  distinguent, 
c'est  l'impuissance  où  U  est  réduit.  Rien  n'est  plus 
tkux  que  cette  assertion;  il  a  des  armes  pour  se 


CHÀPITRB  111.  199 

défendre,  /çomaie  toutes  les  autres  créatures.  Ia 
singe  marne  le  bâton  ^  U  jejtte  de  la  boue  et  d^ 
pierre»  ;  U  grioipç  «ur  les  arbres ,  et  il  échappe  aa 
serpent  9  son  plus  cruel  ennemi*  U  découvre  les  toits 
des  maisons  et  va  même  jusqu'à  tuer  des  hommes. 
La  jeune  fîUe  sauvage  de  Songi  s'était  armée  çontrf 
sa  compagne  d'un  bâton ,  dont  elle  l'avait  frappée 
à  la  tète,  et  la  force  qui  lui  manquait, s, était  bien 
compeasée  par  l'habileté  qu'elle  avait  à  courir  et 
à  grimper.  Ainsi  l'homme,  à  l'état  sauvage»  n'e«t 
pas,  par  la  nature  de  son  organisation,  privé  4^ 
défense }  et  quand  il  esi  debaut  et  civilisé ,  quel 
animal  a  les  instrumens  qu'il  possédée  dans  ses  bras, 
dans  ses  mains,  dans  la  mobilité  de  son  porps  et 
dans  toutes  ses  Ëicultés  ?  L'art  est  la  plus  puissante 
des  armes,  et  l'homme  est  un  art  vivant  ,4ane  arme 
organisée  pour  la  définise*  U  n'a,  il  est  vmi,  ni 
griffes ,  ni  dents  pour  attaquer  ;  mais  il  était  destiné 
à  être  une  créature  douce  et  pacifique,  et  non  pas 
à  devehir  un  cannibale. 

Combien  n'est-il  pas  de  fitcultés  qui,  cachées 
d^ms  chacun  i^s  sen$  de  l'homme,  ne  sont  ré^ 
vélées  que  par  la  nécessité^  le  besoin,  la  maladie» 
le  manque  de  quelques  autres  sens,  une  çonfor^r 
mation  monstrueuse  ou  un  accident  fortuit  !  et  par 
là  noœ  pouvons  conjecturer  que  nous  renfermons 
en  nous  d'autres  sens  qui  ne  doivent  pas  se  mani- 
fester dans  ce  monde.  Si  des  aveugles  oiit  élevé  le 


aoO  LItRE  IV.' 

sentiment  du  toucher  et  de  Fouie,  là  mânoire,  le 
pouvoir  de  calculer,  à  un  degré  de  perfection  qui 
parait  incroyable  aux  hommes  ordinaires,  n'est-il 
pas  à  présumer  qu'une  foule  de  trésors  inconnus, 
aussi  précieux  par  leur  variété  que  par  leur  beauté , 
restent  enfouis  dans  d'autres  sens,  sans  avoir  été 
développés  dans  notre  constitution  présente?  Déjà, 
à  quelle  finesse  de  perception ,  à  qudle  exactitude, 
à  quelle  délicatesse ,  dans  les  rapports  de  la  vue  et 
de  l'ouïe,  l'homme  n'est-il  pas  p&rvenu  !  Or,  il  faut 
croire  que  ce  mouvement  de  perfection  augmen- 
tera- dans  un  état  supérieur,  puisque,  selon  l'obser- 
vation de  Berkley ,  la  lumière  est  le  langage  de  la 
divinité ,  dont  nos  sens  les  plus  parfaits  ne  font 
qu'épèler  ici-has  les  élémens  dans  un  millier  de 
formes  et  de  couleurs.  La  mélodie,  que  l'oreille 
humaine  perçoit  et  que  l'art  développe,  n'est  autre 

.  que  la  sdence  mathématique  pure  que  l'ame  ne  fait 
qu'appliquer  par  Fentremise  des  sens,  et  c^est  aussi 
ce  qui  arrive  pour  les  lois  de  la  géométrie  la  plus 
rigoureuse.  Sans  avoir  une  conscience  nette  de  ses 
théorèmes ,  elle  en  fait  l'application  exacte  par  le 
moyen  de  l'ceil  cpxe  frappent  les  rayons  de  lumière. 
Dans  quel  étonnement  tomberions-notis ,  si ,  nous 
élevant  d'un  degré,  nous  pouvions  voir  distincte- 
ment tout  ce  que  nous  exécutons  au  sein  des  té- 

^  nèbres  avec  nos  sens  et  nos  facultés  dans  le  sys- 
tème compliqué  de  notre  machine  divine  :  noble 


CHAPITRE  II L  :i01 

destinée  )  à  laquelle  l'animal  semble  .se  préparer 
lui-même  d'ime  manière  conforme  à  son  organi- 
sation ! 

Toutefois,  ces  înstrumens  de  l'art,  le  cerveau, 
les. sens  et  les  mains,  seraient  inutiles,  même  avec 
l'attitude  droite,  si  le  Créateur  ne  nous  eût  pas 
accordé,  pour  les  mettre  en  oeuvre,  h  don  àélesie 
de  la  parole.  C'est  par  elle  que  s'éveille  la  raison 
endonnie,  ou  plutôt,  la  capacité  pure  de  la  raison, 
qui  d'elle-même  condamnée  à  une  étemelle  oisiveté, 
acquiert  par  la  parole  une  puissance  et  un&  effica- 
cité vitales.  .Ce  n'est  que  par  la  parole  que  l'œil  et 
1  oreille ,  en  un  mot ,  que  les  impressions  de  tous 
les  sens  sont  réunies  en  un  seul  et  même  foyer  dans 
Ja  pensée  souveraine,  dont  les  mains  et  les  autres 
membres  ne  sont  que  lès  instmmenii  serviles. 
li  exemple  des  sourds  et  muets  de  naissance  prouve  ' 
combien  il 'est  diflfcile  à  l'homme  privé  de  la  pa- 
role, d'atteindre  à  des  idées  raisonnables ,  même 
en  vivant  au  milieu  d'autres  hommes,  et  jusqu'à 
quel  point  l'état  animal  domine  avec  tous  se^  ins- 
tocts  les  plu»  dégradans.  Sans  s'inquiéter  en  riem 
^e  la  valeur  morale  de  leurs  actes,  ils  imitœt  tout 
ce  que  leur  œil  aperçoit,  mais  avec  moins  de  per- 
fection que  le  singe,  parce  qu'ils  n'ont  p^  desen- 
«onurn  interne  pour  distinguer  les  objets,  ni  même 
de  sympathie  pour  leur  propre  espèce.  On  a  des 
temples  de  sourds  et  muets  de  naissance  qui  ont 


20^  unuB  rr. 

égorgé  leur  frère ,  parce  qu'il»  avttent  tu  égorger 
un  porc  )  et  qui  sans  frémir  loi  ont  arraché  les 
entrailles,  pour  mieux  imiter  ce  qui  s'était  passé 
sous  leurs  yeux  1;  prenye  effroyable  de  ce  que 
peuvent  faire  d'eux-mêmes  Tintelligence  si  frêle  de  '^ 
l'homme  et  les  s^itimens  de  l'espèce.  Il  faut  donc 
considérer  les  organes  délicats  de  la  parole  conme 
les  instrumens  qui  ont  servi  à  l'éducation  d^  notre 
raison ,  et  le  langage  comme  l'étincelle  céleste  qui 
enflamme  par  degrés  notra  pensée  et  nos  sens. 

Dans  les  animaux,  nous  apercevons  des  ess^âsj 
des  préparations  qui  ont  pour  but  la  parole;  et 
ici  aussi  la  nature  s'élève  par  degrés  dans  ses 
opérations  jusqu'à  la  perfection  de  cet  art  dans 
l'homme.  La  fonction  seule  de  la  respiration  exige 
le  concours  de  la  poitrine  entière,  avec  ses  os,  ses 
ligamens  et  se»*  muscles,  du  diaphragme,  d'une 
partie  de  l'abdomen,  du  cou  et  de^  épaule»;  c'est 
pour  ce  phénomtee  organique  que  la  nature  a 
construit  toute  la  colonne  épinière,  avec  ses  liga- 
mens et  ses  côtes ,  ses  muscles  et  ses  vaisseaux. 
Elle  a  donné  aux  parties  du  thorax  le  degré  de 
fixité  et  de  mobilité  nécessaire,  et  elle  s'est  élevée 
successivement  ^es  créatures  inférieures,  jusqu'à 
former,  avec  plus  de  perfection,  des  pouinons  et 

i.  Je  me  rappelle  que  Ton  en  cite  un  exemple  dans  SackU 
vertheidigtem  Glauben  der  Christen  :  Défense  de  la  foi  chré- 
tienne',  par  Sacli:>  et  j^en  ai  vu  plusienri  dans  d^antres  oavrages* 


CHAPITRE  III.  '        203 

la  trachée-arière.  L^anîmal  qui  Tient  de  naître  ; 
aspire  avidaneni  k  premier  souffle;  mais  bientôt 
après,  il  semble  inquiet,  comme  s'il  était  arrivé 
quelque  accident  auquel  il  n'était  pas  préparé. 
D'innombrables  parties  sont  destinées  à  concourir 
à  cette  fonction  ;  car  presque  toutes  les  parties  du 
corps  ont  besoin  d'air  pour  agir  avec  efficacité. 

Cependant  quelque  avidité  que  toutes  ies  créatures 

• 

aient  pour  ce  divin  souffle  de  vie,  elles  ne  sont  pas 
toutes. douées  de  la  voix  et  de  la  paroie,  qui,  en 
dernier  résultat,  est  l'effet  combiné  de  l'action  du 
sommet'de  la  trachée-artère,  de  quelques  cartilages 
et  de  quelques  muscles,  et  de  ce  simple  membre, 
la  langue.  Cet  artisan  si  varié  de  toutes  les  pen- 
sées et  de  toutes  les  paroles ,  nous  apparaît  sous  la 
forme  la  plus  simple  5  c'est  lui  qui  a  mis  en  mou- 
vement non -seulement  toute  la  sphère  des  Idées 
humaines,  mais  qui  a  exécuté,  par  le  moyen  d'un 
peu  d'air,  que  les  lèvres  mobiles  laissent  échapper 
en  s'entr ouvrant  à  demi,  tout  ce  que  Fhomme  a 
entrepris^sur  la  terre.  Rien  n'est  plus  intéressant  que 
d'obserter  la  gradation  que  la  nature  a  suivie  pour 
conduire  ses  créatures ,  depuis  ïe  poisson ,  le  ver  et 
l'insecte  muet,  au  phénomène  de  la  voix  et  de  la 
parole.  L'oiseau  jouit  de  son  chant  y  comme  de  l'oc- 
cupation la  plus  heureuse  et  de  la  qualité  la  plus 
excellente  dont  il  a  été  doué  par  le  Créateur.  L'ani- 
mal qui  a  de  la  voix,  a  recours  à  elle,  quand  il  suit 


'3o4  Limk  îT. 

quelque  penchant,  et  qu'il  cherche  à  exprimer  ou 
ses  plaisirs  ou  ses. souffrances  ;  il  fait  peu  de  gestes 
et  ceux  auxquels  la  nature  a  refusé,  toute  propor- 
tion gardée,  une  yoix  animée,  sont  les  seuls  qui 
parient  par  signes.  Par  sa  conformation ,  la  langue 
de  quelques  animaux  est  en  état  de  prononcer  des 
paroles,  dont  ils  ne  comprennent  pas  le  sens.  L'or- 
ganisation externe ,  surtout  quand  elle  est  aidée  par 
rnomme,  hâte  le  développement  de  la  capacité 
interne.  Mais,,  ici  sç  trouve  un  obstacle  invincible, 
et  le  singe,  malgré  toute  sa  ressemblance  avec 
l'homme ,  est  évidemment  et  forcément  privé  de 
la  parole,  à  cause-  des  masses  de  chair  qui  sont 
placées  sur  les  côtés  de  la  trachée-artère.^ 

Pourquoi  le  père  de  la  nature  humaine  en  a-t-il 
agi  ainsi?  Pourquoi  n'avoir  pas  permis  au  singe, 
imitateur  de  tout ,  d'imiter  précisément  ce  critérium 
du  genre  humain ,  et  lui  en  avoir  interdit  les  moyens 
par  des  obstacles  particuliers?  Entrez  dans  un  hô- 
pital de  fous,  et  prêtez  l'oreille  à  leurs  discours; 
écoutez  les  cris  inarticulés  des  monstres  et  de$ 
idiots  :  que  leurs  accens  sont  douloureux  ;  qu'il  est 
triste  d'entendre  ainsi  le  don  de  la  parole  proÊné 
par  eux  !  Et  combien  ne  serait-il  pas  plus  pro&né 
encore  dans  la  bouche  du  singe  grossier,  lascif  et 


1  * 


1 .  Voyes  PEssai  de  Camper  sur  les  organes  de  la  parole  dani 
Im  ftinges.  (Transaci.  philot.,  1779»  part,  i.) 


CHAPITRE  III.  205 

brutal,  s'il  pouTait  imiter  le  langage  humain  avec 
cette  demi  -  inteUigence  que  je  n'hésiie  pas  à  lui 
accorder!  Un  mélange  odieux  de  paroles  combi- 
nées avec,  les  pensées  dW  singe!  Non!  la  faculté 
divine  du  langage  ne  devait  pas  être  ainsi  désho- 
norée; aussi  le  singe  est -il  muet,  plus  muet  que 
ses  compagnons,  qui  ont  chacun,  mèmç.la  gre- 
nouille et  le  lézard ,  une  voii  particulière. 

Mais  la  nature  a  formé  l'homme  pour  l'usage 
de  k  parole,  et  c'est  pour  cela  qu'elle  lui  a  donné 
une  attitude  droite,  et  qu'elle  a  placé  sa  poitrine 
voûtée  sur  une  colonne.  Les  hommes  qui  ont  été 
par  accident  élevés  parmi  les  animaux,  non-seule- 
ment ont  perdu  l'usage  du  langage,  mais,  jusqu'à 
nn  certain  point  la  puissance  de  l'acquérir  :  preuve 
évidente  que  leur  gosier  s'était  défiànné  et  .que  la 
parole  huixiaine  ne  peut  se  rencontrer  qu'avec  l'at-^ 
titude  droite  ;  car ,  bien  que  plusieurs  animaux  aient 
les  organes  de  la*  parole  aussi  bien  que  l'homme, 
îiucun  d'eux  n'est  capable  de  fournjr  ce  ûot  con^ 
iinu  qui  s'échappe  librement  de  la  poitrine  de 
thomme  et  des^  douces  inflexions  de  ses  lèvres. 
L'bonmie,  au  contraire ,  peut  non  seulement  imiter 
tous  leurs  sons,  tous  leurs  accens,  de  telle  sorte 
Cjuil  est,  comme  dit  Monboddo,  V oiseau  moqueur 
des  créatures  terrestres;  mai»  lin  Dieu  lui  a  en- 
seigné l'art  d'exprimer  ses  idées  par  des  articulations 
de  voix ,  de  peindre  des  formes  par  des  sons  et  de 


206  LIVRE  IV. 

gouverner  la  terre  par  la  puissance  de  sa  parole. 
Sa.  raison  et  son  perfectionnement  viennent  du 
langage»  car  c'est  par  là  seulement  cpi'il  se  gou- 
verne lui-même  et  qu'il  réalise  véritablement  la 
réflexion  et  la  liberté  pour  lesquelles  son  organi- 
sation n'avait  fait  que  lui  donner  des  capacités 
oisives  par  elles-mêmes.  Il  peut^  il  doit  exister  de» 
créatures  supérieures  dont  la  raison  s'explique  par 
le  regard;  un  caractère  visible  leur  suffit  pour 
former  et  distinguer  des  idées;  mais  l'homme  de 
cette  terre  est  instruit  par  l'oreille  à  comprendre 
le  langage  de  l'oeiL  II  faut'  d'abord  que  la  diflfé- 
rence  des  choses  soit  gravée  dans  son  ame  par  la 
voix  d'un  autre  ;  et  par  là  il  apprend  à  communi- 
quer ses.  propres  pensées,  d'abord  probablement 
par  des  inflexions  fortement  accentuées ,  et  ensuite 
par  le  son  vocal  et  par  le  chant.  Les  nations  orien- 
tales ont  un  mot  expressif  pour  désigner  les  ani- 
maux, qu'elles  appellent  les  enfans  muets  de  h 
terre.  Au  moment  où  l'homme  fut  organisé,  pour 
la  parole ,  il  reçut  le  souffle  de  la  divinité,  le  germe 
de  la  raison  et  de  réteraelle  perfection ,  l'écho  de 
cette  voix  &ite  pour  gouverner«la  terre;  en  un  mot, 
Mari  céleste  des  idées  ^  le  père  de  tous  les  arts. 


CHAPITRE  IT.  207 

CHAPITRE  IV. 

Uhomme  est  organisé  pour  des  instincts 
plus  purs  que  ceux  des  ajtimauXy  et 
en  conséquence  pour  la  liberté  d'action. 

On  répète  incessamment  que  Tinstinet  manque 
à  i'faomme  et  que  c'^st  là  le  caractère  discinctîf  de 
l'espèce  :  mais  il  a  tous  les  instincts  que  possèdent 
les  animaux  qui  l'entourent  :  seulement ,  pour  qu'ils 
soient  conformes  à  son  organisation,  ils  sont  or- 
donnés en  lui  suivant  des  rapports  plus  délicats. 

Il  panait  que  l'enfant,  dans  le  sein  de  sa  mère, 
passe  par  tous  les  états  qui  appartiennent  à  une 
créature  terrestre.  Il  nage  dans  l'eau;  il  reste  pen- 
ché, la  bouche  ouverte  :  ses  mâchoires  sont 
déjà  développées  avant  d'être  recouvertes  par  les 
lèvr€8,  qui  ne  se  forment  que  tard.  A  peine  est-il 
veau  au  monde,  qu'il  aspire  l'air,  et  le  premier 
acte  qu'il  accomplit  sans  en  avoir  été  instruit ,  est 
de  sucer.  Tout  le  procédé  de  la  digestion  et  de  la 
nutrition ,  de  la  &im  et  de  la  soif,  se  Êit  par  ins- 
tinct, ou  par  quelque  impulsion  encore  plus  ohs-» 
cure.  Les  pouvoirs  musculaires  et  générateurs 
tendent  également  à  acquérir  leur  développement 
complet  ;  et  si  quelque  passion  ou  quelque  maladie 
prive  l'honttne  de  sa  raison,  on  remarque  aussitôt 


3d8  UVRE  IV.  ; 

en  lui  tous  les  instincts  animaux.  Le  danger  et  k 
nécessité  révèlent  dans  Thomme,  et  même  dans  des 
nations  entières  qui  mènent  une  vie  sauvageries 
capacités,  les   sens*  et  les  pouvoirs  des  animaux. 

L'homme  n'^t  donc  pas,  à  proprement  parler, 
privé  d'instincts;  mais. ils  sont  réprimés  e|i  lui  et 
subordonnés  à  un  système  plus  parfait  de  nerfs  et 
de  sens  ;  sans,  eux,  la  créature,  qui  tient  encore  en 
grande  partie  de  l'animal ,  ne  pourrait  pas  vivre. 

Mais  quel  est  le  mode  de  répression  ?  comment 
la.  nature  les  range -t- elle  sous  l'empire  du  genre 
nerveux?  Considérons  leurs  progrès .  depuis  l'en- 
fancQ  j  et  cet  examen  nous  montrera  sous,  un  aispeci 
très -différent,  ce  dont  les.  hommes^e  sont  affligés 
si  follement ,  comme  de  la  faiblesse  humaine. 

L'homme,  dans  sa  première  enfance,  est  plusiaible 
qu'aucun  autre  animal,  et  cela  pour  une  raison, évi- 
dente; c'est,  qu'il  est  destiné  à. recevoir  une.  figure 
qui  ne  .peut  p^  se  développer  dans,  le  $an.de  sa 
mère.  Les  quadrupèdes  reçoivent  leur  forme  avant 
de^  venir  au  jour;  et,  quoique  d'abord  la.  tète  soit 
disproportionnée  j  autant  que  celle  de^  l'honune, 
elle  atteint  bientôt  son  exacte  proportion.  Les  ani- 
maux en  qui  le  genre  nerveux  prédomine ,  sont  très^ 
Êiibles  aux  premiers  momens  de  leur  naissance;  mais 
l'équilibre  des  pouvoirs  s'établit  en  quelques  jours 
ou  quelques  semaines.  L'homme  seul  re^e  long- 
temps fiiible  ;  car  il  s^n^ible  que  tout  so^icorp  n'est 


CHAt>lTR£  ÏV.  ÛOg 

fm  que  pour  la  tête,  qui  est  d'une  grosseur  dis* 
proportionnée  dans  le  sein  et  pendant  la  première 
époque  de  la  naissance.  Les  autres  parties,  qui  ont 
besoin  d'une  nourriture  terrestre^  d'air  et  de  mou^ 
vemeni,  mettent  plus  de  temps  à  atteindre  leur 
maximum,  quoique,  durant  toute  la  période  de 
fenÊmce  et  de  la  jeunesse,  elles  grandissent  dans 
de  justes  mesures ,  sans  que  la  tête  continue  de 
se  développer  avec  elles  dans  une  égale  proportion^ 
L'en&nt,  dans  la  première  époque  de  sa  vie,  est 
donc  frappé  d'une  sorte  d'impuissance  dans  les 
parties  qui  composent  le  sommet  de  son  organi-^ 
satîon;  aussi  les  pouvoirs  qui  en  dépendent  sont** 
ils  ceux  que  la  nature  s'empresse  le  plus  de  perfec-^ 
tionner.  Avant  d'apprendre  à  marcher,  il  apprend 
à  voir,  à  entendre,  à  toucher,  et  à  se  servir  du 
mécanisme  délicat  et  de  la  géométrie  de  ces  sens. 
U  les  exerce,  comme  tous  les  animaux,  d'une  ma- 
nière instinctive,  et  seulement  dans  une  sphère  plus 
élevée,  hien  que  ce  ne  soit  pas  toutefois  en  vertu 
d'un  art  et  d'une  habileté  innée;  car  toute  l'indus- 
trie des  animaux  résulte  d'impulsions  plus  gros- 
sières, et  si  elles  dominaient  dès  l'enfance,  l'homme 
resterait  animaL  Capable  de  tout  faire  sans  avoir 
rien  appris,  il  n'apprendrait  aucune  chose  qui  lui 
appartint  en  propre.  En  un  mot,  ou  la  raison  innée 
n'est  en  lui  qu'un  instinct,  ce  qui  semble  impli- 
quer contradiction;  ou  il  iaut^  pour  qu^il  puisse 


aïO  LIXRE  IV. 

apprendre  la  raison  y  qu'il  viemie  au  monde  dan« 
l'état  de  f^lessë  où  il  h»  mpntre  à  nos  yeux. 

C'est  là  d^uis  son  eipËmce  Tolbjet  d6  saa  étude, 
et  il  (est  {pTEûé  ps^r  l^ait  à  la  raisoB,  à  la  liberté  et 
^  la  p<irole»  comme  il  Test  à  sa  n^anière  de  marcher. 
L'enfant  à  la  ntomelle  repose  sur  le  coeur  de  sa 
mare,  qui  développe,  ei^  le  caressant)  le  firuit  de  ses 
entrailles  et  de  sa  jeunesse.  Les  sens  les  pins  déE- 
cats,  l'oeil  et  l'oreille,  s'éveillent  les  premiers;  le 
son  et  les  former  leur  servent  de  guides  :  heureux, 
s'ils  ne  sont  point  égarés  !  Le  sens  de  la  vue  se  dé- 
veloppe peu  à  peu  de  lui-même;  l'en&nt  porte  at- 
tentivement s^  yeux  sur. les  êtres  semblables  à  lui 
qui  l'entourent  y  en  mtme  temps  que  son  oreiiie 
éeoute  leur  langage ,  et  c'est  aii^si  qu'il  apprend  à 
distinguer  ses  pr^ières  idéesi  De  la  même  masière, 
la  main  apprend  peu  à  peu  à  palper,  et  alors  ses 
membres  tendent  à  se  fortifier  par  l'exercice.  U 
con^mence  par  être  un  élève  des  deux  sens  les  plus 
délicats;  car  l'instinct  scientifique  qu^  doit  être  for- 
mé en  lui,  n'est  a\itpe  que  la  Faisan ^  Phumanàé, 
im  gçnre  de  vie  propre  à  P homme ,  et  tel  qu'aucun 
animal  ne  peut  ni  le  posséder,  ni  l'acquérir,  les 
animaux  domestiques  acquièrent,  il  est  vrai,  quel- 
ques connaissances  par  l'entrepiise  de  Tbomme, 
mais  seulement  en  tant  qu^imaux,  et  sans  deveuir 
foifr  cela  des  hommes. 

Bar  là,  on  voit  oe  qu'est  la  raison  husuose; 


CHAPITRE  ly.  an 

ce  mpt,  si  souvent  profaBe  dans  des  écrits  mo- 
dernes, jusquejà  qu'on  Ta  considérée  comme  tin    . 
automatisme  inné,  qoi  ne  peut  conduire  qu'à  Ter- 
reur. Dans  la  théorie,  aussi  bien  que  dans  la  pra- 
tique, la 'raison  n'est  que  le  résultat  d  une  étude  in- 
volontaire, la  connaissance  acquise  du  système  et 
des  rapports  moraux  et  intellectuels  pour  lesquels  ' 
l'homme  est  formé  en  vertu  de  son  organisatiopi 
et  de  son  genre  de  vie.   Nous  ne  savons  pas  ce 
que  c'est  que  la  raison  d'un  ange ,  pas  plus  que    t  c 
nous  ne  sommes  capables  d'avoir  une  perception 
claire  de  Fétat  interne  d'une  créature  qui  nous 
est  inférieure.  La  raison,  de  l'homme  est  une  raison 
humaine;  dès  son,  enfance  il  compare  les  idées  et 
les  impressions  de  ses  sens  les  plus  délicats,  et  les 
résultats  de  cette  opération  dépendent  de  la  finesse 
et  de  l'exactitude  avec  lesquelles  il  perçoit  les  ob- 
jets, du  nombre  de  ses  perceptions  et  de  l'habileté 
interne  avec  laquelle  il  apprend  à  les  coordonner. 
L'unité  qui  Sort  de  cet  ensemble  de  choses,  est  sa 
pensée;  et  les  diverses  combinaisons  de  ses  sen- 
timens  pour  juger  du  vrai  ou  du  faux,  du  bien 
ou  du  mal,  dés  sources  de  bonheur  ou  de  mal-^ 
heur;  voilà   ce  qui  compose  sa  raison,  l'œuvre 
progressive  des  divers  phénomènes  de  la  vie  hu- 
n[iaine  Admirable  puissance ,  qui  fi'èst  point  innée 
en  lui,  mais  qu'il  acquiert  peu  à  peu,  et   c'est 
d'après  la  nature  des  impressions  qu^  a  reçues, 


«»# 


âlS  LITRE  1T« 

des  idées  qull  s'est  formées  des  objets  ;  c'esi  dV 
près  la  force  et  l'énergie  interne  qu'il  a  dévdop 
pées  en  assimilant  ces  impressions  inverses  à  ses 
Êicultés  morales,  que  sa  raison  est  ou  riche  ou 
pauvre,  ou  saine  ou  naïade,  ou  étroite  ou  éten- 
due, comme  son  corps  même.  Si  la  nature  nous 
a  trompés  par  de  Êiusses  percq>tions  sensibles,  il 
&ut  nous  abandonner  à  elle,  et  suivre  les  images 
décevantes  qu'elle  a  placées  devant  nous.  Tant 
que  les  hommes  posséderont  les  mêmes  sens, 
leurs  erreurs  seront  les  mêmes.  S'ils  nous  trom- 
pent, et  que  nous  n'ayons  ni  organes- ni  facultés 
pour  reconnaître  la  fraude  et  pour  ramener  nos 
impressions  à  un  type  plus  exact,  notre  raison  est 
attônte  dans  ses  élémens  pratiques,  et  il  aVrive 
souvent  que  cet  état  se  prolonge  pendant  toute 
notr^  vie.  Comme  l'homme  ne  &it  rien  sans  Favoir 
appris,  et  que  c'est  là  le  caractère  de  sa  destinée  et 
de  son  instinct;  comme  il  faut  qu'il  étudie  jusqu'à 
sa  manière  de  marcher,  ce  n'est  qu'après  plusieurs 
chutes, qu'il  parvient  à  se  tenir  debout,  et  souvent 
il  n'atteint  la  vérité  qu'à  l'aide  de  l'erreur.  L'aninial, 
au  contraire,  se  meut  en  sûreté  sur.  ses  quatre 
{Meds;  car  il  à  pour  guides  les  impulsions  et  les 
sensations  les  plus  fortement  imprimées.  L'homme 
jouit  de  la  prérogative  royale  de  porter  au  loin  ses 
regards  dans  l'espace,  la  tête  élevée;  mais  il  faut 
avouer  qu'il  voit  plus  obscurément  et  moins  juste; 


CHAPITRE  IV.  31 S 

sonvent  même  il  s'oublie  en  marchant ,  et  il  n'est 
rappdé  à  lui  que  par  le  choc  inattendu  de  l'étroite 
base  sur  laqudle  repose  tout  l'édifice  des  idées  et 
des  jugemens  que  son  cœur  «t  sa  tête  ont  rassenb- 
blés.  Mais  il  n'en  reste  pas  moins ,  conformément  à 
la  hauU  destination  de  sa  ra/^on,  ce  qu'il- n'est 
donné  à  aucune  autre  créature  d'être  sur  la  terre, 
un  fils  de  Dieu,  un  souverain  du  nionde. 

Pour  mieux  reconnaître  la  prééminence  de  cette 
destinée,  examinons  ce  qui  est  contenu  dans  le  don 
suprême  de  la  nUson  et  de  la  t&erté^  et  comlnen 
la  nature  a  hésité,  pour  ainsi  dire,  avant  de  con^ 
fier  ces  puissances. à  une  créature  aussi  fidèle,  aussi 
compliquée,  aussi  terrestre  que  l'homme.  Les  ani- 
maux ne  sont  que  des  esclaves  courbés,  bien  que 
quelques-uns  de  l'espèce  la  plus  noble  portent  la 
tète  droite,  ou  au  moins  élèvent  librement  leur  cou. 
Mais  leurs  intelligences,  que  la  raison  ne  dirige 
point  ^  sont  subordonnées  aux  impulsions  de  la 
nécessité,  et  faites  pour  servir  aveuglément  les  sens 
et  les  appétits.  L'homme  est  de  toutes  les  créatures 
la  seule  qui  soit  ^restée  libre  :  il  marche  droit;  il 
tient  la  balance  du.  bien  et  du  mal ,  du  vrai  et  du 
&UX  ;  il  peut  examiner  et  choisir.  Comme  la  nature 
lui  a  donné  deux  mains  libres  pour  lui  servir  d'ins- 
tnunens,  et  un  œil  perçant  pour  diriger  sa  marche, 
9on*  seulement  elle  lui  a  donné  le.  pouvoir  de 
plaoer  les  poids'  dans  la  balance,  mais  encore  elle 


st4  litB£It; 

a  permis  qufil  fut  loi-riiiâine,  pour  aina  dîne,  un 
poids  dans  le  bassin.  Il  pieut  tomber  dans  les  {du$ 
grandes  erreurs  et  se  tromper  Tcdontsirenimt:  il 
peut:  apprendre  avec  le  temps  à  aimer  les  daines 
qui  pèsent  sor  lui'  contre  le  droh  de  la  nature  et  à 
les  orner  de  fleurs.  Ce  qui  a  lieu  pour  sa  raison 
égarée^  arrive  aussi  pour  sa  Hberté^  ou  m^onnue 
ou  effrénée;  dans  la  plupart  des  hommes,  le  rap- 
port dbs  forces  et  àts  pcnchftiis  est  tel  qu'il  a  été 
<taUi  par  Thabitade  ou  la  donv^^iance.  L'homme 
&it  rarement  àcteiiiion^à  «es  choses,  ei  il  peut  tonn 
ber  aurdessdus  de  ranimai  ^lerfquH  est  dcttdlBépar 
de  vils  penobans  et  d^'odieuâes  babilades. 

C'est  un  roi^  €ons«*vant  encore  Papanage  de  sa 
Hberté,  inéme  quand  il  en  abuse  de  la  mattâèrela 
plus  détestable.  Il  peut  encore  choisir;  quand  même 
c'est  pour  choisir  le  mal  j  il  obéit  k  son  popre 
commandement,  même  quanrd,  par  sa  propre  vo- 
lonté, il  se  porte  aux  excds^  les  plus  méprisables. 
Devant  celui  qui  sait  tout,  et  qui  lui  a  cowftre  ces 
pouvoirs,  il  est  vrai  que  sa  liberté  et  sa  raison  ont 
des  bornes,  et  il  est  heureux  qrfil  en  soit  ainsi;  caf 
celui  qui  a  feit  surgir  la  source  dbnt  elles  dérivent, 
a  sans  doute  prévu  la  pente  qu'e&es  devaient  suivre, 
et  il  n'ignore  pas  qneBè'  dîrec«ion  il  feut  leur  don* 
ner  pour  qufe  le  torrent,  jusque  dans  son  cours  le 
jrfus  impétueux ,  ne  puisse  échapper  à  ses  atteintes. 
Mais  ceci  n'apporte  aucun  cheoigement  ni  dans  h 


CHAPITRE  ÎT.  2x6 

cliose  €lle-mème,  ni  dans  la  nature  de  l'homme; 
il  est  et  demeure,  en  soi,. une  créature  Kbré,  quoi- 
que la  bontés  qui  comprend  tout,  l'émbra^ë  jusque 
dans  ses  folies,  et  les  fesse  tourner  à  son  biea  pAv- 
ticulier  et  au  lAtn  géiiéral.  C!omme  le  boulet  qui 
s'élance  de  la  boiicbè  du  canon,  ne  peurt  s'échappélr 
de  l'atmosphère  té^reëtre,  et  quç,  lorsqu'il  tomb^, 
c'est  en  vertu  d'une  loi  unifôrme  de  la  ùatiire,  dé 
même  l'boâ^mle,  dailià  Tef^rcur  et  dans  la  vérité,  sok 
qu'il  tombe  où,  qtr'îl  6'éfêve,  est  ràeore  f  homme; 
faible  il  est  frai,  Ddais  né  fibte;  il  est  sinon  raison^ 
nable,  dû  Étfôins  capable  d'une  raison  ëupéi^eure, 
sinon  formé  à  Ffaumanité ,  au  moinfs  doué  du  pour- 
voir de  Taitëindre.  Newton,  Fén^on,  les  màlheu^ 
reux  habitans  âe  k  Nouvdle-Zélande  et  de  la:  Ter^é 
de  feu  9  sont  toifts  des  créatures  d'une  fieule  et  Inèmç 
espèce 

U  parait^  en  effet,  que  toute  la  variété  possible 
dans  l'usage  de  ces  nobles  attributs*  de  lat  pensée, 
devait  se  présenter  stir  la  terre.  Il  y  à  évide^mélit 
une  éehdle  progi^essivé  depuis  lliômme  qui  ^ei*t  de 
limite  à  l'animal,  jusqti'aù  gétaié  le  plus  éle^  qin 
puisse  apparaître  sôus  ta  forme  hunlainë  Et  coni^ 
ment  «'en  étonne^,  quaïid  nous  voyons  Pi«!iÉcièiise 
série  des  anim^u^s:  s'approche^  dé  nOus ,  et  lé  loâ^ 
cours  qW  là  nature  à  été  obligée  àë  prendre  poti^ 
préparer  otgaûiquemeht  en  Aolis  la  fleur  fécondante 
de  la  raison  et  de  la  liberté?  Il  est  à  croire  que  toutes 


2l8  LIVRE  IT. 

sociale,  de  la  fraternité  et  de  la  fidélité  dans  la  vie 
et  dans  la  mort;  s'ils  ont  abdiqué  leurs  propres 
volontés  9  pour  se  sputnettre  à  Tempire  des  iosdr 
tutions  ;  s'ils  ont  établi  et  défendu  de  leur  sasg 
l'autorité  légale  de  l'homme  sur  l'homme,  quoi- 
qu'elle reste  encore  loin  de  sa  perfection;  si  des 
mortels  généreux  se  sont  sacrifiés  pour  leur  pays, 
si  non-seulement  ils  ont  perdu  leur  vie  dans  ub 
moment  tumultueux,  mais,  ce  qui  est  bien  plus 
magnstnime,  si  le  jour  et  la  nuii;,  pendant  des  mois 
et  des  années ,  ils  n'ont  pepsé  dans  le  travail  Bon 
interrompu  de  toute  une  Vie,  qu'à  préparer,  au 
moins  isuivant  leur  opinion,  la  paix  et  le  bonheur 
d'une  multitude  arveu^e  et  ingrate;  si  des  philo- 
sophes se  sont  soumis  vplontairemetit  à  la  calqm- 
nie  et  à  la  persécution,  à  la  pauvreté  et  aux  besoins 
par  le  désir  glorieux  de  propager  la  vérité,  la 
liberté  et  le  bonheur  dans  l'espèce  humaine;  s'ils 
ont  mis  toute  leur  féliaité  à  répandre  sur  leurs 
frères  les  plus  sublimes  bien&its  dont  ils  étaient 
capables  ;  tout  cela  certainement  atteste  d'immenses 
vertus,  et  la  puissance  de  cette  destinée  intérieure 
qui  nous  appardent  et  qui  nous  est  inhérente;  car, 
à  vrai  dire,  je  ne  saurais  expUquer  sans  elle  ces 
phénomènes  de  l'ordre  social  II  fiiut  avouer  que 
le  nombre  de  ceux  qui  se  sont  ainsi  distbgués 
de  la  foule ,  et  qui ,  semblables  à^  des  niédccins 
dévoués,  se  sont  élevés  à  des  actions  que  le  mou- 


CHAPITRE  T.  219 

Tement  instinctif  ne  leur  eût  point  con^nfiandés , 
est  tpès-limité  :  mais  ce  petit  nomj|l)re  a  été  la  fleur 
de  respèee»  ils  sont  les  fils  libres  et  immortels 
de  Dieu  sur  la  terre  ;  le  nom  d'un  seul  de  ceux-là 
dépasse  eii  gloire  ceux  d  un  million  d'autres. 

CHAPITRE  V. 

Quelque  délicate  que  soit  la  santé  de 
ïhonime,  il  est  destiné,  par  son  orga- 
nisation  même,  a  viçre  plus  long^temps 
qu'aucune  autre  créature  et  h  se  répan-- 
dre  sur  toute  la  surface  de  la  terre. 

Par  son  mode  de  station ,  l'homme  a  alcquis  un 
degré  àe  délicatesse ,  de  chaleur  et  àé  force  qù'îau^ 
cun  adimal  né  peut  atteindre.  Dans  Fétàt  sauvage 
il  est  presque  entièrement  couvert  de  poils,  surt<^at 
le  long  du  dos;  et  PEne  Fancien  a  fait  un  crime 
à  la  nâtnre  de  ce  qu'elle  a  refusé  cette  fournlre  à 
l'homnie  civilisé.  Dans. sa  bienveillance  universelle , 
la  mère  de  tous  les  êtres  ne  pouvait  donner  à 
Thomnae  une  enveloppe  |dus  préciçuse  que  k  pegu 
dont  elle  l'a  recouvert,  et  qui,  malgré  tou^  sa- 
délicatesse ,  supporte  les  changemexis  de  saisons  et 
la  température  de  tous  les  climats,  quand  elle  est 
aidée  d'un  peu  d'art ,  qui  pour  lui  est  une  seconde 
nature. 


330  LiTKE  rr. 

Il  est  conduit  à  cet  art  non-seutemént  par  rim' 
pulsion  de  la  nécessité,  mais  encore  par  quelcpie  ' 
autre  puissance  moins  sévère  et  mieux  appropriée 
à  son  caractère.  Quoi  qu'en  disent  les  philosor 
phes,  il  est  certain  que  la  pudeur  est  naturelle  à 
lespèce  humaine ,  et  Ton  ne  peut  nier  que  Ton 
aperçoit  dans  certains  animaux  des  mouvemens 
instinctifs  qui  ont  une  sorte,  d'analogie  avec  ce 
sentiment  La  femelle  du  singe  se  couvre  de  sa 
main,  et  Téléphant,  pour  propager  son  espèce,  se 
cache  dans  quelque  bois  obscur  et  non  fréquenté. 
A  peine  est-il  sar  la  terre  une  nation  ^  où  les  fem- 
mes ne  fassent  usage  de  quelque  sorte  de  voiles, 
dès  le  moment  où  les  passions  '  commencent  à 
s'éveiller  :  d'ailleurs,  la  sensibilité  qui  ^e  développe 
alors,  et  d'autres  circonstances,  obligent  rbonun^ 
à  se  vêtir.  Avant  même  qu  iï  cherchât  à  protéger 
son.  corps  contre  la  furie  des  élémens  ouïes  ai* 
guitlons  des  insectes  par  des  vêtemens  ou  des 
substances  onctueuses,  une  sorte  d'instinct  naturel 


1.  On  né  cite  que  deux  nations  entièrement  nues,  et  dont 
la  Tie  soit  parement  animale  :  les  hab^tans^de  la  Terre  de  feu» 
il  Pestrémite  de  rAmérîque  da  sud  y  et  un  peuple  lauTage  entre 
Arracan  et  Pégtt.  J^ai  peine  k  croire  que  ces  derniers  soient 
réduits  à  nn  état  anssi  grossier  qu^on  nous  le  dit,  et  cela  dans 
un  pays  si  fayorisé  par  la  nature.  Cependant  ce  fait  est  con* 
firme  par  un  des  derniers  TOjageurs»  (  MackintQsh^0  TravelSi 
vol.  i|  pag.  341  y  London,  178a..) 


\  CHAPITRE  T.  221 

le  conduisit  à  la  pudeur,  dont  la  nature  physique 
lui  &isait  un  devoir.  Dans  les  animaux  les  plus 
nobles  la  femelle  ne  s'ofire  pas  elle-même  ;  il  faut 
qu'elle  soit  poursuivie.  En  cela,  elle  remplit  à  son 
insu  les  desseins  de  la  nature  :  et  dans  l'espèce 
humaine,  la  femme  est  la  gardienne  de  l'aimable 
pudeur ,  qui ,  en  vertu  du  mode  de  station  de 
l'espèce,  ne  pouvait  manquer  de  se  dévelo[^er  de 
bonne  heure. 

Ainsi  l'homme  a  été  conduit  à  se  vêtir  lui-même. 
A  peine  eut -il  acquis  cet  art  et  quelques  autres 
encore,  qu'il  fut  capable  de  supporter  tous  les 
climats,  et  de  prendre  possession  de  toutes  les 
parties  de  la. terre.  Peu  d'animaux,  si  Ton  eu 
excepte  le  chien ,  ont  pu  le  suivie  datis  toutes  les 
contrées;  et  encore  combien  ce  dernier  n'a-t-il  pas 
changé  de  formes  I  combien  sa  constitution  native 
n'a-t-elle  pas  été  altérée!  L'homme  seul  n'a  subi 
que  de  légères  modifications,  et  encore  dans  des 
parties  qui  ne  sont  point  essentielles.  On  s'étonne 
de  son  immutabilité,  quand  on  considère  quelle» 
variétés  attendent  les. autres  animaux  dans  leurs  mi* 
grations.  Sa  nature  délicate  est  si  exactement  dé» 
terminée,^  son  organisation  est  si  parfaite*,  qu'il 
occupe  le  degré  le  plus  élçVé  et  qu'il  n'est  suscep- 
tible que  de  quelques  modifications,  qui  ne  sont 
point  des  cfaangemens  caractéristiques. 

Comment  expliquer  cette  différence?    Par  sou 


f 


222  LlYRfi  ir. 

altitude  droite,  tt  par  rien  autre.  Si  nous  marchions 
fiur  les  pieds  et  sur  les  mains,  comme  Tours  et  le 
singe,  on  ne  peut  douter  que  les  différentes  espèces 
du  genre  homme  (pour  me  servir  de  cette  igaoble 
expression)  ne  fussent  renfermées  daïis  des  limites 
plus  étroites ,  qu'elles  ne  pourraient  dépasser. 
L'homme-ours  aimerait  son  climat  froid ,  Thomiiie- 
singe  son  climat  chaud.  Nous  reconnaissons  même 
maintenant  que,  plus  une  nation  est  grossière,  plus 
elle  est  enchaînée ,  par  ses  habitudes  physiques  et 
morales,  à  sa  contrée  et  à  son  climat 

Si  la  nature  a  élevé  l'homme  au-dessus  du  sol, 
c'est  pour  qu'il  règn«  sur  la  terre.  S'il  se  distingue 
des  autres  créatures    par   une   constitution  plus 

;  délicatement  organisée,  par  une  circulation  du 
sang  mieux  élaborée,  par  Un  mélange  plus  varié 
des  fluides;  si  un  degré  de  chaleur  vitale  plus 
fixe  et  plus  intime  lui  permet  d'habiter  la  Sibérie 
«t  la  zone  torride ,  c'est  à  son  mode  de  station  qu'il 
en  est  redevable.  Composée  avec  plus  d'artifice, 
c'est  sa  structure  droite  qui  lui  donne  la  faculté 
de  supporter  les  deux  extrêmes  de  chaleur  et  de 
froid.  Nulle  autre  créature  sur  la  terre  ne  peut 
résister  à  une  température  qui  pourtant  n'opère 
en  lui  que  de  très-faibles  changèmens» 

Il  feut  avouer  que  la  délicatesse  même  de  sa  cons- 
titution et  toutes  les  conséquences  qui  en  dérivent, 

^  ^nt  donné  lieu  à  une  foule  de  maladies  auxquelles 


CHAPITRE  V.  5  25 

les  animaux  ne  sont  point  sujets ^  et  dotit  Moskati* 
a  &it  une  éloquente  énuméraiion.  Le  sang  qui  cir^ 
cule^  dans  une  machine  perpendiculaire,  le  coeur 
qui  est  pressé  dans  une  position  oblique,  et  les 
entrailles  qui  accomplissent  leurs  fonctions  dans 
une  situation  droite,,  sont  elposés  à  des  dangers 
plus  fréquens  que  dans  le  corps  des  quadrupèdes^ 
Il  semble  surtout  que  la  délicatesse  excessive  des 
femmes  est  un  don  qu'elles  doivent  payer  bien  cher. 
Mais  ces  périls  sont  diminués  et  ces  maux  adoucis 
de  mille  manières  par  la  bienfaisance  de  la  nature. 
Wotre  santé,  notre  bien-être,  toutes  nos  percep- 
tions et  nos  impulsions  ont  un  caractère  plus  élevé 
et  plus  spirituel.  Aucun  animal  ne  jouit  un  seul 
instant  de  la  santé  et  du  bonheur  de  l'homme. 
Aucun  d'eux  ne  goûte  le  nectar  que  l'homme  boit 
à  longs  traits.  Considérées  même  simplement  par 
rapport  au  corps,  les  maladies  des  animaux  sont 
moins  nombreuses,  il  est  vrai,  parce  que  leur  or- 
ganisation est  plus  grossière;  mais  aussi  elles  sont 
plus  obstinées  et  plus  constantes  dans  leurs  effets. 
La  couche  cellulaire  de  leurs  corps,  le  tissu  de 
leurs  nerfs,  leurs  artères,  leurs  os  et  même  leur 
cerveau,  sont  plus  solides  que  les  nôtres,  et  .aussi, 
si  Ton  excepté  l'éléphant,  dont  la  vie  est  presque 


I.     Vom.    kôrperlichen   und   -wesentlicken    Untersehied^   thr 
Thi€r€  und  ^caschen,  Gottingen,  1771- 


324  LIVAE  IV. 

aussi  longue  que  celle  de  rhomme,  tous  le&quadni'* 
pèdes  qui  nous,  entourent  arrivent  beaucoup  plus 
rapidement  que  nous  à  la  vieillesse  et  à  la  mort.  Le 
Créateur  a  donc  donné  à  rhomme  la  vie  la  plus 
longue,  et  en  même  temps  la  santé  la  mieux  éta- 
blie, et  l'existence  la  plus  féconde  en  jouissances 
que  pût  comporter  une  organisation  terrestre*  Tou^ 
îours  secouru  par  sa  nature  mixte  et  habilement 
compliquée,  c'est  à  elle  qu'il  <i|oit  sa  force  et  sa 
durée;  et  si  notre  organisation  est  affaiblie  et  dé- 
tériorée, comme  un  grand  nombpe  d'exemples  em- 
pêchent de  le  nier,  il  faut  l'attribuer  à  des  excès, 
à  des  folies  et  à  des  vices  dont  aucun  animal  n'est 
capable..  Dans  chaque  climat  la  nature  bienveil- 
lante a  multiplié  les  plantes  qui  guérissent  les  ma- 
ladies dont  il  est  le  foyer;  mais  la  confusion  de 
tous  les  climats  a  pu  seule  changer  l'Europe  en 
un  gouffre  de  maux  que  ne  connaîtront  jamais 
les  peuples  qui  vivent  selon  les  lois  de  la  nature. 
Il  est  vrai  que  ces  maux,  dont  nous  sommes  les 
premiers  auteurs,  ont  été  suivis  d'un  bien  qui 
nous  appartient  au  même  titre,  de  la  seule  com- 
pensation que  nous  méritions,  de  cette  foule  de 
médecins  qui  aident  la  natui:e,  quand  ils  suivent 
^es  traces,  et  qui,  s'ils  ne  peuvent  ou  s'ils  n'osent 
obéir  à  ses  avertissemçns,  envoient  du  moins  le 
malade  au  repos  suivant  les  règles  de  l'art 
Avec  quel  soin  maternel,  avec  quelle  sagesse 


CHAPITRE  V.  baS 

toute  divine  les  périodes  de  BOtk*e  vie  et  la  durée 
de  notre  existence  n'ont-^Ues  pas  été  déterminées!  ' 
Toutes  les  créatures  vivantes  sur  la  terre  qui  dpi<* 
vent  atteindre  brusquement  à  la  periëction  dé  l'es* 
pèce ,  ont  un  dévdoppement  rapide  :  elles  sont  • 
mûres  de  bonne  heure  >  et  elles  ont  bientôt  par* 
couru  la  carrière  de  la  moft.  Élancé  comme  un 
arbre  du  cid,  l'homme  grandit  lentement;  comme 
l'éléphant,  il  reste  long«temps  dans  le  sém  qui  le 
nourrit  :  sa  jeunesse  se  prolonge  beaucoup  plus 
que  ceUe  d'aucun  autre  animàL  La  nature  a  ûàt 
durer  autant  que  possible  l'époque  qui  est  la  plus 
fiivorable  à  l'éducation ,  au  développement^  des 
idées,  au  sentiment  du  bonheur  et  à  l'innocence 
des  plaisirs.  Uii  grand  nombre  d'animaux  attei** 
gnent  leur  plein  développement  aii  bout  de  quel- 
ques années  ou  de  quelques  jours,  et  même  près* 
que  au  moment  de  leur  naissance;  mais  ils  n'en 
sont  que  plus  imparfaits,  et  leur  vie  est  d'autant 
plus  courte  que'  leur  croissance  est  plus  rapide  : 
il  faut  que  l'éducaûon  de  l'homme  aoit  longue, 
parce  qu'il  a  beaucoup  à  apprendre.  Tout  en  Ivi 
dépend  de  l'habileté  naturelle ,  de  la  raison  et  de 
l'aru  Si  ensuite  sa  vie  est  abrégée  par  les  dangers 
sans  nombre  et  les  àcddens  auxquels'  il  est  exposé» 
du  moins  il  a  joui  d'une  longue  jeunesse,  libre 
d'ennuis;  pendant  que  son  corps*  et.  sa  pensée  se 
développaient  V  le  monde  s'étendait  autour  de  lui$ 


226  UVRE  IV. 

pendant  qu'il  croissait  lentement,  rhorizon,  où  se 
portaient  ses  regards,  agrandissait  le  cercle  d^  ses 
espérances^  et  son  cœur^  plein  de  vie  et  d'amour, 
esfiité  par  tine  cxtriosité  inquiète ,  battait  dan^  un 
impatient  enthousiasme  po«r  tout  oe  qu'il  y  a  de 
gland,  de  bon  et  de  sublime*  Les  dé^rs  des  sexes 
9t  font,  sentir  dans  lliomme  qui  smt  le  cours  de 
la  nalurè^  pkis  tard  que  dans  aucun  autre  animal; 
teàr  il  est  desàné  à  vivre  de  longues  années,  et  non 
pas  à  prodiguer  avant  le  temps  le  noble  trésor 
de  ses  facultés  physiques  et  morsdes;  L'insecte,  ({oi 
jouit  de  bonne  heure  des  plaisirs  de  l'amour,  ne 
larde  pas  à  mourir.  Tous  les  animaux  chastes  et 

• 

monogames  vivent  plus  lonjg-temps  que  ceux  (pi 
n'obéissent  pas  au  lien  conjugal*  Le  coq  lascif  meort 
promptement  ;  le  biset  *  fidèle  peut  arriver  jusqu'à 
truquante  ans.  Le  maria^  est  donc  conuuandé 
ici-bas  au  favori  de  la  nature;  sans  oette  loi,  comme 
une  fleur  non  édose,  il  eAt  dépensé  sans  fruit  ses 
années  die  vigueur  et  d'innocence:  Après  cela  yieD- 
nent  de  longues  années  pendant  lesquelles  sa  rai- 
son mûrit  sous  rinfluence  des  pouvoirs  virik»  et 
il  conserve  la  &cùlte  de  reproduction  plus  long- 
temps qu'aucun  autre  animal.  Â  la  fin  il  cède  a 
une  mort  paisible  qui  brise  une  alliance  mal  cir 
nkentée  entre  la  poussière  et  l'intdligenee.  Amsi 
hn  nature  a  combiné  avec  k; structure  fragile  da 
Od«^s  humain  tous  les  ai^  qui  pôumieni  se  àk- 


CHAPITEETL  !i2'J 

velopper  au  sein  d'une  organisation  terrestre  ;  et 
jusque  dans  ce  qui  abrège  et  affaiblit  la  vie ,  on 
voit  qu'eUe  a  compensé  la  brièveté  delà  jouissance 
par  la  plénitude  ^  et  les  pouvoirs  destructeurs  par 
rintensité  de  la  sensation* 

î         *  .  '  ^ 

CHAPITRE  VI 

L'homme  est  formé  pour  rhurnanité  et  ta 

religion,  . 

Je  voudrais  pouvoir  étendre  la  signification  du 

mot  humanité  y,  et  comprendre  sous  cette  exprès* 

âon  umt.ce  que  j'ai  dit  ji;Lsqu'à  présent  de  la 

nature  dfÇ  l'homme  ^  de  l'excellence  de  sa  raison  et 

de  (^  liberté^  de  la  perfection  de  ses  s^is  et  de  ses 

in3tiI|^^f)e  la  délicatesse  de  sa  sainte  qui  n'ei^clut 

point  ^a  force  ^  et  ^fin  de*  la  mission  qu'il  a  reçue 

de  gouverner  la  terre;  car  l'homme  n'a  pas  de  mot 

plus  aiygiutste.  pour  représenter  à  la  pensée  sa  desti- 

natipn  m&^e»  que  celui  q^ii  sert  à  le  désigner  lui^ 

mèps^î  lui,  en  qui,  l'image  du  Créateur  est  aussi 

visy^lenjiem  emprei^t^  jp^'elle  psut  l'i^tre  ici-b$s  :  il . 

suffit  .d'esquisser  sfi  fprme  pour  indiquer  ses  plus 

nobl^  devoirs.. 

1*  Tous^ks  in^incts  d'un  être  vivant  peuvent  $tre 
ramepés  à  I0  conservation  de  soi-même  et  à  des 
rapports  de  participation  à  une  autre  destinée  que 
la  ûenne^loi  coi^titi^ion  or^ique  de  rhot^me. 


/ 


3^8  LIVRE  IT. 

I 

si  on  y  ajoute  une  direction  supérieure,  donne  à 
ses  instincts  une  extrême  délicatesse;  son  attitude 
droite  assure  sa  stabilité;  et  pour  plus  de  précau- 
tions, il  présente  la  circonférence  la  plus  pedte 
au  dehors  et  le  mouvement  le  plus  varie  au  de* 
dans.  Il  repose  sur  une  étroite  base ,  et  il  lui  est 
ainsi  plus .  facile  de  couvrir  ses  membres  ;  son 
centre  de  gravité .  tombe  entre  ses  hanches,  plus 
souples  et  plus  fortes  que  celles  d'aucune  autre 
créature,  car  il  n'est  pas  d'animal  qui  déploie 
dans  ces  parties  autant  de  mobilité  et  de  force  que 
l'homme.  La  position  de  ses  bras,  l'aplatissement 
et  la  force  de  sa  poitrine  lui  ménagent  des  moyens 
dé  défendre  sa  &ce,  son  cœur,  et  de  protéger,  de- 
puis la  tête  jusqu'aux  genoux,  les  parties  vitales 
les  plus  nobles.  Il  est  certain  que  des  homines  ont 
rencontré  des  lions'  et  les  ont  terrassés  :  rAfricain, 
quand  il  combine  là  prudeiice,  l'adresse  avec  la 
force,  peut  lutter  contre  eux  même  à  nomibi^  iné- 
gal. Il  faut  avouer  toutefois  que  l'homme  est  'fiiit 
bien  moins  pour  l'attaque  que  pour  la  défense: 
dans  l'une,  il  a  besoin  du'  secours  de  l'art;  dans 
l'autre,  il  est  naturellement  là  créature  la  jJas 
puissante  de  la  terre.  Ainsi,  sa  forme  elle-même 
lui  commande  de  vivre  en  pait,  et  non  point  de 
verser  le  sang  et  de  se  gorger  de  rapines  :  tel  est 
le  premier  caractère  de  l'humanité. 

2.  Parmi  les  instincts  qui  ont  rapport  à  «ntmi. 


GHÂPIÎllE  TI.  :3a9 

le  .désir  de  propager  son  espèce  est  le  plus  ptiissam 
de  tous  ;  dans  l'homme  il  est  subordonné  an  carae* 
tère  de  rhumanité  :  ce  qui  dans  les  quadrupèdes, 
même  dans  le  chaste  élépliant,  n'est  que  copula* 
tion,  est  en  lui,  à  cause  de  sa  conformation,  baiser 
et  embrassement.  De  tous  les  êtres  vivans,  l'homme 
est  le  seul  dont  la  bouche  soit  marquée  par  le  doux 
renflement  des  lèvres,  c'est  la  partie  de  la  face  qui 
est  la  plus  lente  à  se  former  :  le  contour  charmant  de 
ces  lèvres  intelligentes^  est  comme*  la  deMière  trace 
du  doigt  de  l'amour.  L'expression  la  plus  modestie 
des  langues  de  la  haute  antiquité,.  quHl  connut  sa 
femme  y  n'est  applicable  à  aucun  animal;  et  si  d'an- 
ciennes fables  disent  que  les  deux  sexes,  d'abord 
formés  en  hermaphrodites,  comme  dans  les  ^eurs,^ 
furent  séparés  par  la  suite,  cette  fiction  expressive, 
et  d'autres  semblables  j  tendaient  à  confirmer,  sous 
une  forme  allégorique,  la  supériorité  de  l'amour  de 
l'homme  sur  celui  des  animaux.  Que  ce  désir  dans 
l'homme  ne  soit  pas  soumis  à  l'empire  des  saisons, 
comme  dans  les  animaux,  quoique  l'on  n'ait  pas  fait 
sous  ce  rapport  des  observations  attentives  sur  les 
révolutions  du  corps  humain ,  c'est  ce  qui'  démontre 
évidemment  qu'il  n'est  pas  l'esclave  de  la  nécessité , 
mais  qu'il  e^e  à  l'attrait  de  la  sympathie*  Placé 
sous  le  domaine  de  la  raison ,  il  est  fait  pour  obéir 
à  une  tempérance  volontaire,  comme  tout  ;ce  qui 
appartient  à  l'homme»  Ainsi  l'amour  dans  l'homme 


a5o  UVREIV- 

devait  èçre  humain ,  et  -pour  cela  là  nature  a  déter- 
miné, indépendamment  de  ses  fonnes,  le  défvelop- 
pement,  la  durée  et  la  puissance  des  désirs  dans  les 
deux  sexes;  d'ailleurs,  elle  Fa  rangé  sous  la  loi  d'ii/>« 
alliance  sociale  volontaire  et  d'une  douce  commu- 
nauté entre  deux  êtres  <jui  se  sentent  unis  en  un 
seul  pour  ]a  vie. 

5.  €omme  toutes  les  aflEections  tendres,  excepté 
l'amour  qui  donne  et  qui  reçoit,  se  contentent  de  la 
participation,  la  nature,  pour  rendre  l'homme  plus 
propre  qu'aucune  autre  créature  à  participer  à  des 
impressions  étrangères,  a  marqué  d'*ine  part  son  in* 
dividualité  de  la  manière  la  plus  prononcée ,  et  de 
l'autre  lui  a  donné  une  organisation  conforme  a 
iJbaque  parue  de  la  création,  de. telle  sorte  quil 
peut  jouir  et  souffrir  avec  chacune  d'elles.  La  struc- 
/ture  de  ses  fibres  est  si  délicate,  si  fine  et  si  élas* 
tique,  ses  nerfs  sont  répndus  avec  tant  d'fulifice 
sur  chaque  partie  de  son  corps  vibrant,  que>  sem- 
blable à  une  image  dé  la  divinité  qui  sent  tout,  il 
peut  en  général  se  mettre  à  la  place  de  chaque 
créature  et  sentir  avec  elle  au  degré  nécessaire  pour 

• 

établir  l'harmonie,  sans  jsfie  son  organisme  soit 
dérangé,  et  même  au  risque  de  le  déranger-  Ainsi 
notre  machine,  en  tant  qu'elle  est  un  arbre  qui 
croît  et  qui  fleurit,  sent  même  avec  les  arbres.  Hy 
a  des  hommes  qui  ne  peuvent  voir  sans  douleur 
un  jeune  arbre  verdoyant  coupé  par  le  pied  ou 


CHAPITRE  VI.  )    a54 

détruit.  On  regrette  $a  ctine  élevée;  on  voit  avec 
tristesse  une  fleur  £ivorite  se  fâuer.  Ce  n'est  pa« 
avec  indifférence  que  les  y^ux  s'arrêtent  sur  un 
ver  écrasé  qui  se  tord  dans  tous  les  sens  ;  et  plus 
une  créature  ^t  parfaite ,  plus  son  organisation 
approche  de  la  n<5tre^  plus  ses  souffrances  exci* 
tent  en  nous  de  sympathie.  Il  &ut  qu'il  ait  une 
étonnante  énergie,  celui  qui  ouvre  sans  sourcil- 
ler une  créature  vivante^  et  qui  examine  de  sang 
froid  ses  mouvemens  convulsi&  :  il  n'y  a  qu'une 
soif  insatiable  de  la  gloire  et  de  là  science  qui 
puisse  amortir  par  degrés  la  sensibilité  organique 
Plus  délicates  que  nous,  les  femmes  ne  peuvent 
assister  à  la  dissection  d'un  corps  mort  ;  elles  souf- 
frent dans  diaque  membre,  à  mesure  qu'elles  sui^ 
vent  la  marche  du  scUpd;  et  cette  souffrance  est 
plus  aiguë  à  proportion  que  la  partie  est  plus  noble 
et  plus  sensible.  lies  entrailles,  quand  eUes  sont 
arradiées,  excitent  le  dégoût  et  l'horreur:  quand 
le  cœur  est  percée  quand  les  poumons  sont  par^ 
tagés,  le  cerveau  mis  en  pièces,  nous  sentons  en 
nou&-mèmes  la  pointe  ai^ë  de  Mustrument,  Nous 
sympathisons,  jusque  dans  le  tombeau,  avec  le 
corps  d'un  ami  mort;  nous  sentons  la  froideur 
de  la  fofise  qu'il  ne  sent  pas,  et  nous  frissonnons 
quand  nous,  touchons  ses  os.  C'est  ainsi  que  h 
mère  commune,  qui  a  pris  toutes  choses  d'elle- 
même ,  et  qui  sent  pour  tous  avec  la  sympathie  la 


^33  LIVRE  vr. 

plus  intime  y  a  sympathiquement  combiné  Forga- 
nisme  humain.  Ses  fibres  vibrans^  ses  nerfs  sym- 
pathiques, n'ont  pas  besoin  de  Tordre  de  là  raison; 
ils  se  précipitent  avant  elle,  souvent  ils  lui  déso- 
béissent obstinément  Un  commerce  avec  des  gens 
fous,  pour  qui  nous  sentons  quelque  affection, 
excite  en  nous  la  folie  ;  et  cet  effet  est  d'autant  plus 
prompt ,  qu'il  est  plus  redouté. 

Il  est  remarquable  que  Toreillel  excite  et  aug- 
mente la  compassion  beaucoup  plus  puissamment 
que  l'œiL  La  vue  d'un  animal ,  le  cri  que  lui 
airache  la  douleur,  attirent  tous  ses  compagnons, 
qui,  comme  on  l'a  observé,  restent  tristement  au- 
tour de  celui  qui  souffre ,  et  semblent  chercher 
quel  soulagement  ils  pourraient  lui  donner.  Il  est 
également  certain  que  l'homme,  à  l'aspect  de  ^ 
douleur  y  est  saisi  d'une  sorte  d'effroi  qui  précède 
la  pitié.  Mais  la  voix  de  celui  qui  souffre  ne  se 
fait  pas  plus  tôt  entendre,  que  la  stupeur  cesse  et 
qu'il  accourt  vers  lui  :  il  est  atteint  jusqu'au  cœur: 
serait-ce  que  le  son  change  le  tableau  en  un  être 
vivant ,  et  qu'iF  concentre  ^  eh  un  seul  point  le 
souvenir  de  nos  sentimens  individuels  et  toutes 
les  puissances  qui  sont  réveillées  en  nous  par  les 
affections  d'autrui?  ou,  comme  j'incline  à  le  croire, 
6ut-il  rap^rter  ce  phénomène  à  une  cause' qui 
r^ose  dans  les  lois  les  plus  secrètes  et  les  plus 
profondes  de  l'organisme?  U  suffit  que  le  tak  soit 


CHAPITRE  TI.  ^33 

4 

yrai ,  et  qu'U  démontre  que  le  son  et  le  langage 
sont  les  sources  principales  de  la  compassion  de 
Thommé.  Nous  sympathisons  moins  avec  une  créa- 
ture qui  ne  peut  soupirer,  et  qui,  n'ayant  pas  de 
poumons,  est  plus  imparfaite  et  se  rapproche  moins 
de  notre  propre  organisation.  Quelques  sourds  et 
muets  de  naissance  ont  montré  par  des  exemples 
de  la  cruauté  la  plus  monstrueuse  qu'ils  ne  sen- 
taient ni  pitié  ni  sympathie  pour  les  homiUes  et 
les  animaux^  et  il  est  facile  de  trouver  un  grand 
nombre  de  faits  pareils  dans  la  vie  des  peuples 
sauvages;  c^endant,  même  parmi  ces  derniers 5 
la  loi  naturelle  n'est  pas  ^itièrement  effacée.  Lés 
pères  qui  sont  poussés  par  le  besoin  et  par  la  faim 
à  sacrifier  leurs  enfans,  les  dévouent  à  la  mort  dans 
le  sein  de  leurs  mères ,  avant  qu'ils  aient  entendu 
le  son  de  leur  voix;  et  plusieurs  infanticides  ont 
déclajré  que  rien  ne  fut  si  cruel  pour  elles,  que  rien 
n'a  laissé  des  traces  si  profondes  dans  leur  sou- 
venir, que  la  faible  voix,  que  le  premier  cri  sup- 
pliant de  leur  enfant. 

4«  ^^^  quels  admirables  liens  la  n^ère  de  toute 
affection  n'a-t-elle  pas  uni  les  sentimens  de  sympa- 
thie qu'elle  à  répandus  entre  ses  enfans  et  qu'elle 
perfectionne  par  degrés.  Si  la  créature  est  assez 
grossière  et'  assez  insensible  poi^r  négliger  ses 
propres  besoins,  le  soin  de  ses  enfans  ne  lui  est 
pas  confié.  Les  oiseaux  couvent  et  élèvent  leurs 


^34  LiTRc  nr. 

petits  avec  one  tendresse  maternetle.  Au  contraire, 
«t  l'aiitrache  stupide  confie  ses  oeufs  au  cable: 
ff  elle  oublie,  dit  un  ancien > livre,  qu'un  pied  peut 
«  les  écraser  ou  une  bête  &uve  les  dévorer  ;  car 
«  Dieu  l'a  privée  de  sagesse  et  ne  lui  a  point  dé- 
„  parti  rintelligeUce.  »  En  vertu  d'une  seule  et 
même  loi  organique  ^  à  mesure  que  le  cerveau  de 
la  créature  augmente,  elle  acquiert  une  chaleur 
plus  intense;  elle  devient  plus  propre  à  l'incuba- 
tion, ou,  si  elle  s'élève  au  rang  des  vivipares,  elle 
a  un  lait  plus  pur  et  plus  abondant  pour  ses  peuts, 
qu'elle  chérit  avec  toute  la  tendresse  d'une  mère. 
La  créature  qui  arrive  vivante  dans  le  monde 
est  pour  ainsi  dire  un  plexus  des  propre»  nerft 
de  sa  mère.  L'enfant  à  la  mamelle  n'est  qu*une 
branche  dWe  plante -mère  que  celle-ci  nouml 
comme  une  partie  d'elle-même.  C'est  sur  ce  senu- 
ment  réciproque  et  progressif  que  sont  fondées» 
dans  l'économie  animale,  toutes  les  tendres  affec- 
tions auxquelles  la  nature  pouvait  élever  chaque 
espèce. 

Dans  l'espèce  humaine  l'amour  maternel  est  d  un 
genre  plus  élevé;  c'est  une  branche  de  rhumaniie 
de  la  forme  la  plus  délicate.  Le  nouve^u-né  repose 
sous  les  yeux  de  sa  mère;  appuyé  sur  son  sein, 
il  boit  à  longs  trs^its  le  fluide  le  plus  doux  et  le 
plus  pur  de  tous;  car  c'est  une  coutume  barbare,  et 
qui  même  tend  à  déformer  le  coips,  que  d'allaiter 


CHAPITRE  TI. 


Si 


les  enfans  en  les  portant  sur  le  dos ,  ce  cpn ,  dans 
<juelques  pays,  est  une  nécessité.  L'amour  paternel 
et  domestique  adoucit  les  plus  .  grands  sauvages  ;' 
il  n'est  pas  jusqu'à  la  liotine  qui  n'ait  de  la  ten- 
dresse pour  ses  petits*  La  première  société  prit  nais- 
sance dans  l'habitation  paternelle ,  et  fut  cimentée 
par  les  liens  du  sang,  de  la  confiance  et  de  l'amoun 
Ainsi,  pour  effacer  ce  que  l'homme  a  de  sauvage, 
et  pour  l'habituer  au  commerce  domestique,  il  fàl*-. 
lait  que  l'enfance  se  prolongeât  pendant  quelques 
annéea  La  nature  a  enchaîné  l'un  à  l'autre  les  mem* 
bres  de  la  famille  par  de  tendres  liens,  afin  qu'ils 
ne  pussent  pas  se  séparer  et  s'oublier,  comme  les. 
animaux,  qui  arrivent  en  peu  de  temps  à  Fàge  mûr. 
Le  père  devient  le  précepteur  de  son  fils,  comme 
la  mère  a  été  le  premier  maître  de  son  enfant  au 
berceau;  et  c'est  ainsi  qu'il  se  forme  un  nouveau 
lien  d'humanité.  Tel  est  le  fondement  nécessaire 
de  la  société  humaine;  sans  elle  l'individu  ne  pour- 
rait pas  se  développer  ni  l'espèce  se  multiplier. 
L'homme  est  donc  né  pour  la  société;  l'affection 
de  ses  parens  et  la  lenteur  de  son  développement 
l'empêchent  égalemeiS  d'en  douter. 

5.  Mais,  comme  la  sympathie  de  l'homme  ne 
peut  pas  s'étendre  à  l'univers  entier,  et  qu'elle  ne 
serait  souvent  pour  lui  qu'un  guide  obscur  et  im- 
puissant, un  sens  borné  qui  ne  transmettrait  que 
des  images  confuses  de  tous  les  objets  qui  dépa»- 


a56  LITRE  rr. 

SMÛem  sa  portée,  la  nature,  toujours  prévoyante, 
a  soumis  les  divers  phénomènes  dont  se  compose 
l'édifice  merveilleux  de  son  être,  à  la  règle  de  la 
vérité  et  de  la  justicei  Vhomme  est  droit  par  sa 
forme,  et  cOmme  dans  sa  figure  tout  est  sulK)r- 
donné  à  la.  tète,  comme  ses  deux  yeux  ne  voient 
qu'un  objet,   que  ses  deux   oreilles   n'entendent 
qu'un  son  :  comme  le  Créateur  a  combiné  à  l'exté- 
rieur la  symétrie  avec  l'unité,  et  a  posé  l'anité  au 
centre  où  convergent  toutes  les  parties  doubles, 
de  même  la  grande  loi  de  la  justice  et  de  Téqui- 
librè  est  la  règle  interne  de  l'homme.    Ne  faites 
pas  à  un  autre  ce  que  vous  ne  voudriez  pas  qu^on 
vous  fit  y  et  faites  aux  autres  ce  que  vous  vour 
driez  qui  .vous  fût  fait.  Cette  règle  imprescriptible 
est  écrite  jusque  dans  le  cœur  du  sauvage^  car,  s'il 
mange  la  chair  de  ses  ennemis,  il  s'attend  aussi  à  être 
mangé.  C'est  la  règle  du  vrai  et  du  faux,  de  \idem 
et  idem^  fondée  sur  la  structure  de  tous  nos  sens, 
et  même  je  pourrais  dire  aur  l'attitude  droite  de 
l'homme.  Si  pous  n'apercevions  les  objets  qu'obli- 
quement, ou  si  la  lumière  nous  frappait  dans  une 
direction  oblique,  nous  n'ai|pons  pas  l'idée  de  la 
ligne  droite.  Si  notre  organisation  était  sans  unité, 
si  nous  manquions  de  jugement^  nos  actions  sui- 
"vraient  des  courbes  qui  dévieraient  die  la  règle,  et 
la  vie  humaine  manquerait  de  raison  et  de  dessein. 
Cest  la  loi  de  la  vérité  et  de  la  justice  qui  établit 


CHAPITRE  TI.  387 

la  sincérité  dans  les  rapports  des  frères  et  des  alliés  : 
à  peine  se  confonne-t-on  à  ses  préceptes  /  qu'elle 
change  les  ennemis  en  amis.  Celui  que  je  presse 
sur  .mon  sein,  me  presse  aussi  sur  le  sien;  celui 
pour  qui  j'expose  ma  vie,  expose  aussi  la  sienne 
pour  moi  :  ainsi,  les  lois  de  l'homme,  celles  des 
nations  et  des  animaux ,  sont  fondées  sur  la  ressem- 
blance des  sentimens,  sur  l'unité  de  dessein  dans 
une  association  de  divers  individus,  et  sur  la  vérité 
égale  pour  tous  dans  toute  espèce  dé  contrat;  car 
les  animaux  qui  vivent  en  société,  obéissent  ausn 
aux  règles  de  la  justice,  et  les  hommes  qui  brisent 
ses  lois  saintes  par  la  force  ou  par  la  fraude,  sont 
de  tous  les  êtres  les  plus  dégradés  ^  même  quand 
ils  seraient  les  rois  et  les  monarques  de  la  terre. 
On  ne  peut  concevoir  ni  raison  ni  humanité  sans 
la  vérité  et  une  stricte  justice. 

6.  La  figure  élégante  et  droite  de  l'homme  le 
conduit  peu  à  peu  à  Ficiée  des  contenances  morales 
et  physiques  qui  naissent  de  la  vérité  et  de  la 
justice,  qu'elles  répandent  en  les  embellissant  Les  . 
convenances  du  corps  consistent  à  rester  tel  qu'il 
devait  être,  et  tel  que  Dieu  l'a  formé.  La  vraie 
beauté  n'est  rieh  autre  que  la  représentation  qui 
résulte  de  l'accord  de  la  perfection  interne  et  de  la 
santé.  Voyez  l'image  divine  de  l'homme  défigurée 
par  Tefiet  de  la  négligence  et  par  les  précautions 
d'tit  art  fiiux;  ses  beaux  cheveux  arraobésou  en- 


'iS8  UTBE  !▼• 

tasses  en  une  seule  masse;  le  nez  er les  oreilles 
percés  et  fortement  tendus  par  le  poids  qu'ils  sup- 
portent; le  cou  et  les  autres  parties  du  corps  clé- 
formée  ou  déguisée  sous  le  vêtement  qui  le^  couvre. 
S'il  fallait  porter  un  jugaaaent  sévère  sur  les  caprices 
de  la  mode^  comment  pourrait^on  découvrir  à  tra- 
vers oette  variété  prodigieuse  les  convaiances  de  la 
forme  humaiâe  ?  Il  ^n.  est  précisément  de  même 
<jes  coutumes,  des  a<^ons,  ^e$  arts  et  des  laiigues. 
Une  seule  et  même  humanité,  se  moiitre  sous  des 
a^arences  iliverses  dans  toutes  ces  choses  que 
quelques  nations  sUf:  Ift  terre  ont  pj^rfecuonnees, 
et  que. cent  autres  opt  défigurées  par  des  arts  faux 

*  et  grossiers^  Suivre  les  traces  de  cette  humamté  et 
en  déterminer  les  lois,  tel  est,  le  but  de  cette  vraie 
philosophie  de^  T homme  ^  que  le  sage  a  a{^ée  du 
ciel ,  et  qui  s'applique  d'elle-mèm(3  dans  le  com- 
tnerce  social,  dans  Féconomie  pplitique,  dans  tous 
lés  arts  et  dans  toutes  .les  sciepces. 

ËQÊn,  la  religion  est  la  plus  ]baute  Inumamtédu 
genre  Immsûii.  Qu'on  ne  s'étcHine  p^  de  la  votf 
occuper  ici  un',  rang  si  élevé.  Si  l'intelli^ce  est  k 
plu45  noble  présent  qui  ait  été  ftit  à'  Thogmie,  ccst 

<à  eUie  qu'il  appartient  de  tracer. la  connexion  (pi 
existe  entre  ]»  cause  et  Teffety  et  de  la  deviner  quaud 
elle  n'est  pas  a{^rente«  Or,  c'est  ce  que  l'intelu- 

vgeace  humaine  fait  daps  chaque  action,  dans  cba- 

-quQ  occupa;tîan,  dans  chaque  art  En  e^t^  ^^ 


CHAPITRE  YI.  a5Q 

qu'elle  saive  un  progrès  commieneé,  U  faut  qu'elle 
ait  été  devancée  par  quelque  autre  intelligence  qui 
ait  préliminairetnent  établi  la  connexion  entre  la 
cause  et  l'effet  et  posé  ainsi  les  fondemens  de  Tart. 
Mais  9  s'il  s'agit  des  opérations  de  la  nature ,  nous 
ne  Toyons  pas  la  cause  dans  ses  dernières  profon- 
deurs,  nous  ne  nous  connaissons  pas  nous-mêmes , 
et  nous  ne  savons  pas  comment  les  divers  phéno- 
mènes de  la  vie  s'opèrent  en  nous. 

Ainsi,  tous  les  effets  qui  nous  environnent  se 
rédttiseni  pour  nous  à  un  rêve 9  à  une  conjecture, 
à  un  nom;  mais  c'est  un  rêve  qui  a  sa  riéalité,  quand 
nous  apercevons  fréquemment  et  constamment  le 
même  effist  uni  à  Im  même  cause  :  tdi  est  le  progrès 
de  la  philosophie;  et  la  première  et  dernière  phi- 
losophie a  été  la  reUgion.  Les  nations!  même  les 
plus  sauyages  l'ont  pratiquée;  car  il  n'est  pas  sur 
la  terre  ione  seule  nation  qui  n'ait  une  sorte  de 
cuke,  ei^  à  {dus  forte  raison ,  qui  ne  soit  capable 
de  s'ékyer  à  l'intelligence  et  à  la  forme  humaine, 
à  l'artifice  du  langage,  ai^x  devoirs  de  l'union  con- 
jugale, et,  en  un  mot,  à  certaines  coutumes»  à  cer- 
tains modes  de  vie  propres  à  l'homme.  Quand  ces 
peuples  n'ont  pu  découvrir  la  cause  visible  des  évé*- 
nemena,  ils  en  ont  supposé  une  invisible,  et  quoi- 
qu'ils Eussent  dans  une  fausse  Yoie,  il  n'en  est  pas 
moins  vcai  qu'ils  cherchaient  à  pénétrcur  la  f^nd 
des  choses  j  seulement  ils  se  spnt  arrêtas  da^s^  leur 


240  LIVRE -IV. 

contemplation  bien  plus  aux  représentations,  qa'à 
l'essence  de  la  nature,  et  les  objets  effrayaos  et 
périssables  ont  agi  sur  eux  avec  plus  de  puissance 
que  le  sentiment  du  beau  et  de  l'éternel.  Quelque- 
fois il  est  arrivé  qu'ils  ont  ramené  toutes  le»  causes 
à  une  seule.  Ce  premier  effort  était  encore  de  la 
religion,  et  il  est  absurde  de  dire  que  la  crainte  a 
inventé  les  dieux  chez  la  plupart  des  peuples.  La 
crainte ,  comme  crainte ,  n'invente  rien  ;  elle  port» 
seulement  l'intelligence  à  former  des  lionjectares 
et  des  suppositions  vraies  ou  fausses.  Aussitôt  donc 
que  l'homme  apprit  à  se  servir  de  son  Intdligence 
à  l'occasion  de  la  plus  légère  impulsion,  c'^t-à-dre, 
aussitôt  qu'il  vit  le  monde  d'une  manière  difieiente 
de  l'animal,  il  crut  à  des  êtres 'invisibles  et  tout- 
puissans,  qui  punissent  et  récoîtnpensent;  il,  cher- 
cha à .  se  les  rendre  propices  et  à  conserver  lear 
bienveillance:  et  c'est  ainsi  que  la  rdi^on  vraie 
ou  fausse,  juste,  ou  erronée,  prit  naissance  au  sein 
des  nations  pour  instruire  l'homme,  le  fortifier  et 
le  guider  à  travers  le  labyrinthe  obscur  et  périlleux 
de  la  vie.  . 

Non!  étemelle  source.de  toute  vie,  de  tout  être 
et  dé  toute  forme,  tu  n'as  pas  oublié  de  te  inaoi' 
festér  à  tes  créatures.  L'animal  courbé  vers  h  terre 
sent  obscurément  ton  pouvoir  et  ta  bonté,  pendant 
qu'il  exerce  ses  facukés  et  ses  instincts  conformé- 
ment à  son  organisation  :  l'h(Hnme  est  pour  lui  la 


CHAPITRE  VI.  24 1 

divinité  yisible  de  là  terre.  Mais  tu  as  marqué 
rhomihe  d'un  caractère  si  auguste,  que,  même 
sans  les  connaître  ou  les  comprendre,  il  cherche 
les  causes  des  phénomènes,  il  deyine  leur  enchaî- 
nement '  et  découvre  par  là  le  lien  suprême  de 
toutes  choses,  l'Etre  des  êtres!  Il  ne  connaît  pas 
ta  nature  secrète,  car  il  ne  voit  l'essence  d'aucun 
pouvoir,  et  quand  il  a  voulu  te  donner  une  figure, 
il  s'est  trompé  et  devait  se  tromper;  car  tu  es  sans 
figure,  quoique  la  première  et  la  seule  cause  de 
toutes  les  formes.  Mais  dans  cette  fausse  représen- 
tation il  y  a  encore  des  élémens  de  vérité,  et  l'au- 
tel trompeur  qu'il  t'a  élevé,  est  un  monument  qui 
atteste  avec  certitude  non -seulement  la  vérité  de 
ton  existence,  mais  encore  le  pouvoir  que  l'homme 
a  de  te  connaître  et  de  t'adorer.  Ainsi  la  religion, 
à  la  çonsidéi'er  seulement  comme  un  exercice  de 
Imtdligence,  est  la  forme  la  plus  noble  que  Thu- 
manité  puisse  revêtir,  et  le  fruit  le  plu^  précieux 
de  la  pensée  humaine. 

Mais  bien  plus ,  c'est  un  exercice  du  cœur  hu- 
main 9  et  la  direction  la  plus  pure  de  ses  capacités 
et  de  ses  pouvoirs.  Si  Thomme  est  né  libre,  sans 
être  soumis,  à  aucune  autre  loi  terrestre  que  celle 
que  le  mensonge  impose  sur  lui,  il  ne  peut  man- 
quer de  devenir  bientôt  la  plus  sauvage  des  créa- 
tures, lorsqu'il  tarde  à  reconnaître  la  main  de  Dieu 
dans  ses  ouvrages,  et  qu'il  ne  se  hâte  pas  d'imiter, 
I.  16 


2^2  LIVRE  IV. 

comoie  un  enfant,  les  perfections  de  son  père.  I^s 
animaux  sont  des  esclaves  dans  là  grande  famille 
terrestre,  et  la  crainte  servile  des  lois  et  des  chàti- 
mens  est  dans  Thomme  le  signe  le  plus  certain  de 
dégradation.  Celui  qui  a  conservé  la  dignité  qu'il 
a  reçue  de  l'auteur  des  choses ,  est  libre  et  n'obéit 
qu'à  la  bonté  et  k  l'amour;  car  toutes  les  lois  na- 
turdles,  dont  il  peut  aperce vôîi"  la  tendance ,  sont 
bonnes;  et  quand  il  n'en  aperçoit  pas  le  but,  il  ap- 
prend à  les  suivre  avec  la  simplicité  d'un  enfant. 
C'est  là  ton  devoir,  sinon  ton  bon  plaisir,  disent 
les  philosophes  :  la  loi  de  la  nature  ne  changera 
pas  pour  toi;  mais,  à  mesure  que  tu  en  étudieras 
la  sagesse,  la  bonté  et  la  perfection,  ce  modèle 
vivant  te  formera  à  l'image  de  Dieu  dans  ta  vie 
terrestre.  La  véritable  religion  est  donc  un  culte 
filial  rendu  à  Dieu  j  une  imitation  idéale  des  formes 
humaines,  à  laquelle  se  joint  la  pensée  d*un  bon- 
heur SBXïs  bornes ,  d'une  bonté  active ,  et  d'un  pro- 
fond amour  pour  le  genre  humain. 

On  voit  par  là  pourquoi,  dans  toutes  les  reli- 
gions de  la  terre,  il  y  a  plus  où  moins  de  ressem- 
blance entre  l'homme  et  la  divinité,  soit  que  Ton 
ait  élevé  l'homme  juSqu^à  Dieu,  ou  que  l'on  ait 
dégradé  le  Père  du  monde  jusqu'à  l'image  de 
l'homme.  Nous  ne  connaissons  pas  de  forme  supé- 
rieure à  la  nôtre,  et  rien  ne  peut  développer  en 
nous  de  profotides  affections ,  si  ce  n'est  ce  que 


CBAPITRE  VI.  245 

nou$  concevons  dans  la  sphère  de  l'humanité.  Ainsi 
telle  nation  sensuelle  à  élevé  la  forme  humaine  jus- 
qu'à la  beauté  divine j  telle  autre,  douée  de  senti*- 
mens  plus  délicats,  a  représenté  les  perfections 
d'un  être  invisible  par  le  moyen  de  symboles;  et 
quand  la  divinité  a  voulu  se  révéler  au  monde, 
elle  a  parlé  et  a^  à  la  manière  des  hommes,  et  elfo 
s'est  prêtée  aux  habitudes  contemporaines.  Aien  n'a 
tant  ennobli  notre  forme  et  notre  nature  que  la 
religion,  précisément  parce  qu'elle  les  a  ramenées 
à  leur  destination  la  plus  pure. 

Que  l'espérance  et  la  croyance  de  l'immortalité 
soient  liées  à  la  religion ,  et  qu  elles  se  soient  éta- 
blies par  son  moyen  au  milieu  des  hommes,  c'est 
ce  qui  est  dans  la  nature  des  choses;  car  il  est 
presque  impossible  de  séparer  ces  idées,  de  celle 
de  Dieu  et  de  l'humanité.  Mais  quoi  ?  nous  sommes 

• 

des  en&n^  de  l'Étemel,  que  nous  apprenons  ici 
par  voie  d'imitation  à  connaître  et  à  aimer;  que 
tout  nous  excite  à  connaître,  et  que  nos  douleurs 
et  nos  jouissances  nous  pressent  à  la  fois  d'imiter. 
Or,  puisque  la  connaissance  que  nous  en  avons  est 
si  obscure,  puisque  nos  imitations  sont  si  faibles, 
si  maladroites,  et  qu'il  nous  est  impossible  de  dire 
pourquoi  nous  ne  pouvons  le  connaître  et  l'imiter 
autre^ient  dans  notre  organisation  présente,  n'est- 
il  pas  dans  notre  destinée  d'atteindre  un  but  moins 
imparÊdt?  nos  facultés  les  plus  précieuses  n'admet- 


244  LITRE  IV. 

tent-elles  aucun  progrès?.  Si  cela  est,  nos  plus  no- 
blés  pouvoirs  sont  mal  appropriés  à  ce  mondes  ik 
se  répandent  par-delà  ses  bornes ,  car  tous  les  objets 
qu'ils  nous  présentent,  ne  sont  faits  que  pour  obéir 
aux  nécessités  inférieures  de  nçtre  nature;  et  nous 
sentons  que  les  parties  de  nous-mêmes  les  plus  nobles 
engagent  une  lutte  interminable  avec  ces  besoins: 
ainsi,  quelle  que  soit  la  carrière  de  Thomme,  elle 
commence  bien,  il  est  vrai v sur  la  terre;  mais  il  la 
quitte  sans  avoir  atteint  le  but.  La  divinité  a-t-elle 
donc  brisé  le  fil  de  la  création  en  combinant  l'or- 
ganisation humaine  ?  a-t-eUe  produit  hors  de  saison 
un   être  à  qui  il  est  impossible  de    remplir  sa 
destinée?  La  terre  ne  présente  que  des  fragmens; 
resteront- ils  toujours  impariàits  ?  et  la  race  hu-^ 
maine  ne  sera^t«elle  jamais  qu'un  groupe  d'ombres 
qui  se  débattent  dans  de  vidnes  ténèbres?  Ici  la 
religion  a  réuni  en  faisceau  tous  les  besoins  et 
toutes  les  espérances  du  genre  humain  dans  les 
croyances  qu'elle  a  consacrées , ,  et  elle  a  tressé  une 
couronne  immortelle  pour  Thumanité. 


CHAPITRE  TII.  24^ 

CHAPITRE  VIL 

L'homme  est  formé  pour  T espérance  de 

rimmortalité. 

Que  le  lecteur  ne  cherche  pas  ici  une  prejuve 
métaphysique  de  rimmortalité  de  Famé,  tirée  de 
la  simplicité  de  sa  nature,  de  sa  spiritualité,  ou 
d'autres  raisons  du  même  genre.  La  philosophie 
naturelle  ne  sait  rioi  de  cette  simplicité ,  et  serait 
plutôt  portée  à  la  combattre ,  puisque  nous  ne 
connaissons  Tame  que  par  ses  opérations,  qui  sem- 
blent naître  d'une  foule  d'objets  et  de  perceptions 
aussi  compliquées  que  l'organisation  même  où  elle 
a  son  siège.  L'idée  la  plus  simple  est  le  résultat 
d'un  nombre  prodigieux  de  perceptions,  et  le  chef 
de  notre  corps  agit  sur  la  tribu  nombreuse  des 
facultés  secondaires,  comme  s'il  était  règlement 
présent  en  chacune  d'elles. 

Nous  ne  pouvons  pas  non  plus  prendre  pour 
guide  la  philosophie  de  Bonnet,  que  l'on  appelle 
le  système  des  germes;  car  sa  théorie  du  renouvel- 
lement de  l'existence  de  l'homme,  s'appuie  de  preu- 
ves inadmissibles,  et  d'ailleurs  n'est  point  applicable 
à  mon  sujet  Personne  que  je  sache  n'a  découvert 
dans  le  cerveau  un  cerveau  spirituel,  germe  d'une 
nouvelle  existence^  et  la  structure  de  cet  organe 
est  loin  de  donner  à  cette  hypothèse  le  moindre 


^46  LIVRE  ly. 

caractère  de  vraîsemblance.  Le  cerveau  de  l'homme 
mort  demeure  avec  nous  sur  la  terre ,  et  si  le 
dogme  de  l'immortalité  ne  reposait  pas  sur  d'autres 
preuves,  il  serait  convaincu  de  mensonge  et  tom- 
berait en  poussière.  De  plus,  ce  système  me  paraît 
inapplicable  au  sujet  ;  car  il  ne  s'agit  pas  ici  de 
jeunes  créatures  qui  descendent  de  créatures  con- 
génères, mais  d  une  créature  mourante,  qui  s'éveille 
à  un  nouvel  état  d'existence.  En  vérité,  si  le  prin- 
cipe de  cette  théorie  était  exclusivement  juste  dans 
ce  qui  a  rapport  à  la  génération  des  êtres  terrestres, 
et  si  nos  espérances  n'avaient  pas  d'autre  fondement, 
il  s'élèverait  contre  elles  des  objections  insolubles. 
Qu'il  soit  établi  dès  l'éternité  que  la  fleur  ne  produira 
qu'une  fleur,  l'animal  qu'un  animal,  et  que  tout  a 
été  mécaniquement  déposé ,  dès  le  commencement 
de  la  création,  dans  des  germes  préformés;  adieu 
l'espérance  enchanteresse  d'une  existence  supé- 
rieure !  Si  de  toute  éternité  j'ai  existé  en  un  germe 
préformé  pour  mon  existence  présente  et  non  pas 
j)Our  une  autre,  tout  ce  qui  devait  naître  de  naoi 
consiste  dans  les  germes  préformés  de  mes  en&ns, 
et  quand  l'arbre  meurt,  la  philosophie  des  germes 
meurt  avec  lui. 

A  moins  de  consentir  à  nous  laisser  séduire  sur 
ce  sujet  important  par  le  vain  charme  des  paroles, 
il  faut  commencer  de  plus  loin,  prendre  une  sphère 
plus  étendue  et  étudier  l'analo^e  générale  de  la  na- 


GIUPITRE  VII.  247 

iure.  Nous  ne  pouvons  pénétrer  les  secrets  abîmes 
de  ses  pouvoirs  :  il  serait  donc  entièrement  inutile 
de  chercher 9  dès  à  présent,  à  poser  des  consé- 
quences et  des  lois  immuables  ;  mais  les  modes  et 
les  effets  des  pouvoirs  sont  sous  nos  yeux,  il  nous 
est  doi^c  possible  de  les  comparer  entre  eux  et  de 
recueillir  des  trésors  d'espérance  de  la  considéra- 
tion des  progrès  de  la  nature  ici-bas,  et  de  son 
caractère  général, et  daminant 


a48  UTRE  T. 

LIVRE  V. 


CHAPITRE  PREMIEH 

ÏJne  série  ascendante  de  formes  et  de 
poui^oirs  règne  dans  notre  création 
terrestre. 

1.  Des  cailloux  aux  cristaux,  des  cristaux  aux 
métaux,  de  ceux-ci  aux  plantes,  des  plantes  aux 
animaux,  et  des  animaux  à  l'homme,  qous  avons 
vu  s'élever  des  formes  organisées  j  les  pouvoirs  et 
les  penchans  de  la  créature  varier  avec  elles ,  et 
finir  tous  par  se  concentrer  dans  l'organisme  hu- 
main, au  moins  autant  qu'ils  étaient  susceptibles 
d'y  être  compris.  Ici  la  série  s'arrête.  Nous  ne  con- 
naissons pas  au-dessus  de  l'homme  de  créature 
organisée  avec  plus  de  diversité  et  d'art;  il  semble 
être  le  plus  haut  point  que  puisse  atteindre  For- 
ganisation  terrestre. 

2.  Dans  cette  série  d'êtres  on  reconnaît,  autant 
que  le  permet  la  destination  particulière  de  la 
créature,  V empreinte  du  type  principal^  qui,  variée 
de  mille  manières,  approche  plus  ou  moins  de 
la  forme  humaine.  Elle  ne  se  laisse  pas  apercevoir 
dans  le  chaos  de  la  matière  brute,  dans  les  plantes 
et  les  zoophytes;  mais  à  mesure  que  l'organisme 
devient  plus  parfait,  elle  se  détermine  davantage» 


CHAPITRE  I.  24g 

le  nombre  des  espèces  commence  à  décroître,  et 
elle  va  se  perdre  et  se  confondre  dans  les  traits 
et  la  nature  de  Thomme. 

3.  Comme  nous  avons  vu  les  formes  externes 
des  créatures  s'approcher  par  degrés  de  celle  de 
rhomme,  la  même  observation  s'applique  à  leurs 
facultés  et  à  leurs  instincts.  Depuis  la  nutrition  et 
la  propagation  d^  plantes,  ces  instincts  s'élèvent 
jusqu'aux  arts  mécaniques  des  insectes,  à  l'écono- 
mie domestique  et  à  la  tendresse  maternelle  des 
oiseaux  et  des  quadrupèdes,  et  enfin  à  des  pensées 
presque  humaines,  et  à  des  capacités  naturelles, 
qui  toutes  vont  se  réunir  dans  la  puissance  de  la 
raison^  dans  la  liberté  et  \ humanité  de  l'homme. 

4*  La  durée  de  la  vie  de  chaque  créature  est 
déterminée  "par  le  but  que  la  nature  lui  a  assigné. 
La  plante  est  prompte  à  fleurir^  l'arbre  grandit  avec 
lenteur.  L'insecte  qui  apporte  ses  industries  en  nais- 
sant, et  qui  multiplie  promptement  et  abondamment 
son  espèce,  ne  tarde  pas  à  mourir  :  quant  aux  ani- 
maux qui  sont  plus  lents  à  se  développer,  qui  por- 
tent peu  de  petits  à  la  fois ,  et  se  soumettent  à  unis 
sorte  d'économie  domestique  dont  U  raison  semble 
n'être  pas  exclue,  ils  vivent  plus  long-temps  que 
les  autres.  Aussi  l'homme  est-il  de  tous  les  êtres 
qui  l'entourent,  celui  qui  fournit  la  plus  longue 
carrière;  .en  cela,  cependant,  la  nature  ne  con- 
sidère pas  seulement  l'intérêt  de  l'individu,  mais 


25o  LITRE  T. 

encore  la  oonseryatîon  du  genre,  auquel  il  appar- 
tient ,  et  en  général  celle  de  toutes  les  espèces  qui 
occupent  une  sphère  plus  éleyée.  Non-seulement 
^ussi  les  régions  inférieures  sont  peuplées  en  abon- 
dance, mais  les  créatures  ont  une  vie  plus  longue 
quand  le  but  de  leur  existence  ne  s'y  oppose  pas. 
La  mer,  source  inépuisable- de  vie,  conserve  pen- 
dant un  temps  moins  limité  ses  habitans,  dont  les 
pouvoirs  vitaux  sont  plus  tenaces;  et  rampfaibie, 
qui  passe  dans  Feau  la  moitié  de  sa  vie,  approche 
de  ces  derniers  en  longévité.  Les  habitans  de  l'air, 
moins  appesantis  par  une  nourriture  terrestre,  qui 
endurcit  par  degrés  les  quadrupèdes,  vivent  «i gé- 
néral plus  long-temps.  Il  paraît  donc  que  Fair  et 
l'eau  composent  le  grand  réservoir  des  êtres  vivans, 
que  la  terre  ensuite  consume  et  détruit  par  de  brus- 
ques transitions. 

5.  A  mesure  que  l'organisation  s'élève,  eUe  em- 
prunte aux  règnes  inférieurs  un  plus  grand  nooibrc 
d'élémens  :  cette  combinaison  commence  sous  la 
terre,  et  elle  se  développe  à  travers  les  plantes  et 
les  animaux  jusqu'à  la  plus  compliquée  de  toutes 
les  créatures,  l'homme.  Son  sang,  et  les  diverses 
parties  qui  le  composent,  sont  un  abrégé  du  monde. 
la  terre  et  les  sels,  les  acides  et  les  t^erres  alcalines, 
l'huile  et  l'eau,  les  pouvoirs  de  végétation,  d'irn- 
tabilité  et  de  sensation ,  sont  organiquement  com- 
binés dans  sa  substance. 


■^rmM  SM.  »   M  MJt  ^*^       M I 


Il  faut  ou  coti sidérer  ces  choses  comme  des  jeux 
de  la  nature,  et  la  nature  intelligente  ne  joue  jamais 
sans  dessein,  ou  admettre  un  règne  de  poui^oirs  in-- 
visibles^  qui  présente  autant  de  connexité  dans  la 
série  des  phénomènes,  autant  de  gradations  dan^ 
là  progression  des  faits,  que  le  système  des  objets 
apparens.  A  mesure  que  nous  faisons  plus  de  pro- 
grès dans  l'étude  de  la  nature,  nous  reconnaissons 
plus  distinctement  l'existence  de  ces  pouvoirs  inhé-- 
rens,  qui  descendent  jusqu'au  dernier  degré  de  la 
création,  dans  les  mousses,  les  fungus,  etc.  On  ne 
peut  nier  qu'ils  n'agissent  dans  l'animal,  qui  a  une 
puissance  presque  indéfinie  de  reproduction,  dans 
le  muscle ,  qui  par  sa  propre  irritabilité  provoque  un 
mouvement  rapide  et  varié  j  et  ainsi  on  retrouve 
partout  l'action  de  la  Toute-puissance  organique. 
Nous  ne  savons  ni  où  elle  commence,  ni  où  elle 
finit 3  car  dans  toute  la  création,  là  où  est  un  effet, 
là  est  une  force;  là  où  la  vie  se  développe  d'elle- 
niëme ,  là  est  une  vitalité  interne.  Ainsi  domine 
dans  le  règne  invisible  de  la  création,  non -seule- 
ment une  chaîne  de  connexion,  mais  encore  une 
série  ascendante  de  pouvoirîs  qui  se  manifestent  danisr 
Funivers  visible  sous  des  formes  organisées. 

D'ailleurs,  il  est  certain  que  dans  ce  monde  invi- 
sible la  loi  de  progression  est  mieux  établie  que  dans 
la  série  des  formes  externes  qui  nous  sopt  révélées  par. 
les  rapports  confias  de  nos  sens;  car,  qu'est-ce  qu'une 


aSa  LIVRE  r. 

organisation ,  si  ce  n'est  une  niasse  de  pouvoirs  for- 
tement condensés»  qui,  par  Fefiet  du  lien  qui  les 
unit,  se  limitent  ou  se  détruisent  l'un  l'autre?  Nos 
yeux  ne  peuvent  les  distinguer,  et  comme  nous 
apercevons,  sous  la  forme  d  un  nuage,  les  gouues 
d'eau  qui  flottent  dans  l'air ,  de  même,  loin  de  saisir 
chaque  partie  d'un  tout,  nous  ne  voyons  que  la 
£gure  générale  telle  qu'elle  devait  être  orgauisée 
selon  les  lois  et  la  nature  des  choses.  Combien 
Fomniscience  établit  Téchelle  des  créatures  d'une 
manière  différente  de  Thommel  Nous  disposons  à 
notre  gré  l'arrangement  des  formes  que  notre  re^ 
gard  peut  pénétrer  ;  et  semblables  en  cela  à  des  en- 
Êns,  c'est  de  la- différence  des  membres  et  de  quel- 
ques autres  caractères  du  même  genre  que  nous 
partons  pour  fonder  nos  classifications.  Le  Père 
suprême  voit  et  tient  seul  la  chaîné  des  forces  qui 
se  pressent  étroitement  l'une  l'autre: 

Que  conclure  de  là  pouft*  l'immortalité  de  Famé? 
non^seulement  ■  pour  l'immortalité  de  l'ame,  mais 
pour  la  durée  de  tous  les  pouvoirs  actifs  de  k 
création.  Aucun  pouvoir  ne  peut  pçrirj  car,  que 
signifie  un  pouvoir  qui  périt?  Nous  n'en  avons 
aucun  exenjple  dans  la  nature;  bien  plus,  nous  i^^ 
avons  aucune  idée  dans  nos  âmes.  C'est  une  con- 
tradiction de  penser  que  l'être  soit  ou  devienne  le 
non-être;  c'est  plus  qu'une  contradiction  d'assurer 

• 

qu'une  activité  vivante  qui  révèle  par  des  pouvoirs 


CHAPITRE  I.  253 

divins  la  présence  même  du  Créateur,  aille  se  perdre 
dans  le  néant.  L'instrument  peut  être  détruit  par 
des  circonstances  externes;  mais,  comme  il  ne  ren- 
ferme pas  un  seul  atome  qui  puisse  être  perdu  ou 
anéanti,  il  en  est  de  même  des  forces  invisibles  qui 
agissent  dans  cet  atome.  Dans  toute  espèce  d'orga- 
nisation,  nous  reconnaissons  que  ses  principes  actifs 
sont  choisis  avec  sagesse,  arrangés  avec  art,  et  soi- 
gneusement appropriés  à  la  fin  commune  et  à  la  ' 
perfection  du  pouvoir  principal;  il  serait  donc 
absurdie.  de  supposer  qu'au  moment  où  une  combi- 
naison de  ces  principes,  qui  n'est  qu'un  accident 
extérieur,  vient  à  cesser,  la  nature  renonce  aussitôt 
à  la  sagesse  et  à  Tordre  qui  seuls  constituent  son 
essence  divine,  et  qu'elle  tourne  contre  elle-même 
sa  Toute-puissance;  car  il  ne  faudrait  rien  moins 
que  cela  pour  annuler  une  seule  partie  d'un  tout 
vivant  qu'elle  anime  de  sa  présence,  et  où  elle  a 
déposé  son  élemelle  activité.  Tout  ce  que  l'Être 
qui  vivifie  les  montles,  appelle  à  la  vie^  existe; 
tout  ce  qui  agit,  agit  éternellement  dans  son  tout 
étemel. 

Comme  ce  n'est  pas  ici  le  lieu  de  poursuivre 
plus  loin  Texamen  de  ces  principes,  bornons-nous 
à  quelques  exemples.  La  fleur  s'épanouit  et  se  fane, 
c'est-à-dire,  cet  instrument  n'est  plus  fait  pour  con- 
tinuer les  opérations  du  pouvoir  de  la  végétation. 
L'arbre  meurt  quand  il  a  porté  ses  fruits  :  la  ma-> 


354  U?RE  V. 

chine  a  péri  et  les  parties  élémentaires  se  sont 
séparées;;  mais  on  ne  peut  nullement  condure  de 
là,  que  le  pouvoir  qui  animait  ces. parties,  qui, 
doué  au  suprême  degré  de  la  force  de  végétation 
et  de  reproduction ,  réglait  Texerdce  de  mille 
pouvoirs  secondaires  qu'il  avait  attirés,  ait  péri, 
quand  l'organisation  à  laquelle  il  appartenait  s'est 
décomposée  ;  après  la  destruction  de  la  machine, 
chaque  atome  conserve  le  pouvoir  inférieur  qu'il 
renferme.  N'est  -  ce  pas  une  preuve  évidente  de 
la  survivance  du  principe  suprême  qui  dirigeait 
tous  les  autres  à  une  fin  unique ,  et  dont  le  mode 
d'action  était  fondé ,  dans  l'étroift  sphère  où  il 
l'exerçait,  sur  des  forces  naturelles  tout -puis- 
santes? Eh  quoi!  une  créature  possédera  Theure  ou 
je  parle,  dans  chacun  de  ses  membres  une  sponta- 
,  néité  puissante,  irritable,  qui  veille  à  sa  propre 
conservation  ;  nous  la  voyons ,  nous  n'en  pouvons 
douter;  et  le  moment  d'après,  tous  ces  poufou^f 
preuves  vivantes  d'une  toute-puissance  organique 
et  inhérente,  disparaîtraient  de  la  chmne  des  êtres, 
de  la  sphère  de  réalité,  comjne  s'ils  n'eussent  jan»i8 
été!  L'intelUgence  se  révolte  à  cette  idée« 

Et  cette  contradiction  ne  cesserait- elle  pas> 
quand  il  s'agira  de  la  force  la  plus  pure  et  la  pins 
active  que  nous  connaissions  sur  la  terre,  la  puis- 
sance de  la  pensée  humaine?  Elle  qui  occupe  un  rang 
si  élevé  au-dessus  de  toutes  les  capacités  des  orga* 


cHAprnus  I.  !i55 

nisations  inférieures,  qui  non -seulement  exerce, 
avec,  une  sorte  d'omnipotence  et  d'ubiquité ,  un 
empire  souverain  sur  la  foule  des  pouvoirs  orga- 
niques de  mon  corps;  mais,  oh  prodige  des  pro- 
diges! qui  est  douée  de  là  faculté  de  s'étudier  et  de 
se  gouverner  elle-même!  U  n'est  pas  de  puissance 
au  monde  qui  l'emporte  sur  la  pensée  humaine  en 
rapidité,  en  finesse  et  en  activité.  U  n'en  est  point 
qui  égale  la  volonté  humaine  en  énergie,  en  pureté 
et  en  chaleur.  Que  les  pensées  de  l'homme  soient 
dépourvues  autant  que  possible  de  raison,  cepen«- 
dant  toutes  les  fois  qu'il  pense,  il<  iitiite  les  arran- 
gemens  de  la  divinité.  Dans  tout  ce  qu'il  veut,  dans 
tous  les  projets  qu'il  exécute,  il  imite  la  création 
de  Dieu;  cette  ressemblance  est  fondée  sm*  la  na- 
ture même'  des  choses ,  sur  l'essence  même  de  la 
pensée.  Or,  le  pouvoir  qui  est  capable  de  con- 
naître 9  d'aimer  et  d'imiter  Dieu ,  qui  a  pour  loi 
rationnelle  de  le  connaître  et  de  l'imiter ,  même 
contre  sa  propre  volonté,  puisque  ses  fautes  et  ses 
erreurs  ne  naissent  que  de  sa  faiblesse  et  de  ses 
illusions;  ce  pouvoir  ne  serait  plus,  et  le  plus 
puissant  souverain  de  la  terre  périrait,  parce  qu'une 
circonstance  externe  est  changéie,  et  que  quelques^ 
uns  de  ses  sujets  se  sont  révoltés!  L'artisan  cesse-t-il 
d'exister,  parce  que  l'instrument  a  échappé  de  sa 
main?  Si  cela  est,  la  chaîne  de  nos  idées  n'est-elle 
pas  brisée  pour  toujours? 


356  LIVRE  y. 

CHAPITRE  IL 

Aucun  pouvoir  dans  la  nature  n'est  sans 
orgifne}  mais  dans  aucun  cas  F  organe 
n'est  le  pouvoir  même  qui  agit  par  son 
mojren. 

Priestley  et  quelques  autres  ont  objecté  aux 
spiritualistes  que  rien  dans  Funivers  ne  manifeste 
rexisiïence  de  l'esprit  pur,  «et  que  nous  ne  con- 
naissons pas  assez  la  nature  de  la  matière  pour  être 
en  droit  de  lui  refuser  la  faculté  de  penser,  ou 
d'autres  qualités  spirituelles.  Selon  moi,  ils  ont 
raison  sur  ces  deux  points.  Nous  ne  connaissons 
pas  d'esprit  indépendant  de  la  matière  et  dont  Tac- 
lion  se  passe  hors  d'elle;  d'ailleurs  le  monde  phy- 
nque  présente  un  si  grand  nombre  de  pouvoirs 
qui  semblent  rentrer  dans  le  domaine  de  la  pensée, 
qu'il  me  paraît,  sinon  impossible,  du  moins  très- 
difficile  d'établir  sur  des  bases  solides  un  aniO' 
gonisme  absolu  entre  l'être  matériel  et  l'être  in- 
telligent, malgré,  les  différences  qui  les  séparent: 
comment  est  -  il  >possible  que  deux  êtres  .  com- 
binent entre  eux  leurs  opérations  dans  une  unité 
harmonique,  s'ils  sont  entièrement  dissemblables 
et  essentiellement  opposés  l'un  à  1  autre?  et  com- 
ment pouvons-nous  assurer  que  telle  est  la  nature 


J 


CHAPITRE  it.  a57 

^es  chose&,  quand  nous  ne  connaissons  dans  leur 
essence  ni  la  matière ,  ni  la  pensée. 

Dès  que  nous  apercevons  un  pouvoir  actif,  ûous 
sommes  autorisés  à  prononcer  qu'il  agit  dans  un 
organe  avec  lequel  il  est  en  harmonie.  Sans  ce 
dernier,  il  serait  inappréciable  à  nos  sens^  inais  il 
existe  avec  uù  organe,  et  s'il  faut  en  <^roire  l'ana- 
logie universelle,  il  s'y  est  lui-même   conformé. 
Pourtant  aucun  ceil  n'a  vu  des  traces  de  germes 
préformés,. appelés  à  l'existence  depuis  l'origine  des 
choses;  tout  ce  que  nous  observons  dè^  le  premier 
instant  de  l'existence  d'une  créature,  c'est  l'activité 
d'un  sSfSième,  de  poui^oirs  organiques.  Si  rindividi^ 
les  renferme  en  lui,   il. propage  son  espèce  sans 
avoir  besoin  d'aucun  secours  étranger.  Si  les  sex^ 
sont  séparés ,  il  faut  que  chacun  d'eux  contribue  ^ 
l'organisation  d^  sa, postérité,  c^hacqu  à  sa  manière» 
et  conformément  aux  Iqis  de  sa  structure.  Les  créa- 
tures de  la  nature  des  plantes,  dont  Içs pouvoirs 
agissent  avec  plus  de  simplicité  et  par  conséquent; 
avec  plus  d'én.erg^e,  n'ont  besoin  que  d'un  contact 
rapide  pour  produire  des  êtres  qui  s'appartiennent 
en  propre  et  qui  se  créent  eux-mêmes.  Il  en  est 
de  même  des  animaux,  quapdJe  principe  vital  et 
une  vie  tenace  résident  dans  chacun  de  leurs  mem^- 
bres,  de  telle  sorte  que  le  pouvoir  de  production 
et  de  reproduction  s'étend  à  presque  tout  leur  corps; 
dans  plusieurs  cas  l'embryon  n'a  pas  besoin  d'être^ , 
I.  17 


208  LIVKE  y. 

animé  avant  Tépoque  de  la  naissance.  Plus  l'or- 
ganisation  est  composée,  plus  il  est  difficile  de 
distinguer   ce  que   Pon  est  convenu  d'appeler  le 
germe,  c'est-à-dire,  la  matière  organique^  qui 
doit  recevoir  les   pouvoirs  vitaux  avant  tfattcm- 
dre  à  la  forme  complète  de  la  créature.  Voyez  la 
série  progressive  de  métamorphoses  qui  s'opèrent 
dans  tm  œuf,  jusqu'à  ce  qpe  l'oiseau  ait  acquis  et 
complété  sa  forme.  Il  faut  que  les  pouvoirs  orga- 
niques établissent  l'ordre  sur  la  destruction,  qulb 
attirent  les  parties  Fune  vers  l'autre  et  qu'ils  les 
séparent;  il  paraît  même  que,  si  plusieurs  potiToirs 
étaient  en  opposition ,.  le  premier  résultat  de  la  lutte 
serait  un  avortemenc ,  jusqu'à  ce  que  l'équilibre 
vint  à  se  rétablir,  et  que  la  créature  devint  ce  qu'elle 
devait  être  dans  son  genre.  Si  nous  considérons  ces 
cbangémens ,  ces  opérations  vivantes ,  aussi  bien 
dans  l'oeuf  de  Foiseau  que  dans  ,1e  sein  du  quadru' 
pède  vivipare ,  je  pense  que  c'est  s'exprimer  impro- 
prement que  dé  parler  de~  germes  qui  sont  ma^^ 
ment  retournés,  ou  d'un  système  à'épigénisu^  sui- 
vant lequel  les  membres  sont  ajoutés  de  l'extérieur. 
B  y  a  formation  (genesis)^  résultat  d'un  système ae 
pouvoirs  internes,  pour  lesquels  la  nature  a  prépare 
une  masse  qu'ils  doivent  façonner  en  se  dévelop- 
pant Voilà  c^  que  nous  apprend  rexpérience  de  h 
nature,  et  ce  qui  est  confirmé  par  F  observation  des 
différentes  périodes  de  formaiion,   qui  sont  plo^ 


CK-A 


CHAPITRE  lî.  aSg 

OU  moins  rapprochées,  selon  que  Vorgânisme  est 
plus  où  moins  composé  et  le  pouvoir  vital  plue 
ou  moins  abondant  :  par  là  seulement  nous  pou^ 
vons  expliquer  les  difformités  des  créatures ,  suitéé 
de  la  maladie,  d'un  accident,  ou  du  mélange  de 
diverses  espèces^  et  c'est  le  principe  constant  que 
la  nature,  toujours  riche  en  pouvoir  et  en  vitalité, 
dévoile  à  notre  pensée  dans  l'analogie  prôgresisivd 
de  tous  ses  ouvrages. 

Le  lecteur  se  méprendrait  étrangement  sur  le 
sens  de  mes  paroles ,  s'il  m'attribuait  l'opinion  de 
ceux  qui  prétendent  que  Famé  a  ielle-même  cons* 
truit,  par  la  puissance  de  la  raison,  le  corps  de 
Veî^mi  dans  le  sein  de  la  mère. 

Nous  avons  vu  combien  là  faculté  de  k  raison 
est  lente  à  se  former  ;  et  bien  que  nous  arrivions 
dans  le  monde  avec  la  43apacité  de  la  recueillir, 
nous  ne  pouvons  ni  la  posséder,  ni  l'acquérir  par 
nos  propres  forces.  Et  comment  la  raison  de  l'honame 
même  dans  toute  sa  maturité  ^  aurait'-elle  les  moyens 
de  produire  un  semblable  effet; ^puisque  le  jeu 
de  chacune  des  parties  de  son  corps,  soit  interne, 
soit  externe,  échappe  à  -son  intelligence,  et  que  lé 
plus  grand  nombre  de  ses  fonctions  vitales  s'opè- 
rent  à  son  iusçu  et  sans  la  participation  de  fea  vo- 
lonté. Ce  n'est  pas  notre  raison  qui  a  construit 
notre  corps,  c'est  le  doigt  de  Bieu^  l'action  des 
forces  organiques.  If  Éternel,  après  les  avoir  élevées 


aÔO  LIVRE  V.    , 

à  uQ  haut  degré  dsan  Téchelle  àe  la  nature^  a  .fixé 
la  sphèrç  de  leur  puissance  créatrice  dans  un  petit 
monde  dç  matière  organique,  qu'il  a  isolé  et  mar- 
qué distinctement  pour  la  formation  du  jeun^  être. 
£lles  s'unissent  harmoniquement  avec  la  forme  où 
elles  ont  été  déposées,  et  tan,t  qu'eUe  dure,  Thar- 
monie  continue.  Quand  elle  est  détruite,  le  Créateur 
les  retire  çt  leur  prépare  une  autre  sphère  d'action. 

Si  donc  nous  suivons  le  cours  de  la  nature, 
il  est, évident:  .       . 

i .  Que  les  pouvoirs  et  les  oi^anes  -sont  inimt' 
ment,  unis  les  uns  auac  autres  ^  sans  être  pourtant 
uns  et  identiques.  I^  matière  de  notre  corps  était 
dans  le  monde;  mais  informe  et  sans  vie^il  âU^^ 
qu'elle  fut  façonnée  et  animée  par  les  pouvoirs 
organiques. 

2.  Chaque  pouvoir  opère  haimoniquemeotavec 
son  organe;  car  ce  dernier  n'a  été  formé  cpiepour 
servir  à  manifester  son  essence  :  il  s'assimile  les 
pâmes  que  le  Tout-puissant  lui  a  destinées,  et  qui 
lui  s^ent  d'enveloppe. 

3.  Quand  l'enveloppe  se  hrise,  le  pouvoir,  qi» 
existait  avant  elle,  quoiquç  dans  un  état  inférieur, 
mais  pourtant  organique,  lui  survit.  Si  de  sa  pre- 
mière forme  il  a  pu  s'élever  à  celle  qu'il  a  revêtue 
sous  cette  enveloppe,  il  ne  lui  est  pas  plus  impos- 
sible de  subir  une  nouvelle/métamorphose., Le  nu- 
lieu  qui  lui  est  nécessaire  pour  se  développer,  lui 


CHAPITRE   II.  :i6l 

sera  fourni  par  l'Être  qui  jusque-là  a  pris  soin  de 
lui  et  d'un  grand  nombre  d'autres  pouvoirs  plus 
imparfait$  encore. 

Et  la  nature,  partout  uniforme,  ne  nous  a-t-elle 
pas  donné  une  idée  du  milieu  .dans  lequel  opèrent 
tous  les  pouvoirs  de  la  création  ?  Dans  les  profon- 
deurs les  plus  secrètes  de  Mtre,  où  l'on  commence 
à  apercevoir  les  premiers  germes  de  vie,  on  dé- 
couvre l'élément  impénétrable  et  actif  que  nous  dé- 
signons par  les  noms  impar&its  de  lumière,  Siéiher, 
àt  chaleur  i)itale,  et  qui  probablement  est  le  seii- 
sorium  Jwir  lequel  l'auteur  des  choses  échauffe^  et 
vivifie  les  mondes.  Ce  rayon  de  feu  céleste ,  qui  se 
communique  à  une  foule  innombrable  d'ofganes, 
s'étend  et  s(e  ^perfectionne  par  degrés.  Il  esi  probable 
que  tous  les  pouvoirs  d'ici-bas  agissent  à  travers  ce 
véhicule,  et  la  faculté  de  reproduction,  ce  prodige 
de  la  création  terrestre,  en  est  inséparable.  Notre 
corps  fut  vraisemblablement  construit,  même  dans 
ses  parties  les  plus  grossières,  pour  attirer  en  plus 
grande  quantité  ce  ruisseau   électrique  qu'il  doit 
élaborer  :  et  dans  nos  facultés  ^es  plus  nobles,  l'ins- 
trument de  nos  perceptions  morales  et  physiques 
n'est  pas  le  grossier  fluide  électrique,  mais  qu^l^*^^ 
élément  que  notre  organisation  prxîpare,   et  qui, 
infiniment  plus  par&it:  eaâserve  avec  lui  quelques 
points  de  ressemblance.  En  un  mot,  ou  les  opéra- 
tions de  ma  pensée  ne  reÀconti'em  ici-bas  rien  qui 


Sl62  LITRE  V- 

leur  soit  analogae  ,(et  dans  ce  cas  je  ne  peux  com- 
prendre ni  comment  elle  agit  sur  mon  cprps ,  ni 
comment  d'autres  objets  sont  capables  d'a^  sur 
elle)j  ou  elle  n'est  rien  aiitre  que  cet  esprit  invisible 
de  lumière  et  de  feu  céleste,  qui  pépètre  tout  ce  qui 
a  vie  sur  là  terre  et  unit  entre  eux  les  pouvoirs  les 
plus  variés  de  la  nature.  Dans  Torg^nisme  bumain 
il  a  atteint  le  plus  haut  point  de  pureté  dont  il  est 
capable  au  sein  d'une  forme  terrestre  :  c'est  par  son 
moyen  que  Tame  agit  sur  ses  org;mes  avec  une.  sorte 
d'oipnipotence ,  et  qu'elle  réfléchit  ses  rayons  sur 
<^lle-mème  avec  une  conscience  de  l'Être  qui  l'ébranlé 
jusque  dans  ses  fondemens  :  c'est  par  lui  que  l'ame 
se  remplit  d'une;  noble  chaleur,  qu'elle  devient 
capable,  par  une  libre  volonté,  de^e  tran^M)rter 
pour  ainsi  dire  hors  du  corps^  et  même  par-delà  le 
monde^  et  de  les  soumettre  l'un  et  l'autre  à  sa  volonté. 

Elle  a  donc  acquis  un  pouvoir  sur  eux^  et  quand 
son  heure  est  vçnue,  quand  la  machine  externe  est 
dissoute,  n'est- il  pas  naturel  de  penser  qu'elle  en- 
traînera à  soi  ce  qu'elle  s'est  appi^oprié  et  qu'elle  a 
intimement  combiné  à  sa  sub^nce?  Elle  attire  ces 
élémens  dans  son  nouveau  miheu,  et  elle  nous  élève, 
9u  plutôt,  c'est  toi,  pouvoir  plastique  de  Bieu;  toi, 
ame  panent  présente;  toi,  mère  de  tous  les  êtres 
viyans,  qui  nous  éijbT^  par  degrés  à  cette  nouvelle 
destination  pour  laquelle  tu  nous  as  formés. 

Par  là  je  copçois  tçute  la  f^ussçtp  du  raisonne- 


CHAPITRE  11.  a6S 

zueiit  par  lequel  les  matérialistes  combattent  la 
croyance  de  l'immortalité.  Accordons  que  nous 
n'ayons  jgoint  la  connaissance  de  notre  ame,  ea 
tant  qu'esprit  pur;  jious  n'avons  pas  besoin  de  cette 
connaissance.  Accordons  qu'elle  n'agit  que  comme 
xm  pouvoir  organique;  elle  n'a  pas  été  destinée  à 
a^  autreKient:  je  dirai  plus^  il  était  nécessaire 
que  d'abord  elle  apprit,  dans  cet  état /à  penser 
avec  un  cerveau  humain,  à  sentir  avec  des  nerfs 
humain39  et  qu'elle  s'élevât  elle-même  à  quelque 
degré  de  raison  et  d'humanité»  Enfin,  admettons 
qu'elle  est  originairement  identique  à  tous  tes 
principes  matériels  d'irritabilité,  de  mouvement 
et  de  vie,  qu'elle  n'«^t  que  dans  une  sphère  plus 
élevée,  dans  une  organisation  plus  pure  et  plus 
élaborée.  A-t-on  vu  jamais  périr  un  seul  pouvoir 
de  mouvement  et  d'irritabilité?  ces  pouvoirs  infé- 
rieurs sont-*ib  uns  et  identiques  avec  leurs  organes? 
Celui  qui  en  a  d^osé  une  multitude  innombrable 
dans  mon  corps  et  qui  a  déterminé  leurs  formes^ 
celui  qui  a  élevé  mon  ame  au-dessus  d'eux,  qui  a 
marqué  le  siège  de  ,ses  opérations,  et  lui  a  donné, 
dans  les  nerfe,,des  Uens  par  lesquels  Us  sont  unis, 
entre  eux ,  ne  saura-t-il  pas  découvrir,  dans  la  grande 
chaîne  de  la  nature,  quelque  milieu  où  il  puisse  la 
transporter?  et  le.  moyen  qu'il  en  soit  autrement, 
quand  il  est  évident  qu'il  l'a  introduite  avec  un  art 
si  merveilleux  dans  sa  demeure  organique,  afin  de 
la  former  à  une  destination  supérieure? 


^64  IITRE  V. 


>    «  • .  :   ••. 


CHAPITRE  Ht 


IJ  enchaînement  despoui^oirs  et  des  formes 
n'est  jamais  rétrograde  ni  stationnaire, 
,    mais  progressif. 

Cette  proposition  porte  avec  elle-même  sa  dc- 
monstratioti;  car  comment  concevoir  qu'mi  pou- 
voir actif  dans  la  nature  soit  immobile  ou  rétro- 
grade ,  s'il  n'est  circonscrit  ou  repoussé  par  quelque 
pouvoir  supérieur  ennemi.  Il  agit  comme  un  organe 
de  la  Toute  •puissance,  comme  une  idée  active  de 
son  plan  permanent  de  création  ;  et  Fexercicc  doit 
ainsi  augmenter  ses  forces.  Toutes  les  déviations 
ne  peuvent  manquer  de  finir  par  le  ramener  dans 
la  bonne  route;  car  la  suprême  bonté  a  sans  doute 
des  moyens  pour  repousser  dans  la  lice,  par  quel- 
que impulsion  nouvelle ,  la  balle  bondissante  ;  mais 
n'allons  pas  entrer  dans  la  métaphysique,  et  con- 
sidérons les  analogies  de  la  nature. 

Rien  dans  la  nature  ne  reste  immobile;  dhaque 
chose  se  développe  elle-même  et  poursuit  sa  car- 
rière. Si  '  nous  pouvions  contempler  les  premières 
périodes  de  la  création,  et  voir  par  quelles  grada- 
tions tel  règne  de  la  nature  s'est  élevé  au-dessus  de 
tel  autre ,  quelle  fouje  de  pouvoirs  actîfe ,  qut  se 
sont  progressivement  développés  eux-mêmes,  se 
présenteraient  à  nos  regards  !  Pourquoi  rbonamc 


CRAPIÏRE  IlL  205 

ft  les  animaux  pQrtent*ils  dans  leurs  o$  dé  la  terre 
calcaire?  parce  que  c'est  une  des  dernières  com- 
binaisons de  la 'matière,  qui,  par  Tefiet  de  sa  struc^ 
ture  interne,  a  pu  entrer  dans  l'organisation  d'un 
corps  vivant  pour  en  composer. la  partie  osseuse. 
Il  en  est  de  même  de  tous  les  autres  élémiens  de 
notre  corps. 

Quand  les  portes  de  la  création  furent  fermées, 
les  formes  d'organisation  déjà  choisies  restèrent 
invariables  comme  autant  de  voies. et  d'issues  que 
les  pouvoirs- inférieurs  devaient  suivre  à  l'avenir 
pour  s'élever  et  se  développer  dans  les  limites  de 
la  nature.  De  nouvelles  formes  ne  se  présentent 
plus;  mais  nos  pouvoirs  varient  incessamment  dans 
leurs  progrès  en  se  revêtant  de  celles  qui  existent, 
et  ce  que  l'on  nomme  organisatian,  n'est  à  propre^ 
ment  parler  que  Véchelle  ascendante  qui  les  con- 
dùù  à  un  état  plus  élevé. 

La  première  créature  qui  se  présenta  à  la  lu- 
mière, et  qui  se  produisit  elle-même  aux  rayons 
du  jour,  comme  une  souveraine  du  royaume  sour- 
terrain,  fut  une  plante.  Quelles  sont  ses  parties 
élémentaires?  des  sels,  de  l'huile,  du  fer,  du  soufre 
et:  d'autres  pouvoirs  d'un  genre  assez  délicat  pour 
être  élevés  jusqu'à  elle.  Par  quel  moyen  art -elle 
acquis  ces  parties?  par  l'effet  de  son  pouvoir  oi^ga- 
nique  interne,  qui,  aidé  des  démens,  s'est. efforcé 
de  se  les  approprier.  Et  qu'en  &it-èll$?  dile  les 


206  UYBIÉ  V, 

^iuuire,  lel  i^îmîlé  à  sa  sub^taBce  et  lt$  purifie. 
Ain^i  les  plantes ,  à  la  fois  salubres  et  y^néBÇ^ses , 
ont  pour  destinée  de  conduire  des  particules  gros^ 
sières  à  une  condition  plus  parfûte  :  tout  le  méca- 
nisnie  d'une  plante  consiste  à  élever  des  substances 
inférieures  à  un  état  supérietu-. 

Au-dessus  de  la  plante  est  l'aniihal  qui  se  nour- 
rit  de  ses  sucs  ;  l'éléphant  seul  een  le  tombeau  d'^in 
million  de  plantes  :  mais  c'est  un  tomb^  vivant 
et  actif  qui  les  animalise  en  partie  de  liui^lBéflie* 
Les  pouvoirs  inférieurs  s'élèvent  à  la  foitne  la  pkis 
^fNirée  de  la  vitalité.  Il  en  est  de  même  des  aiii- 
maux  carnivores.  Gomme  si  eUe  eut  redo^  par- 
dessus tout  une  mort  langiiissante,  la  nature  a  £ât 
la  transition  rapide f  elle  l'a.  abrégée,  et  a  accéléré 
le  mode  de  transformation  en  formes  vUales  supé- 
neures.  L'homme  est  le  plus  grand  meurtrier  de 
tous  les  animaux,  c'est-à-dire,  la  créature  qui  pos- 
sède les  organes  les  plus  délicats.  U  peut  s^imiier 
à  sa  nature  presque  toutes  choses ,  à  nooins  pour* 
tant  qu'il  ne  descende  trop  loin  au-dessous  de  lui 
dans  l'organisation  vivante. 

Pourquoi  le  Créateur  a-t-il  chcHsi  ce  système  si 
destructif  en  apparence?  Quelque  pouvoir  hoslile 
Sr'est-il  ingéré  dans  son  œuvre,  pour  faire  d'une 
espèce /la  proie  d'une  autre?  ou  est-*  ce  la  Ikùte 
du  Créateur,  s'il  n'a  pu  établir  quelque  autre  loi 
de^coQservation  entre  ses  mfans?  Déchires  l'enve-^ 


CHiPITREIII*  2167 

Ipppe  extérieure,  et,  dam  toute  la  création,  vous  ne 
verrez  rien  qui  soit  une  mort  réellfs  :  toute  desiruo^ 
tion  est  une  métamorphose ,  Tinstant  d  un  passage,  k 
une  sfdière  de  vie  plus  relevée  ;  et  dans  sa  sagesse 
Pauteur  des  choses  a  produit  les  êtres  aussitôt  et 
avec  autant  de  variétés  que  cpla  pouvait  s'accorder 
avec  le  bien  de  l'espèce  et  le  bonheur  de  la  créature 
qui,  appelée  à  jouir  de  son  organisation,  devait 
la  dévelo{^r  autant  que  possible.  Par  une  infinité 
de  manières  violentes  de  terminer  la  vie,  il  a  pré^ 
venu  des  morts  languissantes  et  élevé  à  des  formes 
supérieures  le  germe  d/es  pouvoirs  qui  doivent 
fleurir  un  jour.  Qu'est-ce  que  la  croissance  d'uM 
créature,  si  ce  n'est  son  effort  répété  pour  unir  à 
sa  nature  de  nouveaux  pouvoirs  organiques?  Les 
diverses  scènes  de  sa  vie  sont  réglées  pour  cette 
fin,  et  quand  elle  n'est  plus  capable  d'achever  cette 
o|^ération,  elle  est  à  son  déçUn  et  il  iàut  qu'elle 
périsse.  La  nature  renvoie  la  machine  quand  elle 
ne  la  trouve  plus  propre  à  servir  son  dessein  d'une 
saine  assimilation,  d'un  développement  actif.; 

£n  quoi  consiste  l'art  du  médecin,  si  ce  n'est 
à  ^r  comme  l'esclave  de  la  nature,  et  à  se  hâter 
de  seconder  les  efforts  divers  de  nos  forces  orga- 
nicpies  ?  U  rétablit  les  pouvoirjs  qui  semblent  per- 
di9s,  il  fortifie  ceux  qui  sont  aflaiblis,  il  diminue 
et  restreint  ceux  qui  deviennent  nuisibles  par  lair 
siirabondânce.  Et.  quels  sont  les  moyens  qu'il  em- 


266  '  '  tiVRÊ  V. 

ploie?  rintus-susception  et  rassimilation  de  pou* 
voirs  semblables  ou  contraires,  tirés  des  règnes 
inférieurs. 

Il  en  est  de  même  de  l'a  propagation  de  tous  les 
êtres  vîvans;  car,  quelque  diflScultê  qu'il  y  ait  à 
expliquer  ce  phénomène,  il  est  certaiii  que  les 
pouvoirs  organiques  se  répandent  avec,  la  plus 
grande  activité,  et  tendent  incessamnlent  à  revêtir 
de  nouvelles  formes.  Comme  chaque  corps  organisé 
a  la  Ëiculté  de  s'assimiler  des  pouvoirs  inférieurs, 
ainsi,  fortifié  par  eux  dans  la  fleur  de  la  vie,  il  a 
la  capacité  dé  reproduire  sa  propre  image,  et  de 
donner  au  monde  une  copie  de  lui-même,  pour 
qu'elle  prenne  sa  place  avec  totis  les  p6uvôir3  qui 
agissent  en  lui. 

Tel  est  le  mouvement  de  progression  dans  la 
sphère  des  êtres  inférieurs;  or,  la  nature  restera-t- 
elle  immobile,  aura-t*^e  une  marche  rétrograde 
dans  la  plus  noble  et  la  plus  puissante  des  créa* 
tures?  Pour  satisfaire  aux  lois  de  la  nutrition,  U 
ne  faut  à  lanimal  que  des  pouvoirs  végétatifs  qui 
lui  servent  à  vivifier  des  parties  de  nature  végétale. 
Les  sucs  des  muscles  et  des  nerfs  ne  peuvent  servir 
qu'une  seule  fois  d'aliment  à  une  créature  terrestre; 
il  nîy  a  que  les  bétes  féroces  qui  assouvissent  leur 
soif  dans  le  sang;  et  chez  les  nations  qui  par  indi* 
nation  ou  nécessité  ont  été  conduites  à  &ire  usage 
de  ce  genre  d'aliment,  0|n  reconnaît' lés  penchans  des 


cràpitre  III.  269 

animaux  dont  elles  ont. cruellemeiit  adopté,  la  nour^ 
liture  vivante.  Aussi  le  règne  de  la  pensée  et  de 
l'irritabilité  ne  présentert^il  là  (et  c'est  la  loi  de  la 
nature)  aucun  progrès  visible^  aucune  sorte  de 
transition ,  et  Fun  des  premiers  sentimens  dont  les 
institutions  sociales  aient  fait  un  devoir  à  Thomme, 
a  été  rhorreur  qu'excitent  en  lui  les  chairs  palpi- 
tantes d'un  animal  vivant  Tous  ces  pouvoirs  sont 
évidemment  d'un  genre  spirituel,  et  c'est  probable- 
ment de  là  que  l'on  est  parti  poui^  établir  diverses 
hypothèses  relativement  au  fluide  nerveux  en  tant 
que  \eb-icvle  perceptible  des  sensations.  Le  fluide 
nerveux,  si  tant. est  qu'il  existe,  conserve  en  santé 
le  cerveau  et  les  nerfs,  de  telle  sorte  que,  sans  lui» 
ils  ne  seraient  plus  que  des  cordes  et  des  vaisseaux 
inutiles.  Ses. fonctions  sont  donc  toutes  matérielles, 
tandis  que  ^opération  de  la  pensée,  dans  ses  per- 
ceptions et  ses  facultés,  est  entièrement  spirituelle, 
quels  que  soient  les  organes  qu'elle  puisse  employer. 
Quelle  est  donc  la  transformation  que  subissent 
ces  pouvoirs  spirituels  qui  échappent  à  tous  les  sens 
de  l'homme?  Ici  la  nature  a  sagement  tiré  un  voile 
devant  nos  yeux,  et  comme  nous  n'avons  pas  de  sens 
approprié  à  ce  nouvel  ordre  de  choses,  ell,e  ne  nous 
a  donné  aucune  idée  des  changemens  et  des  transi- 
tions du  règne  spirituel.  Il  est  probable  que  cette 
connaissance  est  incompatible  avec  notre  existence 
présente  et  avec  les  sentijpaens  sensuels  au;xquels  nous 


âyO  LITRE  V. 

sommes  asservis  sur  la  terre.  £Ue  n'a  exposé  à  tios 
regaiftis  «qu'une  châdlie  ascendante  de  formes  et  de 
règnes  inféneurs;  les  milliers  de  voies  invisibles 
par  lesquelles  elle  les  perfectionne,  sont  autant  de 
secrets  qu'eUe  ne  nbns  a  point  confiés;  et  ainsi 
le  règne  des  choses  qui  sont  à  naître,  est  le  grand 
vAff  ou  Hades  >  dans  lequel  aucun  crâl  ne  peut  pé- 
àëtrer.'iyâilleurs,  comme  chaque  espèce  a  sa  forme 
déierminée,  qui  entraine  avec  elle  celle  des  moin- 
dres  détails  de  l'otg^isation ,  il  semble  que  cette 
loi  s'oppose  à  cet  anéantissement ,  et  la  râson  en 
est  é^dente.  Toute  créature  ne  peut  et  ne  doit  être 
produite  qœ  par  des  créatures  de  son  espèce.  Ainsi 
l'auteur  des  choses,  dans  sa  sagesse  immuable,  a 
déterminé  avec  ordre  et  précision  le-  moyen  par 
lequel  un  pouvoir  organisé,  soit  donunaut,  s(Ht 
dépendant,  devait  atteindre  une  activité  visible,  de 
teOe  sorte  que  rien  ne  puisse  échapper  à  ses  fomtes 
une  fois  déterminées.  L'homme,  par  exemple,  ren- 
ferme en  lui  une  si  grande  variété  d'înclinalions  et 
de  capacités,  que  nous  le  contemplons  souvent 
aveo  éionnenlent  comn/e  un  être  merveilleux  et 
surnature  qu'il  nous  est  impossible  de  comprendre. 
Oir,  puisque  ces  éfiets  ne  peuvent  exister  sans  fon- 
démens  organiques,  nous  Sommes  conduits  à  conr 
âdérer  l'espèce  humaine ,  si  nous  pouvons  hasarder 
une  conjecture  sur  ces  secrets  abîmes  de  la  nature, 
eotnme  le  confluent  universel  des  pouvoirs  org(^ 


CHAPITRE  in.  271 

niques  inférieurs  y  qui  ont  dû  s'unir  pour  concourir 
à  la  fonnadon  de  la  race  humaine. 

Mais  est-ce  là  tout  dire?  L'homme  est  né  ici  à 
IHmage  de  Dieu,  et  il  a  joui  de  l'organisation  la  plus 
parité  que  cette  terre  put  lui  donner.  Retoumera- 
t-il  en  arrière  et  redeviendra-t-il  une  tige,  une  plante, 
un  éléphaiit?  là  machine  de  k  création  se  terminent- 
elle  en  lut?  n^y  a-t-il  aucun  autre  ressort  sur  lequel 
il  puisse  agir?  C'est  ce  qu'on  ne  saurait  concevoir^ 
puisque  dans  le  règne  de  la  sagesse  et  de  la  bonté 
suprême  tout  s'enchaîne,  et  qu'un  pouvoir  agit  sur 
un  pouvoir  dans  tme  chafné  éftemelîe.  Maintenant, 
si  nous  regârdon!s  en  arriéré,  et  si  nous  observons 
que  tous  les  êtres  inférieurs  seniblent  se  diriger, 
dans  leur  marche ,  vèris  la  forme  humaine  ;  et  de 
plus,  que  nous  nie  trouvons  dans  Fhomme  que  le 
premier  germe ,  que  la  première  ébauche  de  ce 
qu'il  devrait  être,  et  de  ce  pourquoi  il  est  formé , 
il  ÙCQI  choisir  :  ou  l'homme  doit  s'élever  à  quelque 
destination  plus  haute,  par  quelque  voie  et  de 
quelque  manière  que  ce  sôit,^  ou  toute  connexion , 
tout  plan  dans  la  nature  n'est  qu'un  rève^  une  illu- 
sion mensongère.  Examinons  comment  l'ensemble 
des  &its  dont  se  compose  la  nature  humaine  nous 
conduit  à  ce  l'ésultat- 


2J2  UTBE  Yé 

CHAPITRE  IV. 

La  sphère  de  f  organisation  humaine  est 
un  système  de  poussoirs  spirituels i 

La  plupart  des  objections  que  Ton  a  coutume 
d'élever  contre  rimmortalité  des  pouvoirs  organi- 
ques, se  tirent  de  la  nature  même  des  instrumens 
par  lesquels  ils  agissent  ;  et  je  peux  me  hasarder  à 
assurer  que  l'examen  de  cette  objection  jettera  la 
plus  grande  lumière,  je  ne  dis  pas  sui:  l'espérance, 
mais  sur  la  certitude  que  nous  avons  de  la  perma- 
nence étemelle  de  leur  activité.  La  plante  ne  fleurit 
pas,  par  le  moyen  de  la  poussière  externe  dont  se 
composent  les  parties  grossières  de  sa  structure, 
pas  plus  que  l'animal  qui  ne  cesse  de  se  dévelop- 
per, ne  se  reproduit  d'une  manière  analogue;  et  à 
plus  forte  raison  est-il  impossible  de  concevoir, gu  un 
pouvoir  interne,  tel  que  la  pensée,  qui  unit  en  soi 
tant  de  pouvoirs  divers,  soit  le  résultat  des  diffé- 
rentes parties  danfs  lesquelles  le  cerveau  peut  être 
décomposé.  Et  d'ailleurs  la  physiologie  nous  prête 
ici  son,  appui.  L'image  externe ,.  qui  se  peint  dans 
l'œil,  n'arrive  pas  jusqu'au  cerveau;  le  son  qui  frappe 
l'oreille  ne  communique  pas  à  lame  un  ébranle- 
ment mécanique;  car  les  nerfs  sont  loin  d'être  assez 
tendus  pour  vibrer  à  l'unisson.  Dans  certains  ani- 


CflAt>lttl£  IV*  275 

ma^x,  les  nerfs  optiques  ne  se  concentrent  pas  en 
un  seul  et  même  foyer,  pas  plus  que  dans  aucune 
créature  les  nerfs  de  tous  les  sens^  et  à  plu^  forte 
raison  ceux  du  corps  entier,  ne  vont  se  réunir  en 
un  seul  faisceau,  quoique  Tame  se  sente  présente  et 
agisse  dans  ses  membres  les  plus  petits.  C'est  donc 
une  notion  sans  base  et  anti-physiologique,  d'ima- 
giner que  le  cerveau  pense  de  lui-même,  que  le 
fluide  nerveux  sente  dé  lui-même  :  il  est  plus  con- 
forme à  l'expérience  générale  de  croire  qu'il  y  a 
des  lois  physiologiques  particulières,  en  vertu  des- 
quelles l'ame  accomplit  ses  fonctions  et  combine 
ses  idées.  Que  cela  se  &s$e  conformément  à  ses 
organes  et  en  harmonie  avec  eux;  que,  si  Tinstru- 
ment  maiique,  l'artisan  soit  dans  l'impossibilité  de 
continuer  son  œuvre ,  c'est  ce  qui  ne  peut  être 
.  révoqué  en  doute  :  mais  la  nature  du  phénomène 
n'en  reste  pas  moins  la  même.  Ici  le  mode  d'action 
de  la  pensée  et  l'essence  de  ses  idées  se  présentent 
à  l'examen. 

Et  d'abord,  il  est  constant  que  la  pensée ^  et 
même  la  première  perception  par  laquelle  l'ame  se 
représente  un  objet  externe,  est  entièrement  distincte 
de  la  chose  même  dont  le  sens  lui  révèle  l'existence. 
C'est  ce  que  nous  appelons  image,  sans  comprendre 
par  là  le  point  lumineux  qui  se  peint  dans  l'œil  sans 
pourtant  atteindre  jusqu'au  cerveau.  L'image  dans 
l'ame  n'est  qu'un  être  idéal,  qu'elle  forme  elle-même 


274  LIVRE  V, 

à  l'oGCâsion  des  sens«  Du  chaos  des  choses  qui  Fen- 
tourent,  elle  sépare  une  figure  sur  laquelle  elle  fixe 
9on  attention,  et  ainsi  par  son  pouvoir  intime  elle 
compose  de  plusieurs  êtres  un  tout  qui  lui  appartient 
en  propre,  et  qu'elle  peut  encore  faire  revivre  quand 
il  a  cessé  d'exister.  Les  rêves  et  Fima  ^nation  peuvent 
le  combiner  suivant  des  lois  très  -  différentes  de 
celles  sous  lesquelles  les  sens  le  présentent  réelle- 
ment; et  c'est  ce  qu'ils  font  en  effet  Les  rêves  du 
malade,  que  Ton  a  donnés  tant  de  fois  comme  des 
preuves  manifestes  du  matérialisme ,  attestent ,  au 
contraire,  la  spiritualité  de  Tame.  Écoutez  les  pa- 
roles d^un  fou  et  suives  les  prégrès  de  sa  pensée; 
il  tourne  sur  Tidécqui  lui  a  laissé  des  tfraces  si  pro- 
fondes qu'elle  a  dérangé  ses  oignes  et  brisé  toute 
liaison  avec  d'autres  sensations;  c'est  à  elle  qu'il 
rapporte  toutes  choses,  parce  que  c'est  elle  qnx 
le  domine  et  qu'il  ne  peut  lui  échapper:  pour 
cela,  il  s'entoure  d'un  monde  qui  n'appartient  qu'à 
lui ,  il  établit  dans  ses  idées  une  liaison  toute  par- 
ticulière, et  les  divagations  de  son  ame  ont  au  plus 
haut  degré  un  caractère  frappant  de  spiritualité. 
Ce  n'est  ni  d'après  la  situation  des  cavités  du  cer- 
veau, ni  d  après  ce  que  lui  représentent  les  sensa- 
tions, qu'il  combine  les  images  et  les  choses;  mais 
selon  l'affinité  que  d'autres  idées  ont  avec  celle  qui 
le  domine,  et  selon  qu'il  peut  les  ramener  à  ce 
type  immuable.  Toutes  les  associations  d*îdées  se 


CHAPITRE  IV.  a'jS 

forment  de  la  même  manière  :  elles  relèvent  d'un 
être  qoi  éveille  les  souvenirs  par  sa  propre  énergie» 
souvent  avec  une  idéocratie  toute  spéciale,  et  qui 
lie  les  idées  entre  elles  en  vertu  d'une  sorte  de  pen- 
chant et  d'amour  interne»  plutôt  que  de  l'action 
seule  du  mécanisme  extérieur.  Je  voudrais  que  it% 
hommes  pleins  de  candeur  nous  ouvrissent  sur  ce 
point  les  secrets  de  leurs  cœurs ,  et  que  des  obser- 
vateurs habiles  5  surtout  des  médecins ,  fissent  con- 
naître les  phénomènes  que  leurs  malades  présen- 
tent, et  je  suis  convaincu  que  nous  aurions  alors  des 
preuves  manifeste;»  de  l'existence  d'un  être,  orga- 
nique, il  est  vrai,  mais  agissant  de  lui-même,  con- 
formément aux  lois   d'une  harmonie   spirituelle. 
C'est  d'ailleurs  ce  qui  est  démontré  par  la  manière 
artificielle  dont  se  forment  nos  idées  depuis  l'en- 
fance,^ par  le  cours  prolongé  que  l'ame  suit  pour 
arriver,  quand  le  temps  en  est  venu,  à  la  conscience 
d'elle-même,  et  pour  apprendre,  après  des  peines 
infinies,  à  faire  usage  de  ses  sens.  Plus  dun  psy- 
chologue a  été  frappé  de  l'adresse  avec  laquelle  un 
enfant  acquiert  les  idées  de  .couleur,  de  figure,  de 
grandeur  et  de  distance,  et  apprend  ainsi  à  voir. 
Le  sens  corporel  n'enseigne  rien^  car  l'image  se 
peint  dans  l'œil  au  premier  moment  où  il  s'ouvre, 
ai^si  fidèlement  qu'à  la  dernière  époque  de  la  vie  : 
mais  lame  apprend  à  mesurer,   à  comparer  et  à 
percevoir  spirituellement  par  le  moyen  des  sens. 


^n6  .    LIVRET. 

£n  cela  elle  est  aidée  par  rorellle,  et  le  langage 
est  certainement  un  moyen  spirituel  plutôt  que 
corporel  de  former  des  idées.  Personne,  s^il  n'est 
vide  de  sens/  ne  peut  prendre  le  son  et  le  mot 
pour  une  seule  et  même  chose;  ils  différent  tous 
deux  autant  que  le  corps  et  Famé,  autant  que  For- 
gane  et  le  pouvoir.  Le  mot  éveille  leL  souvenir  de 
ridée  qui  lui  correspond  et  la  fait  passer  de  l'âme 
d'un  autre  dans  la  nôtre  propre.  Mais  le  mot  n'est 
pas  l'idée ,  pas  plus  que  forgaire  matériel  n'est  la 
pensée.  Gomme  le  dorps  se  développe  par  la  nour- 
riture, de  même  notre  ame  s'agrandit  par  les  idées: 
nous  remarquons  même  ici  la  même  loi  cTassimi- 
lâtion^  de  croissance  et  de  reproduction»  mais  dW 
manière  qui  n'est  pas  corporelle  et  suivant  un  mode 
particulier.  L'ame,  qui  peut  se  rassasier  d'une 
nourriture  qu'elle  est  incapable  de  s'appropner 
et  de  convertir  en  sa  propre  substance,  renferme 
d'ailleurs  en  elle  un  système  de  pouvoirs  spirituels 
dont  chaque  déviation  est  une  maladie  sthénique 
où   asthénique,    c'est-à-dire,  une   dépravation. 

• 

Elle  développe  cette  vie  interne  avec  un  pouvoir 
productif,  dans  lequel  Famour  et  la  haine,  l'attrait 
pour  ce  qui  appartient  à  sa  .nature ,  et  l'aver- 
sion contre  ce  qui  lui  est  contraire,  se  déploient 
comme  dans  la  vie  terrestre.  En  un  mot,  sans 
qu'il  y  ait  en  cela  aucune  illusion  poétique,  u 
6e  Conne  en  nous  un  homme  spirituel  et  intemt 


CHAPITRE  IV.  377 

qui  a  une  nature  propre ,  ne>  se  sert  du  corps  que 
comme  d'un  instrument  et  agit  encore  selon  sa  pro- 
pre nature ,  mèm^  quand  les  organes  corporels  sont 
le  plu»  dérangés.  Plus  l'ame  est  séparée  du  corps 
par  la  maladie  ou  quelque  état  passionné,  et  con- 
trainte ,  pour  ainsi  dire ,  d'errer  dans  la  sphère 
idéale  de  son  propre  univers,  plus  les  phénomènef 
par  lesquels  se  manifeste  la  puissance  spontanée 
qu*elle  a  de  créer  et  dunir  des  idées,  présentent 
un  caractère  étrange.  Dans  le  désespoir,  elle  s'égare 
à  travers  les  scènes  de  sa  vie  passée,  et  comme  ,elle 
ne  peut  ni  briser  sa  nature,  ni  abdiquer  la  mission 
qui  lui  a  été  donnée  de  former  des  idées,  elle  se 
crée  un  monde  dont  elle  habite  seule  les  sphères 
indéfinies. 

La  conscience,  cette  siûAime  prérogative  de  la 
pensée  humaine ,  se  forme  et  se  développe  peu 
à  peu  d'une  manière  spirituelle  et  par  les  voies 
de  V humanité.  L'enfant  n'a  qu'une  conscience  en- 
core confuse,  quoique  son  ame  s'eflPorce  incesr 
samment  d'atteindre  au  dernier  terme  et  de  se 
sentir  vivante  et  présente  dans  chacun  de  ses  sens. 
Si  eUe  tend  à  acquérir  des  idées  ^  c'est  pour  se  re- 
connaître distinctement  au  miUeu  de  ce  monde  de 
Dieu  et  pour  jouir  de  son  être  avec  une  énergie 
humaine.  L'animal  ne  fait  encore  qu'errer  dans  un 
fève  obscur  :  sa  conscience  est  partagée  entre  tant 
d'irritations  matérielles  et  tellement 'enveloppée  par 


H'jS  LIVRE  V. 

elles,  qu'il  lui  est  impossible,  par  son  orgànisatloa 
^lème ,  de  s'élever  à  aucune  activité  féconde  et 
progressive.  "L'homme  aussi  n'a  la  conscience  de 
son  état  physique  que  par  lé  médium  des  sensr; 
et  quand  ceux-ci  souffrent,  il  n'est  pas  étonnant 
îju'une  idée  dominante  bouleverse  son  ame  et 
l'amène  à  représenter  en  lui  un  drame  ou  gai  ou 
mélancolique.  Mais  encore,  cet  être  ainsi  jeté  dans 
tine  ré^on  idéale  plus  animée,  atteste  ïénergie 
interne  par  laquelle  lé  pouvoir  de' sa^  conscience 
et  de  sa  spontanéité  ne  cesse  de'  se  déployer  au 
sein  des  mouvemens  les  plus  désordonnés.  Rien 

• 

n'excite  tant  dans  l'homme  l'aciivité  de  son  exis- 
tence que  la  connaissance;  la  connaissance  d'une 
"Vérité  qu'il  a  acquise  de  lui-même ,  qui  S*est  con- 
fondue avec  sa  nature  la  plus  secrète,  et  pendant 
qu'il  la  contemple,  les  objets  visibles  et  environ- 
nans  s'évanouissent  pour  luf.  Quand  une  pensée 
sublime  le  saisit,  cl  qu'il  eh  poursuit  le  cours, 
il  s'oublie  lui  -  même ,  il  perd  la  cbnscîence  du 
temps  qui  s'écoule  et  de  ses  forces  vitales  qo» 
s'épuisent.  Xa  douleur  physique  la  plus  aiguë  peut 
être  suspendue  par  la  survénance  dans  Pâme  de 
quelque  idée  féconde.  Sous  l'influence  de  la  pas* 
sion ,  surtout  de  la  plus  pure  et  dé  la  plus  ardcnw 
de  toutes,  de  l'anlour  dé  Dieu,  les  hommes  onl 
méprisé  la  vie  et  bravé  la  mort;  et  toutes  leuri 
idées  «'étant  ainsi  concentrées   en  une  seule; 


Qnt  joui  comme  dans  le  ciel.  Le  travail  le  plus 
ordinaire  est  diflScile,  si  le  corps  seul  doit  l'entre- 
prendre; mais  Tamour  rend  facile  roccupation  la 
plus  rude,  et  charme  les  travaux  les  plus  longs  et 
les  plus  rebutans.  Devant  lui  s'évanouissent  le  temps 
et  l'espace ,  et  quoi  qu'il  &sse,  il  ne  quitte  jamais 
sa  région  idéale.  Cette  nature  morale  se  retrouve 
jusque  parmi  les  peuples  les  plus  sauvages.  Peu 
leur  importe  de  savoir  pour  quelle  cause  ils  com- 
battent; ils  combattet^t  pour  une  foule  d'idées. 
Le  cannibale  altéré  de  vengeance,  poursuit  sous 
une  forme  monstrueuse  une  jouissance  qui  relève 
de  la  pensée. 

Aucune  maladie  de  l'organe,  aucune  circons- 
tance, aucun  phénomène  ne  peut  nous  abuser 
jusqu'à  nous  faire  considérer  comme  primitif  le 
pouvoir  qui  agit  en  lui.  La  mémoire,  parexemple^ 
varie  avec  les  organisations;  tatitôt  elle  se  forme 
et  se  développe  à  l'aide' des  images,  tsmtot  à  l'aide 
de  signes  abstraits,  de  mots  ou  de  nombres.  Dans 
la  jeunesse,  pendant  que  le  cerveau  est  tendre,  elle 
est  douéei  d  une  extrême  vivacité;  dans  la  viâllesse, 
quand  le  cerveau  se  durcit,  elle  s'appesantit  et  s'at- 
tacha aux  idées  surannées.  Il  en  est  de  même  des 
autres  &cultés  de  l'ame ,  et  il  ne  peut  en  étre*^utre- 
ment  si  elles  opèrent  organiquement  A  ce  sùji^ 
nous  pouvons  remarquer  ici  que  les  lois  relaiwépf^ 
ou  mode  de  conservation  et  de  renous^ellemenl  des 


9 


28t>  tIVRE  V.      ' 

idtBâSj  sont  entièrement  spirituelles  et  nullement 
physiques.  Des  hommes  ont  perdu  le  soutenir  de 
certaines  années,  même  de  certaines  parties  du  dis- 
cours, des  noms ^  des  substantifs,'  et  na^e  de  cer« 
taines  lettres  et  de  certains  caractères,  tout  en  con- 
servant celui  des  année$  précédentes,  et  en  con- 
tinuant à  se  servir  des  autres  parties  du  discours; 
Famé  n'avait  été  paralysée  que  dans  celui  de  ses 
membres  où  Torgane  avait  souffert.  Si  la  c^abe  de 
ses  idées  était  matérielle,  elle  devrait,  d'après  ces 
phénomènes,  pu  se  mouvoir  dans  le  cerveau  et  se 
former  certaines  cases  pour  certàinesi  années,  cer^ 
tàins  noms,  certains  substantifs,  ou,  si  les  idées  se 
durcissent  avec  le  cerveau,  aucune  ne  doit  échap- 
per à  cette  ^loi  générale;  et  pourtant  combien  les 
souvenirs  de  la  jeunesse  sont  encore  vivans  dans 
la  vieillesse  l  Quand  Tame,  par  l'état  de  se?  organes, 
ne  peut  plus  combiner  ses  idées  avec  vivacité,  ou 
y  réfléchir  d'une  manière  lumineuse,  elle  s'attacne 
plus  intimement  aux  acquisitions  de  ses  belles  a^* 
nées,  dont  elle  dispose  comn^e  de  sa  propriété.  Dans 
les  instâns  qui  précèdent  la  raert ,  et  daps  toutes 
les  situations  où  elle  se  sent  moins  enchaînée 
par  le  corps ,  ces  souvenirs  s'éveillât  avec  tow« 
vivacité  d'un  plaisir  d'enfance  5  et  c'est  de.  la  sur- 
•  tQ«t  que  naissent  Jes  plaisirs  du  vieillarf  «^ 
.monhevLv  du  mourant  Depuis  le  comm6ncem«'* 
de  la  vie,  notre  ame  semble  n'avoir  qu'une  nussioï»? 


CHAPITRE  !▼.  38 1 

celle  d'acqfdérir  une  figure  interne  j  la  forme  de 
Vhûmaniii^  et  de  se  sentir  par  là  entière  et  heu- 
reuse comme  le  corps  dans  ce  qui  lui  ^appartient- ^ 
Elle  travaille  de  toutes  ses  forces  dans  ce  but  avec 
autant  de  zèle  et  de  sympathie  que  le  corps  pour 
3a  santé;  si  quelque  partie  est  atteinte,  il  le  sent 
immédiatement  dans  toutes,  .et  applique  ses  sens, 
autant  qu'il  le  peut ,  à  réparer  la  brèche  et  à  guérir 
la  blessure.  C'est  de  la  même  manière  que  Tamé 
trayaille  pour  sa  santé  toujours  précaire  et  souvent 
illusoire,  s'eSbrçant  de  la  raffermir  et  de  l'augmen- 
ter, tantôt  ^ar  les  moyens  véritables,  tantôt  par  des 
remèdes  trompeurs.  L'art  qu'elle  emploie  pour  cela 
esx  merveilleux ,  et  le  nombre  des  ressourcés  et  des 
breuvages  qu'elle  connaît,  est  immense.  Si  les  pa^ 
roxismes  de  Tame  étaient  étudiés  de  la  même  ma-^ 
nière  que  ceux  du  corps,  sa  nature  propre  et  spi^ 
rituelle  se  manifesterait  si  évidemment  dans  toutes 
%t%  maladies,  que  les  systèmes  de$  matérialistes 
s'évanouiraient  comme  les  vapeurs  devant  le  soleil. 
Qqant  à  celui  qui  est  convaincu  de  cette  vie  inié* 
rieurey  toutes  les  circonstances  externes  dans  les* 
quelles  le  corps ^  comme  une  matière  étrangère, 
varie  incessamment,  ne  seront  pour  lui  que  des 
transitions  qui  n'affectent  point  son  essence.  Il 
passera  de  ce  monde  dans  le  suivant  avec  aussi 
peu  d'attention  que  de  la  nuit  au  jour»  ou  d'unf 
isaisoii  de  vie  à  ptîlle  (jui  la  suil;. 


a8a  .  .  LIVRE  V. 

I 

Le  Créatear  nous  fait  éprouver  <jiaque  jour  dans 
le  frère  de  la  mort,  dans  le  sommeil  rafraîchisç^nt, 
^combien  les  élémens  de  notre  machine  sont  loin 
d'être  inséparables  les  uns  des  autres  >  et  surtout 
combien  ils  se  distinguent  du  moi  de  notre  con- 
science. Le  t'oucher  gracieux  de  son  doigt  délie  les 
fonctions  les  pluà  importantes  de  la  vie  :  les  nerià 
e(  les  muscles  se  détendent^  les  sens  cessent  de 
percevoir,  mais  Tame  continue  de  penser  dans  son 
domaine.  Elle  n'est  pas  plus  séparée  du  corps  que 
quand  il  est  éveillé,  comme  le  prouvent  les  per- 
ceptions qui  se  mêlent  souvent  à  nos  sensraucoU' 
praire,  elle  agit  suivant  ses  propres  lois,  même  dans 
le  sommeil  le  plus  profond ,  dont  les  rêves  ne  nous 
laissent  aucun  souvenir^  à  moins  d'être  éveillés  en 
sursaut  Plusieurs  personnes  ont  observé  que  d^^ 
les  rêves  qui  ne  sont  point  troublés ,  leur  ame 
poursuit  sans  interruption  la  même  série  d'idées 
fj'une  manière  différente  de  ce  qui  se  passe  dans 
VéVàt  de  veille,. et  elle  s'être  dansxm  monde  plus 
beatu,  plus  vivant,  et  en  général  plus  jeune.  Dans 
un  rêve,  les  perceptions  sont  plus,  vives,  les  pas^ 
jsions  plus  violentes;  la  liaison  des  idées  plus 
facile,  le  règne  du  possible  plus  étendu,  notre  vue 
plus  pei'çante  »  et  la  lumière  qui  nous  entoure  plus 
brillante.  Dans  un  heureux  sommeil,  nous  volons 
isouvent  plutôt  que  nous  ne  marchons,  nos  dimtfi' 
sions  sont  agrançlies,  nos  résolutions  ont  fhsàe 


CHAPITRE  fV.  285 

force,  nos  actions  sont  moins  liaiîlées;  et  quoique 
tous  ces  phénomènes  dépendent  du  corps^  comme 
le  mdindre  éi>ranlement  moral  doit  être  en  harmonie 
avec  Lui ,  tant  que  les  pouvoirs  de  la  pensée  seront 
aussi  intimement  unis  à  sa  structure,  cependant 
Fensemble  des  phénomènes  du  sommeil  et  des  rêves, 
qui  sont  sans  dqute  singuliers  et  qui  nous  jetteraient 
dans  un  profond  étonnemént,  s\  nous  n'y  étions 
accoutumés,  nous  montre  que  chaque  partie  du 
corps  ne  nous  appartient  pas  de  la  même  manière; 
que  d'ailleurs  certaine  organes  de  notre  machine 
peuvent  être  affaiblis,  et  le  pouvoir  suprême  agir 
avec  plus  dldéalisme^  de  vivacité  et  de  liberté,  seu- 
lement par  réminiscence.  Or,  puisque  toutes  les 
causes  qui  amènent  le  sommeil  et  que  tous  les 
symptômes  corporels  sont,  non  pas  métaphorique- 
ment, mais  physioiogiquement  et  réellement  ana- 
logues à  ceux  dé  la  mort,  pourquoi  les  symptômes 
spirituels  de  Tun  et  de  l-autre  ne  seraient-ils  |)as  les 
mêmes?  Ainsi  donc,' quand  le  sommeil  de  la  mort 
is'appesantit  sur  nous  par  la  fatigue  ou  la  maladie, 
l'espérance  nous  reste,  que  la  niort ,  semblable  au 
isommeil,  apaisera  la  fièvre  de  la  vie,  en  interrom^ 
pant  sans  secousse  im  mouvement  uniforme  i^t  trop 
long-temps  continue,  guérira  plusieurs  blessures 
incurables  dans  cette  vie,  et  préparera' Tame  à  un 
heureux  réveil ,  à  Tabrore  d'une  jeunesse  renou* 
velée*  Oui ,  '^comme  dans  les  songes  aies  pensées 


il84  LTVRE  T. 

s^envolent  vers  ma  jeunesse;  comme  les  inouW 
mens  de  mon  cceur  sont  plus  libres  et  plus  spon* 
tanés,  alors  que  je  ne  suis  plus  qu'à  demi  eochainé 
par  quelques  organes,  de  même,  ô  toi,  songe  Tivi- 
fiant  de  la  mort  !  tu  ramèneras  en  souriant  là  jeu- 
nesse de  ma  vie,  les  momens  les  plus  heureux  et 
les  plus  enivrans  de  mon  existence,  jusqu'à  ce  que 
je  m'éveille  dans  la  réalité  dont  ils  sont  l'image, 
ou  plutôt  dans  la  forme  la  plus  pure  de  l'ado* 
lescence  câeste. 

CHAPITRE  V. 

Notre  humanité  West  qu'un  état  de  prépor 
ration,  le  bouton  d'une  Jleur  qui  doit 
éclore. 

Nous  avons  vu  que  le  but  de  l'e^stence  pré* 
sente  est  l'éducatÂpn  de  l'humanité,  à  laquelle  les 
moindres  circonstances  de  cette  terre  concourent 
et  qu'elles  sont  toutes  appela  à  provoque»  Nos 
Êicultés  intellectuelles  sont  appelées  à  l'exercice  de 
la  raison,  nos  sens  les  plus  délicats  à  la  pratique 
dé  l'art',  nos  penchans  à  la  vraie  liberté^  àk  re- 
cherche du  beau;  nos  pouvoirs  actifs  à  l'amour 
du  genre  humain.  Ou  nous  *  ne  savons  rien  de 
notre  destination,  et  la  divinité ,  pour  dire  ce  qui 
serait  une  calomnie  vide  de  sens,  nous  trompe 
dans  chacun  de  ses  symptÀines  internes  et  externes  ^ 


CHAnniE  y*  485. 

ou  nous  pouvons  nous  regarder  comme  aussi  cer- 
tain^  de  çejtte  fin  que  de  l'existence  4'uB  Di^i  .on 
de  celle  qui  nous. est  propre. 

Pourtant  combien,  il  est  rare  d'atteindre  ici-bas 
ce  but  éternel,  in6ni!  Cbex. toutes  les  nations,  la 
raisoii  porte  les  chaînes  du  sens  animal;  .on  cherche 
le  vrai  dans  les  sentiers  les  plus  trompeurs,  et 
cette  beauté,  cette  rectitude,  pour  lesquelles  nous 
sommes  créés  par  Dieu ,  sont^  corrompues  par  la 
négligence  et  la  dépravation.  Peu  d-homintes  font 
de  la  céleste  humanité,  dans  le  sens  du  mot  le  plus 
pur  et  le  .plus  étendu ,  l'étude  véritable  de  leur  vie;  ' 
la  plupart  ne  commencent  quetard  à  y  penser,  et 
les  meilleurs  des  hommes  sont  incessamment  nn 
menés  par  de  vils  penchans  des  plus  sublimes  trans- 
ports^ à  la  vie  animale^  Parmi  les  mortels,  qui  peut 
dire  qu'il  atteindra  ou  qu'il  a  attânt  la  pure  image 
de  l'homme  qui  habite  en  lui.  Ainsi. donc,  ou  le 
Créateur  s'est  trompé  dans  le  but  qu'il  a  placé  de- 
vant nous,  et  dans  l'organisation  qu'il  a  ci  habile- 
ment composée  pour  servir  à  le  poursuivre;  ou  ce 
but  n'est  atteint  qu'après  notre,  existence  présente, 
et  la  terre  n'est  <{u'un  lieu  S  exercice^  et  cette  vie 
un  état  de  préparation.  D'après  cela ,  il  est  vrai» 
le  bas*  ne  peut  manquer  de  se  trouver  uni  soi%ent 
au  sublime;  ev^  en  tout,  l'homme  n'est  élevé  que 
d'un  faible  degré  âu-*dessus  de  l'animaL  D'ailleurs, 
la  plus  grande  variété  doit,  régner  parmi  les  hom- 


a86  uvR£  Y. 

mes  ;  puisque  la  teire  présente  une  si  éiQonatite 
diversiié  d'obj^,  et  que  dans  tant  de  pays,  .sou» 
tant  de  circonstances ,  l'espèce  humaine  est  si  pro^ 
fondement  courbée  sous  le  joug  du  diqiat  et  de 
la  nécessité.  La  Providence  a  considéré ,  dans  ses 
desseins  )  'd'un  seul  regard  tous,  ces  degrés  ^cest 
2ones,  ces  variétés,  et  a  su  développer  l'homme 
dans  chacun  d'eux,  de  même  qu'elle  a  élevé  par 
degrés  les  pouvoirs  inférieurs,  sans  qu'ils  en  eussent, 
conscience.  Ces  tune  chose  surprenante,  quoique 
incontestaUe ,  que  de  tous  les  habitans  de  la  terre 
l'homme  est  celui  qui  est  le  plus  loin  d'atteindre 
sa  destination.  Tout  animal  atteint  ce  que  son 
organisation  peut  atteindre  :  l'homme  seul  reste 
en  arrière,  précisément  parce  que  son  but  est 
trop  élevé,  trop  étendu,  trop  illimité.,  et  qu'il 
commence  surjette  terre  à  un  degré  trop  infè* 
rieur,  à/UUis  époque  trop  tardive,  et  avec  trop 
d'obstacles  externes 'et  internes.  L'instinct^  ce  don 
maternel  de  la  nature,  est  le  guide  certain  de  l'anir 
mal,  qui,  fait  pour  obéir,  n'est  qu'un  esclave  dan^ 
la  maison  du  père  souverain.  L'homme  est.  en  cela 
un  véritable  enfent;  et  si  l'on  excepte  quelques, 
p^nchan^  nécessaires,  il  Ëiut  qu'il  apprenne  tout 
ce  qui  appartient  à  la  .raison  et  à  rhumanité.  D'ail- 
leurs, il  apprend  imparfaitement,  parce  qu'avec  les 
6emences  d'intelligence  et  de  \ertu  il  reçoit  en 
héritage  les  préjugés  et  les  mauvaises  coutumes^., 


CHAPITRE  Y.  287 

et  dans  ce  progrès  vers  la  vérité  et  la  liberté ,  il 
est  retardé  par  dés  chaînes  qui  remontent  à  Torî- 
gine  de  son  espèce.  Les  traces  que  des  hommes 
demi*dieux  ont  imprimées  tout  autour  d^eux,  s'unis- 
âent  et   se  confondent    avçc  beaucoup  d'autres, 
sur  les<|uelles .  ont  erré  des  animaux   et  des  bri- 
gands ,  et  celles-ci  »  hélas  !  sont  souvent  plus  fré- 
quentées que  le  petit  nombre  de  celles  qui  appar- 
tiennent à  une  nature  gi^ande  et  sublime  ;  et,  comme 
plusieurs  iTnt  fait,  ou  il  faut  accuser  là  Providence 
d'avoir  con6né  l'homme  si  près  de  l'animal  qull 
ne  devait  point  égaler,  et  de  lui  avoir  refusé  ce 
degré  de  lumière,  de  fermeté  et  de  certitude^  qui 
aurait  servi  sa  raison  à  la  place  de  l'instinct  ;^  ou 
ce  début  si  imparfait  est  une  preuve  de  son  pro^ 
grès  étemel  :  car  l'homme  doit  lui-même  acquérir 
par  l'exercice  un  degré  de  lumière  et  de  sécurité, 
tel  qu'il  devienne  sous  la  direction  de  son  père 
et  par  ses  propres  efforts  une  créature  plus  noble 
et  plus  libre;  et  c*tsi  ce  qui  arrii^era.  Ainsi  l'appa- 
rence de  l'homme  deviendra  l'hommie  en  réalité; 
ainsi  la  fleur  dliumanité,  engourdie  par  îe  froid 
et  desséchée  par  la  chaleur,  s'épanonira  dans  sa 
vraie  forhie,  dans  toute  la  plénitude  de  sa  beauté 
propre. 

De  là  nous  pouvons  facilement  conclure  quelle 
est  la  partie  de  nous-mêmes  qui  peut  passer  à  un 
autre  monde  :  «Test  cette  humanité  dii^ine^  le  bou- 


388  LIVRE  T. 

^%ou  non  encore  éclos  de  la  vraie  forme  de  Thomme. 
Toute  la  corruptiop  de  cette  terre  n'a  qu'elle  pour 
objet;  nous  laissons  les  parties  térr^tres  Hé  nos 
os  au  règne  fosûlei  dont  elles  ont  été  tirées^etnaus 
rendons  aux  élémens  ce  que  nous  leur  avons  m- 
pnmté.  Toiis  les  appétits  des  sens  qui  ont  servi 
en  nous,  comme  dans  les  animaux,  à  l'économie 
terrestre  «  ont  achevé  leur  mission  :  ilsilevaient  être 
dans  l'homme  l'occasion  des  sentimens  et  des  efforts 
les  plus  nobles,  et  quand  ils  l'ont  ach^ée,  ils  ont 
rempli  le  but  pour  lequel  ils  avaient  été  destinés. 
Le  besoin  de  la  nourriture  devait  exciter  l'homme 
au  travail,  à  la  société,  à  l'obéiissance  aux  lois  et 
aux  choses  établies^  et  le  lier  à  la  terre  par  une 
chaîne  salutaire  et  indispensable^  Les  désirs  des 
stTits  devaient  faire  germer,  j^usque  dans  les  cceiars 
les  plus  durs,  la  sociabilité,  l'amour  inatemél/coti- 
jugal  et  filial,  et  rendre  les  efforts  prolongés  qu'il 
ferait  pour  son  espèce,  agréables,  à  l'homme  quand 
il  les  entreprendrait  pour  sa  jMropre  chair  et  son 
propre  sang.  Heureux  si  le  germe  se  développa! 
il  fleurira  sous  les  rayons  d'un  soleil  plus  glorieux. 
La  vérité,  la  beauté,  l'amour,  sont  les  objets  aux- 
quels l'homme  tend  de  tous,  se&  efforts,  méme^ans 
qu'il  en  ait  la  conscience,  et  souvent  par  les  voies 
les  moins  directes.  Les  détours  du  labyrinthe  se- 
ront reconnus,  les  formes  séduisantes  de  l'endniH 
temei^t  s'évanouiront,  mais  chacun  verra  plus  o^ 


moms  distinctement  It  centre  vers  lec[uel  se  dirige 
son  sentier;  et  toi,  Providence  matenielley  sous 
la  fornte  du  génie  et  de  Tami  dont  il  a  besoin ,  tu 
le  conduiras  d'une  main  bienfaisante  et  prompte 
à  pardonner. 

Ces t  pourquoi  le  Créateur,  dans  sa  bonté ^  nous 
a  caché  la  forme  de  ce  monde  »  afin  que  nos  sens 
ne  fussent  pas  éblouis  de  son  éclat ,  et  que  nul 
désir  tmt  et  prématuré  ne  vînt  troubler  nos  cœurs* 
Si  en  efiët  nous  considérons  les  progrès  de  la 
nature  dans  lès  espèces  inférieures,  et  que  nous 
observions  comment  l'être  suprême  rejette  celles 
qui  appartiennent  aux  classes  les  moins  nobles  et 
adoucit  par  degrés  les  lois  de  la.  nécessité ,  en  même 
temps  qu'il  perfectionne  lespoùvoirs  spirituels^  qtfil 
purifie  la  pensée ,  qu'il  orne  k  beauté  d'une  parure 
céleste ,  nous  pouvons  avec  confiance  nous  reposer 
sur  la  science  de  cet  invisible  artisan  et  croire  que 
le  génie  captif  de  Phumanité  naissante  apparaîtra 
un  jour,  sous  la  vraie  forme  de  l'homme  semblable 
à  Dieu^  dans  un  état  dont  aucun  esprit  terrestre 
ne  peut  imaginer  la  grandeur  et  la  majesté.  Toute- 
fois il  est  inutile  de  donner  l'essor  à  notre  imagi-^ 
nation;  et  quoique  je  sois  convaincu  que,  comme 
touS'  les ,  degrés  de  la  cri&ation  sont  intimement  liés 
les  uns  mx  autres,  les  pouvoirs  organiques  de 
notre  ame,  dans  leurs  tendances  les  plus  pures 
et  les  plus  spirituelles,  préparent  ici-bas  les  fon* 
h  19 


ago  LIVRE  Vr 

démens  die  leur  destiaée  fi2ti;ire;  ou  qu'au  moias, 
sans  qu'ik  en  aient  la  conscience ,  ils  forment  le 
tissu  qui  servira  à  leur  enveloppe  ^  jusqu'à  ce  que 
les  rayons  d'un  soleil  plus  brillant  éveillent  leurs 
énergies  les  plus  profondes ,  qui  leur  sont  ici  voilées 
à  eux-mëme^  :  il  n'en  serait  pas  moins ,  téméraire 
d'esquisser  les  lois  par  lesquelles  le  Créateur  ^Dinne 
un  monde  dont  tant  de  ténèbres  nous  dérobent  les 
phénomènes.. Jl  suffît  que  tous  les  changemens  que 
npus  observons  dans  lès  l^égioiis  inféiriem^es  de  la 
nature  soient  des  tendances  à  la  perfection^  et  que 
nous  ayons  au  moins^  quelques  idées  d'un  sufètdans 
lequel  d'invî^nciUes  obstacles  nous  empêchent  dé  pé- 
nétrer plus  avant.  Ia  fleur  paraat  à  nos  yew  d*abord 
comme  une  graine,  et  ensuitje  comme  ijm  germe: 
le  germe  deviî^nt  plante,  ^et  à  la  fin  se  montre  la 
fleur,  qui  commence  ses  (Ëfôrens  périodes  de  vie 
dans  cette  économie  terrestre^  Des  progrès  et  des 
ehangemcns  sembl^les  se  présentjent  dans  tous  les 
êtres  animés,  et  le  papillon  est  en  cela  si  remar- 
quable,  qu'il  est  devenu  un  emblème  bien  cminiu 
Voyez  ramper  la  vile  chenille,  qui  n'obéit  qu'au 
grossier  appétit  de  la  &im  :  soh  heure  arrive,  et 
la  langueur  de  la  mort  s'appésaaiiî  sur  elle.  £Ue 
cherche  un  point  d'apfMu,  et  s'ei^veloppe .  dans 
les  replis  de  son  linceuil,  qudle  portait  «n  die 
avec  les  premiers  orgtiïies  de  son  état  futur.  Ses 
anneaux  alors  se  mettent  à  l'œuvre,,  et  les  pouvoirs 


CHAPITRE  V.  391 

organiques  internes  se .  développent  eux-mêmes. 
Le  changement  est  d'abord  l^it  et  ressemble  à 
une  dëcomposiiion.  Avec  la  peau,  dont  il  se  dé- 
pouille, disparaissent  dix  pieds  de  Tanimal;  peu 
à  peu  les  membres  de  la  créature  naissante,  qui 
sont  d*abord  informes,  se  débrouillent  et  atteignent 
leurs  véritables  proportions;  mais  elle  n^  s'i veilie 
pas  avant  d'être  complète  ;  alors  elle  parait  brusr 
quement'à  là  lumière,  et  le  dernier  acte  s'achève 
rapidement  En  quelques  minutes  ses  tendres  ailes 
deviennent  six  ibis  plus  grandes  qu'elles  n'étaient 
sous  le  voile  de  la  mort  :  douées  d'élasticité  et 
ornées  de  toute  la  splendeur  des  couleurs  qui 
peuvent  être  produites  sous  le  soleil,  elles  por^ 
tent  le  nouvel  être  sur  Thaleine  du  zéphyr.  Toute 
sa  nature  est  changée:  au  lieu  des  feuilles  gros^ 
siêres  qui  autrefois  lui  fournissaient  sa  nourri^ 
ture,  il  boit  le  nectar  des  fleurs  dans  leurs  coupes 
d'or.  U  n'est  pas  jusqu'à. sa  destinée  qui  ne  soit 
différente.  Au  lieu  d'obéir  à  l'appétit  machinal  de 
la  faim,  il  est  ému  par  la  passion  la  plus  délicate 
de  l'amour.  Qui  pourrait  pressentir  sous  la  figure 
de  la  chenille  l'éclat  fiitui'  du  ppillon?  où  est 
celui  qui  voudrait  les  reconnaître  tous  deux  pour 
une  seule  et  même  créature,  si  l'expérience  né 
l'avait  instruit?  et  puisque  ces  deux  modes  d'exis- 
tence ne  sont  que  des  images  différentes  d'un  même 
être  sur  une  seule  et  même  terre ,  où  le  cercle  or- 


JSgs  LITRE  T. 

ganique  se  répète  en  toutes  choses,  quelles  sIh 
blimes  métamorphoses  doivent  s'opérer  dans  une 
sphère  plus  vaste,  quand  les  périodes  qu'elles  par- 
[  courent  embrassent  plus  d'un  monde!  Espère  donc, 

£ds  de  rhomme,  et  ne  prophétise  pas;  la  récom- 
peiise  est  devant  toi,  efforce^toi  de  l'obtenir.  Éloigne 
de  toi  tout  ce  qui  n'a  pas  un  caractère  d'humanité; 
poursuis  la  vérité,  la  bonté  et  la  beauté  divine,  et 
tu  ne  peux  manquer  d'atteindre  ta  destinée. 

Ainsi,  par  ces  analogies  de  créatures  qui  chan- 
gent et  passent  d'un  état  à  un  autre,  la  nature  nous 
enseigne  pourquoi  le  sommeil  de  la  mort  est  admis 
dans  son  système  :  c'est  une  sorte  de  léthargie  qui 
s'étend  sur  les  sens,  pendant  que  les  pouvoirs  or- 
ganiques tendent  à  une  forme  nouvelle.  La  créature 
elle-même,  quelle  que  soit  la  conscience  dont  elle 
est  douée,  n'est  pas  assez  pvdssante . pour  prévoir 
ou:  diriger  leurs  efforts:  elle  s'endort  et  ne  s'éveille 
pas  avant  que  sa  forme  .ne  soit  complète.  Ainsi  la 
mort  est  le  présent  qu'un  tendre  père  partage  entre 
ses  enfans;  c'est  un  sommeil  salutaire,  durant  le- 
quel  la  nature  recueille  ses  forces ,  pour  que  le 
Bdalade  endormi  soit  rendu  à  la  santé. 


CHAPITRE  VI.  agS 


CHAPITRE  VL 

Uétat  présent  de  fhomme  est  probable-^ 
ment  le  lien  qui  unit  deux  mondes. 

Tout  se  lie  dans  la  nature;  un  état  en  pro- 
voque et  en  prépare  un  autre.  Si  donc  l'homme 
est  l'anneau  le  dernier  et  le  plus  élevé ,  qui  ferme 
la  chaîne  de  l'organisation  terrestre,  il  doit  com- 
mencer une  chaîne  de  créatures  d'un  ordre  supé- 
rieur, dont  il  est  l'anneau  inférieur,  servant  ainsi 
de  lien  entre  deux  systèmes  adjacens  de  la  création. 
Il  ne  peut  passer  dans  quelque  autre  organisation 
sur  la  terre,  sans  revenir  en  arrière  et  errer  dans 
un  cercle  :  qu'il  reste  immobile,  c'est  ce  qui  est 
impossible ,  puisque  dans  les  domaines  de  la  bonté 
la  plus  active ,  il  n'est  pa^  de  pouvoirs  qui  soient 
au  repos.  Aihsi,  de  même  qu'il  a  la  prééminence' 
sur  Tanimal,  à  qui  il  est  en  même  temps  allié  de 
si  près,  il  doit  exister  un  degré  devant  lui,  caché 
pour  lui,  mais  élevé  au-dessus  de  lui.  Confirmée 
par  toutes  les  lois  de  la  nature,  cette  théorie  nous 
donne  seule  la  clef  du  problème  étonnant  de 
l'homme,  et  en  même  temps  la  seule  philosophie 
de  son  histoire;  car  ainsi , 

1.  La  contradiction  singulière  de  la  condition 
de  l'honune  devient, manifeste.  En  tant  qu'animal^ 


394  LIVRE  V. 

il  incline  à  la  terre ,  et  y  est  attaché  ainsi  qu'à  sa 
demeure  suprême  ;  comme  homme^  il  a  en  lui  les 
germes  de  l'immortalité,  qui  pour  se  développer 
ont  besoin  d'un  autre  sol.  EIn  tant  qu animal,  il 
peut  satisfaire  ses  facultés  physiques,  et  les  hom- 
mes dont  le  cœur  n'est  pas  troublé  par  des  désirs 
plusardens  et  moins  faciles  à  contenter,  se  trouvent 
suffisamment  heureux  ici-bas;  mais  ceux  qui  cher- 
chent une  destination  plus  élevée  ne  rencontrent 
autour  d'eux  que  l'incomplet  et  l'imparfait.  Ce  qu'il 
y  a  de  plus  noble  n'est  jamais  accompli  sur  la  terre, 
ce  quil  y  a  de  plus  pur  est  rarement  solide  et  du- 
rable :  ce  théâtre  n'est  qu'un  lieu  d'exercice  et  d'é- 
preuves pour  les  puissances  de  nos  coeurs  et  de 
oos  âmes.  L'hisioire  de  l'espèce  humaine  et  les  ob- 
jets qu'elle  a  recherchés,  et  ce  qu'elle  a  obtenu, 
les  efforts  qu'elle  a  faits  et  les  révoluiions  qu'elle 
a.  subies,  le  prouvent  ass»ez.  €à  et  là  paraissent  des 
philosophes,  des  gens  de  bien,  qui  s'élèvent  et  ré- 
pandent leurs  opinions,  leurs  préceptes  et  leurs 
exemples  sur  le  fleuve  du  temps  :  quelques  vagues 
jouent  en  cercles  autour  d'eux,  mais  bientôt  le  flot 
les  a  emportés  et  les  a  effacés  ;  la  perle  de  leur  noble 
dessein  est  tombée  au  fond  de  l'abîme.  Les  fous  ont 
surpassé  les  conseils  des  sages,  et  des  prodigues  ont 
hérité  des  trésors  de  sagesse  rassemblés  par  leurs  an- 
CiètresL  Si  la  vie  de  Thomme  ici*ba&  est4oin  d  avoir 
éié  calculée  pour  fétemité ,  bette  terre,  daùs  sa  ré- 


CHAPITRE  VL  IXqS 

Yolution  non  interrompue,  est  aussi  loin  d'être  un 
moBument  indestruclible  où  l'art  se  perpétue  sans 
fin,  un  jardin  de  plantes  c|ui  ne  se  fanent  jamais, 
une  demeure  qui  doive  être  éternellement  habitée» 
Nous  allons  et  nous  venons;  chaque  moment  ap« 
porte  et  enlève  au  monde  des  myriades  d'étrés  ani- 
ôiés.  La  terre  est  une  hôtellerie  pour  des  voyageurs , 
une  planète,  sur  laquelle  se  reposent  des  oiseaux  de 
passage  et  dont  ils  se  hâtent  de  s'éloigner.  L'animal 
vit  en  dehors  de  sa  vie ,  et  si  ses  années  sont  trop 
courtes  pour  attendre  un  but  plus  élevé ,  sa  des- 
tination secrète  est  remplie  j  ses  facultés  s'exercent , 
et  il  est  ce  qu'il  devait  être.  L'homme  seul  est  eT\ 
contradiction  avec  lui-même  et  avec  l'univers  en- 
tier; car ,  bien  qu'il  soit  la  plus  parfaite  de  toutes 
les  créatures  organisées,  ses  facultés  sont  loind'at* 
tçindre  leur  perfection,  même  quand  il  arrive  au 
terme  le  plus  long,  de  la  vie.  Et  la  raison  en  est 
évidente:  si  son  état  est  le  dernier  sur  cette  terre, 
il  est  le  premier  dans  une  autre  sphère  d'existence, 
par  rapport  à  laquelle  il  apparaît  ici  comme  un  enfant 
qui  fait  son  premier  essai.  Ainsi,  il  est  à  la  fois  le 
représentant  de  deux  mondes,  et  de  là,  la  dualité 
apparente  de  son  essence. 

2.  Par  là.  on  voit  clairement  quelle  partie  doit 
dominer  dans,  la    plupart   des  hommes   ici -bas. 
'L'homme  appartient  en  grande  partie  au  genre  ani- 
mal. Il  n'a  apporté  dans  le  monde  qu'une  capacité 


29^  LIVKE  V, 

{i^our  rhutnanité,  qui  <loit  d-abord  se  former  en 
lui  pav  le  zèle  et  le  travail.   Qull  en  est  peu  en 
qui  elle  suit  son  véritable  développement  1  Et  même 
dans  les  aines  les  plus  pures,  combien  la  fleur  au 
vine  qui  a'  été  déposée  en  elles,  est  frêle  et  dé- 
licate!   Dans  le  cours  de  la  vie ,  Fanimal  domine 
rhomme,  et  le  plus  souvent  il  le  gouverne  à  son  gré. 
Il  s'eiTorce  incessamment  de  le  rabaisser,  pendant 
que  l'esprit  Félève  et  que  le  cœur  soupire  après 
Une  sphère  plus  libre-  Et  comme  pour  une  créa- 
ture sensuelle  le  présent  paraît  plus'  vivant  que  le 
passé,  comme  le  visible  agit  sur  elle  plus  puissam* 
ment  que  l'invisible^  il  n'est  pas  difficile  de  con- 
jecturer de  quel  côté  la  balance  doit  pencher.'  Oh  ) 
combien  l'homme  est  peu  capable  d'atteindre  à  la 
pureté  dans  le  plaisir ,  dans  la  connaissance  et  dans 
la  vertu!  et  en  fût-il  plus   capable,  qu'il  est  rare 
qu'il  la   cherche"  et   s'y  repose?  Les  plus  nobles 
compositions  ici-bas  sont  rabaissées  par  des  pen«* 
chans  terrestres,  comme  le  voyage  de  la  vie  est 
contrarié  par  des  vents  opposés;  et  le  Créateur, 
dans  sa  bienfaisante  économie,  a  mêlé  entre  elle 
deux  causes  de  désordre ,  afin  que  l'une  pût  corriger 
l'autre,  et  que  le  germe  de  l'immortalité  fût  nourri 
plutôt  par  les  tempêtes,  que  par  le  souffle  tempéré 
des  zéphîrs.  L'homme  qui  a  beaucoup  d'expérience 
sait  besaicoup;  celui  qui  vit  dans  l'indiffereiice  et 
l'apathie  ne  sait  pas  ce  qui  est  en  lui;  et  encore 


CHAPITRE  VI.  397 

xnoins  sent-il  avec  une  satis&ction  qui  porte  té- 
moignage d'elle-même,  jusqu'où  s'étendent  ses 
pouvoirs.  Ainsi,  la*  vie  est  un  combat,  et  l'on 
n'obtient  que  difficilement  la  guirlande  pure  et 
immortelle  de  l'humanité.  La  carrière  est  ouverte; 
c*est  à  la  mort  que  la  palme  sera  obtenue  par  celui 
qui  combat  pour  la  vertu.  • 

5.  Ainsi,  si  des  créatures  supérieures  laissent 
tombei*  leurs  yeux  sur  nous ,  elles  nous  voient  de  la 
même  manière  que  nous  voyons  les  espèces  moyen^ 
nés  ^  par  lesquelles  la  nature  fait  une  transition 
d'un  élément  à  un  autre.  L'autruche  agite  ses  lourdes 
ailes  pour  courir  avec  plus  de  rapidité  ;  mais  elles 
ne  peuvent  lui  servir  à  voler ,  à  cause  du  poids: de 
son  corps;  qui  l'attache  à  la  terre.  Cependant  l'auteur 
de  toute  organisation  en  a  pris  soin  aussi  bien  que 
d'aucune  autre  créature;  car  en  elles-mêmes- elles 
sont  toutes  parfaites  et  ne  paraissent  défectueusesl 
qu'à  nos  yeux.  Il  en  est  de  même  de  Thomme  ici-bas. 
Ses  défauts  importunent  et  lassent  la  patience  d'uii 
génie  terrestre;  mais  un  esprit  supérieur,  qui  con-« 
temple  la  structure  interne,  et  voit  un  plus  grand 
nombre  d'anneaux  de  la  chaîne ,  peut  bieii  à  la  vérité 
en  prendre  pitié,  mais  non  pa$  le  mépriser. Il  côin^ 
prend  pourquoi  l'homme  doit  quitter  le  monde  dans 
tant  d'états  différens,  jeun^  et  vieux ^  sage  et  fou, 
dans  le  sein  de  sa  mère,  ou  dans  une  seconde  enfance 
atteinte  en  cheveux  blancs.  La  bonté  toutp^puisswte 


29^  LIVRE  V. 

embrasse  la  folîe  et  la  difformité,  tous  les  degrés  de 
civilisation,  toutes  les  erreurs  de  TiatelligeDce;  et 
elle  ne  manque  pas  de  baume  pour  adoucir  les  bles- 
sures c|ue  la  mort  seule  peut,  guérir.  Puisque  pro- 
bablement l'état  futur  est  le  fruit  du  présent,  comme 
notre  organisation  est  le  .produit  des  règnes  mfè- 
rieurs,  sa  destinée  est  liée  sans  doute  à  l'existence 
présente  plus-  étroitement  que  nous  ne  pouvons 
l'imaginen  Le  jardin  du  ciel  ne  fait  éclore  que  des 
plantes  dont  les  semences  jetées  ici-bas,  ont  à  percer 
une  grossière  envelo{^e.  Si  donc ,  comme  nous  l'a- 
vons vu ,  la  sociabilité ,  l'amitié  ou  la  participation 
active  aux  peines  et  aux  plaisirs  d'autrui  composent 
le  but  auquel  tend  l'hiunanité,  arrivé  à  sa  matu^ 
rite,  l'arbre  delà  vie  humaine  doit  nécesssiirement 
atteindre  alors  ia  forme  vivifiante  que  son  germe 
reèélait,  et  répandre  partout,  avec  son  ombre  sainte, 
les  biens  pour  lesquels  notre  cœur  soupire  en  vain 
dans  toutes  les  situations  terrestres.  Au-dessus  de 
nous,  nos  frères  nous  aiment  donc  assuranent  avec 
fdiis  de  chaleur  et  de  pureté  que  nous  ne  pouvons 
leur  en  rendre,  car  ils  voient  notre  état  plus  claire- 
ment :  le  moment  du  temps  n'est  plus  pour  eux , 
toutes  les  différences  sont  réglées ,  et ,  dans  leur  in- 
visible majesté,  il  est  probable  qu'ils  préparent  en 
BOUS  des  émules  de  leurs  travaux  et  des  compagnons 
de  leur  bonheur.  Un  pas  de  plus,  et  l'esprit  oj^ressé 
peut  re^rer  plus  librement,  le  cœur  blessé  peut  se 


CHAPÏtREVI.  299 

guérir  :  ils  voient  approcher  le  passager ,  et  rassurent 
d'une  main  afiermie  sa  marche  chancelante. 

4.  Puisque  nous  sommes  d'une  espèce  moyenne 
entre  deux  ordres  que  nous  partageons  pour  ainsi 
dire,  je  ne  puis  croire  que  l'état  futur  soit  si  éloi- 
gné du  présent  et  ait  avec  lui  si  peu  de  com- 
munication que  la  partie  animale  de  l'homme  est 
inclinée  à  le  supposer  j  et  à  dire  vrai,  l'histoire  de 
Tespèce  humaine  présente  un  grand  nombre  d'acci- 
dens  et  d'événemens  qu'il  m'est  impossible  de  com- 
prendre sans  le  concours  d'une  influence  supérieure. 
Par  exemple,  il  me  paraît  inexplicable  que  l'homme 
ait  pu  commencer  la  carrière  du  perfectionnement, 
et  inventer  le  langage  et  la  première  science  sans 
un  guide  supérieur,  et  plus  il  a  tardé  à  recevoir 
cet  appui  tutélaire,  plus  il  faut  supposer  qu'il  est 
resté  long-temps  dans  un  état  grossier  et  sauvage 
On  ne' peut  nier  qu'une  économie  divine  ait  régné 
sur  l'espèce  humaine  depuis  son  origine,  pour  di- 
riger sa  course  dans  les  voies  les  plus  sûres  ;  mais, 
plus  les  facultés  humaines  se  sont  exercées ,  moins 
dles  ont  eu  besoin  de  cette  assistance  supérieure, 
ou  moins  elles  ont  été  capables  d'en  profiter, 
quoique  cependant  dans  la  succéi^sion  des  âges 
de  très- grands  effets  soient  nés,  au  du  moins 
aient  été  fçcompagnfés  de  circonstances  inexpli- 
cables. Les  m^adies  même  leur  ont  souvent  servi 
^'instrmnensj  car,  lorsqu'un  organe  perd  sa  prp- 


SOO  JLIVRE  V. 

portion  »avec  les  autres,  et  qu'il  devient  ainsi  inu- 
tile dans  le  système  général  des  fonctions  physiques, 
il'paraît  naturel  que  le  principe  vital  s'ouvre  quel- 
que  autre  voie,  et  reçoive  des  impressions  dont 
ïine  organisation  complète  ne  serait  pas  susceptible 
et  qu'elle  ne  réclamerait  pas.  Quoi  qu'il  en  soit, 
c'est  certainement  un  voile  bien&isant  qui  sépare 
ce  monde  dé  cdui  qui  le  suit;  et  ce  n'est  pas  sams 
raison  que  la  tombe  de  l'homme  mort  est  si  muette 
^et  si  immobile.  Les  hommes  en  général  sont  pré- 
servés, dans  le  cours  de  leur  vie^  des  impressions 
dont  une  seule  briserait  pour  jamais  la  chaîne  en- 
tière de  leurs  idées.  Fait  pour  la  liberté,  l'homme 
n'a  pas  été  destiné  à  être' le  singe  d'imitation  d'êtres 
supérieurs  j  maiç  partout  il  est  conduit  à  retenir 
cette   heureuse   opinion  qu'il  agit  de  lui-même. 
Pour  qu'il  conservât  le  repos  de  son  ame  et  ce 
noble   orgueil   qui*  soutient  sa  destinée,  il  a  été 
privé  de  la  vue  d'êtres  plus  élevés  que  lui  ;  car 
il  est  probable  qu'en  les  connaissant. il  apprendrait 
a  se  'm.épriser.  L'homme  ne  devait  donc  pas  con- 
templer un  état  futur,   mais  seulement  y  donner 
ça  croyance.  ' 

5.  Ainsi,  il  ^t  certain  que  chacun  de  ses  pou- 
voir^ enferme  une  infinité  de  &ciiltés  qui.  ne  peuvent 
se  développer  ici-bas,  où  elles  sont  réprimées  par 
d'autres  pouvoirs,  combattues  par  les  sens  et  les  ins-^ 
tincts  aniaia^ux  y  et  pour  ainsi  dire  bornées  à  la  sphère 


CHAPITRE  \1.  5&1 

de  la  vie  terrestre.  Certains  prodiges  de  mémoire , 
d'imagination,  de  pressentimens  prophétiques ,  ont 
révélé  des" merveilles  de  ce  trésor  caché  qui  repose 
dans  la  pensée  de  l'homme  ;  et  il  ne  faut  pas  exclure 
les  sens  de  la  part  qu'ils  ont  à  ces  phénomènes.  Que 
de9  maladies  locales  et  des  défauts  partiels  aient  été 
les  principales  occasions  qui  ont  servi  à  découvrir 
ce  trésor,  cela  ne  change  pas  la  nature  des  choses; 
puisque  la  disproportion  même  qui  s'étabUt  alors 
est  nécessaire  pour  rendre,  parla  rupture  de  Téqm- 
libre ,  sa  puissance  et  sa  liberté  à  une  &culté  captive 
et  enchaînée.  L'expression  de  Leibnitz,  que  l'ame  est 
un  miroir  de  l'univers ,  contient  peut-être  une  vérité 
plus  profonde  que  celle  qu'on  en  déduit  ordinaire-* 
ment  ;  car  on  dirait  que  les  pouvoirs  de  '  l'univers 
entier  sont  enfouis  dans  ses  profondeurs,  et  ne 
demandent  pour  se  déployer  quç  le  secours  d'une 
autre  organisation,  ou  d'une  série  d'organisations 
progressives.  La  suprême  bonté  ne  lui  refusera  pas 
cette  organisation,  mais  elle  la  guidera  comme  un 
enËint  en  lisière,  pour  la  préparer  graduellement  à 
la   plénitude  d'une  jouissance  croissante,  avec  la 
persuasion  qu'elle  acquiert  d'elle-même   ses  pou- 
voirs et  ses  sens  ;    et  même  dans^  sa  constitution 
présente,  V espace  et   le  temps  ne  sont  pour,  elle 
que  de  vains  mots.  Ils  mesurent  et  expriment  les 
relations   du   corps,  ^  non  pas  celles  de  sa  ca-- 
pacité  interne ,  qui  s'étend  par  delà  l'espace,  et  la 


durée,  quand  elle  s'élève  jusqu'à  jouir  d'eUe-mème 
avec  toute  la  plénitude  d'une  volupté  intérieure* 
ise  t'inquiète  pas  de  la  place  et  de  l'heure  de  ion 
»istience  future:  le  soleil,  qui  éclaire  tes  jours, 
t'est  nécessaire  durant  ton  séjour  sur  la  terre,  et 
aussi  long-temps  qu'il  obscurcit  toutes  les  étoiles 
célestes.  Quand  il  sera  à  son  couchant ,  l'univers 
paraîtra  dans  une  grandeur  plus  imposante.  La 
nviit  sacrée  qui  un  jour  t'enveloppa  ^  et  qui  t'en^ 
veloppera  de  nouveau,  couvrira  la  :terre  de  ténè* 
bres,  et  t'ouvrira  dans  le  ciel  les  pages  resplendis^ 
santés  de  l'immortalité.  «  Là,  sont  des  habitations, 
«  des  mondes  et  des  espaces ,  qui  fleurissent  dans 
«  Une  jeunesse  toujours  nouvelle;  quoique  des 
ic  âges  aient  roulé  sur  des  âges,  ils  bravent  les 
«  changemens  des  temps  et  des  saisons  ;  mais  tout 
«  ce  qui  se  montre  à  nos  yeux ,  défaille ,  périt  et 
CE  disparait;  et  tout  le  bonheur  et  l'orgudl  de  la  terre 
ff  sont  exposés  à  une  .inévitable  destruction.  ^ 
.  Cette  terre  ne  sera  plus,  quand  tu  seras  encore, 
et  que  tu  jouiras  de  Dieu  ei  de  sa  création  dans 
d'autres  demeures,  différemment  organisées.  Dans 
celle-ci,  tu  as  joui  de  beaucoup  de  bien;  sur  celle- 
ci  ,  tu  as  atteint  une  organisation  qui  t'a  permis 
d'appraidre  à  regarder  autour  et  au-dessus  de  toi 
comme  un  enfant  du  cieL  Efforçe>toi  donc  de  la 
qjuitter  sans  te  plaindre,  et  bénis -la,  comme  le 
champ  où,  fib  de  l'immortalité,  tu  as  joué  dans 


CHAPrrRETTI. 


5o5 


ton  enfance,  comme  Técole  où  tu  as  été  conduit , 
à  travers  la  joie  et  le  chagrin ,  à  l'âge  viril.  Tu 
n'as  plus  de  droit  sur  elle;  elle  n'a  plus  de  droit 
sur  toi  :  recois  la  couronne  de  la  liberté  et  la 
ceinture  du  ciel,  et  dépose  sans  regret  ton  bâton 
de  voyage. 

De  même  que  la  plante  s'élève  et  ferme  le  règne 
de  la  création  inanimée  et  souterraine,  afin  de 
jouir  d'un  commencement  de  vie  dans  la  région 
du  jour,  ainsi  l'homme  domine  toutes  les  créatures 
courbées  vers  la  terre.  Les  yeux  levés  et  les  mains 
étendues ,  c'est  un  fils  bien-aimé  qui  attend  le  signal 
de  son  père. 


5o4  LimS.TJr 


LIVRE  VI. 


Nous  avons  considéré  jusqu^à  présent  la  terre 
comme  la  demeure  de  Tespèce  humaine ,  et  nous 
avons  essayé  de  déterminer  le  rang  que  Thomme 
occupe  parmi  les  créatures  animées  qui  l'habitent 
Après  nous  être  ainsi  formé  une  idée  de  sa  nature 
en  général,  il  reste  à  examiner  comment  ce  type  a 
été  modifié  sur  le  globe  terrestre* 

Mais  qui  nous  donnera  un  fil  au  milieu  de  ce 
labyrinthe  ?  où  sont  les  traces  que  nous  pourrons 
suivre  aVec  sécurité?  Ce  qu'il  y  a  de  certain,  c'est 
que  nous  ne  cacherons  pas  sous  le  voile  d'un  dog- 
matisme hautain  les  erreurs  auxquelles  celui  qui 
écrit  rhistoîre  de  l'homme,  et  surtout  celui  qui 
cherche  une  philosophie  de  cette  histoire ,  sont 
nécessairement  exposés;  car  il  n'y  a  que  le  génie 
même  de  l'humanité  qui  puisse  saisir  sous  un  point 
de  vue  complet  l'histoire  entière  du  genre  humain. 
Si  nous  commençons  par  les  variétés  d'organisation 
des  diverses  races,  c'est  principalement  parce  que 
ces  variétés  ont  déjà  été  décrites  dans  des  Traités 
élémentaires  d'histoire  naturelle. 


CHAPITRE  I.  5o5 


CHAPITRE  PREMIER. 

Organisation  des  peuples  qui  habitent 

près  du  pôle  nord. 

Aucun  navigateur  n'a  encore  pu  atteindre  à  Taxe 
même  du  globe^  et.  rapporter  du  pôle  nord  des  no- 
tions probablement  Indispensables  pour  connaître 
avec  précision  la  structure  générale  de  notre  terre  ; 
maàs  plusieurs  voyageurs,  qui  se  sont  avancés  au- 
delà  des  parties  habitables  du  globe,  ont  décrit  ces 
lieux  dépouillés  et  déserts,  que  l'on  pourrait  nom- 
mil*  les  palais  de  glace  de  la  nature.  C'est  là  que 
se  découvrent  d'étonnantes  merveilles,  que  jamais 
n'imaginera  un  habitant  de  l'équateur  ;  d'énormes 
montagnes  de  glaces ,  où  les  couleurs  les  plus  écla- 
tantes se  heurtent,  se  nuancent,  se  brisent  de  mille 
manières;  des  gerbes  ondoyantes  de  lumière  et  de 
feu,  poétiques  illusions  que  font  naître  1  élasticité 
de  l'atmosphère  et  la  chaleur  qui  se  concentre  dans 
les  cavernes,  malgré  le  froid  glacial  de  la  surface 
du  sol  ^  Il  parait  que  le  granité  étend  en  ces  lieux 
beaucoup  plus  loin  que  dans  le  pôle  sud  ses  masses 
escaipées  et  déchirées;  et  en  général  la  plus  grande 
partie  de  la  terre  habitable  se  déploie  sur  l'hémi- 


1.  Yoyes  les  Voyages  de  Phipps,  PHistoire  des  Groênlandais 
de  Crans.  ' 

1.  ao 


3o6  LIVRE  YI. 

sphère  septentrional.  Puisque  la  mer  a  été  l'asile  des 
premières  créatures  viy^UiS ,  l'océan  septentrional 
peut  encore  être  considéré ,  avec  les  habitans  qui  y 
foBrmillent ,  comme  im  véritable  foyer  de  vitalité , 
et  c'est  sur  ses  rivages  qqe  l'org^misation  des  créa- 
tures terrestres  a  commencé  à  se  développer  dans 
les  mousses ,  les  insectes  et  les  vers.  L'épervier  de  mer 
fréquente  la  terre  qui  ne  produit  qu'un  petit  nom- 
bre d'oiseaux.  Les  animaux  aquatiques  et  les  am- 
phibies rampent  sur  la  grève  pour  se  réchauffer  aux 
rayons  du  soleil  dont  ces  côtes  ne  jouissent  que 
rarement.  Les  points  extrêmes  de  la  création  animée 
vont  se  perdis  au  milieu  des  flots  déchaînés  ^ur  le 
rivage.  X 

Et  pourtant  l'organisation  de  l'homme  est  restée 
intacte  sur  ces  confins  du  monde!  Tout  ce  que  le 
froid  a  pu  faire ,  a  été  de  resserrer  son  corps,  et 
pour  ainsi  dire  de  contracter  la  circulation  du  sang. 
Le  Groënlandais  a  rarement  cinq  pieds  ;  et  l'Ësqui- 
maux,  son  frère,  qui  vit  plus  au  nord,  est  encore 
plus  petit  1;  mais  le  principe  vital,  agissant  du 
dedans  au  dehors,  a  compensé  la  hauteur  par  la 
grosseur,  et  l'élégance  de  la  taille  par  la  chaleur 
intime  du  corps.  La  tète  est  d'une  grosseur  dis- 
proportionnée ;  la  face  est  large  et  aplatie:  car  la 


1.  Voyez  les  Relations  de  Cranz^  d^Ellisy  dllgéde,  de  ftoçcr 
Curtis  sur  les  côtes  de  Labrador. 


cHAPiniE  i.  507 

nature»  qui  ne  produit  la  beauté  qu'en  agissant 
avec  mesure  et  en  choisissant  un  moyen  terme 
entre  deux  extrêmes  9  ne  pouvait  pas  tracer  ici  le 
contour  savant  de  Tovale  grec ,  ni  détacher  le  nez 
en  saillie  pour  en  faire  Tomement  de  la  figure  ^ 
et  si  j'ose  me  servir  de  cette  image  9  le  point  cen* 
tral  qui  .fixe  la  balance.  Comme  les  joues  occu- 
pent toute  la  largeur  du  visage ,  la  bouche  est 
petite  et  arrondie ,  Us  cheveux  sont  roides ,  parce 
qu'ils  ne  renferment  point  assez  de  ces  sucs  pé- 
nétrans  qui  les  rendent  doux  aii  toucher;  les 
yeux  semblent  éteints  et  sans  vie  ;  les  gaules  sont 
aplaties,  les  membres  épais,  le  corps  massif  et  san- 
guin ;  mais  les  mains  et  les  pieds  sont  minces  et 
faibles,  comme  les  rejetons  et  les  extrémités  du 
sujet  organique.  Le  caractère  de  la  forme  extérieur^ 
se  retrouve  dans  l'irritabilité  et  Téconomie  des 
fluides  internes.  L^e  sang  circule  plus  lentement; 
le  cœur  bat  avec  plus  de  langueur  :  de  là ,  les  désirs 
des  sexes ,  les  passions ,  qui  augmentent  avec  la 
cbaleur  vivifiante  des  autres  contrées,  sont  très- 
faibles  parmi  ces  peuples  et  ne  s'éveillent  que  tard. 
Celui  qui  n'est  pas  marié,  vit  avec  une  grande  chas« 
tetéf  et  ce  n'est  pas  «ans  répugnance  et  quelquefois 
sans  y  être  contraintes  par  la  violence ,  que  hs  fem- 
mes #e  chargent  des  soucis  de  la  vie  conjugale.  Ils 
n'ont  que  peu  d'enfans  ;  aussi  la  fécondité  des  Euro- 
péens leur  semble-t-elle  un  caractère  de  dégradation. 


508  LIVRE  VI. 

Dans  rimérieur  de  leur  famille ,  aussi  bien  que  dans 
toute  la  conduite  de  leur  vie,  règ^e  une  p|âx  {Pro- 
fonde ,  dont  aucune  passion  ne  trouble  le  cours  ; 
insensibles  à  ces  désirs  que  font  naître  un  climat 
plus  chaud  et  des  esprits  animaux  plus  volatilisés, 
heureux  par  apathie ,  actifs  par  nécessité  seulement , 
ils  vivent  et  meurent  dans  la  paix  et  la  patience  ; 
le  père  instruit  son  fils  à  cette  indolence  qui  est 
pour  lui  la  première  vertu  et  le  bonheur  suprêm%, 
et  la  mère  allaite  long-t$mp$  son  enfant  avec  la 
tendresse  de  l'instinct  animal.  Si  la  nature  leur  a 
refusé  un  degré  élevé  d'irritabilité  et  d'élasticité 
fibreuse,  elle  leur  a  donné  en  retour  une  force 
infatigable:  elle  les  a  enveloppés  d'ailleurs  d'une 
masse  charnue ,  et  le  sang,  qu'ils  ont  en  abondance, 
échauffe  tellement  leur  organisation,  que  leur  ha» 
leine  suffit  pour  rendre  la  chaleur  étouffante  dans 
le  fond  de  leurs  huttes. 

Personne  ici,  je  le  jcrois ,  ne  pourra  s'empêcher 
de  remarquer  quelle  uniformité  la  main  du  Créa- 
teur a  répandue  sur  toutes  ses  œuvres.  Si  la  taille 
de  l'homme  est  moins  haute  dans  ces  contrées,  la 
végétation  n'est  pas  moins  arrêtée  dans  ses  déve- 
loppemens.  Quelques  arbres  rabougris,  quelques 
mousses,  et  des  arbrisseaux  qui  rampent  [sur  le 
sol ,  sont  les  seules  productions  de  ces  lieux.  La 
gelée  condense  le  filon  de  fer;  ne  raccourci ra-t* 
elle  pas  la  fibre  humaine ,  malgré  la  vie^  organique 


CHAPITRE  I.  S09 

qui  lui  est  inhérente  ?  Toutefois  elle  ne  peut  que 
la  coniptimer  et  la  circonscrire  dans  une  sphère 
plus  étroite:  cette  analogie  se  retrouve  dans  chaque 
genre  d'organisation.  Les  extrémités  des  animaux 
marins  et  des  autres  créatures  de  la  zone  glaciale 
sont  minces  et  déliées  :  autant  que  possible  la  na- 
ture, pour  tout  réunir,  a  partout  répandu  et  conservé 
la  chaleur  interne.  Elle  a  recouvert  les  oiseaux  d'un 
épais  plumage,  les  quadrupèdes  d'une  enveloppe 
charnue,  et  a  donné  aux  hommes ,  pour  les  garantir 
du  froid ,  une  masse  compacte  et  sanguine.  Il  est 
vrai  que  par  un  seul  et  même  principe  d'organi- 
sation elle  a  été  obligée  de  leur  refuser ,  dans  les 
objets  externes,  ce  qui  ne  pouvait  convenir  à  leur 
constitution.  Des  légumes  auraient  été  nuisibles  à 
leurs  corps  disposés  à  une  sorte  de  corruption 
intérieure,  et  plusieurs  d'entre  eux  ont  été  victimes 
des  Uqueurs  fortes  que  d'insensés  aventuriers  ont 
introduites  dans  leurs  pays;  aussi  le  climat  les  leur 
avait- il  refusées  :  d'une  autre  part,  quel  que  soit 
leur  goût  pour  le  repos,  et  quoique  leurs  dispo- 
sitions physiques  les  portent  à  Finaction,  ils  sont 
forcés ,  par  la  nature  même  de  la  contrée  qu'ils 
habitent,  de  se  livrer  aux  exercices  du  corps  les 
plus  violens;  et  c'est  sur  cela  que  reposent  leurs 
iois  et  leurs  mœurs.  Le  petit  nombre  de  plantes  qui 
croissent  dans  leur  voisinage ,  purifient  le  sang  et 
sont  ainsi 'précisément  «appropriées  à  leurs  besoins. 


Slô  LITRE 

L'atmomb^e'  est  leUeiBttit  dégagée  de  pnncipes 
morbifiques ,  qu'elle  s'oppose  à  la  putréÊic^on  même 
dans  les  corps  morts,  et  qu'elle  prolonge  la  vie  de 
tous  les  èttes.  Les  ammaux  venimeux  ne  peuvent 
supporter  un  froid  si  rigoureux ,  et  les  hommes 
oiKt,  pour  se  défmére  dea  insectes  qui  les  entou«- 
rent,  la  fumée  de  .leurs,  foyers ^  un  long  hiver  et 
leur  insensibilité  naturelle.  Cest  ainsi  que  la  nature 
départit  ses  compenâalions  et  qu'elle  agît  avec  sa- 
gesse dans  ses  œuvres. 

Après  avoir  décrit  ces  premiers  peuples,  il 
n'est  pas  nécessaire  d'enti'er  dans  de  semblahles 
détails  pour  ceux  qiii  leur  ressémbleiat  Les  Esqui- 
maux de  l'Amérique  sont  les  frères  des  Groenlan- 
dais,  tant  par  leur  langage  que  par  leurs  mœurs; 
mais)  comme  ils  languissent  sous  l'oppression  des 
AmérîcailiiS  imberbes ,  qui  les  traitent  en  étrangers 
à  cause  de  leur  barbe,  leur  genre  de  vie  est  en 
général  plus  difficile  et  plus  précaire;  et  même  leur 
sort  est  si  rigoureux  qu'en  hiver  ils  sont  quelque- 
fois obligés,  pour  se  nourrir  au  fond  de  leurs  ca- 
vernes^ de  sucer  leur  propre  sang  2.  C'est  là  vérita- 
blement, aindi  que  dans  un  petit  nombre  d'autres 
parties  de  la  terre,  que  l'implacable  nécessité  repose 
sur  son  trône  de  fer,  et  qu'elle  obUge  l'homme  de 

1.  Wilsoiiy  De  rinflaence  du  climat  sur  les  plantes  et  les 

animanx,   et  rHistoire  des  GroCnlandais  par  Crans ,  toI.  XI. 

ai.  Yoj.  le  Relation  de  Roger  Curtk  sar  les  côtes  de  Iiabrador. 


CHAPltAÊ  1. 


3ll 


meiiét  la  vie»  dHih  ours.  Pourtant,  quoi  qu'il  fa^^, 
c'est  encore  rhomme;  car,  dans  ce  qui  semble  porter 
pamii  ces  peuplés  là  phis  profoiïcie  etnpreinte  de  dé- 
gradation ,  dH  peut  encore  apercevoir  un  caractèi^e 
dliaiûâotiité ,  si  OU  lés  eiâmiiie  âtuetilivement  :  la  na- 
ture a  voulu  essayer  quel  degré  de  utisère  Fespèce  hu- 
maine pourrait  suppoflet,  et  elle  Fa  mise  à  Fépreuve. 
Les  Lapons  habitent  Un  cHmat  tempéré  en  ôom-* 
paraison  de^  peuples  d^ônt  HôUs  venoiis  de  parler.  ' 
Aussi  ont-ils  des  usages  moins  grossiers.  La  taillé^ 
de  rhoiiime  gagne  en  hauteur;  le  visage  est  mpi^s 
rond  et  les  traits  commencent  a  pàrsutre  plus  en 
saillie;  les  joues  ^alongent;  Tceil  est  d'un  gris 
foncé;  lés  cheveux,  droits  et  noirs,  devieûnent 
roux ,  et  Torgaàisatidn  interne  de  l'homme  prend 
de  fexpâiision  en  méine  temps  que  sa  forme  externe 
se  devdoppe,  comme  le  bouton  d'une  fteiir  qui 
s'épainotdt  aux  rayons  d'un  soleil  plus  vivifiant.^ 
Le  montagnard  de  Laponie  conckiit  sa  renne  aux 
pâturages ,  ce  que  ne  peuvent  faire  ni  rEsquiiûaux , 
ni  le  Croënlândais.  C'est  d'elle  quil  tire  sa  nour- 
riture et  sôû  vêtement,  la  toiture  de  sa  hutte,  les 
hardeë  de  son  lit,  toutes  les  choses  qui  lui  sont 


1..  Oit  H'igiKiîé  pas  qae  Sainô-viô  a  trouvé  que  la  lai^gno  des 
Lapons  ressemble  à  ceUe'deb  Hongrois.  Voj.  Sainovio,  Demenir- 
tratioy  idioma  Ungarorum  et  LapponUm  id^m  esse,  HaTn.,  1770. 

a.  Voyez,  sar  les  Lapons,  Hœchstrœm,  Leem,  Klîngstedt; 
dréorgi.  Description  des  peuples  de  Tempire  russe,  etc. 


5l3  LIVRE  VI, 

nécessaires,  et  la  plupart  de  ses  plaisirs;  pendant 
que  le  Groënlandais ,  à  l'extrémité  de  la  terre,  est 
réduit  à  tout  chercher  au  sein  de  la  mer.  Ainsi, 
rhomme  acquiert  un  ami  et  un  domestique  dans 
un  animal,  et  par  là  il  apprend  quelques  arts,  et 
il  s'élève  à  une  manière  de  vivre  moins  grossière. 
Il  s'habitue  a  la  course,  il  apprend  à  conduire  son 
chariot,  il  reçoit  Vidée  de  propriété  et  commence 
à  prendre  goût  à  la  possession  d  une  chose  qu'il 
peut  augmenter  et  conserver  ;  en  même  temps  la 
liberté  lui  devient  plus  chère,  et  son  oreille  s'ac- 
coutume à  cette  vigilance  inquiète  qui  est  un  des 
caractères  de  la  plupart  des  peuples  de  pareiUe 
condition.  Aijissi  timide  que  sa  renne,  le  Lapon  est 
toujours  aux  aguets  pour  fuir  au  moindre  bruit  : 
ce  genre  de  vie  lui  plaît,  et  comme  l'animal  qu'il 
a  apprivoisé ,  il  épie  sur  le  sommet  des  montagnes 
le  retour  du  soleil.  Il  parle  à  sa  renne,  et  il  en  est 
compris  :  il  en  prend  soin  comme  de  son  -bien 
et  d'un  membre  de  sa  famille.  Ainsi  la  nature  a 
donné  à  l'homme,  dans  le  premier  animal  do- 
mestique qu'elle  pouvait  faire  naître  dans  ces  con- 
trées ,  un  guide  pour  l'élever  à  un  genre  de  vie 
plus  humain. 

Quant  aux  peuples  qui  habitent  près  de  la  mer 
glapiale ,  dans  les  déserts  de  la  Russie ,  nous  avons , 
sans  parler  de  plusieurs  voyages  modernes  assez 
connus^  ime  collection  de  dessins  plus  précieux 


CHAPI131E  I.  3l3 

• 

peut-être  qu'aucune  description*.   Quoiqtie   plu- 
sieurs de  ces  peuples  ée  soient  mêlés  et  presque 
c(mfondus,  on  trouve  pourtant  encore  une  foule 
de  races  très^iverses,  toutes  marquées  du  caractère 
septentrional ,  et  enfermant,  pour  ainsi  dire,  le  pôle 
nord  d'une  seule  et  même  chaîne  où  mille  nuances 
VOTt  se  perdre.  Le  Samoïède  a  le  visage  rond ,  large 
et  plat,  les.  cheveux  noirs  et  roides,  lé  corps  ramassé 
et  sanguin  du  type  septentrional;  mais  ses  lèvres 
sont  plus  épaisses,  son  nez  est  plus  large  et  plus 
saillant ,  et  sa  barbe  moins  touffue  ;  nous  verrons 
même  qu'elle  continue  à  diminuer  dans  une  im-* 
mense  étendue  de  pays  à  l'est.  Ainsi ,  les  Samoïèdes 
sont  en  quelque  sorte  les  Nègres  du  Nord  ;  et  quelque 
froid  que  soit  leur  climat,  leur  extrême  irritabilité 
nerveuse ,  l'âge  de  puberté  dans  les  femmes,  dès 
la  onzième  et  la  douzième  année ^,  et,  s'il  faut  en 
croire  les  voyageurs,  la  couleur  noire  de  leurs  poi- 
trines et  quelques  autres  analogies  augmentent  cette 
ressemblance.  Cependant,  malgré  la  délicatesse  et  la 
chaleur  de  leur  constitution,  qui  est  probablement 
un  caractère  national  qu'ils  ont  appçrté  avec  eux  et 
que  le  climat  n'a  point  altéré  dans  son  principe ,  ils 
ont  entièrement  la  forme  septentrionale.  Les  Ton- 
gouses,    qui   habitent  plus   au  Midi,   présentent 

1.  Georgi,  Descriptioxt  des  peuples  de  Tempire  de  Rossief 
Pétersbonrg,  1776. 

3.  Klingstedt,  Mémoires  sur  les  Sampïèdes  et  les  Lapons. 


5l6  LIVRE  VI. 


CHAPITRE  IL 

Organisation  dés  peuples  qui  habitent  7^ 

plateau  de  F  Asie. 

Comme  il  est  vraisemblable  que  cette  contrée 
de  la  terre  a  été  le  berceau  du  genre  humain,  on 
est  naturellement  disposé  à  y  chercher  la  plus  belle 
race  d'hommes.  Mais  combien  on  est  trompé  dans 
cette  atteïLte  !  Les  traits  des  Calmouks  et  des  habitans 
du  Mogol  sont  bien  connus;  leur  taille  moyenne, 
leur  visage  encore  aplati ,  leur  barbe  claire  et  leur 
couleur  brune  rappellent  les  peuples  du  Nord  ;  mais 
ils  s'en  distinguent  par  Tangle  interne  de  l'oeil ,  qui 
est  aigu ,  charnu  et  dans  nine  direction  oblique 
au  nez;  par  des  sourcils  minces,  noirs  ei  à  peine 
arqués  ;  par  un  nez  court,  écrasé  et  dUine  largeur 
disproportionnée  dans  sa  partie  supérieure;  des 
oreilles  larges  et  proéminentes;  des  jambes  et  des 
cuisses  courbées  ^  des  deats  saillantes  et  blanches  ' , 
qui  semblent,  avec  le  reste  des  traits,  caractériser 

une  béte  de  proie  au  milieu  de  la  race  humaine. 

— - • 

1.  Voyez  Pallasy  sur  les  nations  mongoles,  toI.  I,  pag.  98, 
171  ^  Georgi,  vol.  IV;  la  Relation  de  Schnitscher  sur  les  Cal- 
mouks d^Asie  dans  la  Collection  de  Muller  pour  Fhistoire  de 
Bussîe;  Schlœtzer,  Extrait  du  Memorabilihus  Russico^^tiatic. 
de  Schober,  dans  la  même  collection. 


cHApmtE  n*  S 1 7 

Et  d'où  cettô  forme  provient-elle?  Celle  de  leurs 
jambes  s'explique  par  leur  manière  de  vivre.  Dèst 
leur  enfance,  ils  glissent  sur  leurs  jambes  ou  se 
cramponnent  sur  le  dos  d'un  cheval.  Us  passent 
leur  viç,  soit  assis ^  soit  à  cheval,  et  ne  conser-^ 
vent  que  peu  de  temps  l'attitude  de  la  marche, 
qui  seule   donne    au  pied  de  l'homme  sa  forme 
droite  et   élégante.  Leur    genre  de  vie  ne  déter-* 
mine*t-il  pas  encore  d'autres  traits  de  leur  figure? 
ne  faut-il  pas  d'ailleurs  regarder  comme  des  traits 
fondamentaux  9   comme   des  traits  caractéristiques 
de  leur  manière   de   vivre,  cette  oreille  sablante, 
sentinelle  toujours  éveillée;  cet  œil  petit  et  perçant, 
qui  distingue  à  la  plus  grande^  distance  un  grain  de 
poussière  ou  un  atome  de  fumée;  ces  dents  blan^ 
ches ,  aiguës;  ce  cou  ramassé,  et  cette  tète  qui  se 
rejette  en  arrière?   Si  nous  nous  rappelons  que 
leurs  enfans,   d'après  le  récit  de  Pallas,  ont  fré- 
quemment le  visage  enflé  et  hvide ,  depuis  l'âge  de 
dix  ans^  et  qu'ils  présentent  un  aspect  cacochyme, 
jusqu'à  ce  que  le  temps  et  la  croissance  iipportent 
en  eux  quelques  changemens  favorables  ;  que  d'ail* 
leurs   leur   pays  dans  son  immense  étendue  n'est 
point  arrosé  par  la  pluie,  qu'il  s'y  trouve  peu  d'eau 
limpide,  et  qu'ainsi  ils  sont  privés  depuis  leur  en- 
fance-dé Tusage  des  bains;  si  nous  faisons  entrer 
en  considération  le  nombre  des  lacs  et  des  marais 
salés  d'un  sol  qui  est  lui-même  chargé  de  principes 


5l8  .l-ITEKTI.. 

acides»  son  ;goAt  d'alcaJU  par  lequel  ils  rdèTent 
oelui  de  leurs  aliment,  fit  même  ces  flots  de  thé 
<}ui  aSaibUs^ept  tchaqme  jour  leurs  forces  vitales; 
si  à  tout  cela  nous  ajoutons  l'élévaûoa  du  pays 
où  ils  demeurent,  une  atmosphère  plus  raréfiée , 
des  vents  secs,  des  exhalaisons  alcalines,  et  de 
longs  hivers  passés  dans  la  fomée  de  leurs  huttes 
et  au  milieu  de  la  neige  que  leurs  yeux  ne  cessent 
de  rencontrer  1,  n*est-on  pas  fondé  à  attribuer  leur 
figure  et  tous  leurs  traita  à  ces  causes  qui  peut-être 
agissaient,  il  y  a  des  milhers  d'années,  plus  puis* 
sammént  encore ,  et  à  penser  qu'ils  ont  hérité  par 
degrés  de  cette  nature  di^tinctive  1  Rien  ne  donne 
au  corps  plus  de  force ,  rien  ne  contribue'  plus  à 
sa  croissance  et  a  sa  vigueur,  que  l'habitude  de 
se  baigner  et  de  nager,  sui^out  si  l'on  y  joint  la 
marche ,  la  lutte  »  la  course  et  d'autres  exercices  de 
ce  genre.  Rien  n'est  plus  propre  à  rafiàibUr  qu$ 
les  hqiieurs  spiritueuses,  dont  ils  font  un  usage 
d'autant  plus  nuisible ,  qu'ils  y  mêlent  des  sels 
dévorans  où  l'alcali  domine.  De  là,  comme  Pallas 
l'a  remarqué^  les  figures  fidbl^  des  Mongols  et 
des  Burattes,  qui  peuvent  à  peine  faire,  entre  cinq 
ou  six ,  ce  qu'un  Russe  fait  à  lui  seul  :  de  là  l'ex- 
trême légèreté  de  leur  corps ,  puisqu'ils  semblent 
voler  sur  leurs  petits  chevaux  et  naviguer  sur  la  sur- 
face du  ^obe  ;  de  là ,  enfin ,  l'habitude  cacochyme 
qu'ils  transmettent  à  leurs  en&ns.  Quelques  •  unes 


CHAPITHE  IL  519 

même  des  raciç$  tartares  du  voi^Uiaga  apportent  en 
jialssam  des  traita  de  la  farme  mongole ,  qui  dispa- 
raissent avec  rage»  et  cela  parait  confirmer  que  la 
plupart  des  altérations  qui  dépendent  du  climat 
sont  plus  ou  moin^  enipreinte$  dans  l'organisme 
du  peuple  par  son  mode  de  vie,  son  origine,  et 
transmises  ainsi  héréditairement*  Du  mélange  des 
Russes  ou  des  Tartares  avec  les  Mongols  naissent 
des  enfans  sains  et  bien  proportionnés ,  mais  selon 
le  type  mongole  Ici  donc  la  nature  reste  aussi 
conforme  à  elle  *  même  dans  leur  organisation  : 
sOus  ce  ciel ,  sur  ce  plateau  du  globe  et  avec  de 
tels  genres  de  vie»  devait  se  rencontrer  una  race 
de  Nomades  semblables  à'  d'audacieux  vautours. 

Et  les  empreintes  de  leurs  formes  $e  répandent 
tout  autour  d'eux;  car  où  ces  oiseaux  de  proie 
q' ont-ils  pas  porte  leur  vol?  plus  d'une  fois  leurs 
ailes  conquérantes  se  sont  déployées  sur  une  vaste 
partie  du  globe.  Ainsi  les  Mongols  se  sont  établis 
dans  différentes  contrées  de  l'Asie,  et  leurs  traits  se 
sont  adoucis  par  leur  mélange  avec  d'autres  nations. 
D'ailleurs,  ces  expéditions  guerrières  ont  été  pré^ 
cédées  de  migrations  plus  anciennes,  qui,  de 
CjQ  plateau,  se  dirigeaient  sur  les  terre»  voisines. 
Il  ^9t   donc  probable  que  la  partie  orientale  du 


^ii<it         i«intf«iw      *^ii<        mi 


■ 

1  é  PaUas ,  Recueils  pour  Pbistoire  dc$  peuples  mongols  ; 
VpjF»8«| ,  I ,  ,$o4  5  .II ,  çtc.  ' 


globe  jusqu'au  Kamtschatkà ,  et  en  redescendant 
jusqu'au  Tibet  et  à  la  péninsule  au-delà  du 
Gange  y  a  été  marquée  d'abord  de  l'empreinte  du 
type  mongol.  Prenons  une  idée  de  cette  contrée, 
qui  présente  plusieurs  phénomènes  dignes  de  re- 
marque. 

La  manière  dont  les  Chinois  altèreut,  pour  les 
«mbellir,  certaine^  parties  de  leurs  corps,  tient  en 
général  du  caractère  mongol.  Nous  avons  parlé  de 
)a  difformité  des  pieds  et  des  oreilles  de  ces  peuples; 
il  est  probable  que  c'est  ce  défaut  naturel  qui ,  aug- 
menté par  un  goût  faux  et  grossier,  a  donné  à  la 
plupart  des  peuples  ide  ces  contrées  Vidée  de  resserrer 
les  pieds,  et  de  distendre  les  oreilles  outre  mesure. 
Honteux  d'abord  de  la  laideur  de  leurs  formes,  ils 
tentèrent  de  les  changer  peu  à  peu ,  et  assez  heu- 
reux pour  réussir  sur  les  parties  qui  cèdent  a  la 
,  fraction ,  ils  finirent  par  se  faire  à  eux-mêmes  un 
type  hideux  de  beauté ,  qu'ils  transmirent  à  leurs 
descendans.  Autant  que  cela  peut  s'accorder  avec 
l'extrême  variété  de  leurs  provinces  et  avec  leur 
mode  de  vie,  les  Chinois  ont  tous  les  traits  de  la 
forme  orientale,  qui  n'est  nulle  part  plus  pronon- 
cée que  sur  les  hauteurs  du  Mogol.  SeuleiAent  un 
climat  différent  a  donné  des  formes  moins  heur- 
tées et  des  courbes  plus  adoucies  à  un  visage  plat, 
a  des  yeux  petits  et  noirs,  à  un  nez  massif,  à  une 
barbe  hérissée,  clair-sémée^  et  le  goût  des  Chinois 


CHAPITRE  11,  5a  l 

résulte  sans  doute  de  rimperfection  de  leurs  organes 
et  de  leurs  traits,  de  même  que  la  servitude  et  Fétat 
grossier  dans  lequel  il$  vivent,  sont  des  consé^ 
quences  de  la  forme  de  leur  gouvernement  et  de 
l'ensemble  de  leurs  doctrines  morales.  Les  Japo- 
nais,  qui  doivent  leur  culture  à  la  Chine,  mais  qui, 
selon  toute  apparence,  sont  d'origine  mongole*, 
sont  presque  tous  mal  faits ,  et  ont  la  tète  grosse, 
les  yeux  petits,  le  nez  épaté,  les  joues  plates,  peu 
de  barbe ,  et  généralement  les  jambes  arquées.  Le 
système  de  leurs  institutions  politiques  et  morales 
repose  sur  Une  foule  de  liens  et  d'entraves  que  ne 
pourrait  supporter  tout  autre  pays  que  le  leur. 
Une  troisième  espèce  de  despotisme  règne  sur  le 
Tibet  ^  dont  la  religion  s'étend  au  loin  dans  le  fond 
des  déserts. 

'  Dans  la  péninsule^  au-delà  du  Gange  la  forme 
orientale  suit  la  chaîne  dès  montagnes,  comme  les 
peuples  en  ont  probablement  aussi  suivi  les  con- 

— i— — — t— — ^^1      ■    Il  I  I  p.l  ■ Il»  I  111  !■  i— — ,* 

1.  AUgtm,,  Samml.  dtr  Reisen ,  vol.  II,  pag,  SqS  }  Char* 
leyoix.  Voyez  sur  les  Chinois  le  Voyage  d'Octave  Torée  à 
Surate  et  en  Chine ,  pag.  68  j  jillgem,  Samml.  der  Reisen  ^ 
Toi.  VI ,  pag.  i3o. 

3«  Dans  les  relations  les  plas  anciennes  on  représente  les 
Tibétains  comme  des  peuples  difformes;  Toyez  All^»  Reisen, 
-roi.  VII,  pag.  399.  Suivant  les  descriptions  plus  récentes 
(Pallas,  Nord,  Beitr&^e^  B,  /^f  S.  380),  iU  sont  mieux  pro- 
portionnés dans  la  partie  de  leur  pays  où  le  diniat.  est  plus 
faTorahle,  et  paraisssat  se  rapprocher  d«  la  forme  IndoiM. 

I.  ai 


i:24  liTRE  rt 

Ainsi  c'est  dans  une  immense  étendue  de  pays 
que  se  développe  la  forme  orientale ,  partiellement 
modifiée,  défigurée,  mais  partout  plus  ou  mmns 
dépourvue  de  barbe,  et  la  diversité  que  l'on  remar- 
que dans  les  usages  et  les  langues  des  peuples  de 
cette  contrée  suffît  pour  attester  qu'ils  ne  descen- 
dent pas  d'une  seule  et  même  souche.  A  quoi  donc 
attribuer  ce  type  bizarre?  Qui  a  pu,  par  exemple, 
amener  tant  de  nations  à  trouver  dans  la  barbe  un 
sujet  de  querelle,  ou  à  étendre  outre  mesure  la  lon- 
gueur de  leurs  oreilles ,  ou  à  sç  percer  le  nez  et  les 
lèvres?  Je  crois  qu'il  faut  en  chercher  la  première 
cause  dans  une  difformité  originelle ,  qui ,  pour  se 
déguiser^  emprunta  le  secours  d'un  art  encore  gros- 
sier, et  finit  par  établir^  une  coutume  héréditaire» 
Cette  dégénération  commença  par  attaquer  les  che- 
veux et  les  oreilles,  avant  d'atteindre  la  structure 
même  du  corps  ;  de  là  elle  s'étendit  aux  pieds ,  de 
même  qu'elle  avait  altéré  d'abord  les  derniers  con- 
tours du  visage.  Quand. la  généalogie  des  nations, 
l'état  et  les  propriétés  de  cette  immense  contrée, 


Joamftl  d^nn  Tojage  de  découvertes ,  traduit  en  allemand  par 

• 

Forster,  pag.  33 1.  A  cela  on  peut  ajouter  les  anciennes  re- 
lations sur  les  lies  situées  entre  PAsie  et  TAmérique.  Vojes 
Belations  nouTcUes  sur  les  lies  dernièrement  découTertes  j 
Hambourg  et  Leipsig,  1776  (en  allemand).  Les  observations 
de  Pallas  sur  le  Nord,  la  Collection  de  MoUer  et  les  £ssais 
«nr  les  pajs  9%  Iss  pciaples»  etA. 


eHAPIfRE  111.  525 

et  plus  parllbalîèreineiit  lés  phénomènes  physio- 
logiques que  présentent  ces  peuples,  auront  été 
l'objet  de  recherches  plus  attentives,  nous  aurons 
infailliblement  quelques  idées  nouvelles  sur  le  sujet 
qui  nous  occupe  ;  et  Pallas ,  à  qui  les  traits  dis« 
tinctifs  de  tant  de  nations  sont  si  bien  connus,  ne 
sera-t-il  pas  le  premier  a  nous  donner  un  SpecUe-' 
gium  anthropologicum?. 

CHAPITRE m. 

* 

Régions  des  nations  bien  organisées. 

Aux  pieds  des  hautes  montagnes  qui  l'enferment 
de  toutes  parts ,  s'étend ,  comme  un  paradis  caché , 
le  délicieux  royaume  de  Cachemire.  Non  moins 
fertiles  que  riantes,  ses  collines  sont  adossées  à  des 
montagnes  qui  s'élèvent  en  édielons ,  et  dont  les 
sommets,  couverts  d'une  neige  étemelle,  vont  par 
degrés  se  perdre  dans  les  nuages.  Là  coulent  à  flots 
limpides  une  foule  de  ruisseaux  et  de  rivières  :  la 
terre,  parée  d'arbrisseaux,  offre  partout  des  fruits 
savoureux  qu'aucune  main  n'a  semés  ;  revêtus  d'un 
manteau  de  verdure,  les  jardins  et  les  îles  sont  ani- 
més par  les  troupeaux  des  bergers  qui  s'étendent 
sur  une  immense  pelouse  ;  et  pas  un  animal  veni- 
meux, pas  une  béte  féroce  ne  troublent  cet  Éden. 
Ces  lieux,  que  l'on  peut^  comme  dit  Bemier,  àp- 


526  Ll\KE  Yh 

peler  les  montagnes  de  rinnbcence,^  portent  avec 
eux  le  liait  et  le  miel  ;  et  les  hommes  qui  les  ha- 
bitent ne  sont  point  indignes  d*un  tel  séjour,  puis- 
que les  peuples  de  Cachemire  passent  pour  les  plus 
sages  et  les  plus  ingénieux  des  peuples  de  Tlnde; 
également  &its  pour  exceller  dans  la  poésie,  dans 
les  sciences,  dans  les  arts  et  les  manufactures,  les 
hommes  se  distinguent  par  Télégance  de  leurs 
formes,  et  les  femmes  sont  le  plus  souvent  des 
modèles  de  beauté.  ^ 

De  quel  bonheur  eût  pu  jouir  Tlndostan,  si  les 
peuples  étrangers  ne  s'étaient  pas  accordés  pour 
désoler  ses  délicieuses  retraites ,  et  pour  courber  les 
plus  innocons  des  êtres  sous  le  poids  de  la.  tyrannie 
et  de  la  superstition  ?  Les  Indous  sont  les  pliis  bien- 
veillans  dés  hommes  :  ils  ne  font  volontairement  de 
mal  à  rien  qui  respire  ;  et  leurs  innoeens  repas  ne  se 
composent  que  de  lait,  de  riz,  de  plantes  et  de  fruits 
indigènes.  Leur  taille,  dit  un  voyageur  moderne', 
est  élancée,  svelte,  élégante;  leurs  membres  sont 
bien  proportionnés ,  leurs  doigts  longs  et  doués 
d'une  grande  délicatesse  ;  ils  ont  l'air  doux  et  ouvert 
Les  courbes  les  plus  harmonieuses  s'unissent  dans 
les  traits  des  fenimes;  ceux  des  hompies  ont  un 
caractère  à  la  fois  mâle  et  tendte  :  leur  attitude  et 


I.  j^llgem,  Eeisen^  vol.  XI,  pag.  116  et  117)  Bemier. 
9.  Maddntoslk^  Travels^  yoL  I.*',  paç.  %%i. 


CHAPITRE  III.  537 

tous  leurs  mouvemens  sont  pleins  de  grâces  et 
d'altraks.  Difformes  ou  raccourcies  comme  celles 
des  singes  dans  toutes  les  contrées  du  Nord,  les 
jambes  et  les  cuisses  sont  marquées  chez  ces' 
peuples  du  caractère  de  la  beauté  humaine.  Et 
même  la  forme  mongole^  dont  ils  dérivent,  dis- 
parait pour  faire  place  à  une  figure  plus  noUe  et 
d'une  expression  moins  grossièi^  Le  caractère  de 
Jeurs  Ê[g)altés  morales  s'accorde  avec  la  conforma- 
tion de  leur  corps ,  lorsqu'ils  échappent  au  joug  de 
l'cssclavage  ou  de  la  superstition.  Mais  toujours  ils 
se  distinguent  par  la  modération  et  la  patience  quils 
conservent  sous  diverses  tyrannies,  par  les  seniipsens 
affectueux  et  les  douqes  méditations  qui^  mêlés  k 
leurs  travaux  et  à  leurs  plaisirs ,  font  le  charme  de 
leur  Qiorale,  de  leur  mythologie  et  de  leurs  arts. 
Heureuses  contrées!  pourquoi  vos  haHtans  ne  vi- 
vent-ils plus  sans  inquiétude  et  sans  douleur,  au 
milieu  de  vos  plaines  riantes? 

Les  anciens  Persans  étaient  de  hideux  monta- 
gnards ,  dont  on  peut  voir  les  débris  dans  les  tribus 

des  Gaures  ^  Mais  comme  il  ne  se  trouve  peut-être 

. — ;.: ^ — 

i-  Chardia,  Voyage  en  Perse,  toI.  III,  chap.  XI.  Dans 
Lebrun,  Voyage  en  Perse,  vol.  I.*%  chap.  XLII,  n.**  86  —  88, 
on  trouve  des  dessins  de  Persans  que  Ton  pent  comparer  avec 
ceux  des  Noirs  qui  suivent  immédiatement,  n.^*  89  et  90 ^ 
Avec  les  Samoi'édes  encore  barbares,  chap. Il,  n.**  7  et  8,  avec 
les  liègres  sauvages  du  Midi,  n.^  197»  et  les  Benjous,  n.^  109. 


5a8  ;  •  LITRE  VI. 

en  Asie  aucune  contrée  qui  soit  plus  exposée  que 
la  Perse  aux  irruptions ,  et  qu'elle  eat  entourée  de 
peuples  bien  organisés,  les  m^anges  que  cette  si* 
tuation  favorisait  ont  produit  une  noble  race  de 
Persans,  qui  réunissent  en  eux  la  force  et  la  beauté. 
D'un  côté  est 'la  Circassie,  où  la  beauté  même  semble 
avoir  fixé  son  séjour.  Sur  la  rive  opposée-de  'la«  mer 
Caspienne  habitent  des  peuplades  tartares,  dont  les 
formés  déjà  perfectionnées  par  oet  heureux  climâi, 
se  répandent  en  foule  dans  le  Midi.  Sur  k  droite 
est  rindosun,  d'où  sortent  les  femmes  qui,  avec  les 
Gircassiennes,  ont  épuré  le.  sang  des  Perses.  Leurs 
«entimetis  même  ont  pris  la  teinte  de  cette  bontrée 
£dte  pour  ennoblir  ses  habitans  ;  car  l'intelligence 
prompte  et  pénétrante  des  Persans,  leur  imagination 
vive  et  fertile,  la  souplesyse  et  la  courtoisie  de  leurs 
•manières ,  leurs  penchant  à  l'oisiveté ,  à  k  magnîr 
ficence  et  aux  plaisirs ,  leur  disposition  à  l'amour 
romanesque,  telles  sont  peut-être  les  qualités  prin« 
cipMes  qui  établissent  l'équilibre  dans  le  caractère 
et  la  physionomie.  Au  lieu  de  ces  orneûiens  bar- 
bares que  des  nations  grossières  ont  inventés  pour 
cacher  leurs  difformités  qrfils  augmentent,  d'aima- 
bles coutumes  relèvent  la  beauté  de  leurs  formes. 
Le  manque  d'eau  oblige  lés  Mongols  de  négliger 
la  propreté  du  corps  :  Tlndou  s'amollit  dans  les 
bains;  le  Persan  s'entoure  de  voluptueux  parfums. 
Le  Mongol  s'assied  sur  ses  talons ,  quand  il  ne  se 


chàmtre  iil  339 

précipité  pas  sût  son  cheval  :  Ilnclûa  se  repose  avec 
langueur  S«r  de  riches  tapis.  Le  Persan  romanesque 
pai^age  son  tettips  entre  le  jeu  et  les  plaisirs;  il  teint 
ses  sourcils,  et  s'enveloppe  d'un  vêtement  qui  sem- 
ble favoriser  le  développement  de  la  taille.  Formes 
dégantes  f  doux  équilibre  des  passions  et  des  facul- 
tés morales!  que-  ne  vous  répandez-vous  sur  toute 
la  surface  du  globe?    , 

Déjà  nous  avons  fait  cette  observation ,  que  quel-^ 
ques  races  tartares^  appartenant  originairement  aux 
nations  bien  organisées  de  la  terre,  n'ont  dégénéré 
que  dans  les  contrées  septentrionales ,  ou  dans  les 
déserts.  C'est  sur  les  deux  bords  opposés  de  la  mer 
Caspienne  que  l'on  trouve  les  plus  belles  formes. 
Suivant  les  descriptions,  les  femmes  Usbecks^  ont 
de.  la  grâce  et  une  taille  élégante  ;  elles  accompag)aent 
leurs  époux  au  combat:  leurs  yeux,  disent  les  voya^  v 
geurs,  sont  grands,  noirs  et  pleins  de  charmes; 
leurs  cheveux  noirs  et  ondoyans  :  les  hommes  ont 
dans  la*  figure  une  sorte  de  dignité  imposante.  On 
.dit  les  mêmes  choses  des  Bukhares;  et  la  beauté  des 
Circasstennes ,  leurs  sourcils  épais  et  arqués,  leurs 
yeux  noirs  et  brillans,  leurs  fronts  unis  ,  leurs  petites 
baudies,  leurs  mentons  arrondis  sont  généralement 
connus  et  vantés  2.  Nous  pouvons  supposer  que  c'est 

1.  jéUgem.  Reisen,  vol.  VII,  pag.  3i6  —  3iB. 
3.  YoyeK- quelques  dessins  par  I^ebrun,  Voyage  au  Lerant, 
Tol.  L",  chap.  X,  ».••  34  —  37. 


35o  LITRE  yu 

là  que  repose,  comme  s^r  son  centre,  latiakuce  de 
la  figure  humaine,  dont  les  bassins  s'étendent  à  l'est 
et  à  Touest,  à  Tlndôstan  et  dans  la  Grèce,  fleureu- 
sement  pour  nous,  l^EurOpe  n'est  pas  à  une  trop 
grande  distance  de  ce  centre  d^  formes  élégantes  ; 
et  la  plupart  des  nations  qui  liabitent  cette  partie 
du  globe,  ont  habité  ou  lemement  traversé  les  pays 
situés  entre  la  mer  Caspienne  et  le  Pont-Euxin*  Ce 
qu'il  y  a  de  certain,  du  moins,  c'est  que  nous  ne 
sommes  pas  les  antipodes  de  la  région  des  beUes 
fin*mes. 

Toutes  les  nations  qui  ont  fait  des  irruptions 
dans  cette  contrée,  et  qui  s'y  sont  arrêtées,  ont 
adouci  leurs  traits.  Hideux  et  contreËiîts  dans  leur 
origine ,  les  Turcs  ont  peu  à  peu  perdu  leurs  diffor- 
mités et  se  spnt  rapprochés  d'un  type  plus  régulier, 
quand,  après  avoir  conquis  dans  leur  voisinage 
d'immenses  territoires ,  ils  ont  eu  pour  esclaves  des 
peuples  dont  l'élégance  a  modifié  par  degrés  leur 
nature.  A  cette  influence  il  faut  ajouter  celle  du  Ko- 
ran,  qui  leur  fit  une  loi  desablution3,  de  la  propreté, 
de  la  sobriété,  et  autorisa  la  volupté  et  la  mollesse 
de  le^rs  amours.  Les  Hébreux,  dont  les  ancêtres 
descendirent  également  des  hauteurs  del'Asie  et  qui 
menèrept  une  vie  errante,  soit  en  Egypte,  soit 
dans  les  déserts  d'Afrique,  semblent  conserver 
l'empreinte  de  la  forme  asiatique  jusque  dans  ces 
débris  dispersés  qui  étonnent  encore  nos  régies; 


CHAPITRE  III.  35 1 

€t  pourtant  dans  les  étroites  limites  de  leur  patrie 
et  sous  le  joug  d'une  loi  oppressive,  ils  n'ont  jamais 
atteint  ce  type  idéal  de  beauté  qui,  pour  se  dé- 
"velopper,  exigé  une  vie  plus  libre  et  plus  facile. 
Les  Arabes  ne  font  pas  exception  à  ce  que  nous 
venons  de  dire  ;  car  bien  que  la  nature  ait  »plus 
fidt  dans  leur  contrée  pour  la  liberté  que  pour  la 
beauté,  et  que  ce  ne  soient  ni  le  séjour  des  dé- 
serts ni  les  habitudes  nomades  qui  produisent  les 
meilleures  ibnnes^  toutefois  ce  peuple  brave  et 
intrépide  est  en  même  temps  bien  conformé.* 
Nous  aurons  bientôt  occasion  d'examiner  quelle 
fut  l'influence  qu'il  exerça  sur  trois  parties  du 
monde. 

Enfin,  la  perfection  de  la  forme  humaine  a  trouvé 
6ur  les  côtes  de  la  Méditerranée  ^  un  asile  où  elle 
a  pu  s'unir  à  Tintelligence  et  révéler  à  la  pensée 
aussi  bien  qu'au  regard,  tous  les  charmes  du  ciel 
et  de  la  terre.  N'est-ce  pas  nommer  la  Grèce,  dans 
ses  trois  divisions,  l'Asie  et  les  iles,  là  Grèce  pro» 
prement  dite  et  les  rivages  de  l'Occident  ?  Le  doux 
souffle  des  zéphyrs  caresse  la  tige  transplantée  par 

degrés  des  hauteurs  de  l'Asie,  et  partout  c'est  la 

■"■■'"■         ■'       ■  .         .         ■  Il    I  ■     .     ■         ■  '  ■ 

I.  Voyez-en  des  dessins  dans  Niebuhr,  vol.  Il  j  et  dans  les 
Voyages  de  Lebrun  dans  le  Levant,  n^^'  90  et  91. 

a.  Lebrun,  Voyages  dans  le  Levant;  Choisenl - Gouffier , 
Voyafe  pittoresque  ,  et  surtout  les  Débris  antiques  de  IVrt 
grec. 


552  UVRE  TI. 

yne  qu'il  répand.  Le  temps  et  les  circonstances  la 
fevorisent,  ils  Taident  à  développer  ses  sucs,  et  la 
marquent  d'une  empreinte  de  perfection  qui  au- 
jourd'hui encore  excite  une  admiration  -  univer- 
êelle  pour  les  chefs-d'œuvre  de  l'antiquité  grec- 
que. C'est  là  que  l'on  imagina  et  que  l'on  réalisa 
des  figures  que  jamais  n'eût  inventées  ni  l'ad- 
inirateur  des  beautés  de  Circassie,  ni  l'arûste  des 
empires  de  l'Inde  et  de  Cachemire.  La  forme 
humaine  s'est  élevée  sur  le  sommet  du  mont 
Olympe,  et  elle  s'est  elle-même  revêtue  de  la 
beauté  divine. 

Je  ne  continuerai  pas  à  errer  plus  long-temps  a 
travers  l'Europe  ;  tant  de  formes ,  tant  de  mélanges 
s'y  rencontrent  ;  elle  a  modifié  de  tant  de  manièreî 
sa  nature  par  l'art  et  la  culture ,  que  je  ne  sais  oà 
puiser  quelques  remarques  générales  sur  les  naûons 
bien  organisées  qui  se  sont  mêlées  et  confondues 
Mr  son  sol.  Il  eSt  plus  à  propos  de  rejeter  un  coup 
d'oeil  en  arrière  sur  les  confins  de  cette  partie  da 
globe  que  nous  avons  visitée ,  et  de  nous  disposer , 
après  une  ou  deux  observations ,  à  l'étude  du  Nègre 
d'Afrique. 

Et  d'abord,  ce  qui  frappe  ici  tous  les  esprits, 
c'est  que  le  pays  des  peuples  remarquables  p^r  la 
beauté  de  leurs  formes ,  est  situé  dans  la  partie  qui 
occupe  le  milieu  de  la  terre ,  comme  ime  beauté 
harmonique  également  éloignée  de  deux  extrémeSb 


CHAPITRE  m,  Si 35 

■ 

iiliomme  n'a  pas  à  endurer  le  froid  perçant  des 
Samoièdes,  ni  les  vents  brûlans  et  chargés  de  sels 
du  Mogol.  D'une  autre  part,  il  n'est  pas  non 'plus 
exposé  à  la  chaleur  dévorante  des  déserts  et  des 
sables  d'Afrique ,  ni  à  Thumidité  ou  aux  change* 
mens  rapides  du  climat  américain;  ce. ne  sont  nî« 
les  montagnes  énormes  de  réquateur,  ni  les  pics 
glacés  des  régions  polaires.  D'un  côté,  cette  con- 
trée est  aéfendue  comme   par    un    mur,    par  les 
hauteurs    de  la  Tartane  et  du  Mogol,   pendant' 
que  de  l'autre  elle  est  rafraîchie  par  la  brise  de  la 
mer.  Les  révolutions  des  saisons  sont  régulières , 
sans  être  brusques  comme  aux  terres  equinoxiales  : 
et  si  Hippocraie  a  observé  dans  son  temps,  qu'une 
heureuse  régularité  dans  les  saisons  parait  avoir  une 
très-grande  influence  sur   les  passions  physiques  ^ 
qu'elle  tempère,  il  est  certain  qu'elle  n'en  a  pas  moins 
sur  les  idées  et  les  impressions  morales.  Le  Tur-^ 
coman ,  fameux  par  le  pillage ,  prend  dans  les  dé- 
serts et  les  montagnes ,  où  il  se  plaît  à  errer ,  un 
aspect  hideux  qu'il  conserve  sous  le  climat  le  plus 
doux  :  quand  il  vient  se  reposer  en  paix ,  et  qu'il 
partage  sa  vie  entre  de  plus  doux  plaisirs  et  dés 
occupations  qui    le  mettent  en  rapport  avec  des 
nations  mieux  civilisées,  ses  trai^  et  ses  habitudes 
reçoivent  peu  à  peu  la  même  empreinte  que  celle' 
de  ces  peuples ,  et  il  finit  par  leur  ressembler  isn« 
ûèrement.  Les  harmonies  du  globe  terrestre  n'opt 


554.  LIVRE  Tl, 

été  calculées  que  pour  de  paisil^Ies  jouissances  ;  et 
c'est  par  elles  seulement  que  la  beauté  se  commu- 
niqué à  l'homme  et  s'incorpore  à  lui. 

En  second  lieu,  ce  ne  fut  pas  un  fiable  avantage 
pour  l'espèce  humaine ,  que  d'avoir  commencé  sa 
carrière  dans  la  région  la  plus  remarquable  par  la 
perfection  des  formes,  «t  surtout  d'en  avoir  tiré 
les  élémens  principaux  de  sa  culture;  comme  la 
divinité  nt  pouvait  pas  établir  sur  toute  la  terre 
une  beauté  partout  égale ,  elle  a  permis  du  moins 
que  le  genre  humain  à  son  début  reçût  en  passant 
l'influence  lente  et  profonde  d'un  climat  Êivorable , 
avant  de  paraître  dans  quelque  autre  contréje.  Ce  fiit 
en  vertu  d'un  seul  et  même  principe  que  les  nations 
qui/ont  excellé  par  leur  forme ,  ont  eu  une  action 
extérieure  à  la  fois  si  puissante  et  si  heureuse;  car 
k  nature  donnait  à  leur  pensée  cette  activité  et 
cette  vigueur  native  propres  également  à  embellir 
leurs  corps  par  l'exercice  et  à  concourir  au  bien 
des  peuples  étrangers.  Les  Tungouses  et  les  Es- 
quimaux restent  éternellement  assis  dans  leurs- 
tanières  9  sans  s'inquiéter  en  rien  des  nations  voi- 
sines, amies  ou  ennemies.  Le  Nègre  n'a  rien  in- 
venté pour  l'Européen  ;  jamais  l'idée  ne  lui  est 
venue  de  perfectidnner  ou  de  conquérir  l'Europe. 
C'est  de  la  région  des  peuples  bien  conformés 
qu&nous  avons  tiré  notre  religion,  nos  arts,  nos 
sciences,  tout  l'ensemble  de  notre  culture  et  de 


CHAPITRE  lY.  555 

notre  humanité,  quelle  qu'elle  puisse  être.  C'est 
dans  ses  étroites  limites  que  tout  ce  que  rhomme 
est  capable  de  faire  et  de  créer  en  quelque  sorte, 
a  été  inventé  et  exécuté,  au  moins  dans  ses  pre- 
miers commencemens  ;  l'histoire  de  la  civilisation 
prouve  suffisamment  cette  vérité,  que  d'ailleurs 
notre  propre  expérience  confirme.  Habitans  du 
nord  de  l'Europe,  nous  serions  encore  incultes 
et  barbares,  si  le  souffle  du  destin  ne  nous  eut 
envoyé  quelques  fleurs  de  ces  climats ,  pour  par- 
fumer nos  plantes  sauvages  et  pour  embellir  la 
tige  qu'elles  protègent. 

CHAPITRE  IV. 
Organisation  des  peuples  de  F  Afrique. 

Au  moment  d'entrer  dans  le  pays  des  Noirs^^ 
c'est  un  devoir  pour  nous  de  laisser  de  ooté  nos 
orgueilleux  préjugés,  et  de  considérer  l'organisa- 
tion de  celte  partie  du  monde  avec  autant  d'im- 
partialité, que  s'il  n'en  existait  pas  d'autre.  Gomine 
la  blancheur  est  une  marque  de  dégénération  dans 
plusieurs  animaux  voisins  du  pôle,  le  Nègre  n'a 
pas  moins  de  droits  à  traiter  ses  sauvages  oppres- 
seurs des  noms  flétrissans  d'Albinos  et  de  démons 
blancs,  que  notis,  à  le  prendre  pour  l'emblème  du 
mal,  et  pour  un  descendant  de  dbam,  déshonoré 


S56  LIVRE  VI. 

par  la  malédiction  de  son  père.  C'est  moi,  pour* 
rait-il  dire,  c'est  moi,  qui  suis  Thomme  ori^el. 
J'ai  recueilli  à  là  source  de  vie,  au  foyer  du  so- 
leil^ ces  empreintes  profondes;  c'est  sur  moi  et 
sur  tout  ce  qui  m'entoure,  qu'il  a  agi  avec  le  plus 
d'énergie  et  d'intensité.  Voyez  mon  pays  1  que  ses 
fruits  sont  savoureux,  que  son  or  est  précieux  et 
abondant  !  Voyez  la  hauteur  de  nos  arf)res ,  la  Sorce 
de  nos  animaux  !  Ici  la  vie  fourmille  dans  chaque 
élément,  et  le  centre  de  cette  activité  vitale  repose 
en  moi.  Voilà  ce  que  le  Nègre  pourrait  dire.  Péné- 
trons donc  sans  aucim  sentiment  d^orgueil  dans  la 
contrée  qui  lui  a  été  destinée. 

Près  de  l'isthme  qui  joint  l'Afrique  et  l'Asie,  je 
découvre  un  peuple  singuUer,  les  Égyptiens.  Gros, 
forts ,  massifs  (car  il  faut  rapporter  à  l'influence  du 
Nil  leur  corps  replet  et  charnu),  lé  teint  cuivré, 
ils  sont  sains  et  robustes ,  tempérans  et  remarqua- 
bles par  leur  longévité.  Tout  indolens  qu'ils  soient 
de  nos  jours,  ils  ont  été  jadis  diligeiis  et  laborieux; 
car  il  n'y  a  qu'un  peuple  ainsi  organisé^  qui  ait  pu 
donner  à  ses  arts  et  à  ses  établissemens  ce  caractère 
gigantesque  qui  nous  fmppe  d'étonnement  diez  le» 
anciens  Égyptiens,  et  qu'une  nation  d'une  nature  plus 
délicate  ne  pourrait  que  diflScilement  reproduire. 


1.  Voyez  leurs  statues  antiques,  leurs  momies  et  les  pein- 
tures dont  ils  les  ornaient. 


Nous  n'avons  '  que  très-peu  de  données  sur  les 
habitans  de  la  Nubie  et  des  pays  qui  se  prolongent 
au-delà  dans  l'intéiieur  de  l'Afrique  :  si  cependant 
nous  |>ouvons  ajouter  foi  aux  communications  pré- 
liminaires de  Bruce',  on  ne  trouve  pas  une  seule' 
irace  de  Nègres  dans  toute  l'étendue  de  ce  vaste 
plateau;  ils  se  retirent  vers  les  côtes  orientale  et 
occidentale  de  cotte  partie  du  monde,  là  où  le  sol 
est  moins  élevé  et  la  chaleur  plus  forte;  et  même, 
dit-il,  les  montagnes  tempérées  et  pluvieuses  qui 
bprdent  l'équateur  ne  sont  peuplées  que  d^hommes 
Jbkncs  ou  cuivrés.  Quelque  digne  de  remarque  que 
ce  fait  puisse  être  pour  expliquer  la  couleur  des 
noirs,  il  prouve  surtout  que  la  forme  de  ces  tribus 
(et  ceci  rentre  dans  notre  pensée)  va  se  perdre  par 
degrés  dans  celle  des  Nègres.  On  sait  que  les  Âbys^ 
siniens  descendent  des  Arabes,  et  que  ces  deux 
nations  but  eu  entre  elles  defréquéntes  et  delongues 
relations  :  pourtant,  si  nous  pouvons  en  juger  par 
les  Caisses  de  Ludolf  et  d'autres^ ,  combien  les 
traits  des  premiers  ne  sônt^ils  pas  plus  grossiers 
que  ceux  des  AraJies,  ou  des'  peuples  de  la  haute 

I.  Bnfibn,  StippUmcns  k  rhinoire  naturelle*,  t.  IV,  p.  i^^^, 
JLiobo  assure  que  les  Noirs  de  ces  pays»  loin  à^étte  hideux  et 
stupidesy  sont  au  contraire  industrieux,  délicats,  et  ne  man- 
quent pas  d'aune  sorte  de  goût.  (Kelation  historique  d^Ahysstnie, 
p.  85.) 

3.  Ludolf,  Hist.  Mifyùp, 

I.  33 


y 


3S8  LlFItE;TI*  . 

Aàie.  Ils  se  napproahBiu  ^flè  ceux  des  Nègres,  qaol" 
que  de  icm,  et  la  grande  VJiriélé -d'un  âol'  que 
partage  une  suiiie  de  moMUgnes  ei  de  plaines,  de 
brusques  alternatives  de  chaleur  ^  de  froid  9  1'^^* 
deur  du  soleil ,  la  violence  des  tempêtes,  tout  cela , 
si  on  y  ajoute  uiie  foule  de^  causes  dîfiirent^  de 
ces  premières,'  panât  suffire  .pour  expliquer  les 
traits  rudes  et  mélangés  des  habitans.  Dans  une 
contrée  ainsi  variée  on  ne  peut  manquer  de  ren- 
contrer une  race  d'hommes  égalemenc  variée,  et 
dont  les  caractère,  principaux  s'ont  une  extrême 
sepsualtté,  une  vie  longue,  et  je  ne  sais  quoi  d'exa- 
géré et  de  dégradé  dans  le  caractère  de  chacune 
des  parties  de  la  figure.  Mébnge  barbare  de  pga- 
nismé  et  de  chiîstiani^me,  de  douceur  et  de  ru- 
desse, de  liberté  et  d'esclavage,  le  gouvernement 
des  Abyssinien!  et  l'état  de  leur  civilisation  sont 
en  harmonie  avec  leur  figure  et  arec  la  nature  du 
pays  quiis  habitent. 

Dte  même ,  nous  n'avons  qu'um  idée  trop  impar- 
finte  des  Bérébères  ou  Brébères,  pour  pouvoir  nous 
en  foitner  une  opinion,  arrêtée.  C«st  à  leur  séjour 
sur  le  mont  Atlas,  et  à  leur  vie  intrépide  et  active^ 
qu'il  Ëiut  attribuer  ces  belles  proportions,  cette 
légèreté  et  cette  ôexibilhé  qui  les  distinguetit  des 
Arabes  ^  Us  n'appartiennent  donc  pas  plus  à  la  race 


y  ■■* 


1.  Hœst,  JYachrichten  von  MarokOf  p.  iSa»  ^4*  >  ^^ 


nègre ,  <|Uç  ks  Matur/te  »  ^qui  ont  &k6ré  le  ty|ie  arab« 
doDt  ils  descendettt  »  p^r  jkiH:  inélange  avec  d'autre» 
muons.  Sctob  h&  observations  récentes  d'un  voya-t 
geiir>,:ce  p^pltf  eit  reniarquaMe  par  sa  beauté» 
la  ^déUcfttesss  de  ses. traits ,  son  nsagB  ovale,  ses 
grands  yew  iétincelasifs ,  son  nés  alongé  et  bieà 
dessiné,  et  ses  longs  cheveux  noirs  <}ui  tombent 
m  nombre«ix  anneaux  ;  ainsi  y  bien  que  situés  wa 
milieu /de  l'Afrique,  ib  reproduisent  la  forme  asîa*- 
tique. 

La  race  nègre  commence  ^  a  proprèmient  parler, 
sur  les  boicdsdes  fleuves  d^  Gambie  et  du  Sénégal: 
mais  elle  passe  par  des  transiûoos  ghiduées^  Les 
.  Jaloles  ouYolofs  n'ont  point»  comme  lëKègre  ordi^ 
saire,  les  lèvres  épaisses  et  le  neziépaié.  En  eom** 
pctraison*  des  Mandingues  et  des  Nègres  placés  fkl^s 
au  sud,  ils  sont,  avec  le  peuple  plus  petit  et  plus 
^^le  des .  Fonlahs^  qui,  suivant  quelques  récicS) 
passent  leur  vie  dans  la  plus  douce  insouciance  ^ 
au  miUeudes  danses  et  des  jeux,  de  vi!^b  modèles 
de  beauté.  Rien. ne  manque  aux  proportions  de 
leur  corps;  leurs  cheveux  sont  {dutôt  lisses  que 
cotonneux }  leur  air  ouvert  n'est  pas  sans  élégances 
Ainsi ,  les  lèvre»  épaisses  et  le  nez  épaté  du  Nègre, 
qui  se  retrouvent  dans  une  immense  variété  db 

■■■'■■■■  ■       I     ■  I  ■'!  ■  ■    ■- ■<  Il  ■— 

1.  Relatioa  de  Schott  sur  le  Séoégal  dans  les  Beitrà^e  xur 
lyôtktr^  und  Lunderkunde,  i."  part. ,  pag.  47-    " 
^  1»  Idem,  p.  5o. 


B4o  UTKR  yit 

petites  Batibos  de  la  Guinée  ^  duLoangOy  <la  Congo 
et  de  l'Angola,  ne  commencent  à  paraître  qu'au- 
delà  dn  Sénégal.  Dans  le  Congo  et  TAngola,  par 
exemple,  la  couleur  noire  de  la  peau  s'éclaircît 
et  devient  olivâtre,  les  cheveux  crépus  roussissent, 
l'iris  de  l'œil  prend  une  teinte  grise,  les  lèvres  sont 
moins  épaisses  et  la  taille  diminue  de  hauteur.  Dans 
le  Zanguebar,  sur  la  côte  opposée  dé  l'Afiique, 
nous  retrouvons  avec  la  même  couleur  ôHvâtre 
des  hommes  d'une  taille  plus  élevée  et  mieux  pror 
portionnée.  Enfin ,  lès  Hottentots  et  les  Cafres  sont 
placés  entre  la  forme  nègre  et  une  autre  à  laquelle 
ils  servent  de  transition.  Déjà  leur,  nez  n^est  plus 
aussi  épaté,  leurs  lèvre$  ne  sont  plus  aussi  saillantes; 
leurs  cheveux  tiennent  le  milieu  entre  la  laine  da 
Nè^e  et  les  cheveux  des  autres  peuples  :  leur  teint 
est  cuivré;  ils  ont  à  peu  près  l^  même  iaiUe  que 
Ub  Eun^>éens,  mais  les  mains  et.  les  pieds  plus 
petits  ^  Si  nous  connaissions  celte  fqvle  de  nations 
qui,  répandues  au-^elà  de  ces  régions  arides ,  dans 
l'intérieur  du  pays  jusqu'à  l'Abyssinie ,  «  habitent  ces 
eontr^s  favorisées  où  il  parait  que  la  force,  la 
fertilité,  la  beauté,  les  arts  et  la  civilisation  sont 
réunis,  nous  pourrions  remplir,  dans'  cette  partie 
du  monde,  le  tableau  de  l'homme,  sans  y  laisser 
probablement  un  seul.  vide. 

t.  Voyages  de  Spannann. 


CHAPITRE  IT.  S4 1 

Mais ,  qae  nous  sommes  loin  de  posséder  un 
nombre  suffisant  de  rensêignemens  authentiques 
coneernani  cette  contrée!  à  peine  connsissons-nous 
ses  côtes;  le  plus  souvent  nous  ne  nous  sommes 
avancés  qu'à  «me  portée 'de  canon.  On  ne  cite  pas 
un  stvl  Européen  moderne  qui  ait  traversé  Tinté- 
liéur  dé  l'Afrique  ^  ce  que  font  fféquemment  les 
caravanes  arabes  '  ;  et  tout  ce  que  nous  en  savons, 
nous  le  tenons  de  la  bouché  dés  N^res  ou  des 
récits  surannés  de  quelques  avratiiriers^.  Quant 
auxr  nations  que  nous  p^nirrions  connaître,  lès 
Europiéens  lea  regardent  avec  trop  d'indiâerence 
et  de  dédain),  pour  étudier  dans  de  malheureux 
esclaves  les  variations  de  la  forme  nationale.  Il| 
les  iraheht  -  co'çime  de  viles  hétes  de  sommé,  et 
quaind  ils  lès  afebitent^  c'est  à  leurs  dents  qulU 
les  distinguent.  Un  missiopnaire  Morave^nefos  a 
transmis  à  lui  seul  d'nné  autre  pai^tie  du  monde  des 
rensêignemens  plus  exacts  sur  les  Nègres,. que  tous 
les  voyageurs  qui  ont  infesté  les  côtes  d'Afrique. 
Si  une  société  de  voyageurs  doués  de  la  pénétra- 
tion de  Forster,  ^  la  patien<ie  de  iS^rmann  et 

1.  Schoit,  JUUtioa  do  Sénégal»  p.  49  et  So. 
•    a.  Vojez  ZimmermaiiB  ,   Gomparaisoïi  des  pays  coni^as  et 
inconnua  dans  l^histoire  géographique  de  ThommSi.  Uv^JH» 
pag.  io4* 

3.  Oldendorp,   Histoire  •  det  mtMions  d4  Salat-TbomM.» 
pag.  37^0  et  sair. 


/ 


I 

de  Téi^iditMfi  de  l'îui  et.de  l'auuref  «eoon^ri&m 
k  vmtev  ce  pays  à  peine  découwit,  quelles  heu- 
relises  eaiH|ttèica  ne  &rmt  'po&  k  science  de  l'homsGie 
et  de  la  salure l  Sans- doute  le  ppemijer  résidftat  se* 
faîi  de  démontrer  que  ce'  que  Vem.  irkeome.dbs 
JKiigda  ei  des  Aufiocapod^caniiibal^a  est  esagéré;»  quand 
m  retend  à  t^mlis  les  xrihw  de  Tuitâ^t  de  l-^U&i* 
qiue.  Il  parait  que  lés  lagas*  sont  un  peuple  misteet 
pillard,  miioitaitific^Uey  c^i».  cdsnpMée  des.  rebuts 
de  celles  qui  rentoureni^  ne  vit  que  de  Jmgandage 
etdepuis  Icong^teaspsi  s!est|faiteii  des  usage&bairbafts.  ^ 
Jjes  Aûsîeioiis  sont  de&  moniagnards  &  prcAatA^nrat 
les  Mottgob  etlesr'Calmoiufcs  deiocMie ^ooiitrée;  mais 
|jlfut^etre  CQsnlnen  de  naéona  Vivent  heiirenses  et 
pacifiqme  an'  pied^^desi  œonbgnes  do  la  lotte}  Les 
Bnrppéens  ne.  sânt>pi»'digpes  dd  ooi^ëmpler-leiir 
jboidicut; /car  it  est  impjœdônnaUe.k  cnrûnequ^ils 
suit  éonntis  et  qu'ils  eonttBiaênt  à^coniHiettre  de^ 
¥aat  cette  partie  du.  globe;  ii^Arabe;  eotmnerçant 
tmi^èrké  en>pnix  eei  pays  indeacmiis^  et^y  aibndé 
axt  loin  des  cblontes^  '  ' 

.'  Mmi  j'oublie  ^ps  ^^m  à  pèrl^d&t la  fibrine  nègre» 
eiv.  tant  qu'une  des  organisationsoe  la  race  humaine; 
et  il  serait  à^sirer  qpoies^'mt«iralii»tés»' eussent  étu-< 
cfiê  toutes  les  variétés  dé  liotre  espèce  avec  autant 


«I  •  *f  i  - ./    Il  «  •■■  »■  j 


1.  Histoire  de  Loango,  du  Congo,  par  Proyart  ;-Xfc4pttCt 
%^e.  iÀ  i««d«Gtl6o  »)l«Biârtfd«  «fit  H-flgifteBtée^xDm  BecàeH  do 
rd»  tiens  préciçuçes  $^r  I«s  Jagoa.  v     .•■*   "   • 


CHAPITRE  W.  543 

d'aiteftriôn  <{ue  <:elie  qui  9011s'  occupe.-  J^âudique 
ici  quelques-uns  de$  résultais  <JU  leurs  observa** 
lions.   . 

i«.La  couleiH*'  noir^  du  Nègre  n'a  rien  en  elk^ 
même  qui  soitfl^lus  éionilant  <)ue  la  teinte  blanche  » 
|)ritiie^  jaiâie  c^ti  rouslse  <)es  autres  p^isiplesk  Ce  n'est 
ni. le  éSLJB^j  xi  le  e^l^y^aut^  ni  le  fluide. séminal  du 
Ifègre  qui  eét  noirj  c'est  le^réseai;^  mnqUeuK  é^tk* 
du  sous  la  peau^  <|ui  ]{io«ts  e^t  commuli  ^tpus^ 
et  qj  blême  es!  n<>us  est  plus  ou  moins  doloré^ 
au  moins  dans  queIq«KS  parties,  et  dans  cerlainee 
circonstanees.  C'est  c^  que  Camper  a  démotitréS 
et  selon  lui  nous  avans  tous  la  capaeité  de  devenNf 
noirs.  Au  milieu  même  des  glaces  des  SîimaLjède^ 
nous  avons  remarqué  lâ^  teinte  noirâtre  du  sein>  deis 
femmes;  le  g.ermê  de  la  noii^ceUr  du  Nègre  ne  poi*- 
vait  pas  se  développer  davantage  .sous  ce  climatir  . 

2.  Tout  dépend  donc  des  causés  qui  peuvent  le 
produire  au  dehors,  et  l'analogie  nous  apptenid 
que  le  soleil  et  la  température  doiveiit  y  entrer 
pour  beaucoup;  car,  <|u'est-ce  qui  brunit  notre 
teint,  qui  établit  dans  les  sexes  une  si  grande  diffé-* 
retice  dans  presque  tous  les  pays?  qu'est-ce  qui  a 
rendu ,  après  un  séjour  de  quelques  siècles  en  Afrir 
que ,  les  Portugais  si  semblables  au^  Nègres  par  la 
couleur?  et,  d ailleurs ^  qu'esl^ce  qui  distingue  par 


i.CattpetV  hleiAe  Sehrifibn  i  t.  I.'V  p*  ^4* 


344  trvRE  tï. 

tant  de  nuances  les  races  nègres  dans  l' Afrique 
même?  C'est  le  climat,  dans  là  plus  grande  accep- 
tion du  mot,  quand  on  y  co^nprend  la  manière 
de  vivre  et  de  se  nourrie  Les  Nègres  les  plus  noirs 
vivent  précisément  dans  le  pâjs  où  le  vent  d'est , 
après  avoir  traversé  toute  Tétendue  des  terres, 
apporte  la  chaleur  la  pluis  bràlaïue.  Là  où  la  cha* 
leur  est  diminuée  ou  suspendue  par  les  brises  de 
la  mer,  le  noip  va  se  perdre  dans  un$  teinte  cui- 
vrée. Les  montagnes  le^  plus  froides  sont  habitées 
par  des  peuples  blancs  pti  seulement  hâlés;  tandis* 
que  dans  les  contrées  plus  basses^  la  couche  co- 
lorante de  la  peau  est  desséchée  par  l'action  du 
soleil.  Maintenant  y  $i  nous  réfléchissons  que  ces 
peuples  habitent  depuis  des  siècles  cette .  partie 
du  monde,  et  qu'ils  s'y  sont  entièreo^ent  satura- 
lises  par  leur  manière  de  vivre  ^  si  nous  faisons 
entrer  en  considération  dîfiërentes  causes  dont 
l'influence  est  moins  puissante  aujourd'hui,  mais 
qui  dans  leur  première  période,  quand.vtous  les 
élémens  étaient  encore  dans  leur  force  primitive, 
ont  dû  agîr  avec  une  plus  grande  intensité;  si  à 
cela  nbus  ajoutons  que  tant  de  milliers  d'années 
ont,  pour  ainsi  dire,  fait  faire  une  révolution 
complète  à  la  sphère  des  phénomènes,  qui  tôt 
ou  tard  entraîne,  dans  son  cours,  tout  ce  qui  peut 
apparaître  sur  la  terre ,  nous  cesserons  de  nous 
étoimer  de  la  couleur  noire  de  quelques  nations. 


» 

La  nature,  dans  Ja  progression  ck  ses  secrètes  opé*. 
rations,  a  produit  de  beaucoup  plus  grands  chan- 
gemens  que  celui4à.  ■  * 

3.  Et  de  quels  moyens. s'est- elle  servie  pour 
effectuer  cette  Êtible  altération?  il  me  semble  que^ 
la  chose  parle  d'elle^méine.  C'est  un  suc  qui  colore 
le  réseau  muqueux.  Or,  la  sueur  des  Nègres,  et 
même  des  Européens ,  a  fréquemment  dans  cette 
contrée  une  couleur  jaune  ;  la  peau  des  Noirs  est. 
un  tissu  doux  et  velouté,  qui  n'est  point  aussi 
compacte  ni  aussi  sec  que  celui  des  Blancs.  Ainsi , 
la  chaleur  solaire  a  tiré  des  parties  internes  un  suc 
qui,  porté  aussi  près  que  possible  de  la  surface  du 
coips,  adoucit  la  peau  et  colore  la  membrane  qu'elle 
recQ.uvFe.  Les  maladies  de  ces  pays  appartiennent 
pour  la  plupart  au  gçnre  bilieux,  et  quand. on  en, 
lit  les  descriptions  v,  on  ne  doit  plus  s'étonner  du 
teint  noir  ou  cuivré  des  habitans. 

4«  C'est  à  des  causes  toutes  semblables  qu'il  faut 
rapporter  les  cheveux,  crépus  des  Nègres.  Comme 
les  cheveux  ne  se  nourrissent  qu^  des  sucs  les  plus 
délicats  de  la  peau,  et  qti'ils  se  propagent ,  pour 
ainsi  pailler,  contre  les  lois  ordinaires  de  la  nature, 
ils  sont  plus  ou  moins  arrondis  en  anneaux,  sui-. 
vantJa  quaniité  de  nourriture  qu'ils  reçoivent,  et 
quand  elle  leur  manque,  il   faut  qu'ils  tombent. 

^— ^    ■  ■      ■   '  ^■^r— — ^i^»—*-  ■  I  ■  I      I    ■  I  ——1  II  M»i— M^»»»—— a>— ■, 

ip  Schott,  Obseryation»  on  the,  fjrnockus  ùiraMiosa, 


• 


34^  MTRE  TK 

Ainsi,  dans  TorgaÂisiition  {dus  grossière  des  ani- 
maux, nous  voyons  leur  laine  se  c^ngçr  en  pqik 
crépus,  dans  les  contrées  auxquelles  leur  nature 
n'est  point  appropriée,  et  où  il  leur  est  impossible 

m 

d  ehborer  le»  snc^  €fsiïls  renfermem.  Fane  :pour 
tous*  les  climats,  l'organôsatiou  de  l^omme^  an 
contraire,  peut  c^ianger  les  dieveuz  eu  laine, 
quand  il  y  a  une  surabondance  de  cette  btiile  qui 
donne  ^  la  peau  sa  moiteur. 

5.  Mais  la   ccmfoUnalion  particulière  du  corps 
humain  en  apprend  plus  que  tout  cela:  c'^t  ce 
qui  me  parait  évident  par  Fexame».  de  l'organisa- 
tion africaine.  Suivant  diverses   obsinratiôns  phy- 
siologiques, les  lèvres,   la  poitrine  et-  les  parties 
génitales,  ont  entre  elles  des  rapports  intimes  :  et 
comme  la  nature ,  d'après  un  seul  et  même  prin- 
cipe, a  conféré  »  ces  peuples,  pour  Us  dédommager 
des  dons  plus  nobles  qu'elle  a  été  obligée  de  leur 
refuser,  une  plus  grande  somme  de^  plaisirs  sensuels, 
ceci  ne  pouvait  manquer  de  fi^pper  l'observateur. 
D'après  toutes  les  règles^  de  la  physionomie,  £épsàs- 
seur  des  lèvres  indique  un   tempérament  sensuel; 
de  même  que  des^  lèvres  minces,  doucem^u:  €Ùn- 
trées,    et  nucincées  de  termes  vermeilles ,  passent 
pour  les  earactèi^e»  extérieurs  de  la  chasteté  et  de 
la  délicatesse  du  goik>    Pourquoi  donc  s^étosiner 
qu'une  naliou  qui  naet  le  suprême  bonheur  dans 
les  plaisirs  des  sens^  conserve  dans  ses  formes  la 


CHAPITRE  IT.  547 

marque  de  cette  di^osttîon?  Le  Nègre  vient  au 
monde  aire<^  la  pcsau  blanche*  :  les  parties  qui  sont 
les  plus  pixHâpies  à  se  colorer,  sont  celles  qui 
ârvoisinent  les  ongles,  le  sein  et  les  organes  de  la 
génération,  et  Ton  peut  observer  dans  d'autres 
nations,  k  mènîe  dispositiem  de  ces  parties  à  se 
recribmnir.  CeîB?t  peu  peur  tfti  Nègre  d'avoir  une 
eentaine  d'en&ns,  et  le  vieillard  qui  n'en  a  que 
soixant»-^  enviroiî ,  verse  des  larmes  sur  sa  triste 
destinée. 

'  6.  tJne  <M*ganîsation  si  abondante  en  sucs  et  des 
peB^[iah$m  effténés^  pour  les  plaisirs  sensuels  ne 
pouvaient  n^anque»  rfaltérer  le  profil  et  de  défor- 
mer le  corps  tout?tïrtier.  La  bouche,  en  s'avançant, 
rend  te  nea:  plus  petit  et  plus  écrasé,  le  front  se 
retire  en  Arrière,  et  la  faee  doit  présenter  à  quelque 
dÎ6f*Me*  une  veosémblimce  mâfrquée  avec  celle  du^ 
siiige.  Cette  conformité  se  retrouve  dans  la  position 
du  cou,  dans  les  parties^  voisines  de  Focciput  et 
dans  la  structure  Ai  corps,  qui  est  fait  tout  entier, 
liiéme  le  nez  et  1»  peau ,  pour  une  sensualité  gros- 
sie ^  Puisque  cette  partie  du  monde  produit, 
comme  la  région  native  de  la  chaleur  solaire,  les 
arbres  les  plus  touffus  etle^plus  abohdans  en  fruits^ 

«O»^*—  ■      ' p  ■   .11  I i.r        ■■»■        ■  .    I  .,111    I   ■  <      «..iifi  I    ^        III  I  '         '  I  ^    I    I       .1     I    w 

1.  Camper  a  àémp-aXréy  dans  les  Transactions  de  Harlem , 
que  les  centres  de  mouvement  sont  plus  rapprochés  d^^ns  la, 
rîégre  que  dans  PEuropéen ,  et  qu'yen  conséquence  il  doil  avoir 
pins  de  souplesse  çt  d'àgUité, 


^ 

\ 


548  '  LIVRE  VI. 

puisque  «'est  là  que  s'agitent  en  ^onle  les  aBÎmaux 
les  plus  gros ,  les  plus  forts  ,  les  plus  9tcù& ,  et  clans 
certains  lieux  des  multitudes  innombrables- de  sin~ 
ges  f  si  bien  que ,  dans  Fair  et  le$  eaux ,  datis  '  les 
sables  et  les  mers,  partout  fourmillent  la  vie  et  la 
fécondité,  U  était  impossible  que  l'organisation  de 
Thomme  ne  suivit  pas,  au  moins  datis  ses  parues 
animales,  le  principe  général  et  sim)ple  dés  pouvoirs 
plastiques.  L'intelligafice  sublime  qui,  sous  ks  feux 
d'un  soleil  dévorant,  devait  être  refusée  à. la  dréa* 
ture  dont  le  sein  n- enfermé  que  des  passions  bouil- 
lantes, fut  enchaînée  par  une  constitution  physique 
qui  la  repousse  et  la  méconnak»  Puisque  dans  un 
tel  climat  il  était  impossible  que  le.  Nè^re  •  teçût 
une  plus  noble  empreinte ,  loin  de  le  mépriser, 
sachons  le  plaindre^  et  rendre  gra^é  à  TAutéur 
de  toutes  choses ,  des  compensations  ^u'il^  donne 
h  ses  enfans  pour  les  biens  qu'il  leur  refilée.  Lé 
Noir  passe  ses  yours ,  exempts  dé  soucis ,  dans 
une  contrée  qui  lui  distribue  sa  nourriture  aveè 
une  libéralité  toujoiu's  nouvelle.  Son  corps  s^e  meut 
avec  souplesse  au  sein  des  eaux ,  comnf e  s'il  '  était 
né  pour  cet  élément  Courir,  gKsserV bondir  n'est 
qu'un  jeu  pouf  lui.  Non  moins  forte  toi  robuste, 
qu'ardente  et  active,  sa  constitution  supporte  sans 
danger  les  accidens  et  les  fléaux  d'un  cKmat  sous 
lesquels  succombent  tant  d'Européens.  Que  lin 
font  ces  joies  de  l'ame,  ces  joies  inquiètes   dans 


CHAPITRE  r.  549 

leur  nature  supérieure?  elles  ne  ;  sont  point,  faîles 
pour  lui.  Celles  qu'il  trouve  en  abondance  à  chaque 
pas,  sont  celles  de  la;  matière:  ainsi  la  nature  Ta 
pris  sous,  sa  garde  et  a  fait  de  lui  ce  qui  convenait 
le  mieùiç  tout  à  la  fois  à  son  pays  et  au  J)pnheur 
•de  sa  vie.  U  allait  ou  que  l'Afrique  ne  sortît  pas 
de  la  création  y.  ou  qu'il  se  trouvât  des  j^fègres  pour 
liabiter  l'Afrique. 

CHAPITRE  V. 

Organisation  de  Vhomme  dans  les  îles 

de  la  zone  torride. 

.  RietL  n'est  plus  difi^cile  que  de  caractériser  par 
des  traits  frappans  les  contrées  situées  au  sein  de 
l'Océan;  car»  comme  elles  sont  éloignées  les  unes 
des  autres,  et  qu'elles  ont  été  peuplées  en  grande 
•partie  par  diverses  émigrations  venues  de  pays  plus 
ou  moins  distans ,  et  à  des  époques  plus  ou  oioins 
lointaines ,  dles  présentent  à  la  pensée  dans  le  ta*- 
bleau  de  l'histoire  des  nations,  une  bigarrure  toute 
{Mireille  à  celle  dont  elles  frappent  les  regards  dans 
une  mappemonde.  Cependant ,  ici  encore,  les  traits 
principaux  ne  se  démentent  point,  au  moins  dans 
ce  .que  l'on  peut  nommer  l'organisation  naturelle. 
1 .  Dans  la  plupart  des  îles  asiatiques  on  rencontre 
une  sorte  de  race  nègre  que  l'on  est  autorisé  à 
iregarder  comiixe  les  h^^bitans  les  plus  anciens  du 


S5b  LIVRE  VI. 

pajs^  Cependant  9  suivant  1^  variétés  des  terreî 
qu'ils  occupent,  ils  sont  plus. ou  moins  basamiês, 
avec  des  cheveux  crépus  et  cotonneux:  ça  el  là  re^ 
paraissent  les  lèvres  fisses ,  )e  ne2  é|Mité  ^-ies  dent» 
bknches,  et,  ce  qu'il  y  a  de  remarquabfe ,  la  cou-» 
leur  même  du  Nègre.  On  trouve  dans  les  Négril<- 
Ions  des  îles  la  m^ne  force,  des  corps  aussi  sains 
et  aussi  robustes ,  la  même  apathie  morale,  le  même 
amour  des  plaisirs  bruyans  que  parmi  les  Noirs  du 
continent;  mais  partout  en  proportion  de  la  cba« 
leur  du  climat  et  de  leur  manière  de  vivre.*  Con-^ 
fines  au  milieu  des  montagnes  par  les  invasions  des 
peuples  étrangers,  qui  occi^pent  aujourd'hui  les 
rivages  et  les  plaines,  plusieurs  des  indigènes  sont 
encore  au  premier  degré  de  civilisalâon  :  aùssî  n'â^ 
vons-nous  sur  ce  qui  les  concerne  qn'un  petit 
nombre  de  données  certaines  et  authentiques^  ^ 

Maintenant,  à  quoi  &ut-il  attribuer  cette  ressem" 
blanqe  avec  la  forme  nègre  y  dans  des  Ues  si-  ékH^ 
gûées  ?  Inutilement  dirait  -  on  que  dans  l'origine 
elles  ont  été  peuplées  par  des  cokMiies  d'Afrique; 
la  vraie  cause  est  dans  l'uniformité  que  la  nature  md 


I  *■»■•■ 


1^  Sprengél,  Histoire  des  lies  Pliiltppiites  ;  Voyage  de  Foiv- 
Hier  à  Bornéo  et  dans,  d>atres  Ues,, dans  les  £asa»  sur  Les  pajs 
et  les  peuples,  toI.  II,  pag.  67  ;  Voyage  de  Legentîl»  dans  la 
Collection  d^Ebeling,  vol.  IV,  pag.  70. 

9.  Voyages  autour  du  monde,  vol.  I/%  pag.  554?  Leipsic, 
'1775.      ' 


I 


9 

CSAPITRE  V-  '      5^1, 

ioujourd  dafl^  ses  œuvres.  Elles  sont  situées  dans  les 
régions  de  rextréme  chaleur,  «tne  sont  rafraîchies 
que  par  la  bri/se  des  mers  :  pourquoi,  donc  les  Né- 
grillons ne  iKFaient-îk  pas  dans  les  41âs  ce  que  les 
IMègres  sont  sur  le  continent?  Puisqu'ils  sont  les 
plus  anciens  habitans  de  ces  îles,  ils  doivent  con- 
server plus  qu'aucun  autre  peuple  l'empreinte  et  le 
caractère  du  climat  Parmi  eux  il  faut  compter  les 
Ygolotis  des  Philippines,  un  grand  nombre  de 
tribus  noires  exactement  semblables  dans  la  plupart 
des  autres  iles,  et  de  j^us,  les  sauvages  de  la  côte 
occidentale  de  la  Nouvelle -HoUande.  Selon  Bam- 
pier,  ces  derniers  sont  les  plus  malheureux  des 
êtres;  ils  habitent  une  des  contrées  les  plus  stériles 
du  globe ,  et  semblait  être  le  dernier  degré  de  Tes*- 
pèce  humaine.  ^ 

^.,{)ans  des  temps  postérieurs,  ces  îles  ont  été 
occupées  par  d'autres  peuples,  dont  ]a  forme  est 
moins  frappante  ;  tels  sont ,  suivant  Forster  ^ ,  les 
Béajous  de  Bornéo , .  les  Âlfores  dans  quelques- 
unes  des  Mbluques ,  les  Subanosde  Mindanao  et  les 
habitans  des  îles  Marianes,  des  Carolines  et  d'autres 
îles  plus  au  sud  dans  l'Océan  pacifique.  On  dit 
qu'ib  se  ressemblent  beaucoup  par  le  langage ,  la 
couleur,  la  figure  et  les  usages:  leurs  cheveux  sont 
longs  et  lisses ,  et  Ijss  voyageurs  les  plus  récens  nous 

I,  Beitrûge  %ur  VolkerkundCf  t.  II  »  p*  238. 


55a  LITRE  VI. 

ont  appris  à  quel  degré  de  beauté  et  de  grâce  cette 
race. est  parvenue  à  Otahiti  et  dans  quelques  !Ies 
voisines.  Mais  cette  beauté  est  encore  toute  sei^- 
suelle,  et  Ton  peut  apercevoir  les  dernières  traces 
dé  rinfluence  du  climat  sur  le  nez  a  demi  épaté  de 
rOtahitien. 

3.  LesMalaysy  les  Arabes,  lesChinois,  les  Japonais 
et  quelques  autres  sont  venus  plus  tard  dans  plusieurs 
de  ces  îles,  et  ils  conservent  des  traces  plus  fr&ppantes 
encore  de  leur  origine.  En  un  mot,  de  ce  groupe 
d'îles,  comme  d'une  source  inépuisable,  sortent 
une  foule  de  formes  diversement  modifiées  suivant 
le  caractère  des  peuples,  le  pays  qu'ils  habitent, 
la  durée  de^leur  séjour  et  la  manière  de  vivre  qu'ils 
ont  adoptée.  Ainsi  l'on  trouve  fréquemment  que  les 
variétés  les  plus  frappantes  se  touchent  Tune  l'autre. 
Il  paraît  que  les  Nouveaux- Hollandais^  vus  pr 
Dampier,,  et  que  les  habitans  de  Mallicollo  présen- 
tent l'aspect  le  plus  grossier,  et  qu'au-dessus  d'eux 
s'élèvent  par  degrés  les  peuples  des  Nouvelles-Hé- 
brides, de  la  Nouvelle-Calédonie,  de  la  Nouvelle- 
Zélande  ,  etc.  L'Ulysse  de  ces  contrées ,  Heinhold 
Forstér^,  nous  a  donné  sur  les  différentes  races 
d'hommes  qui  les  habitent ,  des  renseignemens  si 
exacts  et  si  précieux ,  qu'il  ne  nous  reste  qu'à  désirer 


Jmm^ 


I,  Forster,  Remarques  sur  son  voyage  autour  du  monde  » 
tooi.  VI;  Berlin,  1787. 


CHAPITRE  TI.  553 

de  semblables  matériaux  pour  une  géographie 
philosophique  et  physique  des  autres  parties  du 
monde  ;  elle  servirait  de  fondement  a  l'histoire  de 
l'homme.  Je  reviens  maintenant  à  la  partie  du 
monde  à  la  fois  la  dernière  et  la  plus  difficile. 


CHAPITRE  VI. 

Organisation  des  Américains. 

Il  est  reconnu  que  l'Amérique  s'étend  sous  toutes 
le  zones ,  et  subit  non-seulement  tous  les  degrés 
de  chaleur  et  de  froid  ,  mais  encore  les  plus  violens 
chan'gemens  de  température;  et  cela,  parce  que  sa 
surface  présente  à  la  fois  les  montagnes  les  plus 
hautes  et  les  plus  escarpées,  et  les  plaines  les  plus 
unies  et  les  plus  étendues.  On  n'ignore  pas  davan- 
tage que,  profondément  morcelée  par  de  larges 
baies  sur  la  côte  orientale,  cette  vaste  partie  du 
monde  est  partagée  du  Nord  au  Midi  par  une 
chaîne  de  montagnes,  et  que  cette  disposition  ex- 
phque  en  partie,  pourquoi  son  climat  et  ses  ani- 
maux présentent,  si  peu  de  ressemblance  avec  ceux 
de  l'anden  continent.  Aussi  l'attention  se  dirige-t- 
elle  vers  ces  peuples  avec  cette  curiosité  qui  s'attache 
à  une  race  d'bommes  d'un  hémisphère  opposé. 

D'une  autre  part,  il  résulte  de  la  situation  même 
de  l'Amérique,  que  celle  contrée  que  de  si  puis- 
I.  a3 


554  tIVMTI- 

santés  barrières  séparent  du  reste  du  monde ,  ne 
pouvait  recevoir  sa  population  de  plusieurs  points 
difTérens.  Les  tempêtes  et  les  mers  brisent  ses  com- 
munications avec  l'Europe,  l'Afrique  et  les  parties 
méridionales  de  l'Asie;  et  elle  ne  se  rapproche  du 
vieux  monde  que  dans' sa  partie  nord-ouest.  Il  ne 
faut  donc  pas  chercher  dans  les  indigènes  une  aussi 
grande  diversité  que  celle  que  nous  aurions  d'abord 
été  disposés  à  attendre;  si,  en  effet  c'est  d'une  seule 
et  même  contrée  que  sont  venus  la  plupart  de  ses 
habitans,  et  surtout  tous  ceux  qui  l'ont  peuplée  ori- 
ginairement en  se  répandant  par  degrés  et  presque 
sans  mélange  dans  l'intérieur  du  pays ,  il  est  certain 
que  l'on  doit  reconnaître  dans  les  formes  et  les  dis- 
positions des  indigènes  un  caractère  de  ressemblance 
presque  général,  malgré  les  variétés  de  climat  et  de 
lieu.  C'est  ce  que  confirment  les  diverses  relations 
que  nous  avons  sur  l'Aniérique  méridionale  et  sep 
tentrionale;  puisqu'elles  s'accordent   à   dire   que, 
quels  que  soient  la  différence  des  climats,  et  les 
efforts  de  certaines  nations  pour  se  distinguer  les 
unes  des  autres  par  des  précautions  artificielles  qui 
font  violence  à  la  nature,  on  découvre  pourtant 
dans  la  figure  des  peuples  en  général  une  unifor- 
mité qui  ne  se  retrouve  nulle  part,  pas  même  en 
Nigritie ,  avec  des  traits  si  frappans.  La  question  de 
l'organisation   des   habitans  est  donc,  jusqu'à  un 
certain  point ,  beaucoup  plus  facile  à  résoudre  pour 


I 

CHAPITRE  YI-  355 

r Amérique  que  pour  une  contrée  qui  présenterait 
plus  de  mélanges  ;  et  ce  sera  un  moyen  d'en  hâter 
la  solution ,  que  de  commencer  par  la  partie  .où  il 
est  probable  que  le  passage  s'est  effectué. 

Les  nations  américaines  que  Cook  ^  a  visitées, 
avaient,  taille  moyenne ^  six  pieds  de  h^t.  Elles 
étaient  presque  cuivrées ,  et  leur  visage  se  rappro-? 
chait  de  la  forme  carrée.  Les  os  des  joues  étaient 
saillaps;  la  barbe  claire;  les  cheveux  longs  et  noirs; 
les  membres  forts  et  robustes;  des  pieds  difformes^ 
et  le  coi;ps  bien  proportionné.  Celui  à  qui  les  peu«» 
plades  de  l'est  de  l'Asie' et  des  Ues  voisines  sont  bien 
connues,  suivra  sans  intervalles  les  difierens  degrés 
de  transition;  et  cette  observation  n'est  pas  fondée 
sur  une  nation  seulement,  car  il  est  probable  que 
plusieurs  nations,  et  même  des  tribus  de  races 
différentes,  ont  tenté  le  passage;  mais  on  ne  peut 
douter  qu'elles  ne  fussent  d'origine  orientale,  à  en 
juger  par  leur  figure,  par  leurs  difformités  même, 
et  surtout  par  leurs  ornemens  et  leurs  coutumes. 
Si  on  explorait  attentivement  les  côtes  nord-ouest 
de  l'Amérique,  dont  nous  ne  connaissons  que  deux 
ou  trois  ports,  et  si  nous  avions  des  esquisses 
d'habitans  aussi  exactes  que  celles  que  Cook  nouS 
a  données  des  chefs  de  Ounalaska  et  d'autres  lieux, 


1 .  EIlîs ,  Relation  da  troisième  voyage  dé  Cook ,  pag.  1 1 4 
et  suivantes. 


556  LITRE  VI. 

il  faut  croire  qu'il  en  rejaillirait  beaucoup  de  liv 
'  mières  sur  ce  sujet.  On  saurait  si  les  Chinois  et  le» 
Japonais  n'ont  point  aussi  opéré  plus  bas  leur  pas- 
sage sur  cette  côte  si  étendue  y  et  que  nous  con- 
naissons si  imparfaitement ,  et  Ton  verrait  quelles 
^ont  les  traditions  qu'une  nation  civilisée  et  dis- 
tinguée extérieurement  par  la  barbe  peut  y  avoir 
apportées;  que  les  Espagnols  se  joignent  aux  deux 
plus  grandes  nations  maritimes  de  l'Europe ,  aux 
Anglais  et  aux  Français,  pour  partager  leur  hono- 
rable esprit  de  découvertes  ^  et  ils  auront ,  par  le 
moyen  du  Mexique,  les  occasions  les  plus  favo- 
rables d'éclaircir  ces  doutes.  Dans  tons  les  cas  il 
faut  espérer  que  le  voyage  de  Laxmann  aux  côtes 
septentrionales  et  que  les  tentatives  faites  du  Canada 
par  les  Anglais,  nous  fourniront  des  renseignement 
aussi  neufs  qu'importans. 

Il  est  singulier  que  tant  de  récits  s'accordent  à 
représenter  les  nations  occidentales  du  nord  de 
l'Amérique  comme  les  plus  avancées  dans  la  civi- 
lisation. Les  Assinibouds  sont  renommés  par  la 
beauté  de  leur  taille,  par  leur  force  et  leur  agilité  ; 
les  Kristinaux  par  leur  vivacité  et  leur  intarissable 
babils  Toutefois  les  meilleurs  documens  que  nous 
ayons  sur  ces  nations  et  sur  les  Shavrenèses  en  gé- 
néral, ne  sont  encore,  pour  la  plupart,  que  des 

I.  Allgem,  Eeisen,  jo\,  XVI  >  pag.  646. 


CHAPITRE  TI,  557 

&]^es;  nos  renseignemens  positiâ  ne  commencent 
<[u'avec  les  Nadow^as.  Carver>  nous  a  tait  connaître 
ces  derniers,  ainsi  que  les  Chepewhians  et  les'Wi- 
nebagos  ;  Âdair  ^,  les  Cliérokées ,  les  Chicachas  et 
les  Muskogées;  nous  devons  à  Golden,  Roger  et 
Timberlake,  la  description  des  cinq  nations  t  comme 
on  les  appelle,  et  aux  missionnaires  français,  celle 
des  tribus  des  contrées  septentrionales.  Mais  au 
milieu  de  toutes  ces  variétés,  n'est-on  pas  frappé 
de  l'idée  d'une  forme  dominante ,  qui  a  pour  traits 
principaux  un  tempérament  sain  et  robuste,  l'amour 
sauvage  de  la  liberté  et  des  combats,  que  nourris- 
sent également  la  manière  de  vivre  de  ces  peuples, 
leur  économie  domestique,  leur  éducation,  leur 
gouvernement,  leurs  coutumes  et  leurs  occupa- 
tions tant  dans  la -paix  que  dans  la  guerre  :  caractère 
unique  sur  la  terre  par  ses  bonnes  ou  ses  mauvaises 
qualités. 

D'où  leur  vint  ce  caractère?  Il  me  parût  que 
cette  question  se  résout  par  l'examen  -des  migra- 
tions successives  de  l'Asie  septentrionale  et  par  la 
nature  même  de  la  contrée  où  eUes  ont  fixé  leurs 
demeures.  A  leur  arrivée,  elles  étaient  planes  d'une 
intrépidité  sauvage  et  d'une  rudesse  primitive  à  la- 
quelle te  séjour  des  montagnes,  lés  rochers  et  les 

I .  Voyage  de  Carrer  dans  Vintédeiit  de  l'Ainérique  Eepteo- 
trioDale. 

3.  Adair,  HUtoîie  des  Indisnt  américaiiu. 


35i8  LIVRE  VI. 

tempêtes  les  avaient  accoutumées.  Après  avoir  passé 
les  côtes,  quand  elles  eurent  enfin  rencontré  un  pays 
mieux  tempéré,  qui  se   déroulait  au  loin  devant 
elles ,  n'est-il  pas  naturel  que  leur  caractère  se  soit 
conformé  à  la  longue  à  celui  de  leur  nouvelle  patrie. 
Les  nations  qui  se  formèrent  au  milieu  de  ces  lacs 
immenses,  de  ces  fieuves,   de  ces  forêts,  de  ces 
savanûes,   furent  différentes  de  celles  qui  occu- 
pèrent les  terres  nues  et  glacées  qui  vont  en  s'abais- 
sant  vers  la  mer.    Une  guerre  étemelle  divisa  les 
tribus;  Les  peuples  se  partagèrent  de  la  même  ma- 
nière que  les  lacs,   les  montagnes   et  les  fieuves 
partageaient  le  territoire;   et  de  là  un  des  traits 
qui  caractérisent  ces  peuples,   sous   d'autres  rap- 
ports si  paisibles  et  si  doux ,  est  cette  haine  invé- 
térée qu'ils  se  sont  vouée  les  uns  aux  autnes.  De 
là  vint  que  leur  éducation  fut  toute  guerrière,  et 
quils   recherchèrent    avidement  les   occasions  de 
dévelppper  leur  bravoure.  Leur  religion  est  le  sha- 
manisme  de  l'Asie  septentrionale,   qu'ils  n'ont  fait 
qu'approprier   à  leurs  mœurs.   L*air  pur,   la  ver- 
dure des  champs  et  des  forêts,  les  eaux  vives   des 
lacs  et  des  fleuves,  ont  contribué  à  répandre  parmi 
eux  l'esprit   de  liberté  et  de  propriété.    Quelques 
vils  troupeaux  de  Russes  n'ont-ils  pas  suffi  pour 
subjuguer   tous    les   peuples    de  la  Sibérie  et  du 
Kamtschatka?  Plus  courageux,  ces  barbares  ont  cé- 
dé le  terrain;  mais  esclaves!  jamais  ils  ne  font  été. 


GIfAPITREYL      '  3  69 

Gomme  on  peut  ramener  leur  caractère  à  cette 
cause,  il  en  est  de.  même  de  l'habitude  qu'ils  ont 
d'altérer  certaines  parties  de  leUr  corps.  Tous  les 
peuples  de  l'Amérique  s'arrachent  la  barbe  :  il  faut 
donc  qu'ils  aient  émigré  de  quelque  pays  où  elle 
croissait  difficilement;  car  cette  coutume  ne  leur 
vient  que  du  désir  de  ressembler  à  leurs  ancêtres  : 
or,  la  partie  orientale  de  l'Asie  est  précisément  ce 
pays.  Ainsi,  dans  une  contrée  qui  aurait  pu  lui 
fournir  des  sucs  plus  nourrissans  ,  ils  avaient  contre 
la  barbe  une  aversion  naturelle  que  le  temps  n'a  pas 
diminuée,  puisqu'ils  en  arrachent  la  racine  aussitôt 
qu'elle  commence  à  paraître.  Les  peuples  du  nord 
de  l'Asie  ont  la  tète  ronde,  et,  en  se  dirigeant  à  l'est, 
les  figures  se  rapprochent  de  la  forme  carrée:  quoi 
donc  de  plus  naturel  parmi  les  nations  américaines, 
que  de  chercher  à  ne  pas  dégénérer,  en  perdant  toute 
ressemblance  avec  leurs  ancêtres,  et  de  mouler  au 
contraire  leurs  têtes  sur  le  type  originel  dont  elles 
sont  descendues?  Il  est  probable  qu'elles  dédaigné^ 
rent  la  forme  plus  harmonieuse  de  l'ellipse  comme 
trop  efféminée,  et  qu'elles  s'efforcèrent  de  conserver 
artificiellement  l'a-spect  rude  et  guerrier  de  leurs 
aïeux.  Chez  les  peuples  septentrionaux  on  donna 
à-la  tête  la  forme  sphérique,  telle  qu'elle  se  trouve 
naturellement  dans  la  partie  la  plus  élevée  du  Nord« 
Les  uns  la  moulèrent  en  carré ,  d'autres  la  serrèrent 
entre  les  épaules,  et  ainsi  le  climat  ne  put  y  opérer 


56o  LIVRE  VI. 

aucun  changement  caractéristique.  Si  Ton  excepte 
l'orient  de  l'Asie ,  dans  aucune  autre  contrée  Thom* 
me  n'a  fait  tant  d'efforts  pour  changer  ses  formes, 
et  probablement  aussi,  comme  nous  l'avons  vu, 
pour  conserver  l'empreinte  de  son  origine  dans  des 
pa.ys  étrangers  :  il  est  même  vraisemblable  que  ces 
nations  ont  apporté  en  Amérique  ce  goût  artificiel. 

Enfin,  la  couleur  rouge  cuivrée  des  Américains 
peut  moins  que  tout  le  reste  nous  induire  enerreur; 
car  déjà  les  habitans  de  l'orient  de  l'Asie  sont  rouge- 
brun,  et  il  est  probable  que  la  température  d'une 
autre  partie  du  monde,  que  l'usage  dès  parfums  et 
d'autres  causes  ont  concouru  à  rembrunir  la  cou- 
leur; que  le  Nègre  soit  noir  et  l'Américain  rouge, 
après  avoir  passé  quelques  milliers  d'années  dans 
des  climats  différens ,  c'est  ce  qui  m'étonne  beau- 
coup moins  que  si  tous  les  peuples  de  la  terre 
étaient  ou  blancs  ou  bruns.  Et  même  ne  voyons- 
nous  pas,  dans  les  animaux  les  plus  grossièrement 
organisés ,  les  parties  solides  céder  elles-mêmes  aux 
altérations  qu'apportent  les  climats  ?  Or,  les  chan- 
gemens  que  subissent  les  membres  du  corps  dans 
leurs  proportions  générales,  sont-ils  des  phéno- 
mènes moins  étonnans  que  les  dégradations  des 
teintes  de  la  membrane  colorante  que  recouvre  le 
tissu  de  la  peau. 

Après  ces  préliminaires ,  suivons  dans  leur  route 
les  peuples  d'Amérique,   et  examinons  comment 


'  CHAPITRE  VI.  36 1. 

runîformité  de  leur  caractère  primitif  a  pu,  sans  se 
perdre  jamais ,  recevoir  diverses  modifications. 

On  voit  par  les  descriptions  que  les  américains 
du  Nord  sont  en  général  petits ,  .mais  forts  :  les 
parties  intérieures  du  pays .  sont  habitées  par  les 
tribus  les  plus  belles  et  les  plus  courageuses.  Celles 
qui  sont  plus  au  Midi,  dans  les  plaines  de  la 
Floride,  leur  cèdent  en  force  et  en  courage.  Ce 
qu'il  y  a. de  remarquable ^  dit  George  Forster  ^ ,  c'est 
qu'au  milieu  de  toutes  les  variétés  caractéristiques 
que  présentent.les  peuplades  américaines  du  Nord, 
dessinées  dans  l'ouvrage  de  Coot,  on  voit  dominer 
partout  un  type  général  qui  m'a  fr^ippé,  et  que 
même,  si  ma  n^émoire  ne  me  trompe  pas^  j'ai 
retrouvé  dans  les  Pécherais  de  la  Terre  de  feu. 

Nous  n'avons. que  très- peu  de  relations  çur.  le 
Nouveau -Mexique.  Les  Espagnols  ont  trouvé  les 
habitans  de  ce  pays  bien  vêtus,  industrieux ,  pro- 
pres, ^eurs  terres  cultivées  avec  soin  et  leurs  villes 
bâties  en  pierre.  Peuples  infortunés!  qu'êtes  vous 
devenus ,  depuis  que  vous  ne  vous  êtes  pas  défen- 
dus sur  vos  montagnes  comme  los  brai^os  génies. 
Les  Indiens  Âpaches  se. sont  conduits  en  hommes 
courageux,  que  les  Espagnols  n'ont-  jamais  pu  sou- 
mettre; et  avec  quels  éloges  Pagès^  ne  parle-t-il  pas 
des  Chactas  et  des  Tégas  ! 

1.  Gœtting.  Magaziiif  l'jSS  f^S.  gag. 

a.  Pages,  Voyage  autour  durmoudej  Paris,  1783,  pag.  17» 
18 /a6,  etc. 


\ 


/ 


562  LIVBE  VI. 

Comparé  à  ce  qu'il  était  sous  ses  monarques 
indigènes ,  le  Mexique  n'offre  qu'un  triste  spectacle. 
A  peine  retrouve^t-on  la  dixième  partie  de  ses  ha- 
lïitans^  Et  encore,  combien  leur  caractère  n'a-t*il 
pas  été  changé  par  la  plus  injuste  des  tyrannies? 
Je  n'imagine  pas  qu'il  y  ait  sur  la  face  de  la  terre 
une  haine  plus  profonde ,  que  celle  que  l'Âçiéricain 
nourrit  dans  son  désespoir  contre  les  Espagnols; 
éar,  par  exemple,  bien  que  Pages  vante  l'extrême 
douceur  avec  laquelle  les  colons  de  nos  jours 
traitent  leurs  esclaves,  il  ne  peut,  dans  d'autres 
endroits,  s'empêcher  de  déplorer  rabattement  de 
ces  êtres  infortunés,  la  rigueur  dui}Oug  sous  lequel 
ils  gémissent,  et  les  cruautés  que  lion  exerce  contre 
ceux  qui  ont  conservé  leur  liberté.  Les  Mexicains, 
d  après  les  descriptions ,  sont  d'une  couleur  o£ve 
foncée,  bien  proportionnés;  ils  ont  l'air  doux 
et  tendre,  les  yeux  grands  et  étincelans;  ils  sont 
adroits  et  actifs  :  mais  leur  ame  est  flétrie  par 
l'esclavage.  * 

Au  centre  de  l'Amérique,  dans  ces  lieux  où  tout 
est  pénétré  d'une  chaleur  humide ,  et  où  les  Euro- 
péens mteent  la  vie  la  plus  misérable,  la  nature 
flexible  des  Américains  se  conserve  sans  altération. 

Waffer^,  qui,    après  avoir  échappé  aux   pirates, 

« 

1.  Storia  antica  dd  Messico. 
^%»  yiU^em.  Reiseriy  vol.  XV,  pag.  a 63. 


CHAPITRE  VI.  365 

fit  un  séjour  de  quelque  temps  chez  les  sauvages 
du  continent,  raconte  l'accueil  bienveillant  qu'il 
reçut  de  ces  derniers,  et  décrit,  dans  les  termes 
suivans,  leurs  figures  et  leurs  manières  de  vivre. 
iK  Les  hommes  ont  cinq  ou  six  pieds  de  haut ,  les 
«  os  fortement  prononcés,  la  poitrine  large,  l^s 
n  ntembres  bien  proportionnés.  Aucun  d'eux  n'était 
«  ni  difforme  ni  estropié.  Souples  et  adroits,  ils 
(t  sont  actifs  et  courent  avec  une  grandç  vitesse. 
«t  Ils  ont  les  yeux  gris  et  vifs,  le  visage  rond ,  les 
«  lèvres  minces,  }a  bouche  petite  et  le  menton 
a  bien  dessiné  j  leurs  cheveux  sont  longs  et  noirs, 
«  ils  aiment  à  les  peigner  fréquemment;  leurs  dents 
«  sont  blanches  et  régulières ,  et  ils  sont  dans  Tu- 
ce  sage  déteindre  et  d'omèr  leur  corps  comme  tous 
«  les  autres  Indiens.  ^*  Voilà  les  peuples  que  Ton 
nous  représente  comme  une  race  d'hommes  énervés 
et  dégradés!  Et  dans  quelle  contrée?  dans  la  partie 
de  l'isthme  qui  tend  le  plus  à  amollir -ses  habitans. 
Fermin,  observateur  exact,  parle  des  Indiens 
de  Surinam*  comme  d'une  race  d'hommes  bien 
proportionnés  dans  leur  corps,  et  remarquables 
surtout  par  leur  propreté.  «  Dès  qu'ils  sont  levés , 
(c  il  se  baignent,  et  leurs  femmes  répandent  sur 
«  eux  des  huiles  pour  préserver  leur  peau  de  l'ar- 
«    deur  du  soleil  et  des  piqûres  des  insectes.  Us  sont 

1.  Fermin,  l^escription  de  Surinam,  toL  I,",  pag.  39,  4'- 


564  LIVRE  VI. 

t(  d'une  couleur  cuivrée,  quoiqu'ils  soient  aussi 
«  blancs  que  les  Européens  en  venant  au  monde. 
«  On  ne  trouve  parmi  eux  aucun  homme  estropié 
«  ou  difforme.  Leurs  longs  cheveux ,  d'un'  noir 
((  d'ébëne,  ne  blanchissent  jamais,  pas  même  dans 
„  la  vieillesse  la  plus  avancée.  Leurs  yeux  sont 
((  noirs,  leur  visage  alongé;  ils  ont  peu  de  barbe, 
((  et  ils  l'arrachent  aussitôt  qu'elle  paraît.  Leurs 
ce  dents,  qui  sont  d'une  beauté' et  d'une  blancheur 
c(  remarquables,  ne  se  gâtent  jamais;. et  les  femmes, 
c(  quelque  délicates  qu'elles  semblent,  jouissent 
,<  d'une  santé  presque  inaltérable.  ^*  Que  l'on  lise 
là  description  que  Bancroft  *  fait  des  braves  Ca- 
raïbes, de  l'indolent  Worrows,  du  grave  Accavais, 
du  sociable  Arauques ,  ete.,  et  je  suis  persuadé  que 
Ton.  regardera  comme  un  préjugé  insoutenable  ce 
que  l'on  dit  de  la  faiblesse  d'organisation  et  de  la 
méchanceté  de  caractère  de  ces  peuples  indiens, 
quoique  leur'climat  soit  le  plusdévorant  de  la  terre. 
Si  nous  avançons  plus  au  Midi,  vers  les  tribus 
innombrables  du  Brésil,  combien  ne  rencontrons- 
nous  pas  de  nations,  de  langues  et  de  caractères, 
qui  ont  été  confondus  par  les  voyageurs  anciens 
et  modernes  ^.  «  Jamais  leurs  cheveux  ne  blanchis- 
se   sent,  dit  Léry;  ils  sont  toujours  gais  et  actifs, 

\ 

1 .  Bancroft ,  Essai  sur  Thistoire  naturelle  de  la  Guyane. 

2.  Acanha ,  Gomilla ,  I^éry ,  Marggraf ,  Gojidainine ,  etc. 


CHAPITRE  TI.  S65 

(c  comme  leurs  champs  sont  toujours  veris.  ^^  Pour 
se  soustraire  au  joug  des  Portugais,  les  braves  To- 
pinambous,  imitant  l'exemple  d'autres  nations  guer- 
rières, se'  sont  réfugié^  dans  des  forêts  inconnues 
et  impénétrables.  Plus  dociles,  d'autres  peuplades, 
que  les  missionnaires  du  Paraguay  ont  exhortées  à 
se  soumettre ,  ont  dégénéré  jusqu'à  retomber  darïs 
une  soite  d'enfance.  Mais  une  pareille  conséquence 
ne  doit  pas  étonner,  et  ce  n'est  point  sur  cela  que 
Ton  peut  les  prendre,  eux  et  leurs  voisins,  comme 
le  rebut  du  genre  humain.  * 

Enfin  nous  approchons  du  trône  même  de  la 
nature  et  tout  à  la  fois  de  la  plus  barbare  tyrannie, 
du  royaume  du  Pérou,  riche  en  or  et  en  malheurs: 
c'est  là  que  les  pauvres  Indiens  sont  traités  avec  le 
plus  de  cruauté,  sous  le  joug  de  quelques  moines 
ou  d'Européens  plus  efféminés  que  des  femmes. 
Tout  ce  que  peuvent  aujourd'hui  ces  enfans  de  la 
nature  ^  qui  ont  vécu  jadis  si  heureux  sous  le  règne 
de  leurs  Incas,  est  de  nourrir  leur  haine  en  silence* 
«  A  la  première  vue ,  ^*  dit  Pinto  ^ ,  gouverneur  d  u 
Brésil,  „  l'Américain  du  Sud  paraît  doux  et  paci- 
(c  fique;  mais,  après  un  examen  plus  attentif,  vous 
«   découvrez  en  lui  quelque  chose  de  sauvage,  de 

I.  Dobrit^offer ,  Histoire  des  Abipons  ^  Vienne,  i783« 
Voyez  la  description  de  diverses  nations  dans  le  Père  Gamilla^ 
Orinoco  ill  stradj. 

a.  Robertson,  Histoire  d^Amériqtte ,  Tol.  I.*%  pag.  SS?. 


566  LIVRE  Xh 

«  méfiant,  de  sombre  et  de  chagrin.  ?  Et  cela  ne 
s'explique-t-il  pas  par  sa  destinée  même?  Oui,  ils 
étaient  doux  et  innocens  quand  vous  êtes  allés  les 
irisiter;  et  ce  qu'il  y  avait  de  sauvage  et  d'hostile 
dans  une  race  jusque-là  bienveillante,  n'a  pas  tardé 
à  se  développer  à  votre  approche.  Sous  le  poids 
de  la  défiance  et  de  la  crainte ,  pouvaient-ils  man- 
quer d'entretenir  dans  leur  cœur  l'exécration  la 
plus  implacable,  la  plus  invétérée?  Misérables  vers 
de  terre,  que  nous  accusons  de  se  tourner  contre 
nous,  après  que  nous  les  avons  foulés  aux  pieds! 
L^esclave  nègre  est  au  Pérou  un  être  privilégié ,  en 
comparaison  des  victimes  infortunées  à  qui  le  pays 
appartient  de  droit. 

.  Pourtant  tout  n'est  pas  perdu  encore,  car  heu- 
reusement les  Cordillères  et  les  déserts  du  Chili 
sont  là  pour  veiller  sur  la  liberté  de  tant  de  braves 
nations.*  Ainsi ,  par  exemple,  ils  ne  sont  pas  con- 
quisses Moluches,  les  Puelches,  les  Araucans  et 
des  Patagons  que  la  hauteur  de  leur  taille^  leur 
grosseur  et  leur  force  ont  fait  nommer  les  géans 
du  Midi.  Leur  aspect  n'est  point  désagréable  ;  leurs 
visages  sont  ronds,  un  peu  plats;  leurs  yeux  vifs, 
leurs  dents  blanches  et  leurs  cheveux  longs  et  noirs. 

a   J'en  ai  vu  quelques-uns ,  dit  Commerson  ^,  avec 

—  - 1  -'■ — - —  -  ■  »  ■  - —  . — — 

-  1.  Journal  encyclopédique,  1772.  Zimmermann-^  réuDÎ  les 
témoignages  des  divers  voyageurs  dans  son  Histoire  de  rhomme, 
vol.  I.*',  p.  59.  Kobertson,  Histoire  d^Amérique,  toI.  I.")  p.  54o. 


CHAPITRE  VL  S67 

^  des  moustaches  Içngues,  mais  peu  épaisses:  iU 
((  sont  cuivrés,  comme  la  plupart  des  Américains. 
((Ils  vont  errer  et  faire  des  incursions  dans  les 
«  plaines  immenses  de  TAmérique  méridionale 
«  avec  leurs  femmes  et  leurs  enfans,  qui  les  suivent 
n  à  cheval.  ^  Nous  devons  à  Falkener  et  à  Vidaure  * 
les  meilleurs  renseignemens  que  nous  ayons  sur 
ces  peuples,  au-delà  desquels  on  ne  trouve  sur  les 
confins  glaces  de  la  Terre  de  feu,  que  les  Péche- 
rais, c'est-à-dire,  selon  toute  vraisemblance,  Tes- 
pèce.  la  plus  dégradée  du  genre  humain^.  Pfetits, 
hideux  y  d'une  odeur  insupportable,  ils  se  nour- 
rissent de  poissons  à  coquilles,  se  couvrent  de 
la  peau  du  veau  marin,  et  passent  leur  vie  au 
•  milieu  d'un  hiver  affreux  :  bien  qu'ils  aient  autour 
d'eux  des  forets  immenses,  ils  ne  construisent 
point  d'habitations  solides  et  ne  connaissent  pas 
la  chaleur  artificielle  du  feu.  Il  est  heureux  que 
la  nature  dans  sa  sagesse  n'ait  pas .  prolongé  la 
terre  plus  au  loin  vers  le  pôle  sud.  S'il  en  eût 
été  autrement,  quelles  ébauches  monstrueuses  de 
l'homme  ces  glaces  étemelles  n'eussent- elles  pas 
recelées  dans  leurs  abîmes! 

Voilà   quelques-uns  des  traits    principaux   des 

1.  Falkener,  Description  de  la  Patagonie.  Vidaure,  Histoire 
du  royaume  de  Chili,  dans  la  Collection  d'Ebeling. 

a .  Voyer  le  Voyage  de  Forster ,  vol.  II 5  Cayendisb ,  Bovtr 
gaioyiUe,  etc. 


^ 


568  LIVRE  Yl. 

nations  de  l'Amérique.  Que  peut-il  s'ensuivre  pour 
cette  contrée  en  général  ?    ^ 

La  première  conséquence  est,  qu'il  faudrait  éviter, 
autant  que  possible,  de  comprendre  dans'un  seul  et 
même  tableau  les  nations  d'une  partie  du  monde  qui 
se  prolonge  sous  toutes  les  a^nes.  En  disant  de  l'A- 
mérique qu'elle  est  chaude,  saine,  humide,  basse, 
fertile,  on  dit  une  vérité,  et  si  on  aflSrmait  le  con- 
traire, on  aurait  encore  raison,  à  cause  de  la  diffé- 
rence des  climats  et  des  lieux.  Il  en  est  de  même 
des  peuples,  car  l'hémisphère  est  habité  en  entier 
sous  chacune  des  zones.  Aux  deux  extrémités  sont 
des  nains,  et  ceux-ci  ont  pour  voisins  des  géans  ; 
au  milieu  se  trouvent  des  nations  dont  les  formes 
plus  ou  moins  bien  proportionnées,  les  dispositions 
pacifiques  ou  guerrières,  indolentes  ou  actives,  ser- 
vent naturellement  de  transitions  ;  et  qui,  en  un  mot, 
parcourent  tous  les  modes  de  vie  et  tous  les  types 
de  caractère. 

En  second  lieu,  rien  n'empêche  que  l'arbre  du 
gânre  humain  avec  les  nombreux  rameaux  qui  s'en 
détachent  ne  soit  sorti  d'un  seul  et  même  germe, 
et  ne  porte  en  conséquence  des  fruits  partout 
uniformes;  et  c'est  ce  que  l'on  entend  quand  on 
paiie  du  caractère  dominant  des  traits  et  de  la  figure 
des  Américains.  Ulloa  remarqua  particulièrement 
dans  la  partie  du  centre  que  les  fronts  étaient  étroits 
et  couverts  de  cheveux^les  yeux  petits,  le  nez  mince 


CHAPITRE  VI.  569 

et  recourbé  sur  la  lèvre  supérieure ,  le  visage  large» 
les  oreilles  grosses,  les  jambes  bien  faites,  le  pied 
petit  et  la  taille  massive  :  ces  formes  s'étendent  au- 
delà  du  Mexique.  Selon  Pinto,le  nez  est  médiofcre- 
ment  épaté,  les  yeux  sont  noirs  ou  bruns,  petits 
etperçans,  les  oreilles  placées  très-loin  du  visage: 
or,  ces  mêmes  traits  se  retrouvent  chez  des  peuples 
fort  éloignés.  Ce  caractère  général  de  physionomie , 
qui  établit  une  ressemblance  de  famille  même  entre 
les  nations  qui  diSièrent  le  plus,  annonce  une  uni- 
formité d'origine.  Si  de  toutes  les  parties  du  monde, 
des.  peuples  sont  arrivés  en  Amérique  à  diverses 
époques ,  qu'ils  se  soient  ou  non  mêlés  entre  eux, 
l'espèce  humaine  doit  présenter ,  dans  le  nouveau 
continent,  plus  de  diversité  que  partout  ailleurs. 
Dans  totttc^^étendue  de  cette  contrée,  c'est  un  phé- 
nomène presque  sans  exemple  que  de  trouver  des 
yeux  bleus,  ou  des  cheveux  blonds.  Les  tribus 
du  Chili  et  les  Akansas  des  Florides,  que  l'on  re- 
marquait à  cause  de  leurs  yeux  bleus,  ont  disparu 
récemment. 

'  Troisièmement  Si  après  nous  être  arrêtés  à  cette 
forme,  nous  cherchons  à  attribuer  au  caractère  amè- 
rtcain  les  traits  principaux  qui  le  distinguent,  la 
bonté  de  cœur  et  l'innocence  primitive,  sont  les 
premières  qualités  à  remarquer,  comme  le  prouvent 
l'antiquité  de  leurs  établissemens ,  leurs  habitudes, 
le  petit?  nombre  et  l'imperfection  de  leurs  arts,  et 
I.  34 


370*  UVRE  VI. 

par-dessu9  tout ,  la  conduite  qu'ils  ont  tenue  avec 
les  Européens.  Sortis  d'un  sol  sauvage,  auquel  man- 
quait le  secours  du  monde  civilisé,  tous  les  progrès 
qu'ils  faisaient,  leur  appartenaient  en  propre,  et  les 
premiers  débuts  de  leur  culture  offrent  le  tableau 
le  plus  instructif  de  l'humanité  naissante. 


CHAPITRE   VIL 
Conclusion. 

Que  ne  pouvons-nous  ici ,  à  l'aide  d'un  talisman 
qui  transformerait  en  table;aux  fidèles  les  contours 
indéfinis  de  la  parole  et  le  vague  des  descriptions, 
faire  apparaître  une  galerie  de  formes  et  de  figures 
humaines!  mais  nous  sommes  loin  de  voir  se 
réaliser  un  vœu  si  philanthropique.  Pendant  des 
siècles  la  terre  a  été  traversée  dans  tous  les  sens 
par  l'épée  et  par  la  croix,  par  des  marchands  de 
liqueurs  et  de  corail  :  personne  ne  songeait  alors  au 
paisible  pinceau,  et  jamais  il  n'était  entré  dans  la 
pensée  d'un  seul  de  cette  foule  de  voyageurs,  que 
les  mots  ne  peignent  pas  les  formes,  surtout  celle 
qui  est  la  plus  délicate,  la  plus  variée,  la  plus 
changeante  de  toutes.  Long-temps  le  merveilleux 
tint  la  place  de  la  réalité;  car  même  les  figures 
que  l'on  traçait  çà  et  là  étaient  idéales ,  sans 
considérer  que  le  vrai  zoologbte  n'imagine   pas 


les  formes  des  aDÏmaux  étrangers  qu'il  dessine  : 
or,  )a  nature  humaine  est- elle  indigne  d'exciter 
cette  attention  rigoureuse  dont  les  plantes  et  les 
animaux  sont  l'objet?  Cependant,  comme  dans  les 
derniers  temps  le  génie  d'observation  s'est  appliqué 
à  classer  les  variétés  de  notre  espèce,  comme  nous 
avons,  quoiqu'en  petit  nombre,  des  esquisses  de 
quelques  peuples,  avec  lesquelles  celles  des  Debry, 
des  Lebrun ,  surtout  celtes  des  missionnaires ,  ne 
peuvent  entrer  en  comparaison  >,  ce  serait  rendre 
xm  service  éminent  au  monde  savant ,  que  de  les 
recueillir  avec  soin  pour  donner  ainsi  des  bases  à 
l'étude  de  la  physionomie  et  de  Fhistoire  naturelle 
de  rhumanité.  Difficilement  ferait-on  servir  l'art 
du  dessin  à  un  but  plus  philosophique;  et  une 

I.  Je  suis  loin  de  clierEheT  à  déprécier  ces  essais;  mais  les 
fibres  de  Lebrun  me  semblent  toutes  avoir  ud  air  français  : 
celles  de  Debry,  qui  ont  été  mal  copiées  dans  des  pubUca- 
tîons  plus  récentes,  ne  paraissent  pas  être  anthentiques.  Selon 
Forster,  Hodges  a  aussi  donn£  des  formes  idéales  à  ses  Ûla. 
hiiieus.  Après  ces  premières  tentatires,  il  est  hautement  11 
désirer  que  les  applications  dn  dessin  k  TbisUiire  nanirelle 
de  Tespéce  humaine  s'étendent  i  toutes  les  contrées  de  la. 
terre.  Parmi  les  premiers  qui  ont  tenté  cette  carrière  ,  IVie- 
bnhr,  Parkinson,  Cooli ,  Hoest ,  Georgi,  Marion  et  quelques 
autres  occupent  le  premier  rang.  On  dit  que  le  dernier 
Toyage  de  Cool,  dont  on  loue  les  grainres,  commence  une 
période  nouTelle.  Puisse-t'Clle  par  la  suite  comprendre  d'au- 
tres parties  du  monde ,  et,  plus  d^eloppée,  servir  k  une  utilité 
plus  générale  \ 


5^3 


HK  1>C  TDKE 


TABLE 


DU  TOME  PREMIER. 


blTRODUGTI01!l« 7 

Etudes  sur  Herder.    . 67 

Préface  de  l'auteur j 

Livre  I." 1 

Chapitre  I."  Notre  terre  est  un  astre  parmi  des 
astres ' /i. 

Qiapitre  IL  Notre  terre  est  une  des  planètes 
moyennes 6 

Chapitre  IlL  Notre  terre  a  subi  plusieurs  récolu-' 
tions  ai/ant  de  dei^emr  ce  quelle  est  maintenant .      1 4 

Chapitre  IV.  Notre  terre  est  un  globe  qui  tourne 
sur  son  axe  dans  une  direction  oblique  au 
soleil. 20 

Chapitre  V.  Notre  terre  est  em^eloppée  dune 
atmosphère  et  est  en  conflit  av^ec  plusieurs 
corps  célestes 28 

Chapitre  VI.  La  planète  que  nous  habitons  est 
une  sphère  montagneuse  qui  s'e'lèi^e  au^^essus 
de  la  surface  des  eaux 35 

Chapitre  VII.  La  direction  de  nos  montagnes  fait 
de  nos  deux  hémisphères  le  théâtre  des  variétés 
et  des  changemens  les  plus  remarquables. ...      6  a 


$73  LIVRE  VI.   CHAPITRE  VII. 

mappemonde  anthrc^ologique,  sur  le  plan  de  celle 
dont  Zimmermann  a  enrichi  la  zoologie,  et  dans 
laquelle  on  n'indiquerait  que  les  variétés  réelles  de 
l'espèce  humaine  dans  ses  formes  et  ses  attitudes 
principales,  achèverait  dignement  cette  œuvre  de 
philanthropie* 


FIN  DU  TOME  PREMIER, 


/ 


J 


TABLÇ 

OME  PREMIER. 


67 

) 

1 

•e  est  un  astre  parmi  des 

Ib. 

re   est   une  des  planètes 

6 

a  subi  plusieurs  rét^lu- 
'.  qu'elle  est  maintenant .      1 4 
'st  un  globe  ^ui  tourne 
direction   oblique   aa 

ao 

•st   ent>eloppée    d'une 
mflit   avec  plusieurs 

28 

nous  habitons  est 
1  s'élève  au-dessus 

35 

os  montagnes  fait 
édtre  des  variétés 
imarquables. ,  ,  .      Sa 


( 


574  TABLE  DU  TOME  I. 

Livre  II Sg 

Chapiti*e  I."  Notre  terre  est  un  immense  labora- 
toire où,  se  prépare  Vorgcf^nisation  d! êtres  très- 
différehs  les  uns  des  autres Ih. 

Chapitre  II.  Le  règne  végétal  de  notre  terre  ^ 
considéré  dans  ses  rapports  av>ec  l'histoire  de 
Vhumanité^ 66 

Chapitre  III.  Du  règne  animal  dans  ses  rapports 
ai^ec  l'histoire  de  t homme 79 

Chapitre  IV.  L'homme  est  une  créature  centrale 
au  milieu  des  animaux  terrestres 88 


/ 


Livre  III 197 

Chapitre  I."  De  la  structure  des  plantes  et  de 
celle  des  animaux  ^  considérées  dans  leurs 
rapports  omcc  l'organisation  de  l'homme* .  . .      /t. 

Chapitre  IL  Comparaison  des  divers  pou$H)irs 
organiques  qui  agissent  dans  les  animaux.  .    112 

Chapitre  III.  Exemples  de  la  structure  physiolo- 
gique de  quelques  animaux. 128 

Chapitre  IV.  Des  instincts  des  animaux i36 

Chapitre  V.  Par  quelle  progression  la  créature 
s'élèi^e  jusqu'à  combiner  plusieurs  idées  entre 
elles  y  et  à  faire,  un  usage,  plus  libre  de  ses 
sens  et  de  ses  membres,, ,  ..............  •    14^ 

Chapitre  VI.  Différence  organique  entre  l'homme 
et  les  animaux. 164 


,     TABLE  DD  TOME  I.  5'jS 

Pign. 

Livre  IV i63 

Chapitre  I."  L'homme  est  par  son  organisation 
un  être  raisonnable .-  - .  .      /i. 

Chapitre  II.  De  l'organisation  de  l'homme  com- 
parée à  celle  des  créatures  inférieures  qui  se 
rapprochent  de  lui  par  la  forme  de  la  fête.  .    189. 

Chapitre  III.  L'homme^  doué  de  sens  plus  par- 
faits t^ue  les  animaux,  est  formé  par  son  or- 
ganisation pour  fart,  et  le  langage i^j 

Chapitre  IV.  L'homme  est  organisé  pour  des  ins- 
tincts plus  purs  que  ceux  des  animaux,  et  en 
conséquence  pour  la  liberté  d'action. 207 

Chapitre  V.  Quelque  délicate  que  soit  la  santé  de 
l'homme,  il  est  destiné,  par  son  organisation 
même,  à  vivre  plus  long-temps  qu'aucune  autre 
créature,  et  à  se  répandre  sur  toute  la  surface 
de  la  terre. a  i^ 

Chapitre  VI.  L'homme  est  formé  pour  l'humanité 
et  là  religion 337 

Chapitre  VIL  L'homme  est  formé  pour  l'espérance 
de  Vimmortalité. 34$ 

Livre  V 248 

Chapitre  I."  Vne  série  ascendante  déformes  et  de    " 
poufoirs  règne  dans  notre  création  terrestre.      Ib. 

Chapitre  II.  ^ucun  pouvoir  dans  la  nature  n'est 
sans  organe;  mais  dans  aucun  cas  l'organe 
«  est  le  pouvoir  même  qui  agit  par  son  mtyyen .    î  S  6 


) 


376  TABLE  DU  TOBCE  I. 

Chapitre  III.  Uenchaînement  des  pouvoirs  et  des 

formes  neist  jamais  rétrograde  ni  stattonrutire^ 

mais  progressif. 264 

Chapitre  IV.  La  sphère  de  T organisation  humaine 

est  un  système  de  pouvoirs  spirituels^  ......    27a 

Chapitre  V«  Notre  humanité  n'est  (juun  état  de 

préparation^   le  bouton   dune  fleur  (jui  doit 

éclore 3^4 

Chapitre  VI.  Vétat  présent  de  V homme  est  proha^ 

hlement  le  lien  (jui  unit  deux  mondes., 293 

Livre  VI _. 304 

Chapitre  I.*'  Organisatiçn  des  peuples  tfui  habi^ 

tent  près  du  pôle  nord 3o5 

Chapitre  II.  Organisation  des  peuples  qui  habitent 

le  plateau  de  l'Asie 3i6 

Chapitre  ni.  Régions  des  nations  bien  organisées .    32  5 
Chapitre  IV.  Organisation  des  peuples  de  TAfri- 

ifue 335 

Chapitre  V.  Organisation  de  F  homme  dans  les  îles 

de  la  zone  torrid^ 349 

Chapitre  VI.  Organisation  des  Américains 353 

Chapitre  VII.  Conclusion 370 


FIN  DE  XA  TASLE  DU  TOME  PlÛËMIER. 


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